Au nom de Chris / Claudine Desmarteau

Découverte de l’autrice avec ce roman sur le harcèlement dans lequel la tension monte crescendo.

Ce bouquin a récemment reçu le prix Vendredi, qui récompense un ouvrage en littérature jeunesse et qui a déjà vu passer des lauréats à découvrir sans hésiter (notamment Sylvain Pattieu et sa série Hypallage). Avec « Au nom de Chris » de Claudine Desmarteau, on découvre un jeune collégien qui vit avec sa mère. Sa mère qui l’élève en le surprotégeant et en étant sur son dos à chaque instant. Adrien vit très mal cette situation et a le sentiment d’étouffer chez lui. Et au collège ce n’est pas beaucoup mieux puisqu’il se fait harceler et vit un véritable calvaire. Adrien décide alors à plusieurs reprises de se rendre en forêt en vélo près de chez lui. C’est là, pendant une de ces sorties, que le jeune homme rencontre Chris. Un homme avec qui il sympathise et qui commence à lui apprendre des choses sur la vie en forêt. Adrien est subjugué dans un premier temps et cette rencontre est une vraie bulle d’oxygène dans un quotidien qui ressemble à un enfer. La suite est moins reluisante et avec une langue unique et des chapitres courts, Claudine Desmarteau écrit un roman tendu, sur le phénomène de l’emprise.

Au nom de Chris, ed. Gallimard Jeunesse, coll. Scripto, 13,90 euros, 336 pages.

La Justice des hommes / Santiago H. Amigorena

Une famille implose le temps d’une soirée.

Alice et Aurélien sont en couple et ont deux enfants, Elsa et Loup. Ils sont parfois d’accord, parfois en conflit. Jusqu’au fameux soir. Un soir pendant lequel le couple implose. Alice part rejoindre son amant et la soirée va dégénérer notamment pour Aurélien et ses deux enfants. S’ensuit un long chemin de croix pour cette famille. Elsa l’aînée vit très mal les répercutions de cette soirée et s’enferme dans le mutisme. Aurélien a beaucoup de mal à revenir dans son quotidien et Alice de son côté tente avec l’aide de son père de continuer à élever ses deux enfants mais les choses ont changé. Santiago H. Amigorena écrit un roman sur l’amour, sur la parentalité. L’auteur s’attarde sur ce qui fait sens dans une famille qui traverse des difficultés voire des traumatismes. Il est très proche de ses personnages et l’écriture particulière livre de nombreuses réflexions sur les relations humaines au fil du texte. Qu’est-ce qui fait sens au quotidien lorsque l’on est en couple ? Lorsque l’on est parent ? « La Justice des hommes » est aussi un roman sur le pouvoir de la fiction lorsqu’il est question de ce sujet à plusieurs reprises, Aurélien étant écrivain. Un roman touchant sur une famille qui tente de recoller les morceaux suite à une soirée cauchemardesque.

La Justice des hommes, ed. P.O.L, 21 euros, 320 pages.

Western / Maria Pourchet

Radiographie d’une époque avec le regard aiguisé de Maria Pourchet.

Alexis est un comédien célèbre qui fuit du jour au lendemain sa troupe de théâtre parisienne dans laquelle il joue Dom Juan. Ses collègues sont perplexes jusqu’au jour où une affaire avec une jeune fille ressort. Alexis a fui dans une maison de campagne dont il a fait l’acquisition, mais qui est déjà occupée par Aurore et son fils Cosma. Aurore est mère célibataire et a décidé de se mettre au vert, car elle ne supporte plus la pression du quotidien, du travail et de ses pairs. S’ensuit une étrange rencontre entre le célèbre comédien et une femme qui a fui son quotidien épuisant. C’est là que le roman accélère et que l’on découvre plus en détail la vie d’Alexis et celle d’Aurore. On retrouve la langue unique et qui sonne de la romancière même si j’ai moins été embarqué que dans « Champion », un autre roman découvert il y a peu. Alexis est un homme détestable et on découvre rapidement qu’il peut faire penser à de nombreux hommes que l’on croise ou que l’on a croisés, un homme dans une société patriarcale violente. À l’arrivée cela donne un roman bien construit, teinté d’un humour bien sombre et qui met en évidence comme rarement les travers de notre époque. C’est souvent le cas chez Maria Pourchet et encore une fois ici, c’est réussi.

Western, ed. Stock, 20,90 euros, 304 pages.

La Foudre / Pierric Bailly

Un meurtre fait ressurgir les souvenirs d’un berger dans le Haut-Jura.

Julien voit ressurgir le fantôme d’Alexandre un ancien copain d’internat, lorsqu’il réalise que ce dernier est à l’origine d’un meurtre. Il a du mal à y croire au début et finalement il se rend compte que c’est bien son ancien pote devenu vétérinaire et fervent défenseur des animaux qui a tué un jeune homme avec une planche. Julien, qui est berger dans le Haut-Jura, commence alors à cogiter et finit par joindre Nadia au téléphone la femme d’Alexandre. Sans vraiment savoir pourquoi il s’embarque dans cette histoire et devient le confident de Nadia dans l’épreuve qu’elle traverse avec son enfant. Alexandre se retrouvant de son côté en prison puis étant ensuite jugé dans un tribunal lyonnais. Le livre a eu un fort écho lors de sa sortie et a pas mal clivé. Je trouve que le regard de Pierric Bailly est toujours aussi juste sur les relations humaines, comme dans « Le roman de Jim ». L’histoire n’est pas forcément originale, mais c’est plutôt son traitement qui la rend intéressante. On retrouve le talent de l’auteur pour dépeindre les ambivalences de ses personnages, leurs contradictions, leurs sentiments. Les liens entre les personnages et notamment entre les générations ont toutes leurs importances. La nature a aussi une grande place dans le livre et fait partie intégrante de l’histoire avec de magnifiques paysages de montagne. L’auteur écrit avec « La foudre » un nouveau roman sensible qui croise des thèmes importants pour lui, de la filiation à la culpabilité en passant par le sentiment amoureux. Un bouquin que l’on a du mal à lâcher.

La Foudre, ed. P.O.L, 24 euros, 464 pages.

La colère et l’envie / Alice Renard

Un premier roman impressionnant de maîtrise. Un coup de coeur.

Isor est une enfant qui nait en décalage avec les autres bébés. Ses parents commencent à se poser des questions lorsque toute petite elle ne réagit pas aux interactions. On découvre alors une enfant qui chamboule la cellule familiale dans laquelle elle arrive. On guette la moindre de ses réactions verbales, on imagine ses ressentis. Après un long parcours médical, les parents finissent par s’occuper seuls de leur enfant. Ils s’éloignent de leur proche, peu de monde comprend, peu de monde a la patience et pourtant chacun y va de son petit conseil pour « aider » dans l’éducation d’Isor. Ce qui ajoute une charge supplémentaire aux parents. Alice Renard écrit un très beau roman sur une enfant en décalage avec le monde qui l’entoure et qui va faire une rencontre, une rencontre singulière et inattendue avec son voisin. Un vieil homme à l’humeur triste qui voit l’arrivée d’Isor avec étonnement dans un premier temps puis ravissement par la suite. L’autrice écrit une très belle histoire sur une enfant en marge, une enfant incomprise notamment par ses parents. Une belle découverte touchante et à l’atmosphère unique.

La colère et l’envie, ed. Héloïse d’Ormesson, 18 euros, 160 pages.

Les Décrochés / Rachid Zerrouki

Un second essai dans la continuité du travail de l’auteur, sur les élèves du système scolaire qui sont marginalisés.

Dans ce second livre Rachid Zerrouki s’attarde sur les élèves décrocheurs, des élèves que l’on perd de vu du jour au lendemain dans le système scolaire. Des élèves qui souvent subissent ce décrochage et finissent par trimer au quotidien pour s’en sortir dans des petits boulots qu’ils ont rarement choisi. Après avoir questionné sa pratique en tant que professeur en SEGPA dans son premier livre, Rachid Zerrouki s’attarde sur le profil des décrocheurs et les processus qui les emmènent vers le décrochage. Pour cela il a rencontré des élèves sortis du système scolaire pour de nombreuses raisons, et on découvre des jeunes qui ont été marginalisés tôt, qui croisent plusieurs obstacles notamment des problématiques sociales importantes. On croise par exemple une famille qui tente de s’en sortir en faisant reconnaitre le handicap de leur enfant par les institutions compétentes. Il s’agit en réalité d’un vrai chemin de croix avec un nombre de documents à remplir absurde. La définition du décrochage scolaire en théorie correspond à un élève qui multiplie les absences sur une durée plus ou moins longue avant de ne plus venir du tout. L’auteur montre que la notion de décrochage est bien plus complexe et que les jeunes donnent à voir plusieurs alertes avant de « décrocher ». En partant de son expérience, des élèves qu’il a pu rencontrer et de ses lectures, l’auteur livre un nouvel essai riche et important. Il donne à voir comment l’institution scolaire s’occupe d’une partie de ses élèves et c’est malheureusement bien plus répandu qu’on ne le pense.

Les Décrochés, ed. Robert Laffont, 19,50 euros, 224 pages.

Amour chrome / Sylvain Pattieu

Hypallage – Tome 1

« Amour chrome » inaugure la série Hypallage, une série avec quatre romans en littérature jeunesse édités à l’école des loisirs. Sylvain Pattieu s’attarde dans chaque bouquin sur un des personnages d’une bande de potes. Dans « Amour chrome » il est question de Mohammed-Ali, un 3e avec de bons résultats et qui termine son collège tranquillement. La nuit il a une passion à l’abri des regards et sort de chez lui à l’insu de ses parents pour taguer. Il se passionne pour le graff et éprouve un sentiment de liberté unique lorsqu’il tague. Le reste du temps, il vaque entre ses potes et ses sentiments pour Aimée, une fille de sa classe qui ne vit que pour le football. Sylvain Pattieu écrit un roman sur des jeunes qui se cherchent. Les réactions et les dialogues sonnent juste ce qui loin d’être évident et on voit des amis se questionner sur les relations ou sur le monde qui les entoure. L’auteur n’en rajoute pas et laisse ses personnages vivre leur amitié, rencontrer des galères ou faire leurs expériences. À l’image d’une jolie scène dans laquelle Mohammed-Ali demande à son père de lui apprendre à se raser pour la première fois. Ce dernier se met alors en quatre et rend la chose importante, rendant le passage touchant. « Amour chrome » c’est aussi le roman d’une adolescence qui passe, du passage à l’âge adulte avec une fin inattendue. Sylvain Pattieu écrit un premier tome qui recoupe de nombreuses problématiques adolescentes, un bouquin que l’on a envie de faire lire autour de soi. Hâte de lire la suite.

Amour chrome, ed. l’école des loisirs, 14 euros, 192 pages.

Stardust / Léonora Miano

L’autrice revient sur son arrivée en France avec sa fille lorsqu’elle avait 23 ans.

Léonora Miano revient dans ce livre sur une période de sa vie lorsqu’elle est arrivée en France avec sa fille. À 23 ans, elle découvre les conditions d’accueil du pays et sans domicile ni titre de séjour elle se retrouve dans un centre d’hébergement d’urgence dans le 19e arrondissement de Paris. Elle revient sur cette période et les stigmates qu’elle a subis dès son arrivée. « Stardust » est le récit d’une mère qui lutte pour sa fille, qui lutte pour survivre au quotidien, notamment face aux hommes. Il est aussi question de l’écriture et de l’importance qu’elle revêt à ce moment-là pour l’autrice. On perçoit déjà l’importance qu’elle va avoir dans sa vie. « Stardust » est un récit d’initiation émouvant et poignant, le parcours d’une femme courageuse.

Stardust, ed. Grasset, 18,50 euros, 220 pages.

Des diables et des saints / Jean-Baptiste Andréa

Un orphelin grandit dans un pensionnat religieux des Pyrénées.

Le personnage principal de ce roman est un vrai prodige du piano et exerce ses talents sur les pianos publics en jouant du Beethoven. Son nom est Joseph, mais il se fait appeler Joe. Jean-Baptiste Andréa vous raconte son histoire lorsque le personnage en question décide de revenir sur sa vie et sur son enfance. Celle d’un orphelin qui a perdu ses parents et sa sœur dans le crash d’un avion et qui a grandi dans un pensionnat religieux dans les Pyrénées. Un quotidien rude et âpre, mais aussi un lieu de rencontre avec d’autres marginaux qui trainent leurs casseroles et tentent d’avancer dans une enfance déjà bien malmenée. L’auteur restitue très bien la fragilité de ces jeunes, leurs parcours sinueux. Joseph voit son quotidien changé lorsqu’il rencontre Rose, une jeune fille à qui il doit donner des cours de piano. Le récit prend alors une tournure dans laquelle les rêves et les aspirations du jeune homme peuvent prendre racine. L’auteur écrit un très beau roman sur l’enfance, sur des enfants marginaux, mais qui tentent de survivre au jour le jour. Je découvre l’auteur et c’est une belle découverte, on se laisse porter par cette voix.

Des diables et des saints, ed. L’Iconoclaste, 19 euros, 361 pages.

Starlight / Richard Wagamese

Une femme et sa fille fuient un mari violent et se réfugient chez Starlight, un fermier touchant qui vit en lisière de forêt canadienne.

Franklin Starlight vit dans sa ferme dans l’Ouest canadien et porte le deuil du vieil homme qui l’a élevé. Un vieil homme qui lui a appris à vivre dans la nature avec tout ce qu’elle représente. On sent qu’une relation forte a été tissée avant que le vieil homme meurt, lorsque Starlight était encore qu’un enfant et qu’il découvrait l’environnement autour de lui. On retrouve d’ailleurs la construction de cette relation dans un précédent roman de l’auteur, « Les étoiles s’éteignent à l’aube ». Dans ce dernier roman, Starlight est adulte et voit sa routine quotidienne avec son ami Roth chamboulée lorsqu’il croise la route d’Emmy et de sa fille Winnie. Emmy fuit un homme violent et tente de préserver sa fille. Starlight décide de les héberger dans sa ferme afin qu’elles ne soient pas poursuivies par les services sociaux. Winnie qui est une enfant turbulente à l’école va alors apprendre à connaître la nature au contact de ce singulier personnage. Un homme plutôt solitaire qui est capable de partir des jours dans la forêt pour ramener des clichés d’animaux magnifiques. Un homme qui rassure et qui sait l’importance des traditions notamment celles apprises par son mentor. C’est à partir de là que l’on voit ces quatre personnages apprendre à se connaître, en vivant dans la ferme de Starlight en lisière de forêt. Les romans de Richard Wagamese ont une atmosphère unique difficile à restituer. La nature à toute son importance mais les relations humaines aussi. Et on retrouve encore une fois dans ce dernier la sensibilité qui caractérise l’auteur, que ce soit dans les dialogues ou dans la construction de ses personnages. L’auteur est mort en 2017 sans avoir pu terminer ce roman et les éditions Zoé qui ont reçu le manuscrit inachevé ont décidé de le publier posthume. Un texte émouvant et marquant.

Starlight, ed. Zoé, 21 euros, 272 pages.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer