Qui après nous vivrez / Hervé Le Corre

Une certaine idée du monde de demain sous la plume sombre d’Hervé Le Corre.

Dans un futur pas si lointain, le monde a vrillé en raison d’une pandémie. Le climat est difficile et ne facilite pas le quotidien des populations épargnées. Chacun tente de sauver sa peau et il n’y a même plus de moyen pour savoir comment se passent les choses à l’international. L’isolement est roi tout comme la débrouille. L’électricité saute régulièrement dans le pays, les hommes et les femmes tentent de survivre, que ce soit à la campagne en s’isolant ou dans les villes où les tensions sont exacerbées. Les forces de l’ordre deviennent une faction ennemie, la guerre guette, la famine aussi. Hervé Le Corre dresse le tableau d’un monde dévasté dans lequel de petits groupes tentent de continuer à avancer. Une femme et son bébé. Un père et son fils. Le monde de l’auteur fait ressurgir au grand jour les émotions, les tensions, les faces sombres de ses personnages. « Qui après nous vivrez » est d’une noirceur rare. Une fiction qui mêle le roman noir et la dystopie, le tout avec la très belle plume de l’auteur qui ne laisse rien au hasard dans le rythme de son livre, difficile à lâcher. L’auteur pousse les curseurs assez loin et s’attarde avec la justesse qu’on lui connait sur les réactions de ses personnages, sur le désir de vengeance, sur les enjeux autour du collectif lorsque plus rien ne va. Les pauvres étant les plus touchés. Les inégalités augmentent comme jamais dans le contexte qui se déploie sous les yeux du lecteur. C’est parfois violent, souvent tragique. Cela donne un roman noir qui brouille les pistes du genre et qui prolonge l’œuvre d’un auteur à part.

Qui après nous vivrez, ed. Rivages, 21,90 euros, 340 pages.

Marche de nuit sans lune / Abdel Hafed Benotman

Une correspondance entre deux détenus, décrite par la plume singulière d’Abdel Hafed Benotman.

Dan est envoyé en prison et lors d’un transfert pénitentiaire, il croise Nadine, une détenue de la prison pour femmes. Il note son numéro d’écrou et entame une correspondance avec elle derrière les barreaux. Lorsque Dan sort avant Nadine il tient sa promesse et ne l’oublie pas, à tel point qu’il va entrer dans une spirale où la violence guette. Abdel Hafed Benotman écrit un très beau roman noir sur le milieu carcéral, avec une plume reconnaissable entre mille. « Marche de nuit sans lune » est un livre à forte teneur autobiographique, écrit par l’auteur lorsqu’il était incarcéré. On retrouve cette façon bien à lui de camper l’atmosphère et de décrire les marginaux, mais aussi les crasses d’une société qui n’épargne rien aux détenus, que ce soit dans les murs ou à l’extérieur. Tout cela est fait avec beaucoup de justesse et les images qui défilent derrière ce roman noir sont saisissantes, tout comme l’histoire entre Nadine et Dan.

extraits : « Ils se remettent à trimer tandis que l’eau du robinet coule sous alibi de rafraîchir l’atmosphère. Sous prétexte de se croire à la mer en écoutant la cascade. Le ronron de l’eau fait le guet dans toutes les cellules d’affranchis pour vite jeter par la fenêtre ou avaler ce qui est prohibé, car, s’il cesse brusquement, c’est que le cyclone de la fouille générale arrive droit sur eux et que les matons viennent de neutraliser, en coupant l’arrivée d’eau, les chasses des W.-C. par lesquelles on peut évacuer le peu de drogue qui circule en détention. »

« Dans un quart d’heure, lui a dit le surveillant. Il descend aux libérables et là il croisera les arrivants. Interchangeables. Vases communicants, ils prendront les uns l’espoir et le rêve, les autres la peur et la souffrance. Le temps d’une nuit mitoyenne, puisqu’ils ne seront pas dans les mêmes cellules cérébrales, juste dans les mêmes salles d’attente crâniennes. »

Marche de nuit sans lune, ed. Rivages, coll. Rivages Noir, 8,65 euros, 254 pages.

Le camp des autres / Thomas Vinau

L’histoire d’un enfant qui rencontre des brigands au début du XXe siècle.

« Le camp des autres » c’est l’histoire d’un garçon qui fuit son père violent au début du XXe siècle. En ville, Gaspard va croiser des apaches et à la campagne, des trimardeurs et des bohémiens. Toutes ces femmes et ces hommes ont en commun d’être des brigands recherchés par les brigades mobiles de l’époque (futures brigades du tigre). Et Gaspard, jeune homme et personnage principal de Thomas Vinau, croise la route de ces brigands en fuyant. Nous sommes au début du XXe siècle et en réponse à ces groupes qui sillonnent les campagnes, on voit donc apparaître les brigades du tigre, l’ancêtre de la police judiciaire. « Ils entreront un peu plus tard dans l’histoire en criblant de balles la bande à Bono ». On suit dans ce contexte de lutte la trajectoire de cet enfant qui fuit la violence, qui doit grandir trop vite et qui en même temps côtoie les brigands de cette « caravane à pépère » qui a vraiment existé. Une caravane qui rassemblait des exclus, des marginaux et qui va donner un sens à la vie déjà bien cabossée du jeune Gaspard. Thomas Vinau est précis dans ses descriptions et il restitue avec beaucoup de poésie une atmosphère sylvestre, la vie de ces marginaux ou la vision du monde à travers les yeux d’un enfant.

Extrait de la postface : « Je continue avec vous, avec eux, avec l’armada de nos armures merdeuses, et la possibilité d’un demain à sauver, à inventer. Alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours aux forêts. J’ai voulu construire un refuge. J’ai voulu écrire la liberté crue de l’enfance, du monde sauvage et de la récalcitrance. »

Le camp des autres, ed. Alma, 17 euros, 196 pages.

Western / Maria Pourchet

Radiographie d’une époque avec le regard aiguisé de Maria Pourchet.

Alexis est un comédien célèbre qui fuit du jour au lendemain sa troupe de théâtre parisienne dans laquelle il joue Dom Juan. Ses collègues sont perplexes jusqu’au jour où une affaire avec une jeune fille ressort. Alexis a fui dans une maison de campagne dont il a fait l’acquisition, mais qui est déjà occupée par Aurore et son fils Cosma. Aurore est mère célibataire et a décidé de se mettre au vert, car elle ne supporte plus la pression du quotidien, du travail et de ses pairs. S’ensuit une étrange rencontre entre le célèbre comédien et une femme qui a fui son quotidien épuisant. C’est là que le roman accélère et que l’on découvre plus en détail la vie d’Alexis et celle d’Aurore. On retrouve la langue unique et qui sonne de la romancière même si j’ai moins été embarqué que dans « Champion », un autre roman découvert il y a peu. Alexis est un homme détestable et on découvre rapidement qu’il peut faire penser à de nombreux hommes que l’on croise ou que l’on a croisés, un homme dans une société patriarcale violente. À l’arrivée cela donne un roman bien construit, teinté d’un humour bien sombre et qui met en évidence comme rarement les travers de notre époque. C’est souvent le cas chez Maria Pourchet et encore une fois ici, c’est réussi.

Western, ed. Stock, 20,90 euros, 304 pages.

Moscow / Edyr Augusto

Un court roman noir tendu et violent. Une claque.

Moscow est le surnom de l’île de Mosqueiro, une île dans l’état brésilien du Para. Une île qui voit sa population tripler grâce au tourisme et à une jeunesse qui vient de Belém pour faire la fête. Un groupe de jeune qui vit la majorité du temps la nuit en profite pour faire les 400 coups sur l’île, terroriser les touristes ou se servir là où ils trouvent de l’argent. Tinho Santos fait partie de cette bande et c’est loin d’être le moins agressif du lot. Tinho avec un détachement bien à lui profite avec ses potes de sa jeunesse. Et ce personnage cache en plus en lui des démons qu’il a parfois bien du mal à maîtriser. Ajoutez à cela le talent et la plume d’Edyr Augusto qui mélange la narration et les dialogues sans un temps mort, et on a un petit bouquin redoutable. Un excellent roman noir. À noter le très bon travail de Diniz Galhos à la traduction.

Moscow, ed. Asphalte, 12 euros, 144 pages.

Le récit du combat / Luc Lang

Un livre autobiographique sur une vie intimement liée aux arts martiaux.

Luc Lang s’éloigne de la fiction pour revenir sur son parcours de vie et les épreuves qu’il a pu traverser. A commencer par un souvenir, un souvenir qui débute le livre, une rencontre qui préfigure la suite lorsque son beau père un grand maître de judo lutte avec lui pour rire et qu’il n’est encore qu’un petit garçon. Commence alors à partir de cet évènement un questionnement et une relation complexe aux arts martiaux. Un fil rouge qui va le suivre toute sa vie. Le judo d’abord puis le karaté ensuite. Cette relation complexe se tisse autour d’autres évènements de la vie de l’auteur, que ce soit sa paternité, la relation avec sa mère, son rapport à l’écriture. Luc Lang se dévoile avec une très belle écriture et comme dans « La tentation » on retrouve une langue travaillée qui séduit par les images qu’elle évoque et en même temps qui ne tombe pas dans le pathos. On suit les pensées, les évènements marquants de la vie de l’auteur et de nombreuses réflexions planent au fur et à mesure de la lecture. Notamment les allers et retours avec la notion de combat sous toutes ses formes. A l’arrivée cela donne un livre autobiographique qui revêt une forme unique et qui touche par sa sincérité.

Le récit du combat, ed. Stock, 21,50 euros, 360 pages.

Le Balato / Djamel Cherigui

Un second roman où l’on retrouve l’humour noir de Djamel Cherigui et ses personnages marquants.

Bombonne est le neveu de Mirouche, le tenancier du troquet le Saturne. Un bar avec son lot d’habitués en bout de course dans lequel Bombonne rend des services à son oncle en y bossant un peu. Bombonne, jeune homme qui se cherche un peu fait alors une rencontre qui va rendre un chouïa plus mouvementé son quotidien, en la personne du Suisse. Le Suisse est un débrouillard toujours dans les bons coups notamment lorsqu’il s’agit de détrousser les riches dans différents quartiers de Roubaix. Bombonne va alors être transporté dans des galères qu’il n’avait pas forcément imaginé et la langue de Djamel Cherigui comme dans « La sainte touche » fonctionne encore très bien. Les dialogues sonnent et la gouaille des personnages aussi. On est au plus près de leurs vies et notamment du tonton qui tente d’élever comme il peut son neveu en l’absence du père mais sans forcément y parvenir à tous les coups. Ce second roman confirme tout le talent de Djamel Cherigui pour construire une intrigue simple mais non dénué d’humour noir. La forme à toute son importance dans ses romans et cela participe pleinement au plaisir de lecture.

Le Balato, ed. JC Lattès, coll. La Grenade, 19 euros, 252 pages.

Arène / Négar Djavadi

Radiographie d’une ville qui sombre dans la violence sous toutes ses formes.

Direction Belleville dans ce roman de Négar Djavadi. Un quartier populaire de Paris à l’intersection de plusieurs arrondissements. La romancière tisse au fur et à mesure des histoires parallèles, jusqu’à un événement qui va faire éclater les trajectoires des personnages. Un jeune d’un quartier est retrouvé mort par une policière non loin d’un canal parisien. Chaque personnage va alors être mêlé de près ou de loin au drame. Un événement qui va littéralement mettre le feu aux poudres à plusieurs niveaux dans Paris. Négar Djavadi aborde dans ce roman sombre et urbain le pouvoir des images, du storytelling, le choc de différents mondes ou encore la ségrégation urbaine. On est happé par cette histoire qui questionnent de nombreuses thématiques. Une histoire plausible qui tend à plusieurs reprises vers le roman noir. « Arène » offre une galerie de personnages marquants qui restent en tête une fois le livre refermé.

Arène, ed. Liana Levi, 12,50 euros, 464 pages.

La nuit des pères / Gaëlle Josse

Un père qui vit seul dans ses montagnes retrouve sa fille après des années de séparation.

Isabelle est réalisatrice de documentaires, des films sur les fonds marins. Au début du roman, elle se rend non loin de Chambéry dans un paysage montagnard pour y retrouver son père après des années de séparation. Elle est de retour, car son frère Olivier qui habite encore dans la région lui a expliqué que la mémoire de leur père commençait à lui faire défaut. Elle décide de revenir et se doute que tous les souvenirs notamment de son enfance vont remonter à la surface. Et c’est ce qui arrive lorsqu’elle le retrouve. Des souvenirs dans lesquels elle revoit son paternel, un homme taciturne qui parlait peu voire pas du tout et qui vivait en grande partie à travers son métier de guide de montagne. L’autrice décide de s’attarder sur ces retrouvailles et sur ce qu’il va émerger suite à cela. Ce retour dans le village des Alpes là où ils sont nés ne sera pas sans conséquence. On découvre ce qu’ont traversé les personnages, ce qui les ont marqués. On découvre des secrets et des non-dits. Toujours à travers une plume sensible et au plus près des émotions, Gaëlle Josse écrit un nouveau roman marquant. Qui remue. Elle parvient à donner de l’épaisseur à ses personnages, à les rendre ambivalents. Les pages défilent, les images restent. Et encore une fois c’est un régal de lire Gaëlle Josse, son écriture singulière, son sens du détail.

La nuit des pères, ed. Noir sur Blanc, 16 euros, 192 pages.

Comment écrire de la fiction ? / Lionel Davoust

Rêver, construire, terminer ses histoires.

Lionel Davoust rassemble dans ce bouquin une grande partie de l’expérience acquise lors de ses différents ateliers d’écriture, des romans qu’il a écrit ou encore des articles sur son blog sur le thème de l’écriture. L’auteur questionne avec une curiosité contagieuse les procédés d’écriture dans la fiction depuis un moment déjà. Ce livre en est un nouvel exemple. Il décortique comment un scénario peut s’agencer et comment on peut mener jusqu’à son terme un projet d’écriture. Il donne aussi quelques conseils qu’il aurait bien aimé avoir à ses débuts notamment des conseils très pratiques. C’est un livre qui ne donne pas de recettes mais qui avec un ton bien à lui renouvelle l’approche. Quelques extraits de romans, des références bibliographiques intéressantes et des schémas parsèment le tout. Un essai stimulant et que l’on a envie d’annoter régulièrement. On sent le passionné derrière la page. Un riche petit bouquin qui aborde aussi bien la question de la création que celle de l’écriture.

Comment écrire de la fiction ?, ed. Argyll, 14,90 euros, 162 pages.

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