Retour à l’âge ingrat / Alexis David-Marie

Le récit touchant de l’adolescence compliquée de l’auteur.

Alexis David-Marie est enseignant dans le Val-de-Marne et dans ce récit autobiographique il s’arrête sur son adolescence plutôt sportive. Il choisit de s’adresser à Nunus, l’adolescent qu’il a été. Un petit casse-cou prêt à mettre le boxon pour s’affirmer et se montrer. C’est aussi une adolescence marquée par les moqueries en raison de sa petite taille que l’on découvre. L’auteur dépeint les sentiments qui se bousculent pendant cette période de la vie, des sentiments souvent contradictoires et difficiles à percevoir aux premiers abords. Mais c’est aussi l’âge des premières expériences et des premières conneries et on retrouve tout cela dans le récit de l’auteur. J’ai bien aimé cette façon de prendre du recul sur les comportements qui posent problème aux adultes et qui sont souvent porteurs de sens au-delà de la simple manifestation violente chez les jeunes. J’ai bien aimé aussi cette façon d’adopter un regard qui met en perspective des comportements problématiques à l’époque, dans le rapport aux filles par exemple. « Retour à l’âge ingrat » est un récit autobiographique touchant qui est aussi la photographie d’une époque, celle dans laquelle l’auteur grandit dans les années 90.

Extrait : « Il y a longtemps de cela, quand je dis un soir à Romu que je comptais faire un jour le récit de nos quatre-cents coups, sais-tu ce qu’il me répondit ? Il me dit qu’il n’y aurait rien à raconter car c’est l’histoire de tout le monde. Et il n’avait pas tort.
On apprend à marcher à ses enfants alors que l’on boite soi-même. »

Retour à l’âge ingrat, ed. Aux forges de Vulcain, 21 euros, 304 pages.

Tempo / Martin Dumont

Les souvenirs d’un trentenaire parisien, ancien musicien d’un groupe de rock et jeune papa.

Félix est guitariste, il vit avec Anna et son fils à Paris. Nous sommes à la fin des annés 80. Il tente de gagner suffisamment sa vie en se produisant dans les bars mais cette vie lui laisse un goût amer lorsqu’il repense à sa jeunesse et au succès de son groupe. Il ne gagne pas assez et les tensions s’installent dans son couple. La narration alterne entre les souvenirs du musicien avec son groupe et la vie présente avec sa compagne et son bébé. Derrière le guitariste c’est toute une galerie de personnages réussis qui défile. De Kacem le tenancier du bar en bas de chez lui à Marc le manager jamais très clair dans ses attentes, en passant par les membres du groupe décrit dans ses souvenirs, chacun et chacune gagne en épaisseur au fil du livre. On s’attache à ces morceaux de vie et à la plume pleine de sincérité de Martin Dumont. On retrouve des envies de vivre à fond malgré les difficultés financières. On retrouve aussi de la justesse, dans les sentiments contradictoires d’un père. Félix a toujours voulu vivre de la musique et il est dans une période dans laquelle la nostalgie ne va pas lui faciliter la vie. « Tempo » est à la fois un livre sur l’amitié, sur les choix qui font une vie et sur la musique. Une très belle découverte.

Extrait : « – Tu comprends, Félix ? La vie, sans les moments difficiles, ça n’existe pas, hein ? Je veux dire, ce sont eux qui donnent du sens à tout. Qui nous inspirent, qui mettent en valeur le reste. Le plaisir, les frissons, le bonheur. Tout ce que l’on poursuit sans cesse. Et ce que l’on a vécu avant bien sûr ! Il faut ça pour se rendre compte à quel point c’était fort. À quel point c’était grand. Tu ne crois pas ? »

Tempo, ed. Les Avrils, 20 euros, 224 pages.

Nos armes / Marion Brunet

Une histoire d’amour poignante qui tente de s’écrire malgré la violence du monde.

Peu avant les années 2000, un groupe de potes s’apprête à traverser une épreuve qui va chambouler leur vie. À commencer par celle d’Axelle et de Mano, deux personnages passionnés qui vont être séparés par l’épreuve en question. Un braquage qui dérape. L’action de trop qui part en live. Il faut rassembler de l’argent, car la révolution a un cout. Ce jour-là, l’addition va être particulièrement salée. Le groupe implose et dans le même temps, Axelle termine en prison pour femmes alors que Mano parvient à s’échapper. Le roman revient sur l’histoire de ce groupe de potes, des militants et militantes de la première heure, anarchistes et soudés. Pas des ados, mais pas encore des adultes non plus. Un groupe de jeunes qui a vécu à fond jusqu’à ce jour sombre, le jour du braquage. Marion Brunet questionne la condition carcérale dans ce nouveau roman noir dense et poignant. Elle questionne cette condition à travers la trajectoire d’Axelle qui termine en prison après le braquage. Mais aussi la difficulté de grandir dans cette société avec un sentiment de révolte qui vous tenaille sept jours sur sept. Cette incapacité à mettre de côté la marche du monde qui déconne. On s’attache à ces parcours cabossés, à ces personnages qui tentent de continuer à vivre, en prison et en dehors. Et on retrouve toute la justesse de Marion Brunet, lorsqu’elle parvient à saisir ces instants de vie qui marquent le lecteur.

extraits : « J’ai failli ne pas le reconnaître, tant il avait rétréci. Mon cœur a explosé. Je me suis assise et j’ai attrapé ses deux mains dans les miennes, toutes vieilles et noueuses. Avant ce jour, je n’avais jamais touché ou caressé les mains de mon grand-père. C’était étrange, comme les gestes d’un film. Du coup je me suis un instant décalée, comme si je nous regardais de plus loin. »

« Il y voit un désir caché que le désespoir libère. Elle n’y voit rien du tout, flotte au-dessus d’un charnier et ne trouve rien de mieux à faire que l’amour pour échapper à la mort. »

Nos armes, ed. Albin Michel, 20,90 euros, 350 pages.

Ton absence / Guillaume Nail

La naissance d’un sentiment amoureux au milieu d’un groupe de potes.

Léo s’est formé un groupe de potes lors de son premier stage théorique pour obtenir le BAFA. Il a créé des liens forts et la bande est proche, à tel point qu’ils repartent ensemble pour le second stage, l’approfondissement. Un stage qui fait partie du parcours pour obtenir le BAFA et faire de l’animation. C’est pendant ce stage, le temps d’une semaine, que Léo voit naitre chez lui des sentiments pour Matthieu un autre stagiaire. Des sentiments qu’il refoule, qu’il tente de contrôler et qui en même temps, il le sent bien, le dépassent un peu. Le regard du groupe sur cette relation naissante va beaucoup jouer sur les comportements de Léo mais aussi sur ceux de Matthieu, qui lui de son côté est plutôt solitaire et dénote dans la bande qui réalise le stage. Il y a de tout dans ce court roman touchant de Guillaume Nail. Une forme d’écriture libre sur certaines pages, des passages qui côtoient de la poésie, une grande importance de la nature. On est embarqués par ce que traverse Léopold, ça sonne juste. Ce court roman est rythmé par les différentes activités animées par les jeunes qui passent le stage et qui veulent l’obtenir pour poursuivre vers le diplôme. C’est aussi une façon de voir évoluer un sentiment amoureux entre deux jeunes dans un environnement qui met des barrières à ce sentiment justement. Dans « ton absence », on questionne le désir chez ces jeunes adultes, le rapport aux normes et l’impact que cela peut avoir directement dans leurs vies. Un roman qui prouve encore une fois toute la vitalité de la littérature jeunesse. À découvrir.

Ton absence, ed. Rouergue, 12,80 euros, 160 pages.

On ne s’endort jamais seul / René Frégni

Le récit poignant d’un père qui lutte pour retrouver sa fille.

Après avoir perdu dans des conditions tragiques sa femme, Antoine élève seul sa fille de sept ans et attend avec impatience chaque jour de la semaine de la récupérer à la sortie de son école. Mais un jour, alors qu’Antoine arrive avec un peu en retard, Marie a disparu. Ni sa maitresse ni ses copines ne l’ont vu. Le personnage réalise alors petit à petit qu’un cauchemar prend forme. Il se met alors à sillonner Marseille en long et en large à sa recherche et la police est bientôt mise sur l’affaire. Antoine qui voit sa santé mentale en prendre un sérieux coup, finit par demander de l’aide à son ami d’enfance, Jacky, un ancien bandit qui bénéficie d’une aura importante sur la ville et qui peut faire marcher son réseau pour aider le père à retrouver sa fille. C’est le début d’un long chemin de croix pour Antoine. Un personnage qui voit sa vie basculer en un instant et qui cherche des ressources jour après jour pour continuer à espérer. Des ressources en lui-même, mais aussi des ressources dans les personnages qui l’entourent. René Frégni écrit un roman touchant qui tend vers le roman noir. Toujours dans une langue qui laisse planer les images dans la tête du lecteur, on croise à nouveau les thèmes que l’auteur aime traiter. De la condition carcérale à l’importance des relations en passant par la force de son personnage pour encaisser un choc, et continuer à avancer. L’auteur ne s’autorise pas pour autant des raccourcis, il cherche le mot juste, celui qui va restituer avec le plus de justesse la scène. Ce petit bouquin se lit d’une traite et on retrouve avec beaucoup de plaisir les talents de conteur de Frégni, un auteur à part dans mes lectures.

On ne s’endort jamais seul, ed. Folio, 7,40 euros, 176 pages.

Banale flambée dans ma cité / Mabrouck Rachedi

Chronique d’un embrasement suite à une bavure policière.

Mabataï ne le sait pas encore, mais il s’apprête à mettre les pieds dans un engrenage lorsqu’il accepte de travailler pour le dealer de son quartier. Il accepte, car il cherche à comprendre ce qu’il s’est passé le jour où il se retrouve témoin d’une bavure policière, pendant laquelle un jeune homme de dix-sept ans meurt. Le quartier s’embrase, et ça conforte le jeune lycéen dans son envie de comprendre ce qu’il s’est passé lors de cette bavure. On suit un adolescent un peu rêveur et fan de musique, qui après avoir infiltré le réseau de drogue, va rencontrer la sœur de la victime. Katia lutte depuis la mort de son frère pour découvrir la vérité et les deux adolescents vont finir par se croiser. Le père de Mabataï qui élève son fils seul depuis la mort de sa mère a rencontré une policière depuis peu, ce qui ne félicite pas le quotidien de Mabataï. La tension augmente crescendo dans ce roman qui sonne juste.

Banale flamnbée dans ma cité, ed. Actes Sud, 15,90 euros, 224 pages.

Nino dans la nuit / Simon et Capucine Johannin

Chronique de la débrouille dans les années 2000, à travers une langue unique.

Nino, du haut de ses vingt ans, fait ses classes dans la Légion au début du livre. Il porte déjà un regard acerbe sur ses pairs, que ce soit le sergent qui maltraite avec un plaisir malsain ses troupes ou un autre membre de la Légion qui prend un malin plaisir à déverser son venin raciste lorsqu’il discute avec Nino. Nino n’est pas dupe et n’en pense pas moins. Malheureusement il n’est pas dupe non plus lorsqu’il passe un test urinaire pour vérifier sa consommation de drogues. Il n’en faut pas plus pour le mettre en difficulté et commence alors une longue dérive. Nino retrouve sa copine et la galère dans la rue. Les deux personnages touchants tentent de survivre avec de petites combines et leur quotidien est restitué avec beaucoup de justesse dans la langue de Simon et Capucine Johannin. Il se dégage une forme de poésie à la lecture de ce roman à quatre mains, un truc sensible que l’on retrouve trop rarement dans les fictions. Les dialogues sonnent et restent en tête tout comme les images qui naissent derrière certains passages. Un très beau bouquin et une langue à découvrir.

Nino dans la nuit, ed. Allia, 14 euros, 288 pages.

Une charrette pleine d’étoiles / Frédéric H. Fajardie

Trois compères se retrouvent en pleine guerre civile espagnole.

Nous sommes en 1938 et un homme fuit en Espagne dans les rangs fascistes. Responsable d’un meurtre et d’un viol en France, il ne se doute pas que trois hommes vont partir à sa recherche. Riton, Harszfield et Mena, trois ouvriers dans une usine d’Ivry-sur-Seine et qui arrivent en Espagne alors que la guerre civile fait rage contre les hommes du général Franco. Alors que les trois hommes s’orientent vers une traque ils se retrouvent enrôlés dans les troupes qui s’opposent aux hommes de Franco. Le voyage va malmener leurs idéaux, les séparer et ils vont côtoyer la violence et la lutte au quotidien, en combattant avec les républicains. Fajardie écrit un roman noir irrigué par l’Histoire et la guerre civile espagnole. On s’attache à ces personnages qui luttent et qui prônent l’amitié et la solidarité en valeurs cardinales. « Une charrette pleine d’étoiles » me permet de découvrir Frédéric H. Fajardie. Je n’ai pas lu la postface de ce livre écrit par Jérôme Leroy aux Éditions Mille-et-une Nuits, mais je retrouve le style nerveux, politique et très efficace de Leroy dans la plume de Fajardie. Du très bon.

Une charrette pleine d’étoile, ed. Folio, 7,80 euros, 160 pages.

Des impatientes / Sylvain Pattieu

Les trajectoires de deux jeunes filles, d’un lycée en éducation prioritaire au monde du travail.

C’est un lycée de banlieue en éducation prioritaire avec toutes les représentations qu’il y a derrière. Bintou et Alima sont deux élèves de ce lycée au parcours différent. La première est en opposition régulièrement avec l’équipe enseignante, ses résultats en pâtissent et il lui arrive aussi de sécher des cours. La seconde s’oriente dans la section scientifique et a de très bons résultats. Plutôt discrète elle est repérée pour faire partie des filières sélectives pour accéder à Sciences Po. Sous la forme d’une discrimination positive, plusieurs élèves des établissements classés en éducation prioritaire ont l’opportunité d’accéder à ces filières très sélectives. Alima en fait partie. Jusqu’au jour où durant un cours un évènement va faire basculer le quotidien des deux filles. L’intrigue s’accélère et sans en dire trop, toute la deuxième partie du livre peut démarrer. Une seconde partie dans laquelle on continue de suivre la trajectoire de ses deux jeunes filles attachantes et qui se battent contre les stigmatisations dont elles font l’objet. Sylvain Pattieu écrit un roman avec le juste dosage entre la documentation sur son sujet et une histoire touchante et réaliste. les personnages sont travaillés sans tomber dans certains clichés, comme dans « Le grand secours » de Reverdy lu cette année. Bintou et Alima ont de l’énergie à revendre et elles vont le faire savoir dans ce roman à découvrir.

Des impatientes, ed. Actes Sud, 8,50 euros, 272 pages.

La Foudre / Pierric Bailly

Un meurtre fait ressurgir les souvenirs d’un berger dans le Haut-Jura.

Julien voit ressurgir le fantôme d’Alexandre un ancien copain d’internat, lorsqu’il réalise que ce dernier est à l’origine d’un meurtre. Il a du mal à y croire au début et finalement il se rend compte que c’est bien son ancien pote devenu vétérinaire et fervent défenseur des animaux qui a tué un jeune homme avec une planche. Julien, qui est berger dans le Haut-Jura, commence alors à cogiter et finit par joindre Nadia au téléphone la femme d’Alexandre. Sans vraiment savoir pourquoi il s’embarque dans cette histoire et devient le confident de Nadia dans l’épreuve qu’elle traverse avec son enfant. Alexandre se retrouvant de son côté en prison puis étant ensuite jugé dans un tribunal lyonnais. Le livre a eu un fort écho lors de sa sortie et a pas mal clivé. Je trouve que le regard de Pierric Bailly est toujours aussi juste sur les relations humaines, comme dans « Le roman de Jim ». L’histoire n’est pas forcément originale, mais c’est plutôt son traitement qui la rend intéressante. On retrouve le talent de l’auteur pour dépeindre les ambivalences de ses personnages, leurs contradictions, leurs sentiments. Les liens entre les personnages et notamment entre les générations ont toutes leurs importances. La nature a aussi une grande place dans le livre et fait partie intégrante de l’histoire avec de magnifiques paysages de montagne. L’auteur écrit avec « La foudre » un nouveau roman sensible qui croise des thèmes importants pour lui, de la filiation à la culpabilité en passant par le sentiment amoureux. Un bouquin que l’on a du mal à lâcher.

La Foudre, ed. P.O.L, 24 euros, 464 pages.

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