Moscow / Edyr Augusto

Un court roman noir tendu et violent. Une claque.

Moscow est le surnom de l’île de Mosqueiro, une île dans l’état brésilien du Para. Une île qui voit sa population tripler grâce au tourisme et à une jeunesse qui vient de Belém pour faire la fête. Un groupe de jeune qui vit la majorité du temps la nuit en profite pour faire les 400 coups sur l’île, terroriser les touristes ou se servir là où ils trouvent de l’argent. Tinho Santos fait partie de cette bande et c’est loin d’être le moins agressif du lot. Tinho avec un détachement bien à lui profite avec ses potes de sa jeunesse. Et ce personnage cache en plus en lui des démons qu’il a parfois bien du mal à maîtriser. Ajoutez à cela le talent et la plume d’Edyr Augusto qui mélange la narration et les dialogues sans un temps mort, et on a un petit bouquin redoutable. Un excellent roman noir. À noter le très bon travail de Diniz Galhos à la traduction.

Moscow, ed. Asphalte, 12 euros, 144 pages.

Hakim / Diniz Galhos

La fuite en avant d’Hakim, un dessinateur de bd paranoïaque et ultra lucide.

Hakim va passer une semaine seul pour bosser sur sa bd. Il accompagne sa famille qui rentre au bled, à l’aéroport de Roissy. Sur le retour en RER, seul avec ses pensées et déjà en train de maronner, il tombe sur un bagage abandonné dans le wagon. Il hésite alors à prévenir tout le monde au risque d’être immédiatement suspecté avec sa couleur de peau, son jogging et sa barbe. C’est le début d’une fuite en avant pleine de paranoïa.

Hakim est le produit d’une France qui stigmatise mais Hakim est aussi une machine à digressions. C’est cette forme que va choisir l’auteur pour restituer ses pensées à partir de l’événement déclencheur. Une suite de digressions écrites à la première personne. Les pensées d’Hakim alternent entre ce qu’il se passe pour lui depuis son départ de Roissy et ce que ça va lui renvoyer sur son passé. La langue choisit donne envie de lire certains passages à haute voix. C’est rythmé avec des coupures, des détours, des raccourcis et des bons mots. Un peu déstabilisant au début, on se laisse vite porter par cette prose qui frappe dure et qui sert à merveille l’urgence dans laquelle se trouve le personnage principal. Ses réactions retranscrivent son anxiété et en même temps la conséquence d’un racisme crasse bien français. Les à priori d’Hakim n’en sont pas tant que ça à bien y regarder. Et on sent au fil du récit une forme de lucidité dans les pensées du personnage et dans son regard sur le monde.

Un roman noir tout en nuances, avec un regard sombre sur une société qui ne tourne pas rond et qui traîne de sacrés boulets. Hakim se retrouve au milieu de tout cela et illustre très bien ce poids qui le dépasse. Il est aussi d’une lucidité désarmante. Une excellente découverte des éditions Asphalte que je vous conseille.

Hakim, ed. Asphalte, 18 euros, 208 pages.

Jusqu’à la bête / Timothée Demeillers

Une vie dans un abattoir.

Jusqu’à la bête est un roman qui remue, le lecteur est pris à la gorge dès le début par un quotidien crasseux et rude, celui d’un ouvrier dans un abattoir de l’ouest de la France, non loin d’Angers. Erwan raconte son quotidien ou plutôt une lente descente aux enfers. Un travail à la chaîne au milieu du sang et des carcasses, dans la partie réfrigérée du circuit que suivent les bêtes avant d’être tuées. Tous les sens des travailleurs sont saturés, que ce soit l’odorat avec le sang ou l’ouïe avec les bruits de la chaîne ou des pistolets pour tuer les bêtes. L’auteur restitue cette saturation à travers l’histoire d’Erwan, une histoire racontée comme un flot quasi ininterrompu. La forme sans chapitres peut rendre l’entrée dans le roman pas évidente au début, mais au bout de quelques pages, je me suis complètement laissé porter.

Timothée Demeillers écrit là un livre important sur la condition ouvrière avec un sujet peu traité. Rien n’est épargné au lecteur, les conditions dans lesquelles les ouvriers travaillent dans les abattoirs, les effets du travail à la chaîne sur ces ouvriers, les effets sur leurs entourages, les rôles de la hiérarchie ou encore la maltraitance animale. J’ai rarement lu un roman où les sensations étaient aussi bien restituées. Ce roman noir et sombre est une claque. Une claque nécessaire. Lisez-le.

Jusqu’à la bête, ed. Asphalte, 16 euros, 160 pages.

L’Affaire suisse / Jean-François Paillard

Barbouzes et autres réjouissances.

J’ai eu envie de découvrir cet auteur lorsque j’ai croisé son livre précédent en librairie, Le Parisien (sorti en poche entre temps). Un polar et une histoire qui se déroule à Marseille et dont on entend parler au début de l’Affaire suisse. C’est finalement vers ce dernier que je me suis tourné. L’Affaire suisse n’est pas une suite même si l’on retrouve le même personnage, mais dans un nouveau cadre, Lausanne et sa région. Ce second roman chez Asphalte de Jean-François Paillard amène le lecteur à rencontrer Nico dit Narval, un agent double un peu en bout de course qui hésite à raccrocher. Loin de sa fille, loin de sa mère, on retrouve l’archétype de l’agent au bout du rouleau qui a fait passer son travail avant sa famille. Le barbouze qui a du métier et des années d’expérience derrière lui pense avoir une longueur d’avance lorsque Pépé le mafieux lui propose (ou plutôt lui suggère de ne pas refuser) une dernière mission dans les milieux financiers suisses.

L’écriture de Jean-François Paillard est ciselée et je trouve que l’équilibre est bon entre les scènes d’action et les descriptions plus longues. On se laisse porter par la mission de Narval. On sent tout de suite que c’est un roman documenté lorsque certains personnages issus de l’armée se remémorent des missions passées, dans tels ou tels pays. Les récits au passé sont précis et on découvre des ramifications complexes que l’on n’imaginait pas forcément derrière les conflits. Du côté du fonctionnement des renseignements généraux, du catalogue des armes, des sigles des institutions, l’auteur ne fait pas non plus les choses à moitié et réalise un travail précis pour rendre crédible son intrigue. Un lexique bienvenu sur les sigles est d’ailleurs disponible en fin d’ouvrage.

Un bon moment de lecture en somme qui me donne envie de retrouver Narval dans ses œuvres.

L’Affaire suisse, ed. Asphalte, 19 euros, 224 pages.

Marseille Noir / Collectif

Une vision poignante et belle de Marseille.

Ça fait un petit moment que je n’ai pas lu de nouvelles, ce n’est pas un format vers lequel je vais naturellement dans mes lectures et je devrais peut-être essayer de creuser un peu dans ce sens. J’ai apprécié ce format court qui est propice à sonner le lecteur en peu de pages, en peu de mots.

Si jamais ça vous tente d’en découvrir, je vous conseille ce recueil présenté par Cédric Fabre et édité chez la très recommandable maison d’édition Asphalte. Une maison qui oeuvre pour le roman noir publication après publication tout en traversant les frontières. Le livre fait partie de la collection Asphalte Noir qui contient des recueils de nouvelles un peu particuliers. Le sujet est simple, prendre une ville et laisser cette dernière devenir le personnage principal au fil des nouvelles (autres exemples avec Barcelone Noir et Paris Noir pour en citer deux déjà parus).

Ici les autrices et auteurs du livre sont au diapason avec leur plume, leur approche et surtout leur façon de choisir un thème sur Marseille. Un thème à traiter qu’il ou elle souhaite mettre en évidence (le commerce, le vieux port, l’urbanisme, l’OM, les trafics, les atmosphères, un quartier…). À noter que le rap aurait mérité une place plus importante je trouve. On croisera donc dans ce recueil Christian Garcin, Pia Petersen, René Fregni, Emmanuel Loi, Philippe Carrese, François Beaune, Rebecca Ligheri, Minna Sif, Marie Neuser, Serge Scotto, Salim Hatubou, François Thomazeau, Patrick Coulomb et Cédric Fabre. J’ai eu quelques coups de cœur pour certaines nouvelles évidemment et l’ensemble reste très cohérent et plaisant. Ne ratez pas l’occasion de partir à la rencontre de Marseille à travers une multitude de prismes et sans tomber dans les clichés.

Marseille Noir, ed. Asphalte, coll. Asphalte Noir, 21 euros, 256 pages.

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