A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? / Gaëlle Josse

Des instantanés de vie sous la plume sensible de Gaëlle Josse.

Gaëlle Josse décrit des instants de vie dans son dernier livre « à quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? », des moments de bascule à travers des microfictions. Les courts chapitres déploient en quelques lignes les portraits d’enfants, de femmes, d’hommes qui traversent un évènement marquant, qui se rendent compte de leur condition, qui laissent les souvenirs affluer. Il suffit de quelques mots pour que les personnages prennent forme et que l’on suive les destins des uns et des autres, de ces vies parfois cabossées. Une plume sensible qui sonne toujours juste.

A quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ?, ed. Notabilia, 17 euros, 224 pages.

Ce qu’il nous faut c’est un mort / Hervé Commère

Un ville en Normandie vit au rythme d’une usine jusqu’à la menace de la délocalisation.

Tout commence la nuit du 12 juillet 1998 lors de la finale de la coupe du monde. Une soirée mémorable, mais pas pour tout le monde, vous allez le découvrir pour certains personnages. Dans ce polar social très bien construit comme c’est souvent le cas chez Hervé Commère, direction un petit village de Normandie qui vit en grande partie grâce à une usine, les ateliers « Cybelle ». Des ateliers qui confectionnent de la lingerie et qui font vivre une grande partie de la région depuis l’après-guerre, en octroyant de nombreux emplois pour la population aux alentours. Oui, mais voilà depuis peu, comme dans de nombreux cas un fonds de pension décide de mettre le nez dans les affaires de l’usine essayant de la racheter (le risque de délocalisation se précise). Les personnages que l’on découvre au début du roman pendant cette fameuse nuit en 98 vont être amenés à se recroiser des années plus tard alors que l’on apprend que ce rachat de l’usine est en jeu. L’auteur écrit un roman noir qui rend hommage aux luttes ouvrières et on voit passer les époques et les enjeux qui vont avec. Les trajectoires personnelles des uns croisent les trajectoires collectives des autres. « Ce qu’il nous fait, c’est un mort » offre un bon moment de lecture, qui questionne avec justesse les luttes sociales en cours un peu à la manière de Nicolas Mathieu dans « Aux animaux de la guerre ».

Ce qu’il nous faut, c’est un mort, ed. Pocket, 8,60 euros, 440 pages.

Quand tu écouteras cette chanson / Lola Lafon

Une nuit dans l’Annexe du musée Anne Frank à Amsterdam.

Cette collection propose des textes d’auteurs et d’autrices qui se sont rendus dans un musée pendant une nuit pour ensuite écrire un texte sur cette expérience. La collection s’appelle « Ma nuit au musée » et je la découvre avec ce livre de Lola Lafon. La romancière se rend pendant une nuit dans l’Annexe, un appartement dans les combles dans lequel la famille d’Anne Frank s’est cachée durant deux années. Un appartement vide situé dans le musée Anne Frank à Amsterdam. Un lieu vide, où le vide prend tout son sens face à l’absence d’Anne Frank pour son père. On retrouve tout de suite la très belle écriture de Lola Lafon et ses mots qui font écho chez le lecteur. L’autrice écrit sur sa façon d’appréhender cette nuit avant de s’y rendre, sur cette expérience qu’elle appréhende. Cela va lui renvoyer tout un tas de souvenirs sur sa vie que l’on découvrira en parallèle aux passages sur la vie d’Anne Frank. On y croise des questionnements autour du rôle de l’écriture, de ce que peut représenter un témoignage et ses récupérations, ou encore du renouvellement incessant de la violence des hommes. Un très beau bouquin déroutant et poignant.

Quand tu écouteras cette chanson, ed. Stock, 19,50 euros, 188 pages.

Tu ne trahiras point / Karim Madani

Un riche documentaire sur le procès de Versailles, un procès où 56 graffeurs ont été traduits en justice.

Sacré livre documentaire, qui nous fait découvrir des graffeurs qui ont fait les frais d’une politique répressive au début des années 2000. Tout débute lors d’une perquisition pour de la drogue qui va se transformer en une saisie de matériels et de photos de graff. Deux ans d’enquête démarre et 56 graffeurs au total sont traduits devant la justice pour dégradation de biens publics en réunion. Une première. Des policiers du grand banditisme sont détachés dans un service spécifique pour s’occuper en particulier de ces affaires. Un lieu à gare du Nord est dédié à ces gardes à vue et dans les métros et les artères parisiennes, la surveillance est renforcée. Le procès restera unique par le caractère disproportionné des peines encourues. On parle de peinture sur des murs, sur des rames de métro. Pourtant les policiers et les sociétés de transport cherchent à charger les graffeurs. La guerre est aussi une guerre de communication pour donner une mauvaise image du graffiti.

« Tu ne trahiras point » relate avec précision les parcours des graffeurs témoins et acteurs du procès de Versailles. Ils sont issus de différents milieux sociaux et ils entrent dans une véritable guerre contre la SNCF et la RATP. Les uns voient des terrains illimités pour pratiquer leur art et les autres voient des vandales, des dégradations. Les points de vue s’entrechoquent. Karim Madani lève le voile sur un univers avec ses codes, ses pratiques mais aussi ses têtes d’affiche dès le début des années 80. Un univers où l’adrénaline est omniprésente et qui est au croisement de nombreuses cultures.

Ce livre aborde un thème que l’on voit rarement sur les étals des libraires. Il rend un très bel hommage aux premiers graffeurs parisiens.

Au passage je vous recommande le billet de blog et l’article d’Hugo Vitrani pour Médiapart sur ce procès.

Tu ne trahiras point, ed. Marchialy, 19 euros, 300 pages.

Solak / Caroline Hinault

Un huit-clos mené tambour battant et très bien écrit.

Le narrateur Piotr fait partie des quatre personnages de l’histoire et raconte son expédition sur Solak, une presqu’ile sur la banquise plutôt inhospitalière. Il y côtoie Grizzly, un scientifique dans le coin pour faire des relevés, Roq un ancien soldat qui assure la sécurité du territoire et un jeune soldat taiseux et énigmatique, arrivé en dernier sur les lieux. C’est dans cet environnement où le climat est rude et où les corps sont éprouvés, que les quatre protagonistes vont tenter de ne pas sombrer face à la solitude, mais aussi, et surtout face aux passés de chacun d’entre eux. Un passé que l’on devine trouble et suspect au fil des pages. On ne se retrouve pas isolé du monde pendant des mois sans raison. La suite laisse le huis clos s’installer et l’atmosphère est de plus en plus oppressante et bien restituée jusqu’au final, à couper le souffle. Caroline Hinault écrit un roman qui sonne et qui est très bien amené. Sans détour, les phrases claquent et les images nous viennent rapidement. C’est prenant et en même temps dérangeant. Ça faisait un petit moment que je n’avais pas lu un roman noir comme celui-là.

Solak, ed. Le Rouergue, 15 euros, 128 pages.

Traverser la nuit / Hervé Le Corre

Un polar très sombre sur les violences faites aux femmes.

Sombre et poisseux, le dernier roman noir d’Hervé Le Corre met une jolie claque lors de sa lecture. Une jeune femme, Louise, élève seule son fils et tente de survivre à un compagnon violent qui revient inlassablement l’agresser. Jourdan de son côté, commandant de police de son état, enchaîne les affaires sordides où des femmes sont les victimes d’hommes violents et sans scrupules, que ce soit dans le cadre de violences conjugales ou dans le cadre de proxénétisme. Le commandant est désabusé et marqué par ces affaires qui se suivent et qui finissent par l’affecter. Pourtant il ne peut s’empêcher de laisser affleurer une colère sourde à chaque affaire qu’il rencontre, une colère sourde contre ces hommes qui prennent les femmes pour des moins que rien. Un des personnages qui n’est autre que le tueur va encore plus loin dans cette aversion pour les femmes. Le commandant s’engage alors dans une enquête à rebondissements qui va révéler de nombreuses zones d’ombres.

Hervé Le Corre n’a pas son pareil pour camper une scène, une atmosphère. Les phrases concises font apparaître des images aux lecteurs en quelques lignes et c’est fort. Les personnages ne sont pas en reste et construit sans manichéisme, ils font preuve d’ambiguïté dans leurs décisions et dans leurs actions.

Ce polar est plus que recommandable. Si vous ne connaissez pas la plume de cet auteur il ne faut pas hésiter une seconde.

Traverser la nuit, ed. Rivages, 20,90 euros, 320 pages.

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