Murène / Valentine Goby

Un roman sur le rétablissement d’un homme et qui laisse à penser sur la réception du handicap dans la société d’après guerre.

L’intrigue se déroule dans les années 50, ce qui correspond aux débuts de l’handisport. François, le personnage de Valentine Goby, est amené dans les premiers temps du livre à se rendre dans les Ardennes en camion pour y travailler sous la neige. Le camion tombe en panne et François en allant chercher de l’aide se retrouve à monter sur un wagon pour repérer un village aux alentours. C’est là que l’accident arrive et que le jeune homme de vingt-deux ans est électrocuté par la ligne à haute tension. Il s’en sortira avec un handicap physique en perdant ses deux bras. L’autrice à partir de cet évènement marquant développe la vie d’un homme qui tente de se construire avec un handicap, dans une société qui stigmatise et ne facilite rien. François lutte pour retrouver une vie normale, sa famille et ses proches tentent de l’aider et le livre a aussi de très beaux passages sur le rôle des aidants. L’écriture de Valentine Goby est au plus près du corps, de la chair. On sent que la romancière a accumulé de la documentation et que rien n’est laissé au hasard dans les descriptions cliniques de la guérison, du rétablissement, de la vie sans ses deux bras. Jusqu’au jour où François se rapproche d’une amicale de sportifs qui ont la particularité d’être aussi porteurs d’un handicap comme lui. C’est le début d’une nouvelle période importante de sa vie dans laquelle il va redécouvrir son corps et son rapport au monde à travers l’activité physique. Pour cela il choisit la natation qui aux premiers abords lui semble dangereuse et compliquée. Un sport qui sera ensuite une vraie révélation pour avancer au quotidien. Le lecteur perçoit alors petit à petit le lien qui se tisse avec les prémices de l’handisport en France. « Murène » est un très beau roman aboutit sur la question du handicap et du corps, sur ce que cette question charrie dans la société française d’après guerre notamment avec les blessés de guerre. Les descriptions sont cliniques, les sensations des personnages sont palpables.

Murène, ed. Actes Sud, 21,80 euros, 384 pages.

Un colosse / Pascal Dessaint

L’histoire d’un homme à la stature hors normes au 19 eme siècle.

L’auteur s’éloigne de ses romans noirs habituels dans « Le colosse ». Il se penche sur le cas d’un homme au 19eme siècle, Jean-Paul Mazias. Ce dernier est né en 1847 dans le sud-ouest de la France. Il est issu d’un milieu paysan et à une taille et une stature hors normes. Il va en faire les frais toute sa vie et Pascal Dessaint qui a fouillé les archives de Haute-Garonne déterre un ensemble d’anecdotes qui vont former ce singulier bouquin. L’auteur restitue la vie d’un paysan dans un contexte politique que l’on redécouvre. Un voyage dans le temps qui se rapproche tout de même des thèmes que l’auteur affectionne, notamment la paysannerie et les rapports à la nature. On découvre un homme que l’on a défini neuf fois sur dix en fonction de sa singularité. Un homme qui a connu une ascension surprenante notamment dans le milieu de la lutte. Jean-Paul Mazias va malheureusement connaître l’ascenseur dans l’autre sens et sa vie va finir par se compliquer. Pascal Dessaint écrit un roman à la frontière entre fiction et documentaire. On découvre une période de l’histoire de France à travers sa ruralité. On découvre comment les singularités physiques étaient vécues à cette époque. Un livre original et bien ficelé.

Un colosse, ed. Rivages, 14 euros, 112 pages.

Le puits / Iván Repila

Un roman inclassable qui mélange beauté et âpreté.

Tout démarre dans un puits dans lequel le lecteur découvre deux frères coincés. Le Grand et le Petit. Alors qu’ils ramènent des provisions à leur mère, ils chutent sans que l’on sache pour quelle raison au début du livre. Les deux frères vont tout tenter pour se sortir de là et un long calvaire débute, dans lequel la faim et la folie se mettent à graviter petit à petit autour des deux personnages. Ce court roman est un huit-clos surprenant, qui fait ressentir aux lecteurs les sensations les plus désagréables comme rarement. Iván Repila avec une concision redoutable fait passer le lecteur par tous les états. En parallèle et sans alourdir le récit, il convoque à travers les pensées du Petit et du Grand de nombreuses images liées à l’enfermement, à ce que peut représenter l’humanité, la survie. Le puits est une expérience de lecture et un livre bien plus dense qu’il n’en a l’air. Impressionnant.

Traduit par Margot Nguyen-Béraud.

extrait : « L’orage éclate à l’instant où la mort se présente au bord du puits. »

Le puits, ed. Points, 6,10 euros, 128 pages.

La scierie / Anonyme

Un bourgeois se met à travailler dans plusieurs scieries en attendant d’être enrôlé dans la marine. Un récit au plus près des ouvriers.

C’est l’histoire d’un jeune bourgeois de 18 ans qui attend d’être enrôlé dans la marine. Il cherche du travail pendant ce temps et en trouve dans plusieurs scieries. C’est à travers ce livre qu’il raconte ces deux années de dur labeur. Avec une plume précise et une économie de mots on retrouve une très belle description du monde ouvrier avec tout ce que cela charrie de rudesse et d’images. J’ai pensé à certains moments à la justesse de Joseph Ponthus dans les descriptions, dans la restitution des sensations. On suit la métamorphose d’un homme durant ces deux années éprouvantes. Un court roman en forme d’uppercut pour le lecteur. Étonnant.

La scierie, Ed. Héros-Limite, 18 euros, 144 pages.

Rose Royal / Nicolas Mathieu

Le court récit d’une femme forte.

J’ai toujours beaucoup apprécié la collection Polaroid chez In8 dirigée par Marc Villard. Cette petite pépite de Nicolas Mathieu ne déroge pas à la règle. On suit Rose une femme qui a la cinquantaine et qui tente de vivre sa vie comme elle l’entend. Malheureusement elle se sent brider et en danger (à raison) face à des hommes qui la déçoivent la plupart du temps. Nicolas Mathieu écrit avec Rose Royal l’histoire d’une femme forte qui tente de s’en sortir dans un couple pour une énième fois. L’auteur porte un regard très juste sur la vie conjugale et sur ses engrenages. Dans la continuité du roman précédent que je viens de lire, ici aussi il est question des comportements violents des hommes envers les femmes, plus nombreux qu’on ne le pense. L’auteur ne s’arrête pas à la violence physique et relève aussi une violence moins visible lorsque les femmes se retrouvent dans une forme de dépendance (plus de travail, de l’argent qui n’appartient plus à Rose, etc.)

Le format court permet d’aller à l’essentiel et c’est très efficace. Ce petit livre se dévore d’une traite.

Rose Royal, ed. In8, 8,90 euros, 80 pages.

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