Le plus court chemin / Antoine Wauters

Un singulier bouquin sur le rapport à l’écriture de l’auteur.

Antoine Wauters se plonge dans ses souvenirs et fait ressurgir les sensations de son enfance. Une enfance dans laquelle il grandit à la campagne dans un petit village Belge. Une enfance au plus près de la nature et qui porte déjà en elle les premiers questionnements sur le monde qui l’entoure, les prémices d’un imaginaire qu’il souhaitera développer plus tard. L’auteur avec une grande attention dans le choix des mots écrit par fragment sur ce qu’il a vécu, sur ses proches, que ce soit ses parents ou son frère qu’il considère alors comme son « jumeau ». « Le plus court chemin » est un très beau bouquin sur l’enfance et sur l’écriture, sur le rôle qu’elle peut avoir (ou non) dans une vie. Dans ce texte on y parle de l’importance des mots, ceux qui sont dits avant d’être posés sur le papier. Ceux de l’enfance notamment. Je découvre Antoine Wauters avec ce texte et son talent pour transmettre les instants ou les évènements du quotidien est rare. Un livre qui décrit avec justesse les sentiments d’un enfant qui se cherche, et qui chemine sans vraiment le savoir vers le désir d’écrire.

Le plus court chemin, ed. Verdier, 19,50 euros, 256 pages.

Nid de vipères / Edyr Augusto

Une jeune femme cherche à venger sa famille et rien ne pourra l’arrêter.

Retour dans l’état du Para au nord du Brésil pour ce roman d’Edyr Augusto. Un riche homme d’affaires qui ne recule devant rien pour obtenir ce qu’il veut décide de récupérer une scierie. La scierie de la famille Pastri. Il viole la femme d’Alfredo Pastri et frappe ce dernier devant leurs enfants, Isabela et Fred. Le traumatisme est d’une violence rare et des années plus tard alors que Fred a tourné la page en allant vivre aux États-Unis avec sa compagne, une grande star de la musique, Isabela décide d’assouvir son désir de vengeance. Commence alors un long chemin de croix pour la jeune femme qui a un unique but, venger sa famille de Wlamir Turvel, l’escroc violent et sans limite à l’origine du traumatisme. Les politiques sont corrompus, les marginaux n’ont rien demandé à personne, mais subissent. Pas de doute on est bien dans un roman d’Edyr Augusto. Un roman noir tendu et violent comme il sait le faire. Les pages défilent et chaque mot est pesé.

Nid de vipèrestè, ed. Asphalte, 15 euros, 160 pages.

Le Veilleur du lac / Nicolas Leclerc

Un thriller dans lequel une famille voit son passé ressurgir tout comme les non dits.

Le capitaine Bruno Albertini se rend dans une maison dans laquelle une famille a mystérieusement disparu du jour au lendemain. Un coffre a été forcé et la maison est en l’état avec les voitures à leurs places. C’est le début d’une sombre affaire qui va faire parler dans la région de Pontarlier. En parallèle Fanny fuit avec sa copine Maïa et le copain de cette dernière en Allemagne. La jeune fille a organisé sa fuite et en arrivant dans le squat en Allemagne la fugue qui devait prendre des airs de liberté ne va pas être si tranquille que cela. Ces deux histoires vont finir par se croiser et Nicolas Leclerc dans la pure tradition du thriller livre une histoire prenante.

Le Veilleur du lac, ed. Seuil, 20,50 euros, 400 pages.

Un jour viendra / Giulia Caminito

Deux frères dans l’Italie du début du XXe tentent de survivre entre l’émergence de la première guerre et leur famille.

Nous sommes fin XIXe début XXe, dans la région des Marches à l’Est de l’Italie. Nicola et Lupo sont deux frères confrontés à la pauvreté et aux bouleversements politiques qui agitent l’Italie de l’époque. Notamment l’émergence des mouvements anarchistes ou l’arrivée prochaine de la Première Guerre mondiale. Nella leur soeur, vit de son côté dans un couvent et ne peut plus voir sa famille. Leur père est boulanger et leur mère aveugle accouche à plusieurs reprises d’enfants mort-nés ou qui tombent malade comme une malédiction. Les deux frères ont grandi très proches, avec Lupo d’un côté, le grand frère sûr de lui qui protège son petit frère Nicola. Un petit homme frêle qui s’affirme peu. La forme du récit de l’autrice déstabilise dans un premier temps, Giulia Caminito passe d’un personnage à un autre ou d’un moment à un autre en l’espace d’un paragraphe. Ça ne facilite pas tout le temps la lecture fluide du récit, mais pour autant, on sent que ça impose un rythme singulier à cette histoire très bien écrite par ailleurs. Et qui fait la part belle aux sensations éprouvées par ses personnages. « Un jour viendra » dresse des portraits touchants et marquants. On sent une dépendance entre les deux frères qui flirte par moment avec le malsain. La famille Ceresa lutte contre la précarité à l’image du père qui tente de survivre avec sa boulangerie. Mais la famille Ceresa a aussi ses secrets et lorsque l’on découvre le drame du début du livre on comprend rapidement que ces secrets de famille vont être dévoilés à un moment ou à un autre. Giulia Caminito écrit le roman d’une famille qui traverse une période trouble et qui tente de composer avec sa pauvreté, le contexte politique de l’époque et les secrets familiaux.

Extraits : « C’est quoi la vérité qu’il ne faut pas dire à Lupo, se demanda-t-il encore en s’approchant de son lit, la vérité aurait-elle été juste, les aurait-elle sauvés ? »

« Il s’était excusé de ne pas avoir été un bon frère, le compagnon de révolte, le camarade de grève, l’ami des champs qui sait courir, sauter, grimper, affronter la vérité, mais seulement un enfant mi-tendre mi-écœurant. »

Un jour viendra, ed. Gallmeister, 22,60 euros, 288 pages.

Même les monstres / Thierry Illouz

L’auteur revient sur sa vie et son expérience d’avocat.

Thierry Illouz parle de son parcours avec pudeur dans ce court récit autobiographique. Après sa naissance à Sétif en 1961, il grandit dans une cité avant de devenir avocat. Un avocat qui s’intéresse très vite aux marginaux et au statut de l’agresseur. Pour finir par défendre en majorité des agresseurs, des coupables. Les « monstres » comme certains les appellent selon l’affaire dont il est question. Un mot qui déshumanise et dont il est question à plusieurs reprises. Thierry Illouz en profite pour développer une réflexion sur la notion de justice, sur la place de la prison ou sur tout ce que représentent les tribunaux dans l’imaginaire collectif. Il se demande pourquoi il souhaite aussi ardemment défendre les coupables, les agresseurs. Pourquoi ces mêmes agresseurs provoquent une fascination morbide lorsque par exemple de nombreux lecteurs et lectrices lisent et dévorent des polars avec des meurtres et des coupables. « Même les monstres » donne un texte sincère, plein d’humanité et tout en nuance.

Même les monstres, ed; L’Iconoclaste, 13 euros, 105 pages.

Murène / Valentine Goby

Un roman sur le rétablissement d’un homme et qui laisse à penser sur la réception du handicap dans la société d’après guerre.

L’intrigue se déroule dans les années 50, ce qui correspond aux débuts de l’handisport. François, le personnage de Valentine Goby, est amené dans les premiers temps du livre à se rendre dans les Ardennes en camion pour y travailler sous la neige. Le camion tombe en panne et François en allant chercher de l’aide se retrouve à monter sur un wagon pour repérer un village aux alentours. C’est là que l’accident arrive et que le jeune homme de vingt-deux ans est électrocuté par la ligne à haute tension. Il s’en sortira avec un handicap physique en perdant ses deux bras. L’autrice à partir de cet évènement marquant développe la vie d’un homme qui tente de se construire avec un handicap, dans une société qui stigmatise et ne facilite rien. François lutte pour retrouver une vie normale, sa famille et ses proches tentent de l’aider et le livre a aussi de très beaux passages sur le rôle des aidants. L’écriture de Valentine Goby est au plus près du corps, de la chair. On sent que la romancière a accumulé de la documentation et que rien n’est laissé au hasard dans les descriptions cliniques de la guérison, du rétablissement, de la vie sans ses deux bras. Jusqu’au jour où François se rapproche d’une amicale de sportifs qui ont la particularité d’être aussi porteurs d’un handicap comme lui. C’est le début d’une nouvelle période importante de sa vie dans laquelle il va redécouvrir son corps et son rapport au monde à travers l’activité physique. Pour cela il choisit la natation qui aux premiers abords lui semble dangereuse et compliquée. Un sport qui sera ensuite une vraie révélation pour avancer au quotidien. Le lecteur perçoit alors petit à petit le lien qui se tisse avec les prémices de l’handisport en France. « Murène » est un très beau roman aboutit sur la question du handicap et du corps, sur ce que cette question charrie dans la société française d’après guerre notamment avec les blessés de guerre. Les descriptions sont cliniques, les sensations des personnages sont palpables.

Murène, ed. Actes Sud, 21,80 euros, 384 pages.

Ce qu’il nous faut c’est un mort / Hervé Commère

Un ville en Normandie vit au rythme d’une usine jusqu’à la menace de la délocalisation.

Tout commence la nuit du 12 juillet 1998 lors de la finale de la coupe du monde. Une soirée mémorable, mais pas pour tout le monde, vous allez le découvrir pour certains personnages. Dans ce polar social très bien construit comme c’est souvent le cas chez Hervé Commère, direction un petit village de Normandie qui vit en grande partie grâce à une usine, les ateliers « Cybelle ». Des ateliers qui confectionnent de la lingerie et qui font vivre une grande partie de la région depuis l’après-guerre, en octroyant de nombreux emplois pour la population aux alentours. Oui, mais voilà depuis peu, comme dans de nombreux cas un fonds de pension décide de mettre le nez dans les affaires de l’usine essayant de la racheter (le risque de délocalisation se précise). Les personnages que l’on découvre au début du roman pendant cette fameuse nuit en 98 vont être amenés à se recroiser des années plus tard alors que l’on apprend que ce rachat de l’usine est en jeu. L’auteur écrit un roman noir qui rend hommage aux luttes ouvrières et on voit passer les époques et les enjeux qui vont avec. Les trajectoires personnelles des uns croisent les trajectoires collectives des autres. « Ce qu’il nous fait, c’est un mort » offre un bon moment de lecture, qui questionne avec justesse les luttes sociales en cours un peu à la manière de Nicolas Mathieu dans « Aux animaux de la guerre ».

Ce qu’il nous faut, c’est un mort, ed. Pocket, 8,60 euros, 440 pages.

Les mots nus / Rouda

Voir grandir un gamin des quartiers dans les années 90 puis 2000.

Ben est un collégien lambda de banlieue qui traîne son ennui et ses potes dans un quotidien plutôt morose. Le lecteur le voit grandir dans les années 90 et assister à des évènements marquants de cette décennie puis de la suivante. De La Brousse son quartier d’où il vient jusqu’à Belleville, Ben grandit et apprend de la vie, des bons moments comme des désillusions. Le personnage de Rouda devient attachant au fil des pages et ce bouquin est une très bonne surprise au final. J’ai été embarqué par l’écriture de l’auteur qui sonne juste. Il parsème son texte de quelques belles images. On a envie de suivre cet ado qui lutte avec ses sentiments ou avec le monde qui l’entoure jusqu’aux premières émeutes de 2005 et celles qui vont suivre. Un roman plein d’humanité à découvrir sans hésiter.

Les mots nus, ed. Liana Levi, 17 euros, 160 pages.

Moscow / Edyr Augusto

Un court roman noir tendu et violent. Une claque.

Moscow est le surnom de l’île de Mosqueiro, une île dans l’état brésilien du Para. Une île qui voit sa population tripler grâce au tourisme et à une jeunesse qui vient de Belém pour faire la fête. Un groupe de jeune qui vit la majorité du temps la nuit en profite pour faire les 400 coups sur l’île, terroriser les touristes ou se servir là où ils trouvent de l’argent. Tinho Santos fait partie de cette bande et c’est loin d’être le moins agressif du lot. Tinho avec un détachement bien à lui profite avec ses potes de sa jeunesse. Et ce personnage cache en plus en lui des démons qu’il a parfois bien du mal à maîtriser. Ajoutez à cela le talent et la plume d’Edyr Augusto qui mélange la narration et les dialogues sans un temps mort, et on a un petit bouquin redoutable. Un excellent roman noir. À noter le très bon travail de Diniz Galhos à la traduction.

Moscow, ed. Asphalte, 12 euros, 144 pages.

Les détectives sauvages / Roberto Bolano

Un classique de l’auteur Chilien à découvrir.

Juan García Madero décide de quitter ses études de droit pour consacrer tout son temps à la poésie. C’est comme ça que l’on découvre le début de l’épopée d’un personnage qui va rencontrer d’autres poètes et voyager à travers plusieurs continents en partant de Mexico. Juan García Madero rencontre alors Ulises Lima et Arturo Belano, deux autres personnages considérés comme les chefs de file d’un singulier mouvement, les réal viscéralistes. Les trois compères partent à la recherche d’une poétesse mythique et on suit une multitude de témoignages de personnages qui les ont côtoyés ou non. Dans ce roman-fleuve qui multiplie les voix, l’auteur décrit à la fois des sociétés en mutation et des personnages qui traversent les années entre les années 70 et les années 90. On se laisse porter par une écriture singulière même en étant un peu déstabilisé au début par les nombreux personnages qui défilent. Une expérience de lecture.

Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio.

Les détectives sauvages, ed. Points, 11,50 euros, 944 pages.

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