Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri / Valerio Varesi

Onzième enquête du commissaire Soneri, toujours un régal.

Ils ne sont pas si nombreux les personnages que l’on a hâte de retrouver. Des personnages avec lesquels on est quasi sûr de retrouver une atmosphère singulière, un truc difficile à cerner, mais reconnaissable dès les premières pages. On récupère le bouquin et neuf fois sur dix on sait que l’on va se régaler. Le commissaire Soneri de Valerio Varesi en fait partie et on peut remercier les éditions Agullo pour la découverte. Dans « Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri », déjà onzièmes enquêtes du commissaire, un jeune homme est retrouvé pendu dans un vieux hôtel, puis peu de temps après un autre homme, Boselli, ancien leadeur charismatique du mouvement du soixante huit parmesan, subit une attaque au couteau devant chez lui qui va lui couter la vie. Le commissaire commence ses recherches et une partie de son propre passé commence à remonter à la surface. Les convictions politiques ressurgissent, tout comme les contradictions de chacun et chacune. L’intrigue entraine le lecteur d’une fausse piste à une autre avec juste ce qu’il faut de descriptions pour immerger le lecteur dans Parme et ses environs. On entre dans la psyché torturée, mais lucide de Soneri. Une nouvelle master class de Valerio Varesi qui mène toujours aussi bien sa barque dans le roman noir italien.

Un jour viendra / Giulia Caminito

Deux frères dans l’Italie du début du XXe tentent de survivre entre l’émergence de la première guerre et leur famille.

Nous sommes fin XIXe début XXe, dans la région des Marches à l’Est de l’Italie. Nicola et Lupo sont deux frères confrontés à la pauvreté et aux bouleversements politiques qui agitent l’Italie de l’époque. Notamment l’émergence des mouvements anarchistes ou l’arrivée prochaine de la Première Guerre mondiale. Nella leur soeur, vit de son côté dans un couvent et ne peut plus voir sa famille. Leur père est boulanger et leur mère aveugle accouche à plusieurs reprises d’enfants mort-nés ou qui tombent malade comme une malédiction. Les deux frères ont grandi très proches, avec Lupo d’un côté, le grand frère sûr de lui qui protège son petit frère Nicola. Un petit homme frêle qui s’affirme peu. La forme du récit de l’autrice déstabilise dans un premier temps, Giulia Caminito passe d’un personnage à un autre ou d’un moment à un autre en l’espace d’un paragraphe. Ça ne facilite pas tout le temps la lecture fluide du récit, mais pour autant, on sent que ça impose un rythme singulier à cette histoire très bien écrite par ailleurs. Et qui fait la part belle aux sensations éprouvées par ses personnages. « Un jour viendra » dresse des portraits touchants et marquants. On sent une dépendance entre les deux frères qui flirte par moment avec le malsain. La famille Ceresa lutte contre la précarité à l’image du père qui tente de survivre avec sa boulangerie. Mais la famille Ceresa a aussi ses secrets et lorsque l’on découvre le drame du début du livre on comprend rapidement que ces secrets de famille vont être dévoilés à un moment ou à un autre. Giulia Caminito écrit le roman d’une famille qui traverse une période trouble et qui tente de composer avec sa pauvreté, le contexte politique de l’époque et les secrets familiaux.

Extraits : « C’est quoi la vérité qu’il ne faut pas dire à Lupo, se demanda-t-il encore en s’approchant de son lit, la vérité aurait-elle été juste, les aurait-elle sauvés ? »

« Il s’était excusé de ne pas avoir été un bon frère, le compagnon de révolte, le camarade de grève, l’ami des champs qui sait courir, sauter, grimper, affronter la vérité, mais seulement un enfant mi-tendre mi-écœurant. »

Un jour viendra, ed. Gallmeister, 22,60 euros, 288 pages.

Jean-Claude Izzo / Stefania Nardini

Histoire d’un Marseillais.

J’avais hâte de découvrir la seconde biographie de l’auteur marseillais écrite par Stefania Nardini. Un joli petit bouquin avec des illustrations et dans lequel on découvre la vie de l’auteur sous la plume de l’autrice mais aussi à travers les mots de ses proches. Jean-Claude Izzo était un auteur de roman noir engagé lorsqu’il travaillait en tant que journaliste notamment au quotidien « La Marseillaise ». Questionner la vie de l’auteur c’est aussi parler de la ville de Marseille, de sa région. Un environnement à la base de sa trilogie avec son fameux personnage Fabio Montale. Des polars à l’atmosphère unique que je vous invite à lire ou à relire si vous ne connaissez pas. Les romans noirs de Jean-Claude Izzo abordent des questionnements politiques, sentent bon la bonne cuisine ou encore sont prenants dans leurs intrigues. Cette biographie permet d’approfondir l’univers de l’auteur et c’est un vrai plaisir de lecture.

Jean-Claude Izzo – Histoire d’un Marseillais, ed. des Fédérés, 15 euros, 136 pages.

Sans collier / Michèle Pedinielli

Diou dans ses œuvres.

Ghjulia Boccanera est de retour pour notre plus grand plaisir et on ne va pas se mentir on avait hâte de la retrouver. Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore rencontré, Ghjulia Boccanera alias « Diou » est une quinqua détective privée qui habite le Vieux Nice avec son coloc’ Dan. Ce dernier est un vrai oiseau de nuit et tient une galerie d’art le reste du temps. Honnêtement c’est difficile de ne pas s’attacher à ce personnage que je trouve particulièrement réussi depuis « Boccanera », le premier roman noir de Michèle Pedinielli avec la première apparition de Diou. Elle a une répartie d’enfer et n’est jamais bien loin lorsqu’il s’agit d’aller manifester contre le dernier projet absurde de la ville dans laquelle elle vit. Entourée d’une troupe de joyeux drilles que l’on retrouve de bouquin en bouquin, on ne peut qu’adhérer aux aventures de Diou. « Sans collier » ne fait pas exception, on est pris dans l’intrigue, dans ce juste dosage entre humour, moments plus dramatiques et ambiance niçoise bien propre aux polars de l’autrice. Dans ce dernier roman, il semblerait que des accidents du travail ne soient pas déclarés dans les règles de l’art sur un grand chantier niçois. Le gérant de la société de BTP qui s’occupe du chantier décède peu de temps après d’une crise cardiaque et un ouvrier disparait. Diou décide de mettre le nez dans l’affaire pour comprendre ce qu’il se cache derrière tout ça. En parallèle à cette première narration, l’autrice raconte l’histoire de Ferdi un SDF que Diou a rencontré dans un livre précédent. Ferdi a fait partie par le passé des « cani sciolti », les chiens sans collier, des groupes en Italie dans les années 70 qui ne souhaitaient faire partie d’aucune organisation politique. Le passé et le présent s’imbriquent parfaitement dans ce nouveau roman noir entre Nice et Bologne.

Sans collier, ed. de l’Aube, 18,90 euros, 256 pages.

Rien, plus rien au monde / Massimo Carlotto

Un roman coup de poing sur une famille touchée par la précarité de plein fouet.

La narratrice raconte sa vie de famille prolétaire à Turin, son mari a perdu son job chez Fiat et les fins de mois sont compliquées. Ajoutez à cela des tensions avec sa fille de 20 ans et vous avez le tableau complet. Massimo Carlotto manie l’art du roman noir avec beaucoup de talent et c’est encore le cas dans ce court roman qui dresse le portrait d’une société Italienne peu reluisante. On sent que la mère de famille est prise dans un engrenage et on le comprend au fil des pages. Le racisme, la précarité et le statut des femmes dans une société italienne qui déraille sont abordées. En peu de pages l’auteur dresse un polar réaliste et redoutable.

Rien, plus rien au monde, ed. Métailié, 6 euros, 72 pages.

Le lynx / Silvia Avallone

Le récit tendu d’une rencontre improbable.

Une voiture roule à pleine vitesse sur les routes italiennes, quelque part dans la pleine du Pô. Le personnage a son bord décide de s’arrêter dans une station service au milieu de la nuit. Plutôt sanguin et habitué à braquer des caissiers, il se laisse porter par l’humeur du moment. C’est là qu’il fait une rencontre, qui à cette heure de la nuit apparaît tout de suite surprenante. Dans ce court roman tendu qui se lit d’une traite, Silvia Avallone décrit une singulière rencontre dans la vie de Piero, le voleur qui tente de s’extraire de son quotidien morose avec des braquages. Cette rencontre va le bouleverser et la plume de l’autrice le restitue très bien.

Le lynx, Ed. Liana Levi, 5 euros, 64 pages.

La Maison du commandant / Valerio Varesi

Une nouvelle enquête le long du fleuve Pô de l’incontournable inspecteur Soneri.

Au début du roman le commissaire est envoyé par son chef sur les bords du Pô, le fleuve Italien. Il doit surveiller les pêcheurs et autres braconniers du coin dans cette région, appelée la Bassa. Une découverte macabre l’attend, un pêcheur hongrois est retrouvé mort. C’est le début d’une nouvelle enquête dans laquelle les idées arrêtées de chacun à commencer par celles de Soneri lui-même vont être mises à mal. Le commissaire fait face à tout une communauté qui stigmatise les étrangers et cache ses petits secrets. On retrouve une atmosphère, un rythme singulier dans la narration et une mélancolie comme souvent dans les polars de Varesi. Sur les bords du fleuve et dans une brume inquiétante, le lecteur va tenter de comprendre les magouilles et autres conflits qui régissent la pêche et la vie de ce coin retranché. C’est toujours un plaisir de retrouver le dottore Soneri, son goût pour la bonne nourriture et son regard sur le monde. Un personnage attachant qui donne tout de suite envie de se replonger dans un autre roman de l’auteur.

Un extrait, les mots d’un ami du commissaire : « Si les délinquants gouvernent, alors moi aussi, je fais ce que je veux. C’est très pratique : chacun devient arbitre et établit ses propres règles. Qui peut l’empêcher ? Toi, le flic ? Qui tu représentes ? Tu t’es déjà posé la question ? chargea Nocio le regard brûlant. De qui tu es le gendarme ? Tu le sais ou tu le sais pas que tu es payé par ceux qui font les guerres et qui affament les peuples ? »

La Maison du commandant, ed. Agullo, 21,50 euros, 306 pages.

L’Illusion du mal / Piergiorgio Pulixi

Un roman noir sur la puissance des médias et de l’opinion public. Une découverte.

J’ai découvert un peu au hasard ce bouquin à la bibliothèque et je ne regrette pas d’avoir croisé Piergiorgio Pulixi. Une ambiance italienne, une histoire bien sombre et deux enquêtrices à la personnalité affirmée, on ne s’ennuie pas une seule seconde dans ce roman noir en Sardaigne. Tout démarre lorsqu’un étrange kidnappeur envoie des vidéos sur les réseaux de ce qu’il fait subir à ses otages. Les événements se déroulent dans un premier temps à Cagliari puis toute l’Italie reçoit la fameuse vidéo. Les médias s’emparent de l’affaire et le ravisseur sous couvert d’une justice expéditive devient rapidement un héros pour la population à Cagliari et au-delà. Les otages ne sont pas choisis au hasard et on des casseroles derrière eux. Toute la question qui se pose alors est de comprendre pourquoi le ravisseur choisit ces otages spécifiquement. Les deux enquêtrices Éva Croce et Mara Reis ont deux caractères opposés, mais pourtant s’entendent très bien. On apprécie les joutes oratoires entre les deux tout au long du roman. Elles vont devoir collaborer avec Vito Strega, criminologue et vice questeur venu de Milan. Un autre personnage plutôt marginal dans l’institution policière, comme elles. Le tout est très bien ficelé et prenant, et on se retrouve à la fin avec une seule envie, replonger dans une enquête du trio. Après quelques retours j’ai cru comprendre que « L’île des âmes » le premier polar de l’auteur traduit en France est aussi de très bonne facture comme « L’illusion du mal ». Les questions autour de la justice, des réseaux sociaux, de la dangerosité des médias se croisent. Les passés troubles des deux enquêtrices complètent le tableau et les rendent encore plus attachantes. Un très bon roman noir sur toute la ligne.

Traduit de l‘italien par Anatole Pons-Reumaux.

L’Illusion du mal, ed. Gallmeister, 25,90 euros, 608 pages.

Nuages baroques / Antonio Paolacci et Paola Ronco

La découverte du sous préfet Nigra, un personnage attachant qui préfigure une série intéressante.

Un jeune homme est retrouvé agonisant par un joggeur dans les rues de Gênes, à l’aube. Le joggeur tente tant bien que mal de le réanimer mais en vain. Le jeune a été battu à mort. Une fois les secours sur place, le sous-préfet Paolo Nigra est mis sur l’affaire. Un nouveau personnage réjouissant. Entouré d’une troupe de collègues et de proches aussi attachants les uns que les autres, la section de la criminelle va faire des pieds et des mains pour comprendre ce qui est arrivé à ce jeune architecte en sortant de sa soirée. Un crime homophobe ? Un règlement de compte familial ? On apprend au fil de l’intrigue à recomposer le puzzle d’ensemble dans un polar qui prend son temps et qui nous fait découvrir une ville que l’on voit peu dans le roman noir. Gênes, une ville notamment marquée par les violences autour du G8 en 2001. Des évènements qui font partie intégrantes de ce roman noir qui est une belle surprise. Un roman intéressant donc dans ses thématiques, écrit à quatre mains avec beaucoup de plaisirs, ça se sent. Les influences (revendiquées) sont bien là de Camilleri à Carlo Lucarelli. L’humour caustique n’est pas bien loin non plus tout comme la bonne nourriture sur certains passages. Une fois la dernière page tournée, on a bien envie de retrouver le sous préfet dans une nouvelle enquête. Une réussite.

Nuages baroques, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 22 euros, 352 pages.

La course des hamsters / Antonio Manzini

Un braquage qui foire et l’employé zélé d’une caisse de retraite forment un drôle de polar plutôt réussi.

Tout démarre lors d’un braquage qui tourne mal. Deux des quatre braqueurs finissent sur le carreau, le troisième réussi à s’enfuir et le dernier, René, se fait embarquer par les carabiniers. René, qui va rapidement se rendre compte qu’il est dans une merde noire, lorsque les forces de police qui l’ont arrêté le traite d’une manière inhabituelle. En parallèle à ce début de roman qui part au quart de tour, on retrouve Diego, le frère de René qui cherche du sens à ce qu’il fait dans son travail. Il travaille pour la caisse de retraite locale et voit son quotidien chamboulé lorsque l’un de ses chefs lui propose de participer à une magouille où de futurs retraités ont un rôle central. Les deux frères vont de découverte en découverte et ne sont pas sortis des ronces. Antonio Manzini écrit un polar original et qui malgré quelques passages moins réussis, préfigure un talent certain pour l’art de l’intrigue. L’auteur dépeint à merveille une ambiance italienne que l’on aime retrouver dans le roman noir. Je vais me pencher sur « Piste noire » du même auteur, plus récent et dont j’avais déjà entendu parler. Si vous voulez croiser deux losers magnifiques du côté de Rome et une dose de cynisme, n’hésitez pas à vous arrêtez sur « La course des hamsters ».

La course des hamsters, ed. Folio, 8,90 euros, 374 pages.

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