N’oublie rien / Jean-Pierre Martin

Un récit autobiographique sur une période de la vie de l’auteur, lorsqu’il a été incarcéré a 22 ans à la maison d’arrêt de Saint-Nazaire.

Jean-Pierre Martin a été incarcéré dans la maison d’arrêt de Saint-Nazaire en 1970 pendant 61 jours. 61 jours au mitard et sur lesquels il revient dans son dernier texte, « N’oublie rien ». Alors qu’il a 22 ans et qu’il travaille à l’usine, il est arrêté pour « apologie du crime d’incendie volontaire ». Une tournure floue qui cache en réalité une contestation collective à laquelle il prend part suite aux nombreux accidents du travail sur les chantiers de l’Atlantique. L’auteur s’engage à plusieurs reprises durant cette période pour lutter contre l’injustice notamment celle liée aux accidents du travail. Il arrête ses études et travaille à l’usine avant son arrestation. Jean-Pierre Martin restitue une expérience carcérale marquante. C’est aussi tout le contexte d’une époque qui défile sous les yeux du lecteur. L’auteur s’attarde à la fois sur son vécu personnel et en même temps comment il s’inscrit dans cette lutte collective à Saint-Nazaire. Un texte plein d’émotion et très bien écrit.

N’oublie rien, ed. de l’Olivier, 18,50 euros, 192 pages.

Fantastique Histoire d’amour / Sophie Divry

Une histoire d’amour inattendue, à lire.

Bastien est inspecteur du travail. Il se rend au début du roman dans une usine de recyclage des déchets plastiques, un accident a eu lieu et un homme est retrouvé mort dans une compacteuse. Bastien se rend sur place pour comprendre si une ou plusieurs défaillances peuvent expliquer l’accident. Maïa de son côté est journaliste scientifique et elle se rend au Cern en Suisse, un centre de recherche nucléaire à Genève. Elle s’y rend pour interviewer sa tante qui y travaille. L’objet de l’interview concerne le cristal scintillateur, un mystérieux matériau aux propriétés inattendues. Sophie Divry se penche sur ces deux trajectoires de vie, prend le temps de construire ses personnages, la tension monte crescendo et on se doute bien que les deux personnages vont se croiser à un moment ou un autre. La mort de l’ouvrier dans l’usine est louche et le matériau dont il est question au Cern l’est tout autant. Il n’en faut pas plus pour que le roman devienne prenant et que « Fantastique Histoire d’amour » tende vers le thriller. C’est très bien vu du début à la fin et on retrouve le regard plein d’humanité de l’autrice sur nos petits comportements du quotidien. Un excellent roman noir qui brasse de nombreux thèmes sans les survoler.

Fantastique Histoire d’amour, ed. du Seuil, 24 euros, 512 pages.

Murène / Valentine Goby

Un roman sur le rétablissement d’un homme et qui laisse à penser sur la réception du handicap dans la société d’après guerre.

L’intrigue se déroule dans les années 50, ce qui correspond aux débuts de l’handisport. François, le personnage de Valentine Goby, est amené dans les premiers temps du livre à se rendre dans les Ardennes en camion pour y travailler sous la neige. Le camion tombe en panne et François en allant chercher de l’aide se retrouve à monter sur un wagon pour repérer un village aux alentours. C’est là que l’accident arrive et que le jeune homme de vingt-deux ans est électrocuté par la ligne à haute tension. Il s’en sortira avec un handicap physique en perdant ses deux bras. L’autrice à partir de cet évènement marquant développe la vie d’un homme qui tente de se construire avec un handicap, dans une société qui stigmatise et ne facilite rien. François lutte pour retrouver une vie normale, sa famille et ses proches tentent de l’aider et le livre a aussi de très beaux passages sur le rôle des aidants. L’écriture de Valentine Goby est au plus près du corps, de la chair. On sent que la romancière a accumulé de la documentation et que rien n’est laissé au hasard dans les descriptions cliniques de la guérison, du rétablissement, de la vie sans ses deux bras. Jusqu’au jour où François se rapproche d’une amicale de sportifs qui ont la particularité d’être aussi porteurs d’un handicap comme lui. C’est le début d’une nouvelle période importante de sa vie dans laquelle il va redécouvrir son corps et son rapport au monde à travers l’activité physique. Pour cela il choisit la natation qui aux premiers abords lui semble dangereuse et compliquée. Un sport qui sera ensuite une vraie révélation pour avancer au quotidien. Le lecteur perçoit alors petit à petit le lien qui se tisse avec les prémices de l’handisport en France. « Murène » est un très beau roman aboutit sur la question du handicap et du corps, sur ce que cette question charrie dans la société française d’après guerre notamment avec les blessés de guerre. Les descriptions sont cliniques, les sensations des personnages sont palpables.

Murène, ed. Actes Sud, 21,80 euros, 384 pages.

Éteindre la Lune / William Boyle

Un roman noir dans Brooklyn avec le ton unique de William Boyle.

1996, Brooklyn, deux jeunes s’amusent à balancer des cailloux depuis un pont sur les bagnoles en contre bas, jusqu’au moment où Bobby l’un des deux atteint une conductrice en pleine tête. Une conductrice qui s’avère être la fille de Jack, un père de famille qui tente d’arrondir les fins de mois en rendant des services à droite à gauche avec ses gros bras. Le roman démarre sur cet évènement dramatique avant d’emmener le lecteur quelques années plus tard. On rencontre un autre personnage, Lily. Une jeune fille passionnée d’écriture qui décide d’ouvrir un atelier d’écriture dans le sous-sol d’une paroisse. C’est là que Jack débarque dans cet atelier d’écriture pour coucher sur le papier toute la souffrance accumulée depuis la perte de sa fille. Ajoutez à cela quelques personnages pas toujours recommandables et le roman est lancé. William Boyle en s’attardant sur chaque personnage développe une intrigue prenante. Il prend le temps de développer les personnalités de chacun et chacune et on est embarqués par son regard aiguisé sur les relations humaines. Tout ce petit monde va finir d’une manière ou d’une autre par se croiser et ce ne sera pas forcément pour le meilleur. L’auteur offre un très bon moment de lecture avec des touches d’humour, mais aussi des passages plus touchants. Il questionne avec justesse la paternité et les relations, notamment amicales. Le tout sans tomber dans le pathos et avec une réflexion bien amenée sur l’écriture en filigrane. « Éteindre la lune » livre un récit que l’on a du mal à poser une fois démarré, avec pas mal de références musicales ce qui ne gâche rien (un peu à la manière d’un Michael Mention). Du très bon du début à la fin.

Traduit de l‘américain par Simon Baril.

Éteindre la Lune, ed. Gallmeister, 24,80 euros, 416 pages.

Le lâche / Jarred McGinnis

Suite à un accident de voiture, le personnage est amené à revivre chez son père après 10 ans d’absence.

Jarred a un accident de voiture au tout début du roman, une femme meurt à ses côtés. Il va alors être amené à rentrer chez son père qu’il n’a pas vu depuis 10 ans. Il ne peut pas rester seul et payer ses soins en autonomie. Tout commence avec cet accident et au fil de l’histoire on découvre une relation avec son paternel qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Jarred emménage chez lui et tout ressort, notamment le passé de son père alcoolique et son passé lorsqu’il a perdu sa mère plus jeune. Le roman alterne ainsi entre des périodes pendant lesquelles le personnage vivait loin de chez lui et faisait les 400 coups et des périodes au présent ou Jarred compose avec son nouveau handicap et sa nouvelle vie chez son père. C’est un roman qui questionne le regard sur le handicap sans tomber une seule seconde dans le pathos. Il y a de l’humour, mais aussi de jolis moments de tendresse entre les personnages. Il n’y a pas d’excès de guimauve non plus dans ce bouquin et c’est plutôt une bonne surprise du début à la fin.

Le lâche, ed. Métailié, 22 euros, 352 pages.

De beaux lendemains / Russell Banks

Un accident de bus scolaire bouleverse tout une communauté.

Dans un état au nord de New York une petite communauté s’apprête à voir son quotidien chamboulé par un accident. Le bus scolaire conduit depuis des années par une certaine Dolorès va avoir un accident aux conséquences dramatiques. Plusieurs enfants meurent et de nombreux parents perdent leur progéniture dans le drame. Russell Banks avec un ton que je découvre choisit de s’arrêter sur chaque personnage qui tourne autour de cet événement. À commencer par la conductrice du bus puis un avocat de passage dans la région qui souhaite comprendre les circonstances de l’accident. Ensuite on découvre le point de vue du père de deux jumeaux morts lors de l’accident et le point de vue d’une adolescente qui a survécu avec des handicaps. L’auteur a une façon bien à lui de restituer la psychologie de ses personnages et c’est une réussite dès le début. On est pris par l’histoire et par les vies qui basculent dans cette petite bourgade plutôt tranquille. L’alternance entre les points de vue fonctionne très bien et Russell Banks écrit un roman sombre et prenant dont on a du mal à s’extraire une fois la lecture commencée. L’auteur s’attarde sur des morceaux de vie un peu à la manière de Ron Rash ou de Daniel Woodrell. C’est sombre et vraiment bien écrit.

De beaux lendemains, Ed. Actes Sud, 9,20 euros, 336 pages.

Les Garçons de l’été / Rebecca Lighieri

Le dynamitage en règle d’une famille à qui tout réussi en apparence.

« Les Garçons de l’été » forme une plongée saisissante dans le quotidien d’une famille du sud est de la France, chamboulée par l’accident de surf d’un des enfants. Un accident qui a lieu lors d’un séjour à la Réunion et qui dynamite le ciment de la famille (ou du moins les faux semblants qui faisaient office de ciment). Une famille bourgeoise qui présente bien. Cet accident fait l’effet d’un révélateur pour les personnalités de chaque personnage. Du mépris de Thadée, l’aînée de la fratrie plein d’assurance et imbus de sa personne, à l’empathie et à l’écoute de son petit frère Zachée en passant par la précocité d’Ysée la petite dernière. On découvre une vie de famille complexe régit par les non dits. On entre dans la tête de chacun d’entre eux, un chapitre après l’autre. L’autrice campe très bien l’atmosphère qui va se dégrader et le roman file vers le sombre, vers le roman noir voire vers le thriller à certains moments. C’est de plus en plus prenant, toujours aussi bien écrit et très évocateurs dans les images qui viennent au lecteur. Le corps, le charnel et les effluves ont des rôles très importants dans le récit comme c’est souvent le cas chez Rebecca Lighieri. Comme dans « Il est des hommes qui se perdront toujours », j’ai beaucoup aimé retrouver le ton de l’autrice et ses talents de conteuse. « Les Garçons de l’été » est un roman dense et bien amené, sur la famille et les liens que l’on peut tisser à l’épreuve d’un drame ou à l’épreuve du temps.

Les Garçons de l’été, ed. P.O.L, 19 euros, 448 pages.

Après le Silence / Didier Castino

Le récit d’un drame au début des 70’s dans un monde ouvrier qui se détériore. Fort.

Didier Castino relate une vie d’ouvrier, celle d’un certain Louis Catella. Un mouleur aciériste qui travaille aux Fonderies et Aciéries du Midi, et qui prend la parole dans un long monologue pour raconter sa vie. Une vie dédiée très tôt à sa condition d’ouvrier, au détriment parfois de sa vie de famille. Une vie dédiée à la lutte, une lutte pour de meilleures conditions de travail dans son usine, une lutte collective via son syndicat. En parallèle à ce récit, c’est aussi l’histoire d’un père qui s’adresse à son plus jeune fils de 7 ans. Un père qui se raconte à son fils avec pudeur. On découvre tout cela dans le monologue qui va le mener jusqu’à un destin tragique dans son usine en 1974. Louis Catella est victime d’une accident de travail et décède. A la suite de cet évènement, le plus jeune de ses fils prend la parole dans un nouveau monologue et raconte la lente et difficile reconstruction d’une famille abimée par la perte, par le deuil. Il cherche à comprendre cet héritage qu’il trouve de plus en plus lourd au fil des années et il ressent le besoin de se détacher de cette figure paternelle, en finissant par adopter des idéaux divergents (politiques, religieux).

J’ai lu il y a un moment de ça le second livre de Didier Castino, « Rue Monsieur-le-Prince », et j’avais déjà beaucoup aimé sa plume pleine d’humanité qui porte sa focale sur des femmes et des hommes marginalisé.e.s. L’auteur aborde des thèmes importants. Il était question des violences policières, d’une jeunesse en lutte et de la montée des extrêmes. Dans celui-ci, Didier Castino se tourne vers le monde ouvrier et sa pesanteur dans la vie des familles. Avec une justesse qui fait penser à Joseph Ponthus, il décrit sans pathos un monde qui broie (aujourd’hui on parle toujours peu des accidents du travail qui coûtent la vie à de nombreux ouvriers tout au long de l’année). On est touchés par l’histoire de cette famille dans ce premier roman. On est touchés par ce récit émouvant et poignant, qui ne fait pas l’impasse sur les ambivalences de chaque personnage.

extrait : « Mais j’arrête maintenant. Tu ne me répondras pas, j’ai compris. J’arrête, on verra bien. Régler mes comptes avec toi, je ne sais pas si c’est possible, foutre en l’air la rengaine, le mythe éternel… Parler après le silence. »

Après le Silence, ed. Liana Levi, 10,50 euros, 224 pages.

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