La Fauve / Yvan Robin

Dans un coin paumé, une petite communauté implose dans ce roman sombre et rythmé.

Des hommes un peu réacs se retrouvent dans leur village pour des rondes citoyennes un peu grotesques. Non loin de là, une forêt mystérieuse véhicule pas mal de peurs à commencer par la présence d’une bête mystérieuse. On croise aussi la route de Blanche, une femme au bout du rouleau qui vit un calvaire au quotidien avec son mari et celle d’un homme seul qui erre dans le coin dans une fuite perpétuelle, non loin du village. On sent bien à travers cette galerie de personnages que ça peut dégénérer d’un moment à l’autre à Montcalme, le village de ce coin reculé. On passe d’un personnage à un autre selon les chapitres et Yvan Robin mène très bien sa barque lorsque le rythme s’accélère. Il plane un truc sur ce roman noir, un truc un peu sombre et mystérieux bien représenté par cette bête légendaire présente dans la forêt et qui fait beaucoup parler d’elle. À voir maintenant vers qui la colère qui affleure va se tourner lorsque les choses vont dégénérer et surtout d’où cette colère va provenir. « La Fauve » est un roman noir qui envoie du bois et en même temps qui délivre un sous-texte plus politique important. Un sous-texte dans lequel les personnages qui véhiculent des comportements virilistes, machos ou racistes à gerber risquent de déguster. On se doute qu’il va se passer quelque chose, mais qu’est-ce qui va déclencher le boxon ? La forêt est-elle l’unique danger dans le coin ? Pas certain.

Extrait : « La proximité de la finitude éloignait l’emprise psychologique de son mari. Comme si elle sortait d’une anesthésie générale. La lumière l’aveuglait. Face à la mort, elle parvenait presque à recouvrer un semblant d’honneur et de dignité. Un préambule au plein épanouissement que lui offrirait le cimetière, à n’en pas douter. »

La Fauve, ed. Lajouanie, 15 euros, 184 pages.

Le plus court chemin / Antoine Wauters

Un singulier bouquin sur le rapport à l’écriture de l’auteur.

Antoine Wauters se plonge dans ses souvenirs et fait ressurgir les sensations de son enfance. Une enfance dans laquelle il grandit à la campagne dans un petit village Belge. Une enfance au plus près de la nature et qui porte déjà en elle les premiers questionnements sur le monde qui l’entoure, les prémices d’un imaginaire qu’il souhaitera développer plus tard. L’auteur avec une grande attention dans le choix des mots écrit par fragment sur ce qu’il a vécu, sur ses proches, que ce soit ses parents ou son frère qu’il considère alors comme son « jumeau ». « Le plus court chemin » est un très beau bouquin sur l’enfance et sur l’écriture, sur le rôle qu’elle peut avoir (ou non) dans une vie. Dans ce texte on y parle de l’importance des mots, ceux qui sont dits avant d’être posés sur le papier. Ceux de l’enfance notamment. Je découvre Antoine Wauters avec ce texte et son talent pour transmettre les instants ou les évènements du quotidien est rare. Un livre qui décrit avec justesse les sentiments d’un enfant qui se cherche, et qui chemine sans vraiment le savoir vers le désir d’écrire.

Le plus court chemin, ed. Verdier, 19,50 euros, 256 pages.

Petite Sale / Louise Mey

Le roman noir d’une France rurale en 1969 et qui aborde les violences patriarcales.

À la fin des années 60 en France, dans une campagne reculée au Nord de Paris, Catherine une jeune fille discrète travaille pour une grande exploitation agricole. Elle est souvent mise de côté et peu de monde fait attention à elle lorsqu’elle s’occupe des tâches quotidiennes. Monsieur dirige l’exploitation d’une main de fer et a d’ailleurs plusieurs terres aux alentours sous sa coupe. Mais un jour, au domaine, sa petite fille disparaît et une demande de rançon tombe. Deux flics parisiens sont dépêchés pour enquêter. Ils arrivent dans la région et découvre tout un monde dans lequel le riche propriétaire, grand-père de la jeune fille, a une influence sur la vie de chaque habitant de la vallée. La romancière aborde les normes de genre dans la France des années 70 avec beaucoup de justesse. On perçoit que les situations inégalitaires peuvent aisément être transposables aujourd’hui. Louise Mey écrit un excellent roman noir, prenant, avec un regard aiguisé sur les rapports de domination.

Petite Sale, ed. du Seuil, 21,50 euros, 378 pages.

Le soleil des Scorta / Laurent Gaudé

Un très beau roman sur plusieurs générations, dans le sud de l’Italie.

Direction Montepuccio, un petit village du Sud de l’Italie. Tout commence en 1870 lorsqu’un brigand revient dans ce village qu’il a connu. Ce retour marque pour le lecteur la découverte d’une famille que l’on va suivre tout au long du roman jusqu’à nos jours. La famille des Scorta. Une famille riche dans un premier temps puis qui connaît la pauvreté ensuite. Laurent Gaudé décrit à merveille ce village, son atmosphère et les relations que tissent cette famille au fil des années avec les habitants du coin. Des frères aux parents en passant par les liens qui les unissent ou non au curé du village, on découvre une histoire touchante et marquante. L’histoire d’une famille pauvre du Sud de l’Italie et qui tente de survivre, en étant irrémédiablement ramenée à leur condition. Le climat rude de cette région, le soleil et la chaleur accablante ne facilitent rien. Et en même temps, cette famille qui évolue est fière de ses racines et d’avoir ce rapport à la terre. Ils ne sont pas épargnés par les épreuves de la vie et l’auteur parvient à restituer tout cela dans une langue unique, avec juste ce qu’il faut d’images. Comme dans « Eldorado » j’ai complétement été happé par ce livre et sa force d’évocation. On y retrouve des thèmes chers à l’auteur, l’exil, l’épreuve ou encore la force des relations humaines. Une très belle surprise qui me donne envie de continuer à découvrir la bibliographie de Laurent Gaudé.

Le soleil des Scorta, ed. Actes Sud, 19,30 euros, 245 pages.

Coeur du Sahel / Djaïli Amadou Amal

Le parcours d’une jeune camerounaise qui arrive en ville.

Fayde décide de quitter son village camerounais pour se rendre en ville et devenir domestique. Elle cherche à rejoindre Maroua la ville la plus proche. Elle va y parvenir mais n‘imagine pas encore ce qu‘elle va endurer. L’autrice questionne la condition des femmes et celle des domestiques dans ce second roman réussi. On retrouve l‘écriture épurée et pleine de justesse sur l‘environnement dépeint. Fayde est un personnage marquant qui ne lâchera rien et que l‘on voit évoluer au fil des rencontres et de son nouvel emploi. Le mépris de classe n‘est jamais loin et la violence non plus, quelque soit la forme qu‘elle revêt.

Coeur du Sahel, Ed. Emmanuelle Collas, 19 euros, 364 pages.

Une église pour les oiseaux / Maureen Martineau

Un roman noir original, entre le tragique et l’humour noir.

Ham-Sud, un petit village de la région de Québec s’apprête à voir son quotidien chamboulé lorsqu’une étrange contamination frappe les animaux du coin et les humains. La maire de la commune se retrouve à mener l’enquête. Depuis peu dans ses nouvelles fonctions, elle est bien partie pour découvrir plusieurs faces moins reluisantes du job d’élu. « Une église pour les oiseaux » nous entraine dans un polar bien sombre, d’une efficacité redoutable dans son intrigue et on pense à « Chiennes de vies » de Franck Bill à la lecture. À ces villages où tout le monde s’arrange (ou pas) en se rendant des services, en contournant la loi au besoin. Des villages où une violence qui ne dit pas son nom rôde parfois et attend un évènement en apparence banal pour surgir. Maureen Martineau donne aussi la parole aux animaux dans certains chapitres, un peu comme dans « Entre fauves » avec le lion de Colin Niel. L’exercice est délicat je trouve et c’est réussi. Le point de vue des oiseaux ajoute une tension supplémentaire à ce roman noir original, non dénué d’humour noir. Merci aux éditions de l’Aube pour la découverte.

Une église pour les oiseaux, ed. de l’Aube, 17 euros, 192 pages.

L’Inconnu de la poste / Florence Aubenas

Un assassinat dans un bureau de poste sidère un village dans l’Ain et bouleverse des vies.

Comme souvent chez Florence Aubenas, tout est dans les détails et la justesse avec laquelle elle retranscrit des morceaux de vie. C’est encore une fois le cas dans « L’inconnu de la poste », un livre enquête sur une affaire qui a remué en 2008, le village de Montréal-la-Cluse dans l’Ain. Un village dans un décor magnifique, qui surplombe le lac Nantua. Le petit bureau de poste de la commune voit son employé Catherine Burgod être assassinée de 28 coups de couteaux un matin, le 19 décembre 2008. L’autrice s’attelle à reconstruire le contexte et les personnes qui vont graviter autour de cette affaire pendant les années qui vont suivre. Un acteur sur le déclin, un père détruit petit à petit par ce drame ou encore les amies de la victime. Avec sa façon bien à elle de raconter et une plume pleine d’humanité, Florence Aubenas dresse les portraits de tout cet entourage. On détricote avec elle les dessous de l’enquête et tout ce que cela a entraîné. « L’inconnu de la poste » est un petit livre dont on a du mal à s’extraire et dans lequel on reconnait tout de suite la patte de la journaliste. Elle parvient à restituer la fascination qu’une société peut avoir pour un crime à travers un récit sans jugement.

L’Inconnu de la poste, ed. Points, 7,50 euros, 250 pages.

Les enfants de la Clarée / Raphaël Krafft

Un récit emplie d’humanité sur la situation migratoire des mineurs dans les Alpes.

Raphaël Krafft est grand reporter et se rend à la frontière franco-italienne dans les Alpes pour un reportage. Il part en maraude avec un habitant d’un petit village appelé Névache à la rencontre de migrants dans la montagne. Ils rencontrent alors quatre mineurs dont trois Guinéens et leur apportent de l’aide avant de se faire arrêter par la police. C’est à partir de là qu’il commence à questionner le parcours de ces jeunes migrants qui passent par le col de l’Échelle non loin de là. En parallèle aux rencontres et aux découvertes dans la région du col de l’Échelle, il décide de se rendre en Guinée pour rapporter des informations aux élèves de l’école communale du petit village de Névache. Il y découvre un pays où des années de dictature ont laissé des traces et où les flux migratoires sont bien plus complexes qu’il n’y parait, notamment au sein même du continent. Ce livre est écrit avec beaucoup de précision et d’objectivité sur la situation migratoire. C’est un récit qui touche le lecteur et le documentariste ne cache pas ses procédés et ses réactions face à ce qu’il découvre. Notamment la complicité de l’État et que cela arrange les institutions que les habitants viennent porter secours aux migrants dans les montagnes. L’État préserve son image en mobilisant les forces de l’ordre à la frontière tout en évitant trop de décès en laissant agir les habitants comme ils peuvent. On constate ce double jeu notamment dans le passage du livre des deux dernières photos. Un récit important.

Les enfants de la Clarée, ed. Marchialy, 19 euros, 250 pages.

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