Même les monstres / Thierry Illouz

L’auteur revient sur sa vie et son expérience d’avocat.

Thierry Illouz parle de son parcours avec pudeur dans ce court récit autobiographique. Après sa naissance à Sétif en 1961, il grandit dans une cité avant de devenir avocat. Un avocat qui s’intéresse très vite aux marginaux et au statut de l’agresseur. Pour finir par défendre en majorité des agresseurs, des coupables. Les « monstres » comme certains les appellent selon l’affaire dont il est question. Un mot qui déshumanise et dont il est question à plusieurs reprises. Thierry Illouz en profite pour développer une réflexion sur la notion de justice, sur la place de la prison ou sur tout ce que représentent les tribunaux dans l’imaginaire collectif. Il se demande pourquoi il souhaite aussi ardemment défendre les coupables, les agresseurs. Pourquoi ces mêmes agresseurs provoquent une fascination morbide lorsque par exemple de nombreux lecteurs et lectrices lisent et dévorent des polars avec des meurtres et des coupables. « Même les monstres » donne un texte sincère, plein d’humanité et tout en nuance.

Même les monstres, ed; L’Iconoclaste, 13 euros, 105 pages.

Triste tigre / Neige Sinno

Des réflexions marquantes émergent, à travers le récit de l’inceste qu’a traversé l’autrice.

Dans ce récit l’autrice relate son vécu lorsqu’elle était enfant et qu’elle a été abusé par son beau père pendant plusieurs années de 7 à 14 ans. De nombreuses réflexions sur l’inceste sont au coeur du livre et Neige Sinno dans une forme inédite construit un récit qui ne se veut pas une autobiographie ni une fiction. Avec de nombreuses références elle trace les contours de ce qu’elle a vécu, notamment le statut de l’agresseur ou le procès de son beau-père. On lit des pensées qui renvoient à ce qu’elle a traversé et comment elle aborde aujourd’hui ce vécu, comment vivre avec, dans son corps et dans son quotidien. « Triste tigre » est un texte difficile et marquant qui va chercher loin les mécanismes derrière l’inceste, derrière les violences sexuelles. Un texte qui questionne aussi le besoin d’écrire sur cet évènement et les limites thérapeutiques de l’écriture.

Triste tigre, ed. P.O.L, 20 euros, 288 pages.

Les débuts / Claire Marin

Par où recommencer ?

Comme souvent chez Claire Marin on prend beaucoup de plaisir à lire ses réflexions sur les thèmes qu’elle aborde. C’est dense tout en étant accessible et en laissant à penser. C’était le cas dans « Ruptures » et « Être à sa place » et c’est encore une fois le cas ici avec « Les débuts ». Une notion que la philosophe et enseignante de français questionne en profondeur. A commencer par un début dans sa vie personnelle lorsqu’elle est devenue mère. La suite découle et on suit avec plaisir les digressions de l’autrice sans décrocher pour autant. Que se passe t-il dans un « début » ? Quels sentiments ressent-on ? A quoi cela nous renvoie ? Et est-ce que les jeunes ou les enfants sont les seuls à ressentir ses émotions singulières dans chaque début ? Claire Marin poursuit ses réflexions pour notre plus grand plaisir sans donner de réponse toute faite et sans donner de réponse tout court d’ailleurs. C’est aussi pour ça que l’on apprécie son travail. Si vous ne connaissez pas je vous invite à découvrir ses bouquins qui avec beaucoup de talent questionne nos quotidiens.

Les débuts, ed. Autrement, 19 euros, 192 pages.

Samouraï / Fabrice Caro

Fabcaro dans ses œuvres, toujours aussi décalé et drôle.

Un nouveau Fabcaro c’est souvent une nouvelle réjouissante. Et encore une fois l’auteur vise dans le mille avec « Samouraï » sorti cette année. On retrouve son ton si particulier, ce mélange d’humour noir et de cynisme. Cette fois-ci c’est la vie d’un auteur qui cherche l’inspiration que l’on suit. Une vie dans laquelle il vient de se séparer de sa conjointe tout en perdant un ami proche. Le personnage comme souvent chez l’auteur est complètement à la ramasse et se fait tout un tas de films sur ce qui lui arrive, sur son quotidien (palpitant). Il cherche l’inspiration, mais est-ce qu’il va arriver à ses fins, rien n’est moins sûr. Il y a eu « Broadway » que j’ai trouvé un peu en deçà dans les romans de l’auteur, mais avec cette nouvelle fournée Fabcaro réussit encore son coup. On termine la lecture un sourire en coin.

Samouraï, ed. Gallimard, 18 euros, 224 pages.

Le puits / Iván Repila

Un roman inclassable qui mélange beauté et âpreté.

Tout démarre dans un puits dans lequel le lecteur découvre deux frères coincés. Le Grand et le Petit. Alors qu’ils ramènent des provisions à leur mère, ils chutent sans que l’on sache pour quelle raison au début du livre. Les deux frères vont tout tenter pour se sortir de là et un long calvaire débute, dans lequel la faim et la folie se mettent à graviter petit à petit autour des deux personnages. Ce court roman est un huit-clos surprenant, qui fait ressentir aux lecteurs les sensations les plus désagréables comme rarement. Iván Repila avec une concision redoutable fait passer le lecteur par tous les états. En parallèle et sans alourdir le récit, il convoque à travers les pensées du Petit et du Grand de nombreuses images liées à l’enfermement, à ce que peut représenter l’humanité, la survie. Le puits est une expérience de lecture et un livre bien plus dense qu’il n’en a l’air. Impressionnant.

Traduit par Margot Nguyen-Béraud.

extrait : « L’orage éclate à l’instant où la mort se présente au bord du puits. »

Le puits, ed. Points, 6,10 euros, 128 pages.

Comme un léger tremblement / Gilles Pialoux

Un très beau roman qui aborde un sujet rarement traité en fiction, la SLA.

Philippe travaille dans un grand journal et a une vie de famille épanouie. D’un naturel curieux, il profite de ses temps libres en croquant par ci par là des scènes de la vie quotidienne sur son carnet. Il aime profiter des choses et s’entoure de nombreux copains. Un jour ou plutôt une nuit, sa conjointe lui fait remarquer qu’il a des tremblements lorsqu’il dort. Il se réveille le matin sans douleur et ne se rend compte de rien. C’est le début d’une découverte difficile à entendre, Philippe est atteint de la maladie de Charcot. Une maladie dégénérative où les muscles sont inutilisables les uns après les autres. La personne touchée peut de moins en moins se mobiliser et ne peut que constater l’irréversibilité de la maladie jour après jour. Philippe décide alors de vivre sa vie et de s’adapter en fonction des difficultés toujours plus nombreuses qu’il va rencontrer.

Ce roman inspiré d’une histoire vraie aborde avec justesse cette maladie, les effets qu’elle peut avoir sur l’entourage du patient ou la capacité de résilience dont certains patient.e.s font preuve. Le personnage principal en est un bel exemple, il fait passer au lecteur un souffle de vie malgré le sujet grave et les choses qui se compliquent au fil des mois pour lui. Il est d’une lucidité désarmante. C’est tout un rapport au corps qui est revu à la suite de l’apparition des premiers symptômes. Ce sont aussi des rapports qui se renouvellent avec l’entourage du patient, pas toujours pour le meilleur. Il y a de très beaux moments dans ce roman, dans ce récit plein de pudeur. Les courts chapitres servent bien le propos et alterne entre des passages où l’on côtoie une forme de poésie et des constats plus grave sur la maladie de Philippe. Gilles Pialoux livre un roman touchant et qui interpelle sur la sclérose latérale amyotrophique, sur la fin de vie. Merci à Babelio pour la découverte de ce livre reçu dans le cadre d’une Masse critique.

Comme un léger tremblement, ed. Mialet Barrault, 18 euros, 174 pages.

La plus secrète mémoire des hommes / Mohamed Mbougar Sarr

2018, un écrivain en herbe met la main sur un manuscrit oublié à Paris et se met en tête de retrouver son auteur.

Un mystérieux manuscrit et son auteur que personne n’a vu depuis bien longtemps sont au centre de ce singulier roman. Un roman qui aborde à la fois une réflexion sur l’écriture et la littérature tout en permettant au lecteur de suivre la quête de Diégane Latyr Faye un écrivain en herbe. La quête d’un mystérieux auteur qui va le faire voyager d’Amsterdam au Sénégal en passant par Buenos Aires. J’ai trouvé très intéressants les passages où Diegane et les personnages qu’il rencontre dans sa quête les amènent à digresser avec un regard aiguisé sur le monde. Les saillis sur l’écriture notamment sont à méditer. Ces regards portent sur les relations humaines (la relation parents/enfant au fil du temps, l’amour dans un couple, l’amitié, le poids des traditions) mais aussi sur l’importance de la littérature dans une vie, qui peut parfois sembler bien futile. J’ai pourtant rencontré quelques difficultés à entrer dans ce roman de Mohamed Mbougar Sarr, qui part à certains moments dans tous les sens. J’avais peut peut être trop d’attente mais je n’ai finalement pas été plus emporté que cela. Pas évident de savoir exactement pourquoi.

La plus secrète mémoire des hommes, ed. Philippe Rey, 22 euros, 448 pages.

Et par endroits ça fait des nœuds / Camille Reynaud

Une autofiction où la maladie de l’autrice l’amène à expérimenter différentes formes d’écriture.

Camille Reynaud est en voyage en Espagne à 23 ans lorsqu’elle est touchée par un AVC. Elle va alors entamer un long parcours de soins et en même temps une réflexion sur sa nouvelle condition, notamment un nouveau rapport à son corps. Ce livre est le fruit de cette réflexion et est écrit dans sa forme avec beaucoup d’originalité. En effet l’autrice choisit l’autofiction pour relater ce qu’elle a traversé. Elle se documente et ne s’arrête pas à retranscrire simplement ce qu’elle vit. Cela donne un mélange où l’on croise des documents, des morceaux de brèves journalistiques, des anecdotes ou encore des références livresques, d’Amandine Dhée à Maylis De Kerangal en passant par le Lambeau de Philippe Lançon. De nombreuses lectures étayent son récit et c’est aussi intéressant de découvrir par ce biais de nouveaux textes.

Ce livre est une façon pour elle d’appréhender ce qu’elle a vécu et Camille Reynaud ne cache pas d’ailleurs ses expérimentations, notamment sur son écriture, un autre point intéressant qu’elle questionne. À l’arrivée ça donne un texte singulier dans sa forme et qui touche le lecteur par la sincérité de son propos.

Et par endroits ça fait des nœuds, Ed. Autrement, 16,90 euros, 320 pages.

Le loup, l’épée et les étoiles / Lola Lafon

Des textes courts marquants et très bien écrits.

Les contributions de l’autrice pour l’hebdo « Le 1 » sont rassemblées dans un même ouvrage et c’est un plaisir de retrouver la plume de Lola Lafon dans cette parution récente des éditions de l’Aube. Ces billets sont une très bonne entrée en matière pour découvrir le travail de la romancière. Au fil des textes Lola Lafon aborde la condition féminine, les réseaux sociaux, la politique ou des éléments plus intimes qui concernent sa vie, son enfance. Encore une fois et même sur un format avec des textes courts on est emporté par sa façon de raconter.

Le loup, l’épée et les étoiles, ed. de L’Aube, 13 euros, 128 pages.

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