Clouer l’Ouest / Séverine Chevalier

Un très beau roman, sombre et à la poésie unique. Foncez découvrir l’écriture de Séverine Chevalier.

Karl est de retour. Après 20 ans et accompagné par sa fille, il revient sur ses terres, le plateau de Millevaches. C’est dans ce cadre enneigé que le fragile équilibre de la ferme familiale vacille suite à son retour. C’est toute une petite communauté reculée qui voit le retour de cet homme d’un oeil méfiant. Les non-dits ressurgissent tout comme les souvenirs. Karl est taciturne et les raisons de son retour restent floues. Ce qui est certain c’est que les tensions (re)naissent et que le roman noir peut se déployer à partir de là, sous la très belle plume de Séverine Chevalier. Une écriture toujours au plus près des sensations de ses personnages. Parfois des phrases courtes. Parfois un mot. Rien n’est laissé au hasard dans ce roman, du rythme à l’atmosphère. Un sacré bouquin dans lequel on retrouve toute la singularité de l’autrice.

Clouer l’Ouest, ed. La manufacture de livres, 15,90 euros, 180 pages.

Premier roman, mode d’emploi / Laure Pécher

Un essai stimulant sur l’écriture, qui déconstruit avec beaucoup de précision les petits travers des premiers romans.

Laure Pécher part de son expérience d’éditrice chez Zoé pour repérer les petites erreurs dans les manuscrits des primo-romanciers. Les petits trucs qui font qu’un livre est mis de côté et qu’un autre interpelle. Que ce soit dans la narration, dans les dialogues, dans les points de vue ou dans les descriptions, l’autrice aborde de nombreux points en détaillant comment s’en emparer. Écrire s’apprend et demande de la pratique. Laure Pécher le démontre point par point et avec clarté dans cet essai stimulant.

Premier roman, mode d’emploi, ed. Zoé, 20 euros, 224 pages.

Colombian psycho / Santiago Gamboa

Je découvre Santiago Gamboa avec ce polar redoutable en Colombie et c’est une vraie réussite.

Des os sont retrouvés dans une friche de Bogota. Il manque le tronc et la tête et l’évènement macabre laisse les forces de l’ordre du coin dubitatives. Jusqu’au moment où l’on se rend compte que l’homme à qui appartiennent les membres humains est vivant et qu’il est en prison. Un procureur, Edilson Jutsiñamuy, une journaliste Julieta et sa secrétaire Johana, une ex-guérillera, vont chercher à comprendre ce qu’il s’est passé. À partir de là Santiago Gamboa campe un polar très sombre et qui se dévore malgré les 600 pages. L’intrigue s’inscrit dans l’histoire politique complexe de la Colombie et pour autant on ne se perd pas un seul instant. Au contraire on découvre un pays aux ramifications complexes, gangréné par la violence. Le talent de conteur hors pair est indéniable chez Santiago Gamboa. « Colombian psycho » est le premier roman de l’auteur que je découvre et surement pas le dernier. À noter que le romancier fait une apparition (voire un peu plus) dans son récit et c’est plutôt bien amené. Du très bon roman noir de bout en bout.

Colombian psycho, ed. Métailié, 23 euros, 592 pages.

Encore une journée divine / Denis Michelis

Un essayiste reconnu est hospitalisé en psychiatrie pour d’obscures raisons.

Robert, le narrateur de ce roman est un thérapeute reconnu qui est hospitalisé en psychiatrie. On suit le cours de ses pensées dans un lieu clos. Robert discute avec son médecin psychiatre et avec une infirmière tout au long du roman. On se doute que l’homme n’a pas atterri là par hasard et on est curieux de suivre ses raisonnements pour comprendre un peu d’où il vient. Le lecteur découvre les rapports familiaux de Robert, ses rapports avec les autres patients, son histoire et celle de son livre à succès. J’avais beaucoup aimé l’ampleur et le rythme d' »Amour fou ». J’ai tout autant apprécié le portrait cynique de la société dans « Encore une journée divine », notamment la justesse des passages sur la condition de patient en psychiatrie. On ne choisit (définitivement) pas sa famille dans les romans de Denis Michelis et encore une fois on se régale à retrouver toute la malice de l’auteur. C’est court, prenant et très bien vu. N’hésitez pas à découvrir les digressions de cet homme à la psyché tortueuse.

extrait : « Sainte-Marthe ne désemplit pas.
Un résident s’en va et dans les heures qui suivent il en débarque un autre. Il faut bien justifier vos exorbitantes subventions dont une partie, je le sais pertinemment, se retrouve comme par magie dans les popoches de quelques soi-disant grands médecins au détriment du petit personnel.
Inutile de jouer les innocents. »

Encore une journée divine, ed. Notabilia, 16 euros, 208 pages.

Amour fou / Denis Michelis

Du suspense et de l’humour noir dans ce roman choral à la construction diabolique.

Barnabé est un jeune adulte érotomane qui a bien du mal à gérer ses émotions, et qui a déjà fait un séjour en hôpital psychiatrique suite a des débordements passés. Il y a quatre ans, il a été le suspect numéro un d’un premier meurtre, une femme retrouvée morte noyée non loin du belvédère de la ville côtière. Il a finalement été acquitté faute de preuves, et revient chez lui après l’hospitalisation alors qu’un nouveau cadavre est retrouvé, au même endroit. Il n’en faut pas plus pour que la petite bourgade s’agite. « Amour fou » est une « comédie macabre » comme le dit si bien son auteur dans une interview, un roman noir dans lequel on se régale et qui s’inscrit dans la pure tradition des romans à énigme, avec des intrigues complexes et savoureuses. On suit les personnages pour chercher à comprendre qui est le responsable du meurtre. On se doute que les apparences sont trompeuses, mais on apprécie de se laisser porter. C’est toute une petite communauté qui se déploie devant le lecteur, dans cette petite ville touristique de bord de mer. Chaque personnage a son obsession, les points de vue changent, les dialogues fusent. Du policier municipal grand lecteur de polars au jardinier érotomane, du journaliste à la voisine indiscrète, du père psychiatre à la mère envahissante, chacun brouille les pistes à sa manière. Ça m’a donné envie de découvrir les autres romans de l’auteur. J’ai beaucoup aimé le ton et le rythme de ce bouquin.

Amour fou, ed. Noir sur Blanc, 23 euros, 416 pages.

Nino dans la nuit / Simon et Capucine Johannin

Chronique de la débrouille dans les années 2000, à travers une langue unique.

Nino, du haut de ses vingt ans, fait ses classes dans la Légion au début du livre. Il porte déjà un regard acerbe sur ses pairs, que ce soit le sergent qui maltraite avec un plaisir malsain ses troupes ou un autre membre de la Légion qui prend un malin plaisir à déverser son venin raciste lorsqu’il discute avec Nino. Nino n’est pas dupe et n’en pense pas moins. Malheureusement il n’est pas dupe non plus lorsqu’il passe un test urinaire pour vérifier sa consommation de drogues. Il n’en faut pas plus pour le mettre en difficulté et commence alors une longue dérive. Nino retrouve sa copine et la galère dans la rue. Les deux personnages touchants tentent de survivre avec de petites combines et leur quotidien est restitué avec beaucoup de justesse dans la langue de Simon et Capucine Johannin. Il se dégage une forme de poésie à la lecture de ce roman à quatre mains, un truc sensible que l’on retrouve trop rarement dans les fictions. Les dialogues sonnent et restent en tête tout comme les images qui naissent derrière certains passages. Un très beau bouquin et une langue à découvrir.

Nino dans la nuit, ed. Allia, 14 euros, 288 pages.

Tu n’habiteras jamais Paris / Omar Benlaala

L’histoire individuelle du père de l’auteur croise celle d’un quartier, d’une ville.

L’auteur retrace le parcours de son père en lui donnant la parole. Au fil du dialogue, on découvre un homme venu de Kabylie jeune pour travailler en tant que maçon en France, dans des conditions difficiles. Son père se livre un peu comme dans des mémoires et l’on découvre un homme qui découvre un pays avec en arrière fond du racisme à son arrivée en 1963. Bouzid explique à son fils Omar l’écrivain que petit à petit il trouve sa place et finit par défendre d’autres collègues ouvriers en se syndiquant. La lutte l’anime tout comme la défense des conditions de travail des maçons parisiens. Mais l’apprentissage est long et laborieux notamment son rapport à la lecture. En parallèle on découvre l’histoire étrangement similaire de Martin Nadaud, un homme qui vient de la Creuse au début du XIXe siècle. Ce dernier migre aussi vers Paris pour y travailler comme le père de l’auteur et il est maçon, et comme le père de l’auteur il va se politiser en devenant député. Une autre époque, mais une trajectoire similaire. Omar Benlaala écrit un livre touchant et construit sur ces deux trajectoires. Un livre qui raconte les migrations et le difficile sentiment de se sentir entre deux pays, entre deux mondes. Il y a aussi de très beaux passages sur la paternité de son père et l’arrivée de ses deux enfants, dont Omar le plus jeune qui finit par faire les quatre-cents coups lorsqu’il grandit. « Tu n’habiteras jamais Paris » est un livre à découvrir.

Tu n’habiteras jamais Paris, ed. Flammarion, 19 euros, 208 pages.

Littérature et révolution / Joseph Andras et Kaoutar Harchi

Un riche dialogue qui questionne le statut du politique dans la littérature.

Le livre est un long entretien entre Joseph Andras et Kaoutar Harchi. Différentes thématiques sont abordées au fil du dialogue. Le statut d’un auteur ou d’une autrice par rapport à son oeuvre, le rapport à l’écriture, le rapport au politique ou encore le rapport au salariat d’une profession finalement très précaire. On suit avec beaucoup d’intérêt les réflexions et notamment lorsque Kaoutar Harchi et Jospeh Andras reviennent sur la genèse de leurs bouquins ou sur la réception du grand public. « Littérature et révolution » est un essai qui ouvre de nombreuses perspectives et un peu comme le livre précédent de Clémentine Beauvais, il questionne notre rapport à la lecture en profondeur. Un riche essai à découvrir qui donne envie de relire les livres des deux auteurs. J’avais beaucoup aimé « De nos frères blessés » de Joseph Andras, une lecture qui m’avait soufflé à l’époque.

À paraitre le 12 janvier.

Littérature et révolution, ed. Divergences, 16 euros, 240 pages.

Rouvrir le roman / Sophie Divry

Un nouvel essai sur l’art du roman mais surtout un essai à l’approche originale.

Un essai stimulant sur le roman et ses définitions multiples. L’autrice s’attarde sur ce qui forme une fiction, de l’accueil en maison d’édition au contenu en passant par la question du temps de création, l’art du dialogue ou le genre littéraire. « Rouvrir le roman » est un essai clair et documenté qui donne aussi envie de découvrir de nouvelles lectures. Un peu comme dans le livre de David Meulemans aux forges de vulcain sur la question de la création, l’approche est originale ici aussi. C’est percutant, ça laisse à penser et si vous ne connaissez pas la romancière ça fait une jolie porte d’entrée dans son travail.

Rouvrir le roman, ed. J’ai lu, 7,10 euros, 196 pages.

La mariée de corail / Roxanne Bouchard

Seconde aventure de l’enquêteur Moralès dans un cadre toujours aussi dépaysant.

Angel Roberts est capitaine de son homardier au milieu des hommes en Gaspésie. Une femme dans un monde d’homme. Chaque année, elle fête son anniversaire de mariage avec Clément Cyr son conjoint. Elle remet pour l’occasion sa robe de mariée et cette année les choses ne vont pas se passer comme d’habitude. On retrouve dans ce roman noir l’enquêteur Joaquin Moralès depuis peu dans la région. Son fils Sébastien débarque pour le rejoindre suite a une relation difficile avec Maude sa conjointe. Un fils qui a du mal à comprendre son père et qui en même temps permet au lecteur de découvrir une nouvelle facette de Moralès, en tant que père. Sébastien se sent comme un poisson dans l’eau au milieu des pêcheurs et s’intègre bien aux coutumes du coin. Il tente aussi de recréer une relation avec son père et c’est très bien amené par la romancière. Après avoir quitté une affaire où une femme a pris une place importante dans sa vie dans le roman précédent (« Nous étions le sel de la mer »), l’enquêteur Joaquin Moralès se dirige vers une intrigue avec une disparition inquiétante. Roxanne Bouchard campe à nouveau l’atmosphère particulière du bord de mer Gaspésien que l’on trouvait déjà dans le précédent roman. Les marins vivent parfois en vase clos avec la communauté sur terre et Moralès n’est pas toujours le bienvenu. Notamment lorsqu’il met le nez dans les affaires des uns et des autres pour son enquête et qu’il découvre des magouilles derrière les faux semblants. « La mariée de corail » est un polar qui sent bon l’air marin et qui sonne juste. On s’attache à cet enquêteur qui se cherche et qui en même temps a du mal à suivre les ruses des habitants du coin.

La mariée de corail, ed. de l’Aube, 22 euros, 456 pages.

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