Murène / Valentine Goby

Un roman sur le rétablissement d’un homme et qui laisse à penser sur la réception du handicap dans la société d’après guerre.

L’intrigue se déroule dans les années 50, ce qui correspond aux débuts de l’handisport. François, le personnage de Valentine Goby, est amené dans les premiers temps du livre à se rendre dans les Ardennes en camion pour y travailler sous la neige. Le camion tombe en panne et François en allant chercher de l’aide se retrouve à monter sur un wagon pour repérer un village aux alentours. C’est là que l’accident arrive et que le jeune homme de vingt-deux ans est électrocuté par la ligne à haute tension. Il s’en sortira avec un handicap physique en perdant ses deux bras. L’autrice à partir de cet évènement marquant développe la vie d’un homme qui tente de se construire avec un handicap, dans une société qui stigmatise et ne facilite rien. François lutte pour retrouver une vie normale, sa famille et ses proches tentent de l’aider et le livre a aussi de très beaux passages sur le rôle des aidants. L’écriture de Valentine Goby est au plus près du corps, de la chair. On sent que la romancière a accumulé de la documentation et que rien n’est laissé au hasard dans les descriptions cliniques de la guérison, du rétablissement, de la vie sans ses deux bras. Jusqu’au jour où François se rapproche d’une amicale de sportifs qui ont la particularité d’être aussi porteurs d’un handicap comme lui. C’est le début d’une nouvelle période importante de sa vie dans laquelle il va redécouvrir son corps et son rapport au monde à travers l’activité physique. Pour cela il choisit la natation qui aux premiers abords lui semble dangereuse et compliquée. Un sport qui sera ensuite une vraie révélation pour avancer au quotidien. Le lecteur perçoit alors petit à petit le lien qui se tisse avec les prémices de l’handisport en France. « Murène » est un très beau roman aboutit sur la question du handicap et du corps, sur ce que cette question charrie dans la société française d’après guerre notamment avec les blessés de guerre. Les descriptions sont cliniques, les sensations des personnages sont palpables.

Murène, ed. Actes Sud, 21,80 euros, 384 pages.

Dernier tour lancé / Antonin Varenne

La vie d’un jeune motard surdoué, dopé à l’adrénaline.

Antonin Varenne est revenu très fort l’année passée avec « Dernier tour lancé », un roman noir haletant dans l’univers de la moto GP. Un monde où l’argent et l’image sont rois et où seule la victoire compte. Julien est jeune et c’est un véritable prodige de la moto depuis tout petit. Pendant une course au Mans il percute deux adversaires, un motard reste paralysé et l’autre meurt. Julien entame alors du haut de ses 25 ans une longue convalescence, aussi bien physique que psychologique. L’aura qui l’entoure n’est plus la même et sa jeune carrière prometteuse marque un coup d’arrêt. Il peut tout de même compter sur le soutien inconditionnel de son père avec qui il vit et Julien finit par se rapprocher progressivement d’un retour sur les circuits. Dans le même temps, il rencontre deux personnages qui vont le suivre dans ce retour. Une psychiatre qui l’a aidé à traverser son accident et un peintre borderline rencontré dans la clinique là où il a été suivi. On sent bien que ses soutiens inédits ne seront pas de trop et que Julien va ramer pour retrouver son niveau. Reste à savoir s’il y parviendra.

L’auteur comme à son habitude écrit un roman prenant, avec des personnages qui se complexifient au fil de l’intrigue. Les excès des mondes qu’il explore sont toujours au centre du propos. Ici, un monde de vitesse où les sponsors dominent les prises de décision et où les motards finissent par être des pions. Antonin Varenne à travers la clique qui entoure Julien aborde différents thèmes, notamment la psychiatrie ou les travers moins avouables du sport de haut niveau. Derrière ces stars adulées et connues de tous, on trouve aussi des femmes et des hommes qui luttent paradoxalement contre une solitude qui les fait grandir souvent bien plus vite qu’ils ne le souhaiteraient. On distingue au fil du roman des réflexions sur la mécanique et la moto tout aussi intéressantes, notamment les réflexions sur le rapport au travail manuel qui peuvent faire penser à « Éloge du carburateur » de Crawford. Un essai qui contraste avec le monde de paillettes des motos GP puisqu’il questionne l’importance du travail manuel (et de la mécanique par exemple) pour se recentrer sur soi.

Sombre et d’un réalisme qui marque dès les premières pages, « Dernier tour lancé » est une claque. Un peu comme dans « Jeu blanc » de Richard Wagamese avec le hockey, on connait peu la discipline moto GP et on se laisse pourtant complètement emporter par les scènes de courses et l’intrigue.

extraits : « Nous voulons tous gagner. Parce que c’est tout ce qu’on leur apprend. Papa dit : Tu vas gagner. Papa ne dit pas au fiston : Je t’assoie à cinq ans sur une moto pour qu’à vingt tu sois un monstre de solitude. »

« Aux abrutis le spectacle,
aux animaux la guerre
et la politique au tumulte,
expliqués par des perles bien enfilées. »
(jolies références à des romans noirs dans cet extrait)

Dernier tour lancé, ed. La manufacture de livres, 21,90 euros, 416 pages.

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