L’homme aux mille visages / Sonia Kronlund

Une enquête autour d’un imposteur insaisissable.

Un homme se fait passer pour ce qu’il n’est pas auprès des femmes qu’il rencontre. Ces dernières ne s’en rendent pas compte et le mensonge s’enracine jusqu’au jour où elles réalisent qu’elles ont été trompées. À partir de là elle ne le revoit plus, il ne laisse aucune trace. C’est sur cette affaire que Sonia Kronlund a fait des recherches, en allant à la rencontre des femmes victimes de ce mythomane en série. Derrière les apparences se cache un homme capable de tout, aux multiples prénoms et qui en même temps crée une fascination/répulsion pour l’autrice. Il va parfois loin dans la relation avec les femmes qu’il rencontre et joue sur de nombreux tableaux. Sonia Kronlund écrit un récit singulier qui se lit comme une enquête haletante et qui renvoie à de nombreux comportements masculins détestables de nos sociétés. Une enquête qui révèle un imposteur qui se joue de la réalité.

L’homme aux mille visages, ed. Grasset, 19 euros, 180 pages.

On ne s’endort jamais seul / René Frégni

Le récit poignant d’un père qui lutte pour retrouver sa fille.

Après avoir perdu dans des conditions tragiques sa femme, Antoine élève seul sa fille de sept ans et attend avec impatience chaque jour de la semaine de la récupérer à la sortie de son école. Mais un jour, alors qu’Antoine arrive avec un peu en retard, Marie a disparu. Ni sa maitresse ni ses copines ne l’ont vu. Le personnage réalise alors petit à petit qu’un cauchemar prend forme. Il se met alors à sillonner Marseille en long et en large à sa recherche et la police est bientôt mise sur l’affaire. Antoine qui voit sa santé mentale en prendre un sérieux coup, finit par demander de l’aide à son ami d’enfance, Jacky, un ancien bandit qui bénéficie d’une aura importante sur la ville et qui peut faire marcher son réseau pour aider le père à retrouver sa fille. C’est le début d’un long chemin de croix pour Antoine. Un personnage qui voit sa vie basculer en un instant et qui cherche des ressources jour après jour pour continuer à espérer. Des ressources en lui-même, mais aussi des ressources dans les personnages qui l’entourent. René Frégni écrit un roman touchant qui tend vers le roman noir. Toujours dans une langue qui laisse planer les images dans la tête du lecteur, on croise à nouveau les thèmes que l’auteur aime traiter. De la condition carcérale à l’importance des relations en passant par la force de son personnage pour encaisser un choc, et continuer à avancer. L’auteur ne s’autorise pas pour autant des raccourcis, il cherche le mot juste, celui qui va restituer avec le plus de justesse la scène. Ce petit bouquin se lit d’une traite et on retrouve avec beaucoup de plaisir les talents de conteur de Frégni, un auteur à part dans mes lectures.

On ne s’endort jamais seul, ed. Folio, 7,40 euros, 176 pages.

Le silence / Dennis Lehane

La trajectoire d’une mère face à l’indicible, dans le Boston des 70’s.

Le retour de Dennis Lehane était très attendu l’année dernière avec ce roman noir édité chez Gallmeister. « Le silence » se déroule à Boston en 1974, dans un contexte dans lequel les écoles publiques de la ville mettent en place un système de bus scolaire pour réduire la ségrégation entre les quartiers. C’est pendant cet été caniculaire que l’intrigue de l’auteur prend racine. Une mère de famille habitant South Boston, le quartier irlandais, voit sa fille de dix-sept ans disparaitre et ne plus donner signe de vie. Dans le même temps, un jeune homme noir meurt dans des circonstances troubles sur les rails du métro. Les disparitions sont nombreuses dans les polars ou dans les thrillers et on peut vite tomber dans du déjà vu, sauf que chez Dennis Lehane, l’épaisseur de ses personnages et toutes les connaissances sur le contexte urbain et politique font la différence. On est embarqués dans cette histoire derrière Mary Pat, un personnage féminin à la volonté de fer. La question de la parentalité, de la filiation est une des thématiques centrales tout au long du roman et c’est traité avec beaucoup de justesse. L’ensemble fonctionne bien et on entre en empathie avec les personnages, plus complexes et ambivalents les uns que les autres. À noter des dialogues toujours aussi réussis ce qui est loin d’être évident. J’avais déjà apprécié les dialogues de l’auteur dans « Sacré », le dernier Dennis Lehane lu.

Le silence, ed. Gallmeister, 25,40 euros, 448 pages.

La mariée de corail / Roxanne Bouchard

Seconde aventure de l’enquêteur Moralès dans un cadre toujours aussi dépaysant.

Angel Roberts est capitaine de son homardier au milieu des hommes en Gaspésie. Une femme dans un monde d’homme. Chaque année, elle fête son anniversaire de mariage avec Clément Cyr son conjoint. Elle remet pour l’occasion sa robe de mariée et cette année les choses ne vont pas se passer comme d’habitude. On retrouve dans ce roman noir l’enquêteur Joaquin Moralès depuis peu dans la région. Son fils Sébastien débarque pour le rejoindre suite a une relation difficile avec Maude sa conjointe. Un fils qui a du mal à comprendre son père et qui en même temps permet au lecteur de découvrir une nouvelle facette de Moralès, en tant que père. Sébastien se sent comme un poisson dans l’eau au milieu des pêcheurs et s’intègre bien aux coutumes du coin. Il tente aussi de recréer une relation avec son père et c’est très bien amené par la romancière. Après avoir quitté une affaire où une femme a pris une place importante dans sa vie dans le roman précédent (« Nous étions le sel de la mer »), l’enquêteur Joaquin Moralès se dirige vers une intrigue avec une disparition inquiétante. Roxanne Bouchard campe à nouveau l’atmosphère particulière du bord de mer Gaspésien que l’on trouvait déjà dans le précédent roman. Les marins vivent parfois en vase clos avec la communauté sur terre et Moralès n’est pas toujours le bienvenu. Notamment lorsqu’il met le nez dans les affaires des uns et des autres pour son enquête et qu’il découvre des magouilles derrière les faux semblants. « La mariée de corail » est un polar qui sent bon l’air marin et qui sonne juste. On s’attache à cet enquêteur qui se cherche et qui en même temps a du mal à suivre les ruses des habitants du coin.

La mariée de corail, ed. de l’Aube, 22 euros, 456 pages.

Mapuche / Caryl Férey

Un roman noir haletant avec en toile de fond les conséquences de la dictature de Videla en Argentine.

Direction l’Argentine dans ce roman noir de Caryl Ferey. Une argentine post dictature, dans laquelle Jana une jeune sculptrice mapuche rencontre un détective privée, Rubén. Rubén recherche les enfants disparus suite à la dictature de Videla instaurée à partir de 1976 jusqu’en 1983. Le régime a changé mais ces méthodes dictatoriales ont laissé des traces. Les Mères de la Place de Mai, une association de mères argentines, continuent de chercher les enfants de prisonniers disparus pendant la dictature et Rubén apporte son aide. Des enfants qui étaient enlevés aux prisonniers pour être placés dans des familles proche du pouvoir. Jana et Rubén vont finir par se rencontrer au croisement de la grande Histoire, dans un pays en reconstruction qui a bien du mal à composer avec son passé. L’auteur malgré quelques tournures discutables écrit un polar prenant avec un bon équilibre entre les apports documentaires et l’histoire de ces deux personnages. Deux personnages qui deviennent attachants au fil de l’histoire. C’est rythmé, efficace. Caryl Ferey est redoutable pour embarquer son lecteur.

Mapuche, ed. Folio, 9,70 euros, 560 pages.

Le Veilleur du lac / Nicolas Leclerc

Un thriller dans lequel une famille voit son passé ressurgir tout comme les non dits.

Le capitaine Bruno Albertini se rend dans une maison dans laquelle une famille a mystérieusement disparu du jour au lendemain. Un coffre a été forcé et la maison est en l’état avec les voitures à leurs places. C’est le début d’une sombre affaire qui va faire parler dans la région de Pontarlier. En parallèle Fanny fuit avec sa copine Maïa et le copain de cette dernière en Allemagne. La jeune fille a organisé sa fuite et en arrivant dans le squat en Allemagne la fugue qui devait prendre des airs de liberté ne va pas être si tranquille que cela. Ces deux histoires vont finir par se croiser et Nicolas Leclerc dans la pure tradition du thriller livre une histoire prenante.

Le Veilleur du lac, ed. Seuil, 20,50 euros, 400 pages.

Le Grand Soir / Gwenaël Bulteau

La disparition d’une jeune fille de bonne famille dans le Paris du début XXème siècle.

Le livre débute en janvier 1905 avec l’enterrement de Louise Michel, une façon de rappeler que les acquis quel qu’il soit sont fragiles. L’auteur l’explique très bien dans une interview avec Patrick Cagnelotti dans son émission « Des polars et des notes ». Comme dans l’excellent « La République des faibles », on fait aussi un bon en arrière au début du XXeme siècle dans « Le Grand Soir ». Une jeune femme de bonne famille Jeanne Desroselles disparaît lors de cet enterrement et un an plus tard, sa cousine Lucie Desroselles décide d’entreprendre ses propres recherches de son côté. Elle découvre un Paris où la révolte gronde que ce soit pour les droits des femmes ou pour les droits des travailleurs. En parallèle, le lecteur découvre François un ouvrier régulièrement gréviste qui fait des petits boulots par ci par là pour arrondir ses fins de mois. L’auteur construits des personnages réalistes et attachants et qui se retrouvent face à leurs contradictions tout au long du bouquin. Gwenaël Bulteau mène vraiment bien sa barque et comme dans son précédent roman, à peine démarré on est au coeur de l’époque et des troubles qui l’agitent.

Le Gand Soir, ed. La Manufacture de livres, 20,90 euros, 368 pages.

Petite Sale / Louise Mey

Le roman noir d’une France rurale en 1969 et qui aborde les violences patriarcales.

À la fin des années 60 en France, dans une campagne reculée au Nord de Paris, Catherine une jeune fille discrète travaille pour une grande exploitation agricole. Elle est souvent mise de côté et peu de monde fait attention à elle lorsqu’elle s’occupe des tâches quotidiennes. Monsieur dirige l’exploitation d’une main de fer et a d’ailleurs plusieurs terres aux alentours sous sa coupe. Mais un jour, au domaine, sa petite fille disparaît et une demande de rançon tombe. Deux flics parisiens sont dépêchés pour enquêter. Ils arrivent dans la région et découvre tout un monde dans lequel le riche propriétaire, grand-père de la jeune fille, a une influence sur la vie de chaque habitant de la vallée. La romancière aborde les normes de genre dans la France des années 70 avec beaucoup de justesse. On perçoit que les situations inégalitaires peuvent aisément être transposables aujourd’hui. Louise Mey écrit un excellent roman noir, prenant, avec un regard aiguisé sur les rapports de domination.

Petite Sale, ed. du Seuil, 21,50 euros, 378 pages.

Une disparition inquiétante / Dror Mishani

Premier volet des enquêtes du commandant Avraham Avraham.

Le commandant Avraham Avraham de Tel-Aviv reçoit une mère de famille dans son bureau. Cette dernière est inquiète, car elle n’a pas vu son fils depuis un moment et commence à se poser des questions car il ne donne pas de nouvelles. La mère est renvoyée chez elle et le commandant rentre chez lui avec cet entretien qui lui trotte dans la tête. C’est à partir de cet événement que les choses vont s’accélérer dans les jours qui vont suivre, et que le jeune Ofer, fils de la mère, ne va pas refaire surface. Dans ce roman noir de Dror Mishani on découvre un nouveau personnage et toute une ambiance autour de la ville de Tel-Aviv. Le commandant Avraham Avraham est un personnage à l’humeur plutôt maussade, grand lecteur, qui peut vite bloquer sur un petit détail d’une enquête pour la remettre intégralement en question. Un enquêteur borderline comme on les aime. « Une disparition inquiétante » est un roman policier qui prend son temps, prenant du début à la fin. Le premier roman d’une série que je découvre un peut tardivement et qui promet pour la suite. Le dernier polar de l’auteur toujours avec le même personnage est sorti durant cette rentrée littéraire de janvier et au vu des retours lus à droite à gauche, c’est une nouvelle réussite.

Une disparition inquiétante, ed. Points, 7,95 euros, 384 pages.

Sacré / Dennis Lehane

Un très bon Lehane.

J’avais un très bon souvenir de la lecture de « Shutter island » de Dennis Lehane et je découvre avec « Sacré » deux nouveaux personnages. Patrick Kenzie et Angela Gennaro, un duo de d’enquêteurs attachant et que l’on a plaisir à suivre. Au tout début du roman, le duo sort d’une enquête difficile et les deux compères ont des difficultés à se refaire une santé. C’est là qu’un homme d’affaires influent décide de les faire kidnapper dans la rue en leur proposant ensuite une offre. Ce milliardaire cherche à retrouver sa fille par tous les moyens. Il est mourant et ne peut pas régler les choses par lui-même. Pour ça il est prêt à débourser une somme importante et c’est ce qui décide le duo de détective à accepter l’offre. Patrick et Angela partent alors à la recherche de cette fille et vont découvrir qu’un autre détective, proche de Patrick Kenzie, ne donne plus de nouvelles depuis qu’il est sur la même affaire qu’eux. C’est le début des galères et d’un grand nombre de surprise pour les deux personnages. C’est un vrai plaisir de retrouver le sens du récit de cet auteur. On est complètement embarqué dans cette histoire, les dialogues sont prenants et l’humour noir n’est jamais loin. On sent que la ville de cœur de Dennis Lehane est Boston même si une grande partie de l’intrigue se passe ailleurs. Un excellent roman noir.

Sacré, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8,65 euros, 466 pages.

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