La mémoire délavée / Nathacha Appanah

Un livre poignant sur les ancêtres de la romancière.

L’autrice découvre la vie des coolies au XIXe siècle à l’ile Maurice en partant du parcours de ses aïeux. Des aïeux faisant partie des coolies qui ont remplacé les esclaves noirs après l’abolition de l’esclavage. À travers un travail documentaire fouillé et en remontant les générations, Nathacha Appanah découvre dans des archives l’existence de ses aïeux qui partent d’un village en Inde en 1872 pour rejoindre l’ile Maurice. La grande histoire croise celle de la famille de l’autrice dans ce récit touchant et très bien écrit. L’esclavage a été aboli, mais les conditions dans lesquelles travaillent les coolies sont dégradantes et déshumanisantes. À commencer par le numéro qui leur est attribué dès leur arrivée dans le port de Port-Louis. On retrouve toute la sensibilité et la juste distance de l’autrice dans ce récit personnel. Son arrière-grand-père travaillait la terre tout comme son grand-père. La figure de ce dernier prend notamment une grande place dans le livre. On sent qu’il a été une personne importante dans sa vie et dans sa jeunesse lorsque Nathacha Appanah remonte ses souvenirs. Un livre à part dans la bibliographie de l’autrice et encore une fois un gros coup de cœur.

La mémoire délavée, ed. Mercure de France, 17,50 euros, 160 pages.

Les détectives sauvages / Roberto Bolano

Un classique de l’auteur Chilien à découvrir.

Juan García Madero décide de quitter ses études de droit pour consacrer tout son temps à la poésie. C’est comme ça que l’on découvre le début de l’épopée d’un personnage qui va rencontrer d’autres poètes et voyager à travers plusieurs continents en partant de Mexico. Juan García Madero rencontre alors Ulises Lima et Arturo Belano, deux autres personnages considérés comme les chefs de file d’un singulier mouvement, les réal viscéralistes. Les trois compères partent à la recherche d’une poétesse mythique et on suit une multitude de témoignages de personnages qui les ont côtoyés ou non. Dans ce roman-fleuve qui multiplie les voix, l’auteur décrit à la fois des sociétés en mutation et des personnages qui traversent les années entre les années 70 et les années 90. On se laisse porter par une écriture singulière même en étant un peu déstabilisé au début par les nombreux personnages qui défilent. Une expérience de lecture.

Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio.

Les détectives sauvages, ed. Points, 11,50 euros, 944 pages.

Soleil amer / Lilia Hassaine

Suivre une famille algérienne qui arrive en France dans les années 50 et qui assiste aux mutations du pays durant les décennies suivantes.

Tout débute à la fin des années 50 lorsqu’une mère de famille élève seule ses trois enfants en Algérie. Naja voit son mari Saïd partir en France pour travailler dans une usine Renault. On suit alors l’évolution de cette famille lorsque Saïd gagne assez d’argent pour faire venir sa famille en France. Malheureusement les choses ne vont pas être si simples pour la famille. Naja attend un nouveau bébé mais le couple ne peut plus se permettre d’avoir un nouvel enfant financièrement. Le lecteur voit la cellule familiale réagir à tous ces évènement et les années passent tant bien que mal. Mai 68 puis les années 70 et 80. On découvre l’accueil de cette famille algérienne en France et en même temps toutes les embuches, préjugés et comportements racistes qu’ils rencontrent. L’autrice s’attarde sur une société française en mutation en partant du point de vue d’une famille algérienne.

Soleil amer, ed. Folio, 7,50 euros, 192 pages.

Continuer / Laurent Mauvignier

Une mère embarque son fils dans un voyage pour renouveler la relation avec lui.

« Continuer » c’est l’histoire d’une mère et de son fils. Mais surtout d’une mère qui tente un dernier coup pour venir en aide à son fils, pour essayer de le comprendre. Samuel est un adolescent déscolarisé et il a toute une panoplie de difficultés sociales qui font de son quotidien une galère. Sa mère qui n’a plus la main sur grand chose décide de tout claquer et de vendre sa maison pour financer un voyage. Les deux personnages se retrouvent alors embarqués dans un singulier voyage dans les montagnes du Kirghizistan. Un voyage à cheval qui va leur permettre de côtoyer des moments de grâce mais aussi des moments beaucoup plus difficiles, âpres. Sous la plume de Laurent Mauvignier on se laisse embarquer dans ce roman touchant qui décortique la relation entre une mère qui a du mal à se faire entendre de son fils et son fils justement qui se braque. Samuel a très vite du mal à comprendre les finalités d’un tel voyage même si comme sa mère il aime monter à cheval. On sent tout de suite qu’une telle décision pour Sybille ne va pas être sans conséquence et la suite du périple va nous donner raison. Laurent Mauvignier a un ton bien à lui. Cette façon de restituer les émotions, de s’attarder sur les gestes des personnages. Ajoutez à cela de très belles descriptions des paysages, de la nature et vous avez un très beau roman. J’avais découvert Laurent Mauvignier avec une première claque, « Histoires de la nuit ». Sans forcément retrouver le même souffle j’ai pris autant de plaisir à lire celui-ci.

Continuer, ed. de Minuit, 18 euros, 240 pages.

Trois lucioles / Guillaume Chamanadjian

Capitale du Sud, tome 2.

On retrouve Nohamux alias Nox, l’épicier dans ce second volet de la trilogie « Capitale du Sud ». Un personnage débrouillard et attachant que l’on a découvert dans « Le sang de la cité » le premier tome. Guillaume Chamanadjian poursuit sur sa lancée avec « Trois lucioles » et l’intrigue va dépasser les murs de la ville dans ce second roman rythmé. Moins contemplatif que le premier mais toujours aussi bien amené, ce roman de fantasy démontre une nouvelle fois tout le talent de l’auteur pour les dialogues et pour la construction de son univers. Le Duc Servaint, celui qui a élevé le jeune commis d’épicerie est en danger et plus d’un personnage veut sa peau. Nox, qui a développé des compétences redoutables (notamment lorsqu’il passe dans son monde parallèle mais instable) est missionné pour l’éliminer. Il se retrouve face à un dilemme et c’est un des multiples choix que le personnage va devoir faire. La cité de Gémina dans laquelle il vit, voit les tensions se multiplier. Nox essaie d’y voir clair dans les différentes intrigues qui régissent la ville et ses clans mais c’est loin d’être une partie de plaisir. On sent que des évènements tragiques guettent et on est pris par l’histoire de cette suite, encore plus enlevé que le premier tome. Une nouvelle réussite à découvrir.

Trois lucioles, ed. Aux forges de Vulcain, 20 euros, 416 pages.

Voyage au bout de l’enfance / Rachid Benzine

La vie d’un enfant bascule lorsque ses parents quittent la France pour la Syrie.

Un jeune enfant dans une école de Sarcelles est passionné de poésie. Un jour, il est amené à présenter ses poèmes à sa classe et il n’a qu’une hâte, partager ses écrits. Il n’aura jamais l’occasion de les présenter car ses parents décident de partir la veille rejoindre Raqqa en Syrie et l’Etat Islamique. Ils emmènent leur fils avec eux et Fabien qui n’a rien vu venir ne comprend plus rien. Du jour au lendemain sa vie change et une fois la colère passée, l’incompréhension le frappe de plein fouet. Il va vivre à sa hauteur ce que représente le fait d’être un enfant dans l’Etat Islamique. Rachid Benzine restitue ce regard dans ce court roman poignant. L’auteur s’efface derrière son personnage, un personnage témoin des désillusions de ses parents. Fabien découvre l’horreur et va tenter de surnager, notamment à travers sa passion pour la poésie.

Voyage au bout de l’enfance, ed. du Seuil, 13 euros, 84 pages.

Beyrouth-sur-Seine / Sabyl Ghoussoub

Un roman qui tend vers l’introspection avec en toile de fond la guerre du Liban.

Le journaliste franco-libanais se penche sur le passé de ses parents, une vie qui débute au Liban puis qui doit faire face à la guerre à partir de 1975. Avec une plume sensible, on découvre comment la guerre du Liban a été vécue par les Libanais et notamment sa famille, qui arrive ensuite en France. Un récit documenté, avec de courts chapitres. On est touchés par l’histoire de la famille du narrateur qui se cherche entre une France stigmatisante et un pays en guerre qui s’effrite sous leurs yeux et qui n’est plus que l’ombre de lui même. On voit comment les parents réagissent lorsque l’auteur souhaite creuser leurs passés pour ce livre. Des choses ressortent, des sentiments se mélangent, le père et la mère n’ont pas les mêmes réactions face à des souvenirs qui refont surface. L’auteur ne passe pas à côté des ambivalences que sa démarche fait émerger auprès de ses proches. « Beyrouth-sur-Seine » est un très beau bouquin de Sabyl Ghoussoub, teinté de nostalgie. Un texte fort sur la filiation.

Beyrouth-sur-Seine, ed. Stock, 20,50 euros, 320 pages.

Inestimable / Zygmunt Miloszewski

Un récit haletant et rythmé qui fait voyager de Paris à Abidjan.

Tout démarre dans une quête à la Indiana Jones. Zofia est une directrice de musée de renom qui va s’associer en début de roman à Bogdan, un scientifique taciturne et mystérieux. Les deux personnages se lancent dans une aventure qui débute sur l’île de Sakhaline, un environnement plutôt hostile, et qui doit permettre de mettre la main sur une collection d’artefacts. Le lecteur se retrouve petit à petit au milieu d’un conflit de plus grande ampleur entre grandes firmes pharmaceutiques et des scientifiques indépendants. Ce polar rythmé et très bien documenté permet de faire le plein de péripéties en tout genre, d’une attaque de pirate en pleine mer à une drôle de de rencontre avec un ours en passant par une course poursuite en plein Paris. On ne s’ennuie pas une seconde sans tomber dans certains clichés sur les scènes d’action. Zygmunt Miloszewski recoupe plusieurs thématiques contemporaines dans son bouquin, notamment des réflexions intéressantes sur l’espérance de vie, la maladie ou le climat. L’auteur a le bon dosage je trouve entre action et scènes plus posées. « Inestimable » est une belle surprise, un polar haletant teinté d’humour noir.

Inestimable, ed. Fleuve Noir, 21,90 euros, 492 pages.

Vivance / David Lopez

Les rencontres d’un cycliste voyageur, sous la plume singulière de l’auteur de « Fief ».

Teintée d’une poésie unique, l’écriture de David Lopez apporte à ses histoires une saveur singulière. Après « Fief » qui avait été un premier coup de coeur, je trouve « Vivance » tout aussi réussi. Le narrateur est à vélo à travers la campagne et avance au fil des rencontres. On suit sa façon d’appréhender le monde, à travers un regard aiguisé sur ses pairs, mais aussi sur ses souvenirs. « Vivance » est un peu comme une déambulation en pleine nature, une déambulation qui sonne juste, sans blabla. Au premier abord avec le pitch, un cycliste voyageur qui traverse des petits bourgs dans une campagne reculée, on a du mal à se dire que l’auteur va tenir 250 pages et pourtant ça passe tout seul. Et c’est aussi ça qui fait tout le sel des romans de David Lopez, une langue à part, des personnages que l’on découvre au fil du roman et que l’on a envie de suivre. Une épaisseur derrière les façades. Et toujours la petite touche d’humour qui va bien.

Vivance, ed. Seuil, 19,50 euros, 288 pages.

Paris-Brest / Tanguy Viel

Une lutte des classes au sein même d’une famille.

On entre dans l’intimité d’une famille dans ce roman de Tanguy Viel. Un roman étonnant qui tend vers le roman noir, dans lequel une famille se délite et où l’un des deux fils est le narrateur de l’histoire. C’est bien amené lorsque l’auteur aborde les relations entre parents et enfants. Tout commence à Brest lorsqu’un vieux bonhomme décide de léguer à la grand-mère du narrateur toute sa fortune après sa mort. 18 millions. Rien que ça. Le lecteur n’a plus qu’à découvrir ensuite les non-dits et autres secrets qui vont découler de cet évènement. Chacun se jauge et cherche à savoir ce que l’autre pense. Les personnages sont réussis à commencer par le narrateur qui décide de coucher tout cela sur papier pour y voir plus clair. On se retrouve alors avec une histoire dans l’histoire. Tanguy Viel écrit avec Paris-Brest un roman prenant et malin.

Paris-Brest, ed. de Minuit, 14,20 euros, 192 pages.

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