Chronique judiciaire / Séverine Chevallier

L’autrice s’interroge sur ce qu’elle traverse dans un journal qui touche.

Les conditions d’accueil dans les structures médicosociales sont parfois dégradées et c’est ce qui va mener l’autrice à un procès dans ce court livre. Un procès dans lequel une femme est amenée à comparaitre pour des faits de maltraitance depuis des années sur les enfants dont elle a la garde dans la structure. À la fois autobiographie, fiction, journal, objet non identifié, on ressort de cette lecture touché. On retrouve la plume de Séverine Chevallier qui restitue une expérience compliquée de sa vie. Son fils a subi justement cette maltraitance dans cette structure de soin. Pendant plusieurs années et il n’a pas été le seul. La romancière choisit ses mots avec beaucoup de justesse et on retrouve toutes la sensibilité qui se dégageait dans « Jeannette et le crocodile » par exemple. Le regard sur la gestion des marginaux est encore une fois d’une acuité rare. La société n’a pas son pareil pour être violente, quelle que soit la forme que va prendre cette violence envers les personnes en situation de handicap. Une écriture, un rythme, des images qui nous parviennent, lire Séverine Chevallier c’est retrouver un peu de tout ça à la fois. C’est aussi s’attarder sur la condition des femmes comme lorsque la parole d’une femme dans un procès a moins de valeur, une parole que l’on imagine facilement hystérique ou hors de propos. À noter le très beau travail éditorial des éditions Dynastes. « Chronique judiciaire » est un objet à part, un singulier journal à lire et relire.

Chronique judiciaire, ed. Dynastes, 11 euros, 104 pages.

La colère et l’envie / Alice Renard

Un premier roman impressionnant de maîtrise. Un coup de coeur.

Isor est une enfant qui nait en décalage avec les autres bébés. Ses parents commencent à se poser des questions lorsque toute petite elle ne réagit pas aux interactions. On découvre alors une enfant qui chamboule la cellule familiale dans laquelle elle arrive. On guette la moindre de ses réactions verbales, on imagine ses ressentis. Après un long parcours médical, les parents finissent par s’occuper seuls de leur enfant. Ils s’éloignent de leur proche, peu de monde comprend, peu de monde a la patience et pourtant chacun y va de son petit conseil pour « aider » dans l’éducation d’Isor. Ce qui ajoute une charge supplémentaire aux parents. Alice Renard écrit un très beau roman sur une enfant en décalage avec le monde qui l’entoure et qui va faire une rencontre, une rencontre singulière et inattendue avec son voisin. Un vieil homme à l’humeur triste qui voit l’arrivée d’Isor avec étonnement dans un premier temps puis ravissement par la suite. L’autrice écrit une très belle histoire sur une enfant en marge, une enfant incomprise notamment par ses parents. Une belle découverte touchante et à l’atmosphère unique.

La colère et l’envie, ed. Héloïse d’Ormesson, 18 euros, 160 pages.

L’anguille / Valentine Goby

Un court roman jeunesse touchant sur la différence.

Camille d’un côté et Halis de l’autre. Camille vient d’arriver dans le collège et a la particularité d’être née sans bras. Les gens étaient habitués là où elle vivait, mais dans ce nouveau collège le regard des autres élèves devient difficile à supporter. La jeune fille ne vit pas bien son déménagement. Halis, un petit gars de 13 ans d’origine turque, voit l’arrivée de Camille dans sa classe comme une opportunité pour lui de se mettre en retrait. Il est d’habitude la cible des critiques des autres dans la classe en raison de son surpoids. Valentine Goby écrit avec « L’anguille » un roman sur l’adolescence et notamment les questions autour du harcèlement scolaire. Elle restitue très bien l’âpreté des relations entre les collégiens, qui ne se laissent rien passer entre eux. On suit ces deux personnages attachants qui vont être capables de se réinventer pour passer outre les moqueries. Un court roman accessible qui touche, et toujours avec la plume remarquable de l’autrice.

L’anguille, ed. Thierry Magnier, 11,50 euros, 143 pages.

Murène / Valentine Goby

Un roman sur le rétablissement d’un homme et qui laisse à penser sur la réception du handicap dans la société d’après guerre.

L’intrigue se déroule dans les années 50, ce qui correspond aux débuts de l’handisport. François, le personnage de Valentine Goby, est amené dans les premiers temps du livre à se rendre dans les Ardennes en camion pour y travailler sous la neige. Le camion tombe en panne et François en allant chercher de l’aide se retrouve à monter sur un wagon pour repérer un village aux alentours. C’est là que l’accident arrive et que le jeune homme de vingt-deux ans est électrocuté par la ligne à haute tension. Il s’en sortira avec un handicap physique en perdant ses deux bras. L’autrice à partir de cet évènement marquant développe la vie d’un homme qui tente de se construire avec un handicap, dans une société qui stigmatise et ne facilite rien. François lutte pour retrouver une vie normale, sa famille et ses proches tentent de l’aider et le livre a aussi de très beaux passages sur le rôle des aidants. L’écriture de Valentine Goby est au plus près du corps, de la chair. On sent que la romancière a accumulé de la documentation et que rien n’est laissé au hasard dans les descriptions cliniques de la guérison, du rétablissement, de la vie sans ses deux bras. Jusqu’au jour où François se rapproche d’une amicale de sportifs qui ont la particularité d’être aussi porteurs d’un handicap comme lui. C’est le début d’une nouvelle période importante de sa vie dans laquelle il va redécouvrir son corps et son rapport au monde à travers l’activité physique. Pour cela il choisit la natation qui aux premiers abords lui semble dangereuse et compliquée. Un sport qui sera ensuite une vraie révélation pour avancer au quotidien. Le lecteur perçoit alors petit à petit le lien qui se tisse avec les prémices de l’handisport en France. « Murène » est un très beau roman aboutit sur la question du handicap et du corps, sur ce que cette question charrie dans la société française d’après guerre notamment avec les blessés de guerre. Les descriptions sont cliniques, les sensations des personnages sont palpables.

Murène, ed. Actes Sud, 21,80 euros, 384 pages.

Une petite société / Noëlle Renaude

La romancière pose sa focale sur des personnages qui s’agitent autour d’une maison bien mystérieuse.

J’étais curieux de retrouver cette singulière autrice de roman noir qui avait été une belle surprise avec « Les abattus » chez Rivages. On retrouve rapidement ce ton dans « Une petite société ». De longues phrases, des fines observations de nos comportements humains et un talent certain pour déceler les zones d’ombre de nos pairs, Noëlle Renaude confirme ses qualités avec ce polar. Tom est un jeune handicapé qui vit reclus dans sa maison avec une mère de substitution. Et le voisinage les observe avec beaucoup de curiosité jusqu’au jour où ça déraille lorsque Tom tente d’enlever une jeune voisine. Noëlle Renaude s’attarde sur cette curiosité, parfois malsaine du voisinage qui permet de découvrir les personnages et leurs vies autour de cette maison. « Une petite société » est un polar à l’atmosphère unique qui renouvelle le genre. Le lecteur se laisse porter par les observations, par les jugements des personnages. Bienvenu dans un microcosme passé au peigne fin. Un microcosme parfois très sombre, à d’autres moment banal mais surtout qui sonne juste.

Une petite société, ed. Rivages, 22 euros, 408 pages.

De chair et de fer / Charlotte Puiseux

Vivre et lutter dans une société validiste.

À travers son parcours, de son enfance à son engagement militant, Charlotte Puiseux livre un récit sensible et plein de justesse. Un récit qui questionne le rapport entre la société française et les personnes handicapées. Plusieurs notions sont explicitées par l’autrice, du validisme à l’intersectionnalité. On comprend l’impact négatif que peut avoir une émission comme le téléthon et comment cela peut être perçu. On comprend aussi les injonctions qui pèsent sur les personnes handicapées notamment lorsque la société encense des sportifs de haut niveau pendant les jeux paralympiques. La personne handicapée est alors essentialisée, c’est-à-dire résumée à son handicap. L’autrice déconstruit avec beaucoup de clarté toutes ces violences non visibles du quotidien. Le validisme en tête. Des violences qui parfois peuvent revêtir l’apparence d’une fausse bienveillance, à l’école, au travail, à la maternité, etc. « De chair et de fer » est un excellent bouquin sur la question du handicap, une synthèse des questionnements qui ont émergés ces dernières années. Le parcours personnel de l’autrice qui est rapporté ici rend compréhensible ces évolutions.

extrait : « À travers le partage de mon expérience, j’ai tenté de rendre compte des réalités du validisme, et j’espère que ce récit aura permis de faire émerger une autre perspective. En rembobinant le film de ma vie, en rendant publics des instantanés de mon parcours, j’ai voulu montrer que tout peut être pensé différemment, que rien n’est figé. »

De chair et de fer, ed. La découverte, 17 euros, 160 pages.

Le lâche / Jarred McGinnis

Suite à un accident de voiture, le personnage est amené à revivre chez son père après 10 ans d’absence.

Jarred a un accident de voiture au tout début du roman, une femme meurt à ses côtés. Il va alors être amené à rentrer chez son père qu’il n’a pas vu depuis 10 ans. Il ne peut pas rester seul et payer ses soins en autonomie. Tout commence avec cet accident et au fil de l’histoire on découvre une relation avec son paternel qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Jarred emménage chez lui et tout ressort, notamment le passé de son père alcoolique et son passé lorsqu’il a perdu sa mère plus jeune. Le roman alterne ainsi entre des périodes pendant lesquelles le personnage vivait loin de chez lui et faisait les 400 coups et des périodes au présent ou Jarred compose avec son nouveau handicap et sa nouvelle vie chez son père. C’est un roman qui questionne le regard sur le handicap sans tomber une seule seconde dans le pathos. Il y a de l’humour, mais aussi de jolis moments de tendresse entre les personnages. Il n’y a pas d’excès de guimauve non plus dans ce bouquin et c’est plutôt une bonne surprise du début à la fin.

Le lâche, ed. Métailié, 22 euros, 352 pages.

S’adapter / Clara Dupont-Monod

Cévennes. Dans les montagnes. Une fratrie recompose avec l’arrivée d’un enfant ayant plusieurs handicaps.

Un enfant nait avec des handicaps et bouleverse la famille dans laquelle il arrive. Plus particulièrement l’ainé et la cadette qui ne vont pas réagir de la même façon devant les différences de leur tout jeune frère. Dans un roman plein de petites observations et très juste dans le ressenti des personnages, Clara Dupont-Monod adopte le point de vue des proches en commençant par l’ainé. Puis la cadette. Les réactions n’ont rien à voir et on découvre la fratrie de l’intérieur. Leurs pensées et leurs non-dits. L’environnement joue beaucoup dans l’atmosphère que campe l’autrice. Les Cévennes et la nature où grandissent les enfants font partie intégrante du récit. Un très beau roman qui mérite amplement les échos qu’il a eus je trouve.

Extrait : « Alors, forcément, la montagne apparaissait comme une masse dénuée de morale, accueillante comme le sont les animaux. Il y avait là l’étymologie du refuge, fugere c’était s’enfuir. La montagne permettait le recul, un pas en arrière du monde. »

S’adapter, ed. Stock, 18,50 euros, 200 pages.

Mémoire en cage / Thierry Jonquet

Un polar sur le regard que peut porter une société sur les corps et sur le handicap.

Changement d’horizon et retour sur un classique avec « Mémoire en cage », de Thierry Jonquet. Cynthia est en fauteuil roulant et est suivi dans un centre de soins pour les enfants handicapés. Elle déteste sa mère et un mystérieux personnage qu’elle appelle « l’autre salaud » et le lecteur va rapidement apprendre à suivre le court de ses pensées. En effet, Thierry Jonquet s’amuse avec des passages en italique à faire parler à la première personne ses personnages. Des personnages qui ne sont d’ailleurs pas tous recommandables voire carrément détestables pour certains. Comme Alain par exemple, jeune étudiant embauché depuis peu dans le centre de soins pour l’été. Un bonhomme détestable qui prend littéralement les femmes pour des moins que rien et plus encore. Les personnages apparaissent au fil de l’histoire, comme le divisionnaire de la pj Gabelou et on découvre un univers original et peu abordé d’une manière générale, celui de l’hôpital et des soins pour les enfants. Ici, il s’agit plus des soins traumatiques et du handicap.

J’ai beaucoup entendu dire que le corps avait une place centrale dans l’œuvre de l’auteur et je comprends tout de suite pourquoi avec cette lecture. Thierry Jonquet questionne l’impact des handicaps mais aussi les représentations que chacun et chacune s’en fait. Le vocabulaire utilisé a parfois mal vieilli (« débile », etc.) mais on sent tout de même le regard aiguisé de l’auteur qui s’inspire de la réalité pour questionner les lecteurs. Il en profite au passage pour dénoncer le fonctionnement aberrant de certaines structures de soins et la toute puissance de certains corps médicaux.

Je suis ressorti plutôt conquis de cette lecture, de ce roman noir bien mené. Et ce qui est sûr c’est que j’ai bien envie de découvrir d’autres bouquins de l’auteur, pour voir comment Thierry Jonquet choisit et traitent ces thèmes singuliers.

Mémoire en cage, Ed. Folio, coll. Folio policier, 6,90 euros, 160 pages.

Présentes / Lauren Bastide

Ville, médias, politique… Quelle place pour les femmes ?

Lauren Bastide livre un essai engagé et important, dans la continuité de ses derniers projets (les conférences au Carreau du Temple à Paris avec des interviews de plusieurs figures féministes et le podcast La Poudre). L’autrice dresse un panorama complet et ultra documenté des oppressions que subissent les femmes. La majorité du panorama porte sur la sphère publique et plusieurs thématiques en découlent.

Les propos sont à chaque fois précis, permettent de rendre visibles les luttes récentes et sont accompagnés pour la plupart de références (des podcasts récents, des essais, des articles de presse, des films).

Présentes, ed. Allary, 19,90 euros, 272 pages.

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