Un jour viendra / Giulia Caminito

Deux frères dans l’Italie du début du XXe tentent de survivre entre l’émergence de la première guerre et leur famille.

Nous sommes fin XIXe début XXe, dans la région des Marches à l’Est de l’Italie. Nicola et Lupo sont deux frères confrontés à la pauvreté et aux bouleversements politiques qui agitent l’Italie de l’époque. Notamment l’émergence des mouvements anarchistes ou l’arrivée prochaine de la Première Guerre mondiale. Nella leur soeur, vit de son côté dans un couvent et ne peut plus voir sa famille. Leur père est boulanger et leur mère aveugle accouche à plusieurs reprises d’enfants mort-nés ou qui tombent malade comme une malédiction. Les deux frères ont grandi très proches, avec Lupo d’un côté, le grand frère sûr de lui qui protège son petit frère Nicola. Un petit homme frêle qui s’affirme peu. La forme du récit de l’autrice déstabilise dans un premier temps, Giulia Caminito passe d’un personnage à un autre ou d’un moment à un autre en l’espace d’un paragraphe. Ça ne facilite pas tout le temps la lecture fluide du récit, mais pour autant, on sent que ça impose un rythme singulier à cette histoire très bien écrite par ailleurs. Et qui fait la part belle aux sensations éprouvées par ses personnages. « Un jour viendra » dresse des portraits touchants et marquants. On sent une dépendance entre les deux frères qui flirte par moment avec le malsain. La famille Ceresa lutte contre la précarité à l’image du père qui tente de survivre avec sa boulangerie. Mais la famille Ceresa a aussi ses secrets et lorsque l’on découvre le drame du début du livre on comprend rapidement que ces secrets de famille vont être dévoilés à un moment ou à un autre. Giulia Caminito écrit le roman d’une famille qui traverse une période trouble et qui tente de composer avec sa pauvreté, le contexte politique de l’époque et les secrets familiaux.

Extraits : « C’est quoi la vérité qu’il ne faut pas dire à Lupo, se demanda-t-il encore en s’approchant de son lit, la vérité aurait-elle été juste, les aurait-elle sauvés ? »

« Il s’était excusé de ne pas avoir été un bon frère, le compagnon de révolte, le camarade de grève, l’ami des champs qui sait courir, sauter, grimper, affronter la vérité, mais seulement un enfant mi-tendre mi-écœurant. »

Un jour viendra, ed. Gallmeister, 22,60 euros, 288 pages.

Bonhomme / Yvan Robin

Un adolescent passe l’été chez sa grand mère et n’est pas au bout de ses surprises.

J’avais hâte de relire Yvan Robin après avoir découvert l’auteur avec « Après nous le déluge ». Avec « Bonhomme » édité chez In8 dans la collection « Faction », une collection pour les plus jeunes, l’auteur dresse le portrait d’un adolescent qui se cherche et qui débarque chez sa grand-mère le temps d’un été. Un été pas tout à fait comme les autres pour Milo puisque des secrets de famille vont ressurgir. Ajoutez à cela de nouveaux potes dans la piscine municipale dans laquelle il a l’habitude d’aller, de futures soirées et vous avez au final un petit bouquin très bien amené qui se dévore. Les premiers émois, les premiers doutes, mais aussi les premières confrontations avec un monde des adultes bien sombre, tout y est. Et on passe un excellent moment dans ce petit bouquin qui dégage une singulière poésie.

Bonhomme, ed. In8, coll. Faction, 8,90 euros.

La nuit des pères / Gaëlle Josse

Un père qui vit seul dans ses montagnes retrouve sa fille après des années de séparation.

Isabelle est réalisatrice de documentaires, des films sur les fonds marins. Au début du roman, elle se rend non loin de Chambéry dans un paysage montagnard pour y retrouver son père après des années de séparation. Elle est de retour, car son frère Olivier qui habite encore dans la région lui a expliqué que la mémoire de leur père commençait à lui faire défaut. Elle décide de revenir et se doute que tous les souvenirs notamment de son enfance vont remonter à la surface. Et c’est ce qui arrive lorsqu’elle le retrouve. Des souvenirs dans lesquels elle revoit son paternel, un homme taciturne qui parlait peu voire pas du tout et qui vivait en grande partie à travers son métier de guide de montagne. L’autrice décide de s’attarder sur ces retrouvailles et sur ce qu’il va émerger suite à cela. Ce retour dans le village des Alpes là où ils sont nés ne sera pas sans conséquence. On découvre ce qu’ont traversé les personnages, ce qui les ont marqués. On découvre des secrets et des non-dits. Toujours à travers une plume sensible et au plus près des émotions, Gaëlle Josse écrit un nouveau roman marquant. Qui remue. Elle parvient à donner de l’épaisseur à ses personnages, à les rendre ambivalents. Les pages défilent, les images restent. Et encore une fois c’est un régal de lire Gaëlle Josse, son écriture singulière, son sens du détail.

La nuit des pères, ed. Noir sur Blanc, 16 euros, 192 pages.

L’Hallali / Nicolas Lebel

Retrouver Yvonne Chen et son caractère bien trempé dans une nouvelle aventure.

Yvonne Chen l’ancienne flic de la crim devenue agente infiltrée pour la DGSE est de retour dans ce troisième opus. Chen solitaire comme jamais est rappelée par les « Furies » et leur chef Alecto pour reprendre du service et se joindre à une nouvelle « danse » de cet étrange collectif. On avait découvert « les Furies » dans les opus précédents, des personnages qui s’attaquent à des cibles bien précises. Chen est rappelée dans « L’Hallali » par ce groupe pour se rendre dans un vignoble géré par deux frères et qui n’arrivent pas se départager le terrain en question. Elle va infiltrer « les Furies » par ce biais et une fois sur place, Chen ne va pas être au bout de ses surprises. Comme souvent chez Nicolas Lebel le lecteur va de rebondissement en rebondissement sans forcément s’embrouiller. On retrouve des éléments des précédents romans de la série même si celui-ci peut se lire de manière autonome. Lebel maitrise l’art du twist et ce nouveau thriller nous le confirme.

L’Hallali, ed. JC Lattès, 21,90 euros, 288 pages.

L’Automne à Cuba / Leonardo Padura

Un polar cubain à l’atmosphère singulière.

Je découvre le lieutenant Conde avec « L’automne à Cuba ». Le lieutenant au début du roman est un personnage fatigué et usé par son métier de policier, il vient de donner sa démission au commissariat central de La Havane. Malheureusement certains de ses supérieurs ne sont pas prêts à accepter sa démission en un claquement de doigts. Mario Conde est un élément précieux qui a déjà plusieurs résolutions d’enquête derrière lui et sa démission sera acceptée uniquement si il travaille sur une dernière affaire. C’est donc en se lançant sur une dernière enquête, dans laquelle un corps est retrouvé, celui d’un haut fonctionnaire qui a fui Cuba il y a un certain temps déjà. Il y a toute une atmosphère qui se dégage de ce roman noir. De l’environnement cubain en passant par le climat et l’humeur des personnages, c’est tout un univers singulier qui se déploie devant le lecteur. Leonardo Padura prend le temps sur quelques passages de se perdre avec justesse dans les pensées de son personnage principal parfois torturé. Pour autant, il n’y a pas de longueurs et on dévore ce roman noir cubain, bien sombre.

L’Automne à Cuba, ed. Métailié, 236 pages.

Paris-Brest / Tanguy Viel

Une lutte des classes au sein même d’une famille.

On entre dans l’intimité d’une famille dans ce roman de Tanguy Viel. Un roman étonnant qui tend vers le roman noir, dans lequel une famille se délite et où l’un des deux fils est le narrateur de l’histoire. C’est bien amené lorsque l’auteur aborde les relations entre parents et enfants. Tout commence à Brest lorsqu’un vieux bonhomme décide de léguer à la grand-mère du narrateur toute sa fortune après sa mort. 18 millions. Rien que ça. Le lecteur n’a plus qu’à découvrir ensuite les non-dits et autres secrets qui vont découler de cet évènement. Chacun se jauge et cherche à savoir ce que l’autre pense. Les personnages sont réussis à commencer par le narrateur qui décide de coucher tout cela sur papier pour y voir plus clair. On se retrouve alors avec une histoire dans l’histoire. Tanguy Viel écrit avec Paris-Brest un roman prenant et malin.

Paris-Brest, ed. de Minuit, 14,20 euros, 192 pages.

Rien ne s’oppose à la nuit / Delphine de Vigan

Un livre personnel et saisissant sur la fratrie de l’autrice.

Tout part du décès de la mère de l’autrice. Un décès qui agit chez Delphine de Vigan comme un déclic. Elle sent que son prochain livre aura sa mère pour personnage central. Elle sent qu’il ne peut pas en être autrement. C’est le second récit à ce moment-là qu’elle écrit d’une manière aussi personnelle, après « Jours sans faim » inspiré d’un épisode d’hospitalisation plus jeune.

Sa mère peut alors devenir un personnage et l’autrice se lance dans l’écriture de « Rien ne s’oppose à la nuit ». Un livre fort qui décrit une famille, sa famille. Des vies qu’elle reconstitue au fil des témoignages qu’elle recueille. Des trajectoires de vie affectées par les non-dits, des trajectoires de vie impactées par la santé mentale, qui a une place prépondérante dans la fratrie. C’est aussi un livre qui décrit son processus d’écriture, ce qu’il entraine et ce qu’il met en branle chez la romancière. Dans plusieurs passages Delphine de Vigan parle à la première personne pour prendre du recul par rapport à son projet, par rapport au passé de sa mère. Un recul qui apparait de plus en plus nécessaire au fur et à mesure qu’elle avance dans l’écriture de « Rien ne s’oppose à la nuit ». Un livre saisissant.

extraits : « L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. »

« Mais plus j’avance, plus j’ai l’intime conviction que je devais le faire, non pas pour réhabiliter, honorer, prouver, rétablir, révéler ou réparer quoi que ce fût, seulement pour m’approcher. À la fois pour moi-même et pour mes enfants – sur lesquels pèse, malgré moi, l’écho des peurs et des regrets – je voulais revenir à l’origine des choses.
Et que de cette quête, aussi vaine fût-elle, il reste une trace. »

Rien ne s’oppose à la nuit, ed. Le livre de poche, 7,90 euros, 408 pages.

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