Premier roman, mode d’emploi / Laure Pécher

Un essai stimulant sur l’écriture, qui déconstruit avec beaucoup de précision les petits travers des premiers romans.

Laure Pécher part de son expérience d’éditrice chez Zoé pour repérer les petites erreurs dans les manuscrits des primo-romanciers. Les petits trucs qui font qu’un livre est mis de côté et qu’un autre interpelle. Que ce soit dans la narration, dans les dialogues, dans les points de vue ou dans les descriptions, l’autrice aborde de nombreux points en détaillant comment s’en emparer. Écrire s’apprend et demande de la pratique. Laure Pécher le démontre point par point et avec clarté dans cet essai stimulant.

Premier roman, mode d’emploi, ed. Zoé, 20 euros, 224 pages.

Ce prochain amour / Nora Benalia

Le parcours d’une narratrice en colère, contre les normes et les injonctions lorsque l’on est une femme.

Ce livre est une claque. Un livre plein de rage, qui marque par sa sincérité. L’autrice écrit en partie sur sa vie à travers la narratrice, sur la violence que cela représente d’être une femme dans la société aujourd’hui. Que ce soit à travers la maternité, la famille, la sexualité ou le rapport aux hommes, Nora Benalia fustige les inégalités de genre avec une justesse rare dans de courts chapitres. La narratrice s’adresse au lecteur sans détour. Le constat est amer et la plume acérée.

extraits : « C’est quand même curieux de mettre toutes ces qualités dans l’organe le plus fragile du corps humain : le courage de l’homme est dissimulé là, à un endroit qu’un simple coup de genou peut réduire à néant. »

« Courber l’échine, travailler, brader son temps et ses compétences, suivre la scolarité de ses enfants, être considérée comme une assistée en touchant la CAF, comme une mauvaise mère en n’étant pas suffisamment présente, comme une mauvaise employée en n’étant pas suffisamment investie, être une femme invisible, fatiguée et défraîchie, mauvaise en tout, bonne à rien, mais sourire bravement quand on nous flatte pour notre sacrifice, comme un chien qui remue la queue. »

« Pas un jour ne passe sans que je ne sois jugée, y compris par mes enfants, maintenant qu’ils sont adolescents. Je suis la méchante qui fait bouffer des légumes ou qui ne cuisine que des pâtes parce qu’elle en a marre, mais qui, quoiqu’il en soit, se prend toute leur colère en permanence dans la gueule, parce qu’elle est là.
Elle est là, encore, dans les cabinets de psy, les réunions de professeurs, les conseils de classe. Devant l’école, au supermarché. À dire non au cahier à spirales.
Elle est là et elle est nulle. »

Ce prochain amour, ed. Hors d’atteinte, 17 euros, 208 pages.

Une sale affaire / Virginie Linhart

Retour sur le procès que l’autrice a traversé avec son précédent livre.

Derrière « L’effet maternel », l’autrice a vécu un procès intenté par sa mère et son ex-compagnon, qui ont refusé tous les deux que des parties de son livre apparaissent. Les deux ont estimé que Virginie Linhart dévoilait leurs vies à leur insu. Ce livre relate l’affaire derrière la sortie du livre et l’impact dans la vie de l’autrice. Virginie Linhart se pose la question du sens d’écrire lorsque par la force des choses elle replonge dans son ouvrage, alors qu’elle s’apprêtait en théorie à participer à des rencontres pour la sortie de « L’effet maternel ». Elle revient sur la vie de sa famille, sur la relation forte avec sa fille qui va l’aider à traverser cette épreuve.

Une sale affaire, ed. Flammarion, 21 euros, 192 pages.

Bien trop petit / Manu Causse

La découverte de la sexualité à travers le regard d’un lycéen qui tente de composer avec ses complexes.

Manu Causse s’attarde sur un lycéen qui reçoit des brimades de certains élèves de sa classe. Tout commence à la piscine lorsque la taille de son sexe est moquée. Grégoire a du mal avec ces moqueries et il finit par ne plus penser qu’à cela. Puis à ne plus aller en cours du tout. Ses parents commencent à s’inquiéter, mais lui pas tant que ça puisqu’il se réfugie dans l’écriture. L’écriture de petites fictions érotiques un peu à la manière des fanfictions. Il se prend au jeu et rencontre des lecteurs en ligne avec qui il échange, notamment un lecteur mystérieux qui se passionne pour ses textes. Manu Causse écrit un roman malin qui parlera à de nombreux adolescents (et adultes). Il est question de pouvoir de la fiction, du rapport au corps pendant les années lycée ou des imaginaires érotiques qui sont véhiculés ou non à cette période de la vie. « Bien trop petit » est roman plein de justesse qui vaut le détour et qui peut ouvrir des discussions. Ajoutez à cela de petites touches d’humour vous avez un très bon petit bouquin. Définitivement une collection à découvrir.

Bien trop petit, ed. Thierry Magnier, coll. L’Ardeur, 15,90 euros, 400 pages.

Le camp des autres / Thomas Vinau

L’histoire d’un enfant qui rencontre des brigands au début du XXe siècle.

« Le camp des autres » c’est l’histoire d’un garçon qui fuit son père violent au début du XXe siècle. En ville, Gaspard va croiser des apaches et à la campagne, des trimardeurs et des bohémiens. Toutes ces femmes et ces hommes ont en commun d’être des brigands recherchés par les brigades mobiles de l’époque (futures brigades du tigre). Et Gaspard, jeune homme et personnage principal de Thomas Vinau, croise la route de ces brigands en fuyant. Nous sommes au début du XXe siècle et en réponse à ces groupes qui sillonnent les campagnes, on voit donc apparaître les brigades du tigre, l’ancêtre de la police judiciaire. « Ils entreront un peu plus tard dans l’histoire en criblant de balles la bande à Bono ». On suit dans ce contexte de lutte la trajectoire de cet enfant qui fuit la violence, qui doit grandir trop vite et qui en même temps côtoie les brigands de cette « caravane à pépère » qui a vraiment existé. Une caravane qui rassemblait des exclus, des marginaux et qui va donner un sens à la vie déjà bien cabossée du jeune Gaspard. Thomas Vinau est précis dans ses descriptions et il restitue avec beaucoup de poésie une atmosphère sylvestre, la vie de ces marginaux ou la vision du monde à travers les yeux d’un enfant.

Extrait de la postface : « Je continue avec vous, avec eux, avec l’armada de nos armures merdeuses, et la possibilité d’un demain à sauver, à inventer. Alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours aux forêts. J’ai voulu construire un refuge. J’ai voulu écrire la liberté crue de l’enfance, du monde sauvage et de la récalcitrance. »

Le camp des autres, ed. Alma, 17 euros, 196 pages.

Le livre de la rentrée / Luc Chomarat

Le dernier roman de Luc Chomarat, toujours aussi malin.

Delafeuille, éditeur de son état, n’a plus grand-chose à perdre. Il recherche le livre de la rentrée pour garder sa place dans sa maison d’édition, celui qui présentera le portrait d’une femme forte et indépendante et qui remportera un succès important. Malheureusement les choses vont se passer différemment et c’est le roman de Luc, un auteur qu’il connait depuis longtemps, qui remporte tous les suffrages et qui se vend comme des petits pains. L’éditeur n’est pas au bout de ses surprises lorsqu’il rencontre dans la vraie vie la femme de Luc et qu’il n’arrive pas à penser à autre chose qu’à elle. Notamment lorsqu’il passe un séjour avec elle et son fils. Luc Chomarat comme à son habitude écrit un roman malin et plein d’humour. Et surtout un roman qui joue avec les codes de la fiction et qui mène le lecteur sur différentes narrations. C’est très bien vu et la limite entre la fiction et la réalité n’a jamais été aussi fine que dans ce dernier roman de l’auteur. Au passage, tout le microcosme littéraire en prend pour son grade avec le regard acerbe et lucide de Luc Chomarat.

Le livre de la rentrée, ed. La manufacture de livres, 19,90 euros, 240 pages.

Tumeur ou tutu / Léna Ghar

Un premier roman qui déploie toute une vision de la société avec lucidité.

Dans un récit qui restitue le langage d’une enfant de trois ans puis d’une enfant qui grandit jusqu’à ses vingt-cinq ans, Léna Ghar travaille la langue et la forme de manière singulière. On découvre une narratrice qui à travers des inventions langagières tente de comprendre le monde qui l’entoure, sa famille proche. Et elle y parvient avec précision et en même temps a un regard désabusé. On sent qu’elle traine un traumatisme au fond d’elle-même, qu’il est là tout au long du texte, mais qu’il n’est jamais dit. Les questions du corps et des sensations sont aussi essentielles dans le travail de la romancière et dans les différentes expériences que traverse sa narratrice. C’est toute une vision de la vie qui transparait derrière la parole de l’enfant. Une parole en construction qui est souvent mise en opposition à celle de l’adulte. « Tumeur ou tutu » est un premier roman à découvrir, pas forcément évident d’entrer dans la langue au début, mais ça vaut le coup de se laisser porter.

extrait : « La meute obscène me salit tout à l’intérieur, comme si des loups s’entretuaient jour et nuit dans ma rivière de vase. Ma nuque se gorge de boue en plein milieu de n’importe quoi, n’importe quand, surtout quand je m’amuse et que pour une fois je ne pense pas à elle, comme le jour où Grandoux est revenu nous chercher avec Petit Prince pour qu’on aille se baigner. »

Tumeur ou tutu, ed. Verticales, 19,50 euros, 224 pages.

Littérature et révolution / Joseph Andras et Kaoutar Harchi

Un riche dialogue qui questionne le statut du politique dans la littérature.

Le livre est un long entretien entre Joseph Andras et Kaoutar Harchi. Différentes thématiques sont abordées au fil du dialogue. Le statut d’un auteur ou d’une autrice par rapport à son oeuvre, le rapport à l’écriture, le rapport au politique ou encore le rapport au salariat d’une profession finalement très précaire. On suit avec beaucoup d’intérêt les réflexions et notamment lorsque Kaoutar Harchi et Jospeh Andras reviennent sur la genèse de leurs bouquins ou sur la réception du grand public. « Littérature et révolution » est un essai qui ouvre de nombreuses perspectives et un peu comme le livre précédent de Clémentine Beauvais, il questionne notre rapport à la lecture en profondeur. Un riche essai à découvrir qui donne envie de relire les livres des deux auteurs. J’avais beaucoup aimé « De nos frères blessés » de Joseph Andras, une lecture qui m’avait soufflé à l’époque.

À paraitre le 12 janvier.

Littérature et révolution, ed. Divergences, 16 euros, 240 pages.

Chronique judiciaire / Séverine Chevallier

L’autrice s’interroge sur ce qu’elle traverse dans un journal qui touche.

Les conditions d’accueil dans les structures médicosociales sont parfois dégradées et c’est ce qui va mener l’autrice à un procès dans ce court livre. Un procès dans lequel une femme est amenée à comparaitre pour des faits de maltraitance depuis des années sur les enfants dont elle a la garde dans la structure. À la fois autobiographie, fiction, journal, objet non identifié, on ressort de cette lecture touché. On retrouve la plume de Séverine Chevallier qui restitue une expérience compliquée de sa vie. Son fils a subi justement cette maltraitance dans cette structure de soin. Pendant plusieurs années et il n’a pas été le seul. La romancière choisit ses mots avec beaucoup de justesse et on retrouve toutes la sensibilité qui se dégageait dans « Jeannette et le crocodile » par exemple. Le regard sur la gestion des marginaux est encore une fois d’une acuité rare. La société n’a pas son pareil pour être violente, quelle que soit la forme que va prendre cette violence envers les personnes en situation de handicap. Une écriture, un rythme, des images qui nous parviennent, lire Séverine Chevallier c’est retrouver un peu de tout ça à la fois. C’est aussi s’attarder sur la condition des femmes comme lorsque la parole d’une femme dans un procès a moins de valeur, une parole que l’on imagine facilement hystérique ou hors de propos. À noter le très beau travail éditorial des éditions Dynastes. « Chronique judiciaire » est un objet à part, un singulier journal à lire et relire.

Chronique judiciaire, ed. Dynastes, 11 euros, 104 pages.

Dernière station avant l’autoroute / Hugues Pagan

Le classique de Pagan, pur roman noir.

Un député est retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel. L’homme s’est suicidé et a laissé derrière une lui une disquette avec des données importantes que personne ne retrouve. Le commandant divisionnaire du 12ème arrondissement de Paris et qui travaille de nuit se rend sur les lieux et s’occupe de cette affaire. Malheureusement ces données vont attirer toutes les convoitises et elles demeurent introuvables. Le commandant devient une cible lorsque l’on apprend qu’il est arrivé le premier sur les lieux et qu’il a potentiellement embarqué avec lui cette fameuse disquette (une autre époque). L’intrigue n’est pas forcément des plus originales mais tout le sel des romans d’Hugues Pagan ne se trouve pas là. L’auteur écrit avec des images marquantes et campe comme dans « Le carré des indigents » son dernier roman noir en date, une ambiance pesante et poisseuse. Son personnage a bien d’autres problèmes à traiter que cette histoire de disquette et l’on apprend à le connaître au fil du roman. Un homme désabusé, torturé, en quête de sens dans son quotidien et mélomane à ses heures perdues. Un homme qui connaît comme personne la misère humaine et qui décèle avec une acuité rare les parts d’ombre chez ses interlocuteurs. Il travaille de nuit et ça lui va très bien. Il est embarqué à son insu dans cette histoire de disquette et même si au début il en a strictement rien à faire, les choses ne vont pas se simplifier pour lui. « Dernière station avant l’autoroute » est un polar bien sombre, plein de poésie dans lequel on retrouve le ton unique et travaillé de Pagan.

Dernière station avant l’autoroute, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8,50 euros, 432 pages.

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