Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans / Anne Plantagenet

Un livre qui restitue le parcours d’une femme détruite par l’usine, ses conditions de travail et sa logique de rentabilité.

Anne Plantagenet raconte comment le travail à la chaine et la logique de rentabilité détruisent progressivement la vie d’une femme. Une femme qui disparait à Marseille dans une clinique en juin 2022. Une femme engagée dans son entreprise et qui est écartée de façon pernicieuse par les responsables. L’autrice s’attarde sur ce destin à la suite d’une rencontre avec cette femme, Letizia Storti, qui travaille depuis plus de 36 ans dans son entreprise lors de la rencontre. Un parcours de vie qui se complique progressivement et qui finit par mener à l’hospitalisation. On pense à la justesse de Joseph Ponthus pour restituer l’impact du travail à la chaine sur les corps, sur la vie des ouvriers et des ouvrières. Un livre poignant qui s’arrête sur des vies oubliées, des marges invisibilisées.

Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans, ed. Seuil, 17,50 euros, 160 pages.

Une charrette pleine d’étoiles / Frédéric H. Fajardie

Trois compères se retrouvent en pleine guerre civile espagnole.

Nous sommes en 1938 et un homme fuit en Espagne dans les rangs fascistes. Responsable d’un meurtre et d’un viol en France, il ne se doute pas que trois hommes vont partir à sa recherche. Riton, Harszfield et Mena, trois ouvriers dans une usine d’Ivry-sur-Seine et qui arrivent en Espagne alors que la guerre civile fait rage contre les hommes du général Franco. Alors que les trois hommes s’orientent vers une traque ils se retrouvent enrôlés dans les troupes qui s’opposent aux hommes de Franco. Le voyage va malmener leurs idéaux, les séparer et ils vont côtoyer la violence et la lutte au quotidien, en combattant avec les républicains. Fajardie écrit un roman noir irrigué par l’Histoire et la guerre civile espagnole. On s’attache à ces personnages qui luttent et qui prônent l’amitié et la solidarité en valeurs cardinales. « Une charrette pleine d’étoiles » me permet de découvrir Frédéric H. Fajardie. Je n’ai pas lu la postface de ce livre écrit par Jérôme Leroy aux Éditions Mille-et-une Nuits, mais je retrouve le style nerveux, politique et très efficace de Leroy dans la plume de Fajardie. Du très bon.

Une charrette pleine d’étoile, ed. Folio, 7,80 euros, 160 pages.

Ce qu’il nous faut c’est un mort / Hervé Commère

Un ville en Normandie vit au rythme d’une usine jusqu’à la menace de la délocalisation.

Tout commence la nuit du 12 juillet 1998 lors de la finale de la coupe du monde. Une soirée mémorable, mais pas pour tout le monde, vous allez le découvrir pour certains personnages. Dans ce polar social très bien construit comme c’est souvent le cas chez Hervé Commère, direction un petit village de Normandie qui vit en grande partie grâce à une usine, les ateliers « Cybelle ». Des ateliers qui confectionnent de la lingerie et qui font vivre une grande partie de la région depuis l’après-guerre, en octroyant de nombreux emplois pour la population aux alentours. Oui, mais voilà depuis peu, comme dans de nombreux cas un fonds de pension décide de mettre le nez dans les affaires de l’usine essayant de la racheter (le risque de délocalisation se précise). Les personnages que l’on découvre au début du roman pendant cette fameuse nuit en 98 vont être amenés à se recroiser des années plus tard alors que l’on apprend que ce rachat de l’usine est en jeu. L’auteur écrit un roman noir qui rend hommage aux luttes ouvrières et on voit passer les époques et les enjeux qui vont avec. Les trajectoires personnelles des uns croisent les trajectoires collectives des autres. « Ce qu’il nous fait, c’est un mort » offre un bon moment de lecture, qui questionne avec justesse les luttes sociales en cours un peu à la manière de Nicolas Mathieu dans « Aux animaux de la guerre ».

Ce qu’il nous faut, c’est un mort, ed. Pocket, 8,60 euros, 440 pages.

Soleil amer / Lilia Hassaine

Suivre une famille algérienne qui arrive en France dans les années 50 et qui assiste aux mutations du pays durant les décennies suivantes.

Tout débute à la fin des années 50 lorsqu’une mère de famille élève seule ses trois enfants en Algérie. Naja voit son mari Saïd partir en France pour travailler dans une usine Renault. On suit alors l’évolution de cette famille lorsque Saïd gagne assez d’argent pour faire venir sa famille en France. Malheureusement les choses ne vont pas être si simples pour la famille. Naja attend un nouveau bébé mais le couple ne peut plus se permettre d’avoir un nouvel enfant financièrement. Le lecteur voit la cellule familiale réagir à tous ces évènement et les années passent tant bien que mal. Mai 68 puis les années 70 et 80. On découvre l’accueil de cette famille algérienne en France et en même temps toutes les embuches, préjugés et comportements racistes qu’ils rencontrent. L’autrice s’attarde sur une société française en mutation en partant du point de vue d’une famille algérienne.

Soleil amer, ed. Folio, 7,50 euros, 192 pages.

De notre monde emporté / Christian Astolfi

Le roman d’un monde ouvrier, celui d’un chantier naval à la Seyne-sur-Mer.

Narval est ouvrier dans une usine de la Seyne-sur-Mer. Une usine qui répare les bateaux et qui fait vivre toute une région dès les années 70. Ce livre retrace les premiers pas du jeune Narval dans son travail, avant de découvrir les années qui vont suivre et qui vont être traversées par des luttes. Les franches amitiés et la fierté d’appartenir à une industrie crée ce sentiment d’appartenance au groupe, un groupe de potes autour de Narval que l’on suit jusqu’aux années 2000. Ce roman de Christian Astolfi campe des personnages marquants et rend un vibrant hommage au monde ouvrier. Cette histoire c’est aussi celle plus sombre des conditions de travail et plus particulièrement des revendications autour de l’amiante. L’amiante comme un autre fil directeur du roman qui est bien là, en toile de fond, et qui a de plus en plus de place dans l’histoire tout en ayant de plus en plus d’impact sur les corps des anciens ouvriers du chantier avec les années. On découvre au fil du bouquin la relation de Narval avec son père, un ancien ouvrier lui aussi. L’admiration du personnage pour son paternel est d’ailleurs palpable. Dans la région, l’usine rayonne au début du roman puis petit à petit la concurrence amène les licenciements et les temps deviennent difficiles. « De notre monde emporté » fait penser à « A la ligne » de Jospeh Ponthus dans son atmosphère, dans ce qu’il dégage. Un roman qui questionne le sens du travail ouvrier, les désillusions, à travers une écriture qui touche. Un vrai coup de coeur que j’avais hâte de découvrir et qui remue.

De notre emporté, ed. Le bruit du monde, 19 euros, 192 pages.

Les Salauds devront payer / Emmanuel Grand

Une histoire de vengeance très bien amenée dans une bourgade du nord de la France.

Direction une petite ville du Nord pas loin de Valenciennes où le chômage est roi. Une jeune fille est retrouvée assassinée dans un terrain vague et tout porte à croire que ce meurtre est lié à un règlement de compte. En effet, une boîte du coin diversifie ses activités en proposant des prêts aux particuliers pour remplacer les banques. Sauf que lorsque le particulier en question rencontre des difficultés à rembourser son prêt, les choses peuvent facilement dégénérer avec une équipe de gros bras dans le secteur. Les choses ne sont pas si simples autour de cet assassinat et l’auteur prend le temps d’inscrire son intrigue en lien avec un passé trouble, de la guerre d’Indochine à la fermeture d’une usine importante de la région dans les années 80, le lecteur n’est pas au bout de ses surprises. On est typiquement dans une veine de polar social, l’auteur prend le temps de décrire l’environnement et l’atmosphère, tout en portant sa focale sur les marges et ce qui laisse des traces à travers les générations. Notamment les conditions de travail des ouvriers et les luttes syndicales. À travers une galerie de personnages réussie et une enquête que l’on a beaucoup de plaisir à suivre, Emmanuel Grand écrit un roman noir aboutit qui ne s’essouffle pas un seul instant. J’avais beaucoup aimé Kinsanga et Terminus Beltz. Une nouvelle fois je vous conseille ce roman noir et cette virée dans le nord de la France.

Les Salauds devront payer, ed. Le livre de poche, 7,90 euro, 480 pages.

Loin des humains / Pascal Dessaint

Un magnifique roman noir plein d’humanité.

Dans un texte noir et d’une rare profondeur, Pascal Dessaint s’arrête sur la vie de Jacques Lafleur, un personnage que l’on retrouve tué par un sécateur au début du roman. Un homme à la vie cassée qui tente de vivre, de survivre. Le lecteur va découvrir petit à petit son passé avant sa mort à travers son journal, en parallèle à l’enquête de police. Avec son ton inimitable et plein d’empathie pour ses personnages, l’auteur écrit un polar bien construit. La nature a toujours une place à part comme souvent chez l’auteur, et elle participe à la mise en place de l’ambiance (on découvre des oiseaux, on croise des reptiles). Les règlements de compte au sein d’une famille et les non-dits émergent petit à petit et c’est un redoutable mécanisme qui se met en place dans la narration. Félix le flic abîmé, Rémi l’ouvrier d’une usine pour les ordures, chaque bout d’humanité entre dans l’intrigue. L’auteur s’attarde dans ce roman sur les marginaux, sur les conséquences des catastrophes provoquées par l’homme (AZF pour ne pas la citer). Pascal Dessaint est talentueux et « Loin des humains » est un très bon roman noir que je vous invite à découvrir si vous n’avez pas encore lu cet auteur. Un coup de coeur.

Loin des humains, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 8 euros, 288 pages.

En Amazonie / Jean-Baptiste Malet

Un essai édifiant, dans les méandres d’une usine d’Amazon.

Jean-Baptiste Malet candidate dans une agence d’intérim qui fournit en partie la main-d’œuvre du géant Amazon en France. Le journaliste décide de se faire embaucher pour y voir plus clair, notamment les conditions de travail ou encore le fonctionnement interne de l’entreprise. Il y parvient et débute son nouvel emploi sur le site de Montélimar, un énorme hangar qui ne laisse rien transparaitre si ce n’est un logo de la firme sur la façade et un incessant ballet de camions qui entrent et qui sortent de l’usine. Voilà pour la base de ce livre plein d’enseignements. On y apprend beaucoup de choses et en même temps Jean-Baptiste Malet a le sens de la synthèse. Amazon menace les métiers du livre et les librairies pour différentes raisons, mais il n’y a pas que cela. On se rend rapidement compte que les conséquences de son succès ne s’arrêtent pas au monde du livre. « En Amazonie » est un petit bouquin terriblement d’actualité qui donne à réfléchir sur nos façons de consommer.

En Amazonie, ed. Pluriel, 7,50 euros, 208 pages.

Le Ladies Football Club / Stefano Massini

Un essai très bien amené qui aborde la naissance d’une équipe de foot féminin pendant la première guerre.

1917. Première guerre mondiale. Les hommes sont au front et dans une usine d’armement en Angleterre, des ouvrières s’organisent pour former une équipe de football. Lors d’une pause casse-croute, elles découvrent le football avec une fausse bombe qui sert de prototype habituellement. Tout part de là. L’équipe se forme avec onze joueuses aux personnalités marquantes. Plusieurs matchs se mettent alors en place avec des adversaires plutôt variés. Le foot féminin tout comme leurs conditions de femme ne valent pas grand-chose et les ouvrières vont en faire les frais. Elles sont pourtant pleines d’énergie et remettent en question ce qui les enclave. Le foot peut devenir une transgression. Elles finissent par devenir des pionnières et rencontrent un certain succès. Le Ladies football club est un document plein de bonnes idées dans sa forme et qui aborde un sujet méconnu. A découvrir !

Traduit de l’italien par Nathalie Bauer.

Le Ladies Football Club, ed. Globe, 20 euros, 192 pages.

Après le Silence / Didier Castino

Le récit d’un drame au début des 70’s dans un monde ouvrier qui se détériore. Fort.

Didier Castino relate une vie d’ouvrier, celle d’un certain Louis Catella. Un mouleur aciériste qui travaille aux Fonderies et Aciéries du Midi, et qui prend la parole dans un long monologue pour raconter sa vie. Une vie dédiée très tôt à sa condition d’ouvrier, au détriment parfois de sa vie de famille. Une vie dédiée à la lutte, une lutte pour de meilleures conditions de travail dans son usine, une lutte collective via son syndicat. En parallèle à ce récit, c’est aussi l’histoire d’un père qui s’adresse à son plus jeune fils de 7 ans. Un père qui se raconte à son fils avec pudeur. On découvre tout cela dans le monologue qui va le mener jusqu’à un destin tragique dans son usine en 1974. Louis Catella est victime d’une accident de travail et décède. A la suite de cet évènement, le plus jeune de ses fils prend la parole dans un nouveau monologue et raconte la lente et difficile reconstruction d’une famille abimée par la perte, par le deuil. Il cherche à comprendre cet héritage qu’il trouve de plus en plus lourd au fil des années et il ressent le besoin de se détacher de cette figure paternelle, en finissant par adopter des idéaux divergents (politiques, religieux).

J’ai lu il y a un moment de ça le second livre de Didier Castino, « Rue Monsieur-le-Prince », et j’avais déjà beaucoup aimé sa plume pleine d’humanité qui porte sa focale sur des femmes et des hommes marginalisé.e.s. L’auteur aborde des thèmes importants. Il était question des violences policières, d’une jeunesse en lutte et de la montée des extrêmes. Dans celui-ci, Didier Castino se tourne vers le monde ouvrier et sa pesanteur dans la vie des familles. Avec une justesse qui fait penser à Joseph Ponthus, il décrit sans pathos un monde qui broie (aujourd’hui on parle toujours peu des accidents du travail qui coûtent la vie à de nombreux ouvriers tout au long de l’année). On est touchés par l’histoire de cette famille dans ce premier roman. On est touchés par ce récit émouvant et poignant, qui ne fait pas l’impasse sur les ambivalences de chaque personnage.

extrait : « Mais j’arrête maintenant. Tu ne me répondras pas, j’ai compris. J’arrête, on verra bien. Régler mes comptes avec toi, je ne sais pas si c’est possible, foutre en l’air la rengaine, le mythe éternel… Parler après le silence. »

Après le Silence, ed. Liana Levi, 10,50 euros, 224 pages.

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