Retour à l’âge ingrat / Alexis David-Marie

Le récit touchant de l’adolescence compliquée de l’auteur.

Alexis David-Marie est enseignant dans le Val-de-Marne et dans ce récit autobiographique il s’arrête sur son adolescence plutôt sportive. Il choisit de s’adresser à Nunus, l’adolescent qu’il a été. Un petit casse-cou prêt à mettre le boxon pour s’affirmer et se montrer. C’est aussi une adolescence marquée par les moqueries en raison de sa petite taille que l’on découvre. L’auteur dépeint les sentiments qui se bousculent pendant cette période de la vie, des sentiments souvent contradictoires et difficiles à percevoir aux premiers abords. Mais c’est aussi l’âge des premières expériences et des premières conneries et on retrouve tout cela dans le récit de l’auteur. J’ai bien aimé cette façon de prendre du recul sur les comportements qui posent problème aux adultes et qui sont souvent porteurs de sens au-delà de la simple manifestation violente chez les jeunes. J’ai bien aimé aussi cette façon d’adopter un regard qui met en perspective des comportements problématiques à l’époque, dans le rapport aux filles par exemple. « Retour à l’âge ingrat » est un récit autobiographique touchant qui est aussi la photographie d’une époque, celle dans laquelle l’auteur grandit dans les années 90.

Extrait : « Il y a longtemps de cela, quand je dis un soir à Romu que je comptais faire un jour le récit de nos quatre-cents coups, sais-tu ce qu’il me répondit ? Il me dit qu’il n’y aurait rien à raconter car c’est l’histoire de tout le monde. Et il n’avait pas tort.
On apprend à marcher à ses enfants alors que l’on boite soi-même. »

Retour à l’âge ingrat, ed. Aux forges de Vulcain, 21 euros, 304 pages.

La Barbe / Omar Benlaala

La trajectoire de l’auteur et son rapport à la religion, à travers un témoignage lucide.

Après avoir lu « Tu n’habiteras jamais Paris » où il était question de son père en grande partie, j’ai eu envie de rependre le récit d’Omar Benlaala écrit dans la collection « raconter la vie ». Un livre dans lequel il revient sur son parcours à lui cette fois-ci. Un parcours dans lequel il découvre la religion avant de vivre uniquement par rapport à elle puis d’évoluer dans les extrêmes. Omar Benlaala avec précision revient sur une trajectoire marquée par le décrochage scolaire, un rapport aux drogues complexe, sa découverte de la religion ou encore la quête d’un équilibre qu’il peine à trouver. L’auteur se livre et déconstruit les raisons qui l’ont poussé à faire tout ce qu’il a fait. Il essaie de comprendre, témoignage, constate, ne juge pas. C’est souvent de petits bouquins passionnant cette collection initiée par Pierre Rosanvallon et « La barbe » d’Omar Benlaala ne fait pas exception. N’hésitez pas à découvrir ce texte.

La Barbe, ed. Seuil, coll. Raconter la vie, 7,90 euros, 112 pages.

Les mots nus / Rouda

Voir grandir un gamin des quartiers dans les années 90 puis 2000.

Ben est un collégien lambda de banlieue qui traîne son ennui et ses potes dans un quotidien plutôt morose. Le lecteur le voit grandir dans les années 90 et assister à des évènements marquants de cette décennie puis de la suivante. De La Brousse son quartier d’où il vient jusqu’à Belleville, Ben grandit et apprend de la vie, des bons moments comme des désillusions. Le personnage de Rouda devient attachant au fil des pages et ce bouquin est une très bonne surprise au final. J’ai été embarqué par l’écriture de l’auteur qui sonne juste. Il parsème son texte de quelques belles images. On a envie de suivre cet ado qui lutte avec ses sentiments ou avec le monde qui l’entoure jusqu’aux premières émeutes de 2005 et celles qui vont suivre. Un roman plein d’humanité à découvrir sans hésiter.

Les mots nus, ed. Liana Levi, 17 euros, 160 pages.

Un garçon ordinaire / Joseph d’Anvers

Un roman sensible, sur un groupe de potes qui grandit dans les années 90.

Nous sommes en 1994 et le roman débute sur un groupe de jeunes qui apprend la mort de Kurt Cobain. On prend le point de vue d’un des jeunes qui vit ses premiers amours, ses premières expériences à fond avec ses potes. Notamment avec son groupe de musique. Le narrateur a 17 ans et grandit dans une ville de province banale. Il voit approcher le bac sans trop s’inquiéter mais en ayant tout de même le sentiment qu’une page de sa jeunesse va bientôt se tourner. Joseph d’Anvers restitue très bien toute l’atmosphère d’une époque mais aussi les questionnements que les jeunes rencontrent lors de cette période de leur vie. « Un garçon ordinaire » sonne juste et l’auteur arrête sa focale sur les micro évènements qui changent une vie à 17 ans. Un jolie roman sur une jeunesse qui tente maladroitement un passage vers l’âge adulte sans forcément saisir tout ce qu’il se joue.

Un garçon ordinaire, ed. Rivages, 20 euros, 219 pages.

Fille / Camille Laurens

Ce que naître fille veut dire.

Laurence Barraqué grandit dans les années 60 à Rouen. Elle est la narratrice de ce roman qui dévoile dès les premières pages une rencontre avec une condition. Elle est une fille et perçoit progressivement qu’il aurait été plus simple pour elle qu’elle naisse garçon. Elle est une fille et elle comprend durant son enfance que c’est mieux qu’elle se taise, que c’est mieux pour elle qu’elle s’intéresse à certains sujets et pas d’autres. Elle comprend rapidement que sa relation aux hommes peut lui poser des difficultés voire pire. On suit la narratrice jusqu’au début des années 90 lorsqu’elle devient mère. Puis on voit grandir sa fille et la relation se tisse sous les yeux du lecteur avec sa mère. Une fille qui s’affirme et qui s’intéresse aux questions féministes contemporaines en offrant un nouveau prisme à sa mère. Une mère qui regarde comment grandit son enfant à l’orée de ce nouveau prisme, mais qui regarde aussi sa jeunesse avec ce nouveau prisme. « Fille » est un roman qui restitue comme rarement la condition féminine. Tout ce que peut traverser une femme dans une vie. Camille Laurens écrit un récit très juste et plein de petites observations, dans lequel la question du corps féminin est centrale. Le lecteur voit les petites mutations qui s’opèrent chez la narratrice et les luttes que cela sous-tend pour elle. Je lis un peu à la bourre ce bouquin qui avait eu un écho important à sa sortie. Je vous le conseille vivement.

Fille, ed. Folio, 8,70 euros, 256 pages.

Punchlines / Daniel Adjerad

L’art de la punchline dans le rap, une introduction.

À partir d’un morceau de Vald, l’auteur amorce une réflexion sur la notion de punchline dans le rap français. Puis dans le rap US en traversant l’Atlantique. Il en profite pour convoquer des références des années 90/2000 (Eminem, Rakim ou encore Nas) pour les mettre en parallèle avec des artistes plus contemporains, notamment la nouvelle vague issue de la trap. C’est intéressant de voir l’évolution du concept de punchline à travers les références citées notamment les passages sur l’influence de Mohamed Ali avec sa gouaille légendaire, ou les passages sur Lino le rappeur d’Arsenik. Un rappeur à la rythmique singulière et aux phases mémorables. Merci à Babelio pour la découverte de ce court essai stimulant, qui ouvre des perspectives et donne envie de (ré)écouter des sons avec un nouveau regard.

Punchlines, Ed. Le mot et le reste, 13 euros, 114 pages.

L’eau rouge / Jurica Pavicic

Un auteur croate à découvrir. Très beau roman noir.

Un soir de 1989, dans un petit village Croate de la côte dalmate, Silva finit de diner avec son frère et ses parents avant de se rendre à la fête des pêcheurs pour retrouver ses amis. La jeune fille de 17 ans n’imagine pas une seconde que ce dîner sera le dernier en leur compagnie. Elle est portée disparue dès le lendemain et sa photo sera bientôt sur toutes les rétines du petit bourg.

L’enquête menée par Gorki Sain démarre puis piétine. Le pays est en proie à des changements politiques et des conflits importants suite à l’effondrement du régime de Tito. La famille ne lâchera pas le morceaux de son côté et Jurica Pavicic emmène la lectrice et le lecteur dans cette quête. Tout débute en 1989 et les années vont filer, tout comme les chapitres. Chaque chapitre relate les évènements vécus par les personnages qui vieillissent, et qui gravitent autour de cette disparition. On suit tour à tour les parents de la jeune fille, son frère, mais aussi l’enquêteur Gorki Sain en charge de l’affaire ou encore les amis de Silva. Les vies continuent, les personnages changent mais le spectre de cette disparition n’est jamais loin. On découvre l’impact du drame sur la famille et sur tout une communauté qui a été amené à la côtoyer d’une manière ou d’une autre. C’est une façon inédite de traiter la disparation et l’auteur rend par ce biais le récit immersif et prenant. On découvre les choses au fur et à mesure, en revoyant des personnages bien après cette fameuse soirée de 1989.

L’auteur écrit très bien et malgré l’histoire qui s’étale sur plusieurs années on ne décroche pas. Il tisse avec habilité l’histoire d’un pays et une singulière intrigue. Il prend le temps de s’attarder sur ses personnages, sur des petits tournants dans leurs vies. On se laisse complètement embarquer dans ce roman noir qui change d’échelle régulièrement et imbrique à merveille les petites histoires dans la grande. Une très belle découverte.

Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

L’eau rouge , ed. Agullo, coll. Agullo Noir, 20,50 euros, 384 pages.

Grande couronne / Salomé Kiner

Histoire d’une adolescence marginale en Île-de-France.

Salomé Kiner écrit un premier roman avec une langue que l’on n’oublie pas. L’autrice donne une voix à une adolescente qui grandit en région parisienne. Une ado qui doit faire face au départ de son père et à l’humeur triste de sa mère tout en s’occupant de ses frères. La jeune narratrice a un ton bien à elle et un regard souvent très juste sur les événements qu’elle traverse. Un mélange de lucidité et de fatalisme qui donne un personnage particulièrement bien construit dans ce récit qui n’épargne rien à une jeunesse en marge. Les références des années 90 sont savoureuses (alimentation, jeux, etc.) et permettent une plus grande immersion. L’orientation scolaire de certains jeunes en difficulté, la justice des mineurs, le traitement de la maternité, tous ces thèmes sont très bien traités et même si le récit se déroule dans les années 90, ils peuvent facilement être transposables aujourd’hui. « Grande couronne » est une réussite du début à la fin.

Grande couronne, Ed. Bourgeois, 18,50 euros, 288 pages.

La discrétion / Faïza Guène

L’histoire de Yamina, de Msirda à Aubervilliers.

Quel souffle dans ce roman et quel plaisir de retrouver la plume singulière de Faïza Guène. La discrétion est un roman qui touche et qui remue, l’histoire d’une femme née dans l’Algérie colonisée à la fin des années 40 et qui devient mère de 4 enfants avec tout ce que représente ce nouveau statut. Le lecteur découvrira aussi les enfants de la famille au fil des chapitres, une famille qui grandit dans les années 90 à Aubervilliers.

L’autrice alterne les périodes. Le présent pour voir grandir les enfants de Yamina en région Parisienne et le passé pour se remémorer l’enfance en Algérie. Faïza Guène fait passer ses lectrices et ses lecteurs par toutes les émotions et le ton est plein de justesse. Un coup de coeur à faire lire autour de soi.

extrait : « Ses enfants, eux, ils savent qui elle est, et ils exigent que le monde entier le sache aussi. »

La discrétion, Ed. Plon, 19 euros, 256 pages.

Black Manoo / Gauz

Une arrivée dans le Belleville des années 90 pour un sans papiers abidjanais.

J’ai un très bon souvenir de la langue singulière de Gauz dans son premier livre, Debout-Payé. L’histoire d’un sans papiers qui atterrit en France et qui devient vigile. J’ai été happé à nouveau dès les premières pages de Black Manoo, cette nouvelle lecture qui conte la vie d’un junkie abidjanais sans papiers qui arrive à Paris dans les années 90 et qui tente de s’en sortir. On découvre au fil des rencontres que va faire Black Manoo des personnages magnifiques, des marginaux. J’ai retrouvé cette façon bien particulière, propre à Gauz je trouve, d’observer avec justesse les comportements et les habitudes de ces personnages. L’ensemble est servi par une langue puissante, musicale, comme dans Debout-Payé. Une langue qui interpelle le lecteur avec des traits d’humour, des tournures qui sonnent et des dialogues très bien sentis. Une très belle lecture pleine d’humanité que je vous recommande.

Black Manoo, ed. Le Nouvel Attila, 18 euros, 169 pages.

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