Le camp des autres / Thomas Vinau

L’histoire d’un enfant qui rencontre des brigands au début du XXe siècle.

« Le camp des autres » c’est l’histoire d’un garçon qui fuit son père violent au début du XXe siècle. En ville, Gaspard va croiser des apaches et à la campagne, des trimardeurs et des bohémiens. Toutes ces femmes et ces hommes ont en commun d’être des brigands recherchés par les brigades mobiles de l’époque (futures brigades du tigre). Et Gaspard, jeune homme et personnage principal de Thomas Vinau, croise la route de ces brigands en fuyant. Nous sommes au début du XXe siècle et en réponse à ces groupes qui sillonnent les campagnes, on voit donc apparaître les brigades du tigre, l’ancêtre de la police judiciaire. « Ils entreront un peu plus tard dans l’histoire en criblant de balles la bande à Bono ». On suit dans ce contexte de lutte la trajectoire de cet enfant qui fuit la violence, qui doit grandir trop vite et qui en même temps côtoie les brigands de cette « caravane à pépère » qui a vraiment existé. Une caravane qui rassemblait des exclus, des marginaux et qui va donner un sens à la vie déjà bien cabossée du jeune Gaspard. Thomas Vinau est précis dans ses descriptions et il restitue avec beaucoup de poésie une atmosphère sylvestre, la vie de ces marginaux ou la vision du monde à travers les yeux d’un enfant.

Extrait de la postface : « Je continue avec vous, avec eux, avec l’armada de nos armures merdeuses, et la possibilité d’un demain à sauver, à inventer. Alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours aux forêts. J’ai voulu construire un refuge. J’ai voulu écrire la liberté crue de l’enfance, du monde sauvage et de la récalcitrance. »

Le camp des autres, ed. Alma, 17 euros, 196 pages.

Nid de vipères / Edyr Augusto

Une jeune femme cherche à venger sa famille et rien ne pourra l’arrêter.

Retour dans l’état du Para au nord du Brésil pour ce roman d’Edyr Augusto. Un riche homme d’affaires qui ne recule devant rien pour obtenir ce qu’il veut décide de récupérer une scierie. La scierie de la famille Pastri. Il viole la femme d’Alfredo Pastri et frappe ce dernier devant leurs enfants, Isabela et Fred. Le traumatisme est d’une violence rare et des années plus tard alors que Fred a tourné la page en allant vivre aux États-Unis avec sa compagne, une grande star de la musique, Isabela décide d’assouvir son désir de vengeance. Commence alors un long chemin de croix pour la jeune femme qui a un unique but, venger sa famille de Wlamir Turvel, l’escroc violent et sans limite à l’origine du traumatisme. Les politiques sont corrompus, les marginaux n’ont rien demandé à personne, mais subissent. Pas de doute on est bien dans un roman d’Edyr Augusto. Un roman noir tendu et violent comme il sait le faire. Les pages défilent et chaque mot est pesé.

Nid de vipèrestè, ed. Asphalte, 15 euros, 160 pages.

Le soleil ne brille pas pour tout le monde / Audrey Sabardeil

Un premier roman noir qui fait penser à Izzo et à sa manière singulière de camper une atmosphère.

Audrey Sabardeil écrit un roman noir qui prend son temps et qui se déroule à Marseille. On découvre Stéphane un personnage un peu en galère qui vaque de job en job et qui finit toujours par atterrir dans le bar de son compère Fredo à un moment dans la journée. Steph est un personnage un peu à la marge qui aime se retrouver dans le troquet de son pote plutôt réac pour déconnecter d’un quotidien compliqué. D’autant plus qu’une jeune serveuse qu’il croise régulièrement là-bas, Kahina, a tendance à rendre ses journées plus belles lorsqu’il la voit et qu’il discute avec elle. Il finit par trouver un job temporaire dans une pizzeria au début du roman, mais son quotidien plutôt morose bascule le jour où une ancienne connaissance à lui débarque en lui demandant un service. Il doit cacher une arme un moment sans préciser pour quelle raison. C’est le début de nouvelles emmerdes pour Steph, des emmerdes d’une autre envergure. L’autrice prend le temps de camper ses personnages et l’environnement marseillais, on pense à Izzo sur certains passages comme l’a très bien relevé Guillaume Chérel sur une chronique du livre sur son blog. On se laisse porter par cette histoire, par cette atmosphère et on se laisse surtout porter par des personnages bien amenés. L’intrigue n’est pas forcément la plus originale mais je trouve que le sel de ce roman noir n’est pas là uniquement. Lorsque les choses s’accélèrent dans la deuxième partie le roman devient vraiment prenant. « Le soleil ne brille pas pour tout le monde » est une belle découverte, dans la lignée des polars où la ville peut devenir un personnage à part entière. Je suis curieux de lire un nouveau roman de l’autrice et de voir comment va évoluer son travail.

Le soleil ne brille pas pour tout le monde, ed. M+ éditions, 15,80 euros, 168 pages.

Peter Punk au pays des merveilles / Danü Danquigny

Un homme sort de prison et se retrouve en deux temps trois mouvements au milieu d’une magouille dans laquelle il va brasser ses relations passées.

Desmund Sasse sort de prison au début du roman et s’apprête à retrouver Morclose, une ville bretonne fictive dans laquelle il a ses habitudes. Malheureusement Desmund est le genre de personnage qui a un don pour attirer les galères. Et ça ne loupe pas, peu de temps après sa sortie il se retrouve arrêté de nouveau par la police en étant suspecté de complicité de meurtre. Desmund alias « Peter Punk » a bien l’intention de ne pas retourner en taule et pour ça il va mener sa petite enquête pour comprendre dans quelle magouille il s’est retrouvée à son insu. Il reçoit à sa sortie des messages vocaux qui semblent être liés à l’affaire. Ses actions vont l’amener à côtoyer un ancien pote à lui devenu flic ou une détective privée qui va être amenée à lui sauver la mise. Deux autres personnages réussis et réalistes qui participent pleinement à l’atmosphère de ce pur polar dans la tradition du hard boiled. Danü Danquigny mène très bien sa barque, les dialogues sonnent juste et de petits pics bien senties se glissent dans le récit notamment sur l’institution policière et ses nouvelles pratiques du maintien de l’ordre. Du bon roman noir.

Peter Punk au pays des merveilles, ed. Gallimard, coll. Série noire, 19 euros, 289 pages.

Les forcenés / Abdel Hafed Benotman

Un recueil de nouvelles écrit dans une langue âpre. Benotman dans ses œuvres.

Abdel Hafed Benotman est un auteur à part avec une plume singulière, incisive. Dans « Les forcenés » il s’attarde sur les marginaux, celles et ceux qui déraillent ou qui font dérailler la société dans laquelle ils vivent. Dans ce recueil de nouvelles très sombre et en même temps écrit avec un style remarquable, on croise des personnages laissés pour compte qui n’ont plus grand-chose à perdre. Ce petit bouquin remue et sonne le lecteur au détour de certains passages. C’est âpre et on sent que le milieu carcéral que l’auteur a connu infuse dans certains de ces textes. J’avais beaucoup aimé « Éboueur sur échafaud » de l’auteur et la lecture de ce recueil est tout aussi prenante. Un auteur à découvrir.

PS : La très belle préface de Jean-Hugues Oppel complète bien le tableau.

Extrait : « Il m’est arrivé de vouloir me réinsérer mais, à force de tourner en rond, pendant des années, dans les cours de promenade des prisons, il est dur de marcher droit du jour au lendemain. Ça en devient presque biologique. D’ailleurs ça l’est puisque la taule s’imprime à l’intérieur, et je mettrais ma main de voleur à couper que mon âme doit porter en filigrane un numéro d’écrou. »

Les forcenés, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8,15 euros, 208 pages.

S’ils n’étaient pas si fous / Claire Raphaël

Troisième enquête d’Alice Yekavian l’experte en balistique et c’est toujours aussi passionnant.

Tout débute lorsqu’une femme est retrouvée morte dans son appartement, tuée d’une balle. Sa fille atteinte de schizophrénie commence par confier aux policiers que c’est elle la responsable. Les choses se compliquent à partir de là, car la scène de crime révèle des éléments qui remettent en doute la version de la fille de la victime. On retrouve avec plaisir l’experte en balistique Alice Yekavian mais aussi Ludovic Marchand-Thierry un policier chevronné et en plein doute dans ce troisième roman noir de l’autrice. Un polar qui aborde la folie, la vision que l’on en a dans la société et les dérives qui en découlent. J’ai rarement lu un roman noir qui aborde de façon aussi intelligente les problématiques qui émergent lorsque l’on aborde la question de la santé mentale. À la fois polar précis dans les procédures policières et roman sur des marginaux, Claire Raphaël offre un moment de lecture prenant et des personnages complexes que l’on a envie de suivre. L’intrigue prend son temps, les dialogues sonnent et on se laisse embarquer dans « S’ils n’étaient pas si fous ». Encore une fois une réussite et si vous ne connaissez pas encore l’univers singulier de la romancière, qui mélange habilement roman noir, poésie et psychologie fine des personnages, foncez.

S’ils n’étaient pas si fous, ed. le Rouergue, 22 euros, 288 pages.

Et nous, au bord du monde / Nathalie Sauvagnac

Nadine chercher à fuir et à refouler ses souvenirs. Elle découvre alors une maison isolée et ses curieux locataires.

J’avais déjà beaucoup apprécié « Les yeux fumés » de Nathalie Sauvagnac. Avec ce nouveau roman noir édité au masque, on retrouve tout de suite ce ton si caractéristique et ses personnage marginaux en bout de course. Nadine cherche sa place depuis qu’elle a été virée de chez elle et elle finit par atterrir dans une maison à flanc de colline dans laquelle deux personnages taciturne habitent. Louis et Jean-Mi vivent de pas grand-chose et comme elle, cherchent une vie sans fioritures. Malheureusement ce coin reculé et la nature mitoyenne n’empêchent pas les mauvais souvenirs de revenir et Nadine va devoir lutter avec ses valises pesantes. « Et nous, au bord du monde » est un roman d’une noirceur rare et d’une justesse, qui rend tout de suite attachant les personnages et qui fait la part belle aux sensations. Certains passages sans en faire des caisses sont de très jolies moments de poésie. Malgré la noirceur ambiante on distingue des morceaux d’humanité qui touchent au cœur et c’est aussi ce qui fait tout le charme de ce roman noir. Un peu comme dans « Les abattus » de Noëlle Renaude, on sort de l’ordinaire et des polars vus et revus. Une nouvelle réussite pour Nathalie Sauvagnac avec ces marginaux qui vont tout tenter pour s’en sortir et avancer.

Et nous, au bord du monde, ed. du Masque, 19 euros, 216 pages.

Les hommes sont courageux / Pascal Dessaint

Un recueil de nouvelles dans le pur style Dessaint. Des personnages brossés avec talent.

Pascal Dessaint est redoutable lorsqu’il écrit des romans noirs et lorsqu’il décrit la vie des marginaux, des femmes et des hommes qui subissent le poids du système malgré eux. Un truc qui sonne vrai et qui touche se dégage de ses personnages. Et bien on peut dire qu’il détient le même talent sur le format court lorsqu’il écrit des nouvelles. Dans « Les hommes sont courageux », on retrouve ces bouts d’humanité en rupture d’une manière ou d’une autre. Un petit quelque chose suffit à faire basculer leurs vies. De nombreux sujets sont traités dans ces nouvelles non dénuées d’humour noir. De la santé mentale à la précarité en passant par la vie conjugale, Pascal Dessaint continue l’exploration de nos travers sans dépolitiser son propos. On en apprend au passage toujours un peu sur la nature et plus particulièrement les oiseaux, ce qui ne gâche rien. Un livre de l’auteur que vous n’avez pas encore lu est toujours une bonne nouvelle et si c’est le cas avec ce court recueil de nouvelles, foncez. Une mention spéciale à la nouvelle avec le chauffeur de bus qui sort du lot je trouve.

Les hommes sont courageux, ed. Rivages, coll. Rivages Noir, 5,10 euros, 132 pages.

Petiote / Benoît Philippon

Un père décide de prendre en otage les occupants d’un hôtel pour obtenir la garde de sa fille. Ça se pose là comme pitch.

Gus lutte pour obtenir la garde de sa fille mais sa situation précaire et son caractère ne plaident pas en sa faveur. Il décide alors de passer la vitesse supérieure pour mettre la pression à la juge qu’il ne porte pas dans son cœur. Il est bien décidé à passer plus de temps avec sa fille même si la principale concernée n’est pas non plus enchantée par l’idée. C’est là qu’une idée lumineuse lui vient, prendre en otage les occupants d’un petit hôtel avec sa fille dans le lot, pour exiger des autorités un avion et pouvoir se tailler à l’autre bout du monde. Vaste projet. Ni une ni deux il met son plan en marche et ce qui est certain c’est que cela ne va pas se passer comme prévu, de la commandante de police qui dirige les opérations aux différents otages sous les ordres de Gus, le lecteur n’est pas au bout de ses surprises. Benoît Philippon avec son ton enlevé et ses personnages marginaux est doué pour faire apparaître des bouts d’humanité au détour d’une page. L’action est savamment dosée dans ce roman noir plein de bons mots. La nouvelle fournée d’un auteur toujours aussi recommandable.

Petiote, ed. Les Arènes, 19,90 euros, 375 pages.

La Fabrique du monstre / Philippe Pujol

10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, l’une des zones les plus inégalitaires de France

Philippe Pujol livre un travail journalistique approfondi pour mettre à jour les magouilles et autres arrangements qui se développent dans la cité phocéenne depuis plusieurs années. C’est précis et dense, le journaliste abat un travail d’orfèvre tout en évitant d’adopter une position surplombante. Ce travail est le fruit de plusieurs années d’investigation et aborde diverses problématiques, de l’urbanisme à la politique en passant par le clientélisme et les trafics. Tout y passe. L’argent dicte les conduites et elles sont souvent à la frontière avec la légalité. Marseille est une ville bien plus complexe que ce que les médias donne à voir. Elle est aussi le reflet de ce que l’on rencontre sur tout le territoire français mais que l’on voit moins ailleurs.

La Fabrique du monstre, ed. Points, 7 euros, 272 pages.

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