Petit frère / Isabelle Coutant et Yvon Atonga

Comprendre les destinées familiales.

« Petit frère » d’Isabelle Coutant et d’Yvon Atonga est un livre enquête qui s’arrête sur les trajectoires de vie de deux frères. Yvon qui a grandi dans un quartier de Villiers-le-Bel dans les années 80/90 et son frère Wilfried. Le premier s’en sort et réussit ses projets alors que le second est tué lors d’un règlement de comptes en 2016. La sociologue Isabelle Coutant, qui a rencontré une première fois Wilfried lors d’un podcast quinze ans plus tôt, a souhaité reprendre leurs trajectoires pour comprendre comment l’un a pu s’en sortir alors que l’autre n’a pas pu s’écarter d’une spirale de violence. Ce livre retrace ces deux itinéraires à travers différentes interviews d’Yvon et de l’entourage des deux frères. On distingue un impact direct des politiques publiques dans la vie des quartiers, aussi bien de manière positive que négative. Pour exemple, la suppression de la police de proximité, entérinée sous Nicolas Sarkozy a eu un impact direct sur les tensions dans les quartiers. Le travail de la sociologue est important et en même temps elle laisse les acteurs parler et décrire ces parcours de vie. « Petit frère » est un livre pour comprendre, mais aussi un livre qui rend hommage.

Petit frère, ed. Seuil, 19,50 euros, 240 pages.

Tout part à la nuit / Louis Cabaret

Une mère de famille qui élève seule ses deux enfants fait une rencontre sans imaginer une seule seconde la suite.

Tiffanie élève seule ses deux enfants depuis que son conjoint est en prison suite à un braquage. Chris l’ainée de quinze ans est plutôt impulsif et a parfois du mal à se contenir, ce qui va compliquer sa scolarité au collège. Joris de son côté est plus tempéré du haut de ses sept ans. Tiffanie lutte dans ce quotidien qui ne lui fait pas de cadeau et la fatigue s’accumule. Aide-soignante, elle tente de concilier vie personnelle et vie professionnelle, mais c’est une lutte au quotidien en étant seule avec ses deux fils. Le soir d’un 14 juillet lors d’une fête, elle fait la rencontre de Marvin, un homme qui va entrer dans sa vie et qui va finir par l’aider à gérer ses enfants. La pilule passe pour Chris au bout d’un moment, mais Joris le cadet n’a de cesse de se méfier de cet homme qui est entré dans la vie de sa mère. Louis Cabaret écrit un roman noir tendu. La tension monte crescendo et on a rapidement le sentiment qu’il ne faut pas se fier aux apparences. « Tout part à la nuit » est aussi un texte qui sonne juste dans les descriptions de cette famille qui tente de continuer à vivre après l’incarcération du père et malgré les comportements marginaux des deux enfants. Curieux de lire à nouveau la plume cet auteur.

Tout part à la nuit, ed. Liana Levi, 19 euros, 208 pages.

Un jour viendra / Giulia Caminito

Deux frères dans l’Italie du début du XXe tentent de survivre entre l’émergence de la première guerre et leur famille.

Nous sommes fin XIXe début XXe, dans la région des Marches à l’Est de l’Italie. Nicola et Lupo sont deux frères confrontés à la pauvreté et aux bouleversements politiques qui agitent l’Italie de l’époque. Notamment l’émergence des mouvements anarchistes ou l’arrivée prochaine de la Première Guerre mondiale. Nella leur soeur, vit de son côté dans un couvent et ne peut plus voir sa famille. Leur père est boulanger et leur mère aveugle accouche à plusieurs reprises d’enfants mort-nés ou qui tombent malade comme une malédiction. Les deux frères ont grandi très proches, avec Lupo d’un côté, le grand frère sûr de lui qui protège son petit frère Nicola. Un petit homme frêle qui s’affirme peu. La forme du récit de l’autrice déstabilise dans un premier temps, Giulia Caminito passe d’un personnage à un autre ou d’un moment à un autre en l’espace d’un paragraphe. Ça ne facilite pas tout le temps la lecture fluide du récit, mais pour autant, on sent que ça impose un rythme singulier à cette histoire très bien écrite par ailleurs. Et qui fait la part belle aux sensations éprouvées par ses personnages. « Un jour viendra » dresse des portraits touchants et marquants. On sent une dépendance entre les deux frères qui flirte par moment avec le malsain. La famille Ceresa lutte contre la précarité à l’image du père qui tente de survivre avec sa boulangerie. Mais la famille Ceresa a aussi ses secrets et lorsque l’on découvre le drame du début du livre on comprend rapidement que ces secrets de famille vont être dévoilés à un moment ou à un autre. Giulia Caminito écrit le roman d’une famille qui traverse une période trouble et qui tente de composer avec sa pauvreté, le contexte politique de l’époque et les secrets familiaux.

Extraits : « C’est quoi la vérité qu’il ne faut pas dire à Lupo, se demanda-t-il encore en s’approchant de son lit, la vérité aurait-elle été juste, les aurait-elle sauvés ? »

« Il s’était excusé de ne pas avoir été un bon frère, le compagnon de révolte, le camarade de grève, l’ami des champs qui sait courir, sauter, grimper, affronter la vérité, mais seulement un enfant mi-tendre mi-écœurant. »

Un jour viendra, ed. Gallmeister, 22,60 euros, 288 pages.

La course des hamsters / Antonio Manzini

Un braquage qui foire et l’employé zélé d’une caisse de retraite forment un drôle de polar plutôt réussi.

Tout démarre lors d’un braquage qui tourne mal. Deux des quatre braqueurs finissent sur le carreau, le troisième réussi à s’enfuir et le dernier, René, se fait embarquer par les carabiniers. René, qui va rapidement se rendre compte qu’il est dans une merde noire, lorsque les forces de police qui l’ont arrêté le traite d’une manière inhabituelle. En parallèle à ce début de roman qui part au quart de tour, on retrouve Diego, le frère de René qui cherche du sens à ce qu’il fait dans son travail. Il travaille pour la caisse de retraite locale et voit son quotidien chamboulé lorsque l’un de ses chefs lui propose de participer à une magouille où de futurs retraités ont un rôle central. Les deux frères vont de découverte en découverte et ne sont pas sortis des ronces. Antonio Manzini écrit un polar original et qui malgré quelques passages moins réussis, préfigure un talent certain pour l’art de l’intrigue. L’auteur dépeint à merveille une ambiance italienne que l’on aime retrouver dans le roman noir. Je vais me pencher sur « Piste noire » du même auteur, plus récent et dont j’avais déjà entendu parler. Si vous voulez croiser deux losers magnifiques du côté de Rome et une dose de cynisme, n’hésitez pas à vous arrêtez sur « La course des hamsters ».

La course des hamsters, ed. Folio, 8,90 euros, 374 pages.

Le soleil des Scorta / Laurent Gaudé

Un très beau roman sur plusieurs générations, dans le sud de l’Italie.

Direction Montepuccio, un petit village du Sud de l’Italie. Tout commence en 1870 lorsqu’un brigand revient dans ce village qu’il a connu. Ce retour marque pour le lecteur la découverte d’une famille que l’on va suivre tout au long du roman jusqu’à nos jours. La famille des Scorta. Une famille riche dans un premier temps puis qui connaît la pauvreté ensuite. Laurent Gaudé décrit à merveille ce village, son atmosphère et les relations que tissent cette famille au fil des années avec les habitants du coin. Des frères aux parents en passant par les liens qui les unissent ou non au curé du village, on découvre une histoire touchante et marquante. L’histoire d’une famille pauvre du Sud de l’Italie et qui tente de survivre, en étant irrémédiablement ramenée à leur condition. Le climat rude de cette région, le soleil et la chaleur accablante ne facilitent rien. Et en même temps, cette famille qui évolue est fière de ses racines et d’avoir ce rapport à la terre. Ils ne sont pas épargnés par les épreuves de la vie et l’auteur parvient à restituer tout cela dans une langue unique, avec juste ce qu’il faut d’images. Comme dans « Eldorado » j’ai complétement été happé par ce livre et sa force d’évocation. On y retrouve des thèmes chers à l’auteur, l’exil, l’épreuve ou encore la force des relations humaines. Une très belle surprise qui me donne envie de continuer à découvrir la bibliographie de Laurent Gaudé.

Le soleil des Scorta, ed. Actes Sud, 19,30 euros, 245 pages.

Le puits / Iván Repila

Un roman inclassable qui mélange beauté et âpreté.

Tout démarre dans un puits dans lequel le lecteur découvre deux frères coincés. Le Grand et le Petit. Alors qu’ils ramènent des provisions à leur mère, ils chutent sans que l’on sache pour quelle raison au début du livre. Les deux frères vont tout tenter pour se sortir de là et un long calvaire débute, dans lequel la faim et la folie se mettent à graviter petit à petit autour des deux personnages. Ce court roman est un huit-clos surprenant, qui fait ressentir aux lecteurs les sensations les plus désagréables comme rarement. Iván Repila avec une concision redoutable fait passer le lecteur par tous les états. En parallèle et sans alourdir le récit, il convoque à travers les pensées du Petit et du Grand de nombreuses images liées à l’enfermement, à ce que peut représenter l’humanité, la survie. Le puits est une expérience de lecture et un livre bien plus dense qu’il n’en a l’air. Impressionnant.

Traduit par Margot Nguyen-Béraud.

extrait : « L’orage éclate à l’instant où la mort se présente au bord du puits. »

Le puits, ed. Points, 6,10 euros, 128 pages.

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