Ce qu’il nous faut c’est un mort / Hervé Commère

Un ville en Normandie vit au rythme d’une usine jusqu’à la menace de la délocalisation.

Tout commence la nuit du 12 juillet 1998 lors de la finale de la coupe du monde. Une soirée mémorable, mais pas pour tout le monde, vous allez le découvrir pour certains personnages. Dans ce polar social très bien construit comme c’est souvent le cas chez Hervé Commère, direction un petit village de Normandie qui vit en grande partie grâce à une usine, les ateliers « Cybelle ». Des ateliers qui confectionnent de la lingerie et qui font vivre une grande partie de la région depuis l’après-guerre, en octroyant de nombreux emplois pour la population aux alentours. Oui, mais voilà depuis peu, comme dans de nombreux cas un fonds de pension décide de mettre le nez dans les affaires de l’usine essayant de la racheter (le risque de délocalisation se précise). Les personnages que l’on découvre au début du roman pendant cette fameuse nuit en 98 vont être amenés à se recroiser des années plus tard alors que l’on apprend que ce rachat de l’usine est en jeu. L’auteur écrit un roman noir qui rend hommage aux luttes ouvrières et on voit passer les époques et les enjeux qui vont avec. Les trajectoires personnelles des uns croisent les trajectoires collectives des autres. « Ce qu’il nous fait, c’est un mort » offre un bon moment de lecture, qui questionne avec justesse les luttes sociales en cours un peu à la manière de Nicolas Mathieu dans « Aux animaux de la guerre ».

Ce qu’il nous faut, c’est un mort, ed. Pocket, 8,60 euros, 440 pages.

Plexiglas / Antoine Philias

Deux personnages vivent en périphérie de Cholet et tentent de s’en sortir avec de petits boulots.

On découvre un duo qui va vite devenir attachant pour le lecteur dans ce livre d’Antoine Philias. D’un côté Elliot qui du haut de ses trente ans décide de revenir dans la ville de son enfance pour y chercher du travail. Il loge dans la maison vide de son grand-père non loin de la ville sur un bord de route. Une banlieue qui vit au rythme des voitures et des centres commerciaux. De l’autre côté on a Lulu qui a soixante ans et bosse en tant que caissière chez Carrefour. Les deux vont finir par se rencontrer et lier une très belle amitié. L’auteur décrit avec beaucoup de justesse les mondes du travail dont il est question, que ce soit la grande distribution ou tous les emplois qui gravitent autour. Les personnages ont un humour noir, un ton désabusé, mais aussi une lucidité rare. On se laisse porter par la plume de l’auteur et par les alternances entre les scènes de la vie quotidienne à pôle emploi, dans la galerie marchande, dans une EHPAD ou dans la galerie marchande. J’ai particulièrement été touché par les scènes dans la maison de retraite et le regard acéré et réaliste de l’auteur sur l’accueil des résidents et les conditions de travail des personnels. Un bouquin qui marque plein d’humanité.

Plexiglas, ed. Asphalte, 21 euros, 240 pages.

Les Salauds devront payer / Emmanuel Grand

Une histoire de vengeance très bien amenée dans une bourgade du nord de la France.

Direction une petite ville du Nord pas loin de Valenciennes où le chômage est roi. Une jeune fille est retrouvée assassinée dans un terrain vague et tout porte à croire que ce meurtre est lié à un règlement de compte. En effet, une boîte du coin diversifie ses activités en proposant des prêts aux particuliers pour remplacer les banques. Sauf que lorsque le particulier en question rencontre des difficultés à rembourser son prêt, les choses peuvent facilement dégénérer avec une équipe de gros bras dans le secteur. Les choses ne sont pas si simples autour de cet assassinat et l’auteur prend le temps d’inscrire son intrigue en lien avec un passé trouble, de la guerre d’Indochine à la fermeture d’une usine importante de la région dans les années 80, le lecteur n’est pas au bout de ses surprises. On est typiquement dans une veine de polar social, l’auteur prend le temps de décrire l’environnement et l’atmosphère, tout en portant sa focale sur les marges et ce qui laisse des traces à travers les générations. Notamment les conditions de travail des ouvriers et les luttes syndicales. À travers une galerie de personnages réussie et une enquête que l’on a beaucoup de plaisir à suivre, Emmanuel Grand écrit un roman noir aboutit qui ne s’essouffle pas un seul instant. J’avais beaucoup aimé Kinsanga et Terminus Beltz. Une nouvelle fois je vous conseille ce roman noir et cette virée dans le nord de la France.

Les Salauds devront payer, ed. Le livre de poche, 7,90 euro, 480 pages.

En Amazonie / Jean-Baptiste Malet

Un essai édifiant, dans les méandres d’une usine d’Amazon.

Jean-Baptiste Malet candidate dans une agence d’intérim qui fournit en partie la main-d’œuvre du géant Amazon en France. Le journaliste décide de se faire embaucher pour y voir plus clair, notamment les conditions de travail ou encore le fonctionnement interne de l’entreprise. Il y parvient et débute son nouvel emploi sur le site de Montélimar, un énorme hangar qui ne laisse rien transparaitre si ce n’est un logo de la firme sur la façade et un incessant ballet de camions qui entrent et qui sortent de l’usine. Voilà pour la base de ce livre plein d’enseignements. On y apprend beaucoup de choses et en même temps Jean-Baptiste Malet a le sens de la synthèse. Amazon menace les métiers du livre et les librairies pour différentes raisons, mais il n’y a pas que cela. On se rend rapidement compte que les conséquences de son succès ne s’arrêtent pas au monde du livre. « En Amazonie » est un petit bouquin terriblement d’actualité qui donne à réfléchir sur nos façons de consommer.

En Amazonie, ed. Pluriel, 7,50 euros, 208 pages.

Le Quai de Ouistreham / Florence Aubenas

Un reportage sur les marges.

Florence Aubenas se rend à Caen pour y réaliser un reportage sur la précarité et le chômage. Pour cela, elle s’inscrit à Pôle emploi avec un niveau bac, change son apparence et enchaine ensuite de courtes missions pendant quasi 6 mois, début 2009. C’est le premier livre que je lis de la grande reporter et l’autrice a un talent certain pour décrire les tranches de vie sans position surplombante, sans tomber dans les clichés. Elle relate ce qu’elle a vécu, les rencontres, les missions de quelques heures qui s’enchainent, la fatigue omniprésente ou encore les regards que l’on porte sur les agents d’entretien, sur ses collègues, sur elle. Des femmes pour la plupart, invisibilisées. C’est un reportage plein d’humanité, réaliste et parlant. Chaque collègue qu’elle rencontre parvient à se créer des petits moments en forme de soupape dans ce quotidien précaire et difficile. Florence Aubenas capte ces moments et c’est aussi ce qui fait la qualité de ce reportage important sorti en 2010 et aux thèmes toujours d’une actualité criante.

Le Quai de Ouistreham, ed. Points, 7 euros, 264 pages.

Rafael derniers jours / Grégory McDonald

Un court roman noir à mi chemin entre le tragique et la beauté.

Rafael doit gagner de l’argent pour que sa famille survive et pour ça il doit impérativement trouver un boulot. Lorsqu’il tombe sur une étrange offre il se lance quand même et ne se doute pas une seconde dans quel engrenage il a mis les pieds. Un engrenage sordide qui nécessite même un avertissement en début d’ouvrage de la part de l’auteur. La suite va s’avérer plus compliquée que prévu pour ce personnage sensible et marginal. On suit les péripéties sur quelques jours du jeune homme déjà bien abimé par la vie et par la pauvreté. Un court roman qui sonne dans son réalisme cru et qui en même temps est particulièrement touchant. Les dialogues percutent, les scènes sont courtes et on pense aux paumés de Larry Brown à certains moments. C’est un sacré roman noir. Une lecture que je ne regrette pas d’avoir déterrée de la bibliothèque.

Rafael derniers jours, Ed. 10/18, 7,10 euros, 192 pages.

La scierie / Anonyme

Un bourgeois se met à travailler dans plusieurs scieries en attendant d’être enrôlé dans la marine. Un récit au plus près des ouvriers.

C’est l’histoire d’un jeune bourgeois de 18 ans qui attend d’être enrôlé dans la marine. Il cherche du travail pendant ce temps et en trouve dans plusieurs scieries. C’est à travers ce livre qu’il raconte ces deux années de dur labeur. Avec une plume précise et une économie de mots on retrouve une très belle description du monde ouvrier avec tout ce que cela charrie de rudesse et d’images. J’ai pensé à certains moments à la justesse de Joseph Ponthus dans les descriptions, dans la restitution des sensations. On suit la métamorphose d’un homme durant ces deux années éprouvantes. Un court roman en forme d’uppercut pour le lecteur. Étonnant.

La scierie, Ed. Héros-Limite, 18 euros, 144 pages.

L’Homme à la bombe / Christian Roux

La souffrance au travail mène à tout, en voici une singulière illustration.

À mi-chemin entre « Le couperet » de Donald Westlake et « Les visages écrasés » de Marin Ledun, Christian Roux écrit avec ce polar court et très efficace, une histoire sur la machine à broyer que peut représenter le chômage ou le travail. L’auteur retranscrit ici la vie d’un homme qui s’effrite et qui tente de ne pas sombrer face à ce mélange de racisme, de stigmatisation et de précarité auxquels il est confronté au quotidien lorsqu’il se met à chercher un emploi.

Larry est père de famille et ingénieur du son jusqu’au jour où il perd son emploi. Lassé par cette vie où il vadrouille d’entretien d’embauche en entretien d’embauche pour y subir des échecs à répétition, il décide de fabriquer une bombe. Oui rien que ça. Cette idée incongrue qui l’extrait de sa routine va finir par le mener bien plus loin qu’il ne le pense. La suite est un véritable roadmovie où ses convictions vont vaciller. Christian Roux nous offre avec « L’homme à la bombe » un très beau roman noir plein de réflexions sur ce qui fait sens ou non dans la vie de chacun.e.

L’homme à la bombe, Ed. Rivages, coll. Rivages noir, 7 euros, 160 pages.

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