Petit frère / Isabelle Coutant et Yvon Atonga

Comprendre les destinées familiales.

« Petit frère » d’Isabelle Coutant et d’Yvon Atonga est un livre enquête qui s’arrête sur les trajectoires de vie de deux frères. Yvon qui a grandi dans un quartier de Villiers-le-Bel dans les années 80/90 et son frère Wilfried. Le premier s’en sort et réussit ses projets alors que le second est tué lors d’un règlement de comptes en 2016. La sociologue Isabelle Coutant, qui a rencontré une première fois Wilfried lors d’un podcast quinze ans plus tôt, a souhaité reprendre leurs trajectoires pour comprendre comment l’un a pu s’en sortir alors que l’autre n’a pas pu s’écarter d’une spirale de violence. Ce livre retrace ces deux itinéraires à travers différentes interviews d’Yvon et de l’entourage des deux frères. On distingue un impact direct des politiques publiques dans la vie des quartiers, aussi bien de manière positive que négative. Pour exemple, la suppression de la police de proximité, entérinée sous Nicolas Sarkozy a eu un impact direct sur les tensions dans les quartiers. Le travail de la sociologue est important et en même temps elle laisse les acteurs parler et décrire ces parcours de vie. « Petit frère » est un livre pour comprendre, mais aussi un livre qui rend hommage.

Petit frère, ed. Seuil, 19,50 euros, 240 pages.

Blanches / Claire Vesin

Le quotidien d’un service d’urgences en banlieue parisienne.

Villedeuil, une ville fictive de région parisienne. Son hôpital public en bout de course, son service des urgences saturé les trois quarts du temps. Claire Vesin a choisi de faire évoluer sa galerie de personnages dans cet environnement. Il y a Jean-Claude, le chirurgien solitaire qui adore sa ville et qui souhaite rester travailler dans cet hôpital coute que coute malgré sa réputation et malgré les difficultés au quotidien. Il y a Laetitia, infirmière travaillant aux urgences à l’accueil et qui est née ici. Un poste difficile à l’entrée des urgences, dans lequel les soignants doivent orienter au plus vite les cas qui arrivent selon la gravité. Laetitia rencontre des difficultés avec ses nouvelles fonctions. Mais il y a aussi Aimée, une jeune interne qui a choisi les urgences de l’hôpital de Villedeuil pour son premier stage, contre toute attente. Et enfin Fabrice, un ancien médecin de l’hôpital qui travaille au SMUR, et qui va bientôt être père. Claire Vesin s’attarde sur ces vies qui gravitent autour de l’hôpital. Des trajectoires qui subissent les conditions de travail qui se dégradent en milieu hospitalier. Des infrastructures qui deviennent insalubres au peu de temps à allouer au patient, en passant par le manque cruel de moyen humain, matériel. Claire Vesin sait de quoi elle parle et avec beaucoup d’humanité elle relate cette lutte au quotidien pour continuer à soigner dans ces conditions. L’évènement grave, le dérapage n’est jamais loin. Cela retombe sur les patients de la ville, mais en réalité c’est aussi tout un tissu social qui est impacté. L’hôpital offre un soin de proximité, un soin accessible. Et comme dans de nombreux exemples, la structure est plus que jamais en danger. Claire Vesin écrit un roman important, prenant de bout en bout et qui sonne juste.

extrait : « Ce n’était pas grand-chose de plus que ça, les urgences, finalement : la somme du banal et de l’horreur, la vie qui glissait entre les doigts malgré les efforts ; la mort, omniprésente, sonnant la fin des réjouissances. »

Blanches, ed. La manufacture de livres, 18,90 euros, 304 pages.

Fantastique Histoire d’amour / Sophie Divry

Une histoire d’amour inattendue, à lire.

Bastien est inspecteur du travail. Il se rend au début du roman dans une usine de recyclage des déchets plastiques, un accident a eu lieu et un homme est retrouvé mort dans une compacteuse. Bastien se rend sur place pour comprendre si une ou plusieurs défaillances peuvent expliquer l’accident. Maïa de son côté est journaliste scientifique et elle se rend au Cern en Suisse, un centre de recherche nucléaire à Genève. Elle s’y rend pour interviewer sa tante qui y travaille. L’objet de l’interview concerne le cristal scintillateur, un mystérieux matériau aux propriétés inattendues. Sophie Divry se penche sur ces deux trajectoires de vie, prend le temps de construire ses personnages, la tension monte crescendo et on se doute bien que les deux personnages vont se croiser à un moment ou un autre. La mort de l’ouvrier dans l’usine est louche et le matériau dont il est question au Cern l’est tout autant. Il n’en faut pas plus pour que le roman devienne prenant et que « Fantastique Histoire d’amour » tende vers le thriller. C’est très bien vu du début à la fin et on retrouve le regard plein d’humanité de l’autrice sur nos petits comportements du quotidien. Un excellent roman noir qui brasse de nombreux thèmes sans les survoler.

Fantastique Histoire d’amour, ed. du Seuil, 24 euros, 512 pages.

La mémoire délavée / Nathacha Appanah

Un livre poignant sur les ancêtres de la romancière.

L’autrice découvre la vie des coolies au XIXe siècle à l’ile Maurice en partant du parcours de ses aïeux. Des aïeux faisant partie des coolies qui ont remplacé les esclaves noirs après l’abolition de l’esclavage. À travers un travail documentaire fouillé et en remontant les générations, Nathacha Appanah découvre dans des archives l’existence de ses aïeux qui partent d’un village en Inde en 1872 pour rejoindre l’ile Maurice. La grande histoire croise celle de la famille de l’autrice dans ce récit touchant et très bien écrit. L’esclavage a été aboli, mais les conditions dans lesquelles travaillent les coolies sont dégradantes et déshumanisantes. À commencer par le numéro qui leur est attribué dès leur arrivée dans le port de Port-Louis. On retrouve toute la sensibilité et la juste distance de l’autrice dans ce récit personnel. Son arrière-grand-père travaillait la terre tout comme son grand-père. La figure de ce dernier prend notamment une grande place dans le livre. On sent qu’il a été une personne importante dans sa vie et dans sa jeunesse lorsque Nathacha Appanah remonte ses souvenirs. Un livre à part dans la bibliographie de l’autrice et encore une fois un gros coup de cœur.

La mémoire délavée, ed. Mercure de France, 17,50 euros, 160 pages.

Rouvrir le roman / Sophie Divry

Un nouvel essai sur l’art du roman mais surtout un essai à l’approche originale.

Un essai stimulant sur le roman et ses définitions multiples. L’autrice s’attarde sur ce qui forme une fiction, de l’accueil en maison d’édition au contenu en passant par la question du temps de création, l’art du dialogue ou le genre littéraire. « Rouvrir le roman » est un essai clair et documenté qui donne aussi envie de découvrir de nouvelles lectures. Un peu comme dans le livre de David Meulemans aux forges de vulcain sur la question de la création, l’approche est originale ici aussi. C’est percutant, ça laisse à penser et si vous ne connaissez pas la romancière ça fait une jolie porte d’entrée dans son travail.

Rouvrir le roman, ed. J’ai lu, 7,10 euros, 196 pages.

L’Enfer / Marin Ledun

Un court roman noir réaliste et saisissant sur les bagnes en Guyane.

Les « îles du Salut » forment un archipel appartenant à la Guyane. Une partie des bagnes de Guyane sont situés sur ces îles et de nombreux prisonniers sont envoyés en détention par la France jusqu’à leur fermeture en 1947. Dans ce petit roman noir, nous sommes au milieu du XIXe siècle. Ahmed, un jeune homme de 19 ans fait partie de ces prisonniers et est loin d’imaginer l’enfer qu’il s’apprête à découvrir. Il est envoyé en détention pour non-respect du couvre-feu, alors qu’il cherchait à rejoindre la jeune fille dont il est amoureux, un soir d’été à Oran. Ahmed arrive dans ce bagne après plusieurs étapes et découvre les travaux forcés dans des conditions météorologiques difficiles, sept jours sur sept. Il se lie avec André un autre détenu qui est là depuis plus de quatre ans, mais malgré cette protection son quotidien est quasi invivable. Ahmed repère un jour une jeune fille qu’il imagine avoir pas plus de dix ans. La petite fait des allers et retours à l’hôpital en étant accompagnée d’un officier. Les journées du jeune homme changent et il attend de croiser le regard de cette jeune fille qui lui offre un tout petit moment d’espoir dans ses journées de douze heures à tailler de la pierre. Marin Ledun écrit un roman noir qui touche le lecteur et qui se lit d’une traite. La beauté peut aussi côtoyer le pire et c’est le cas dans ce court polar pour la jeunesse. On est touché par le destin de ce détenu et par son incompréhension face à la violence du monde et face à la détention. Ahmed a des forces insoupçonnées et lorsqu’il croise le regard de cette petite fille cela va l’aider à lutter au quotidien contre la fatigue, la faim et la solitude. Encore une très belle trouvaille de la collection « Faction » chez in8.

L’Enfer, ed. in8, coll. Faction, 8,90 euros, 112 pages.

Des impatientes / Sylvain Pattieu

Les trajectoires de deux jeunes filles, d’un lycée en éducation prioritaire au monde du travail.

C’est un lycée de banlieue en éducation prioritaire avec toutes les représentations qu’il y a derrière. Bintou et Alima sont deux élèves de ce lycée au parcours différent. La première est en opposition régulièrement avec l’équipe enseignante, ses résultats en pâtissent et il lui arrive aussi de sécher des cours. La seconde s’oriente dans la section scientifique et a de très bons résultats. Plutôt discrète elle est repérée pour faire partie des filières sélectives pour accéder à Sciences Po. Sous la forme d’une discrimination positive, plusieurs élèves des établissements classés en éducation prioritaire ont l’opportunité d’accéder à ces filières très sélectives. Alima en fait partie. Jusqu’au jour où durant un cours un évènement va faire basculer le quotidien des deux filles. L’intrigue s’accélère et sans en dire trop, toute la deuxième partie du livre peut démarrer. Une seconde partie dans laquelle on continue de suivre la trajectoire de ses deux jeunes filles attachantes et qui se battent contre les stigmatisations dont elles font l’objet. Sylvain Pattieu écrit un roman avec le juste dosage entre la documentation sur son sujet et une histoire touchante et réaliste. les personnages sont travaillés sans tomber dans certains clichés, comme dans « Le grand secours » de Reverdy lu cette année. Bintou et Alima ont de l’énergie à revendre et elles vont le faire savoir dans ce roman à découvrir.

Des impatientes, ed. Actes Sud, 8,50 euros, 272 pages.

Ce qu’il nous faut c’est un mort / Hervé Commère

Un ville en Normandie vit au rythme d’une usine jusqu’à la menace de la délocalisation.

Tout commence la nuit du 12 juillet 1998 lors de la finale de la coupe du monde. Une soirée mémorable, mais pas pour tout le monde, vous allez le découvrir pour certains personnages. Dans ce polar social très bien construit comme c’est souvent le cas chez Hervé Commère, direction un petit village de Normandie qui vit en grande partie grâce à une usine, les ateliers « Cybelle ». Des ateliers qui confectionnent de la lingerie et qui font vivre une grande partie de la région depuis l’après-guerre, en octroyant de nombreux emplois pour la population aux alentours. Oui, mais voilà depuis peu, comme dans de nombreux cas un fonds de pension décide de mettre le nez dans les affaires de l’usine essayant de la racheter (le risque de délocalisation se précise). Les personnages que l’on découvre au début du roman pendant cette fameuse nuit en 98 vont être amenés à se recroiser des années plus tard alors que l’on apprend que ce rachat de l’usine est en jeu. L’auteur écrit un roman noir qui rend hommage aux luttes ouvrières et on voit passer les époques et les enjeux qui vont avec. Les trajectoires personnelles des uns croisent les trajectoires collectives des autres. « Ce qu’il nous fait, c’est un mort » offre un bon moment de lecture, qui questionne avec justesse les luttes sociales en cours un peu à la manière de Nicolas Mathieu dans « Aux animaux de la guerre ».

Ce qu’il nous faut, c’est un mort, ed. Pocket, 8,60 euros, 440 pages.

Plexiglas / Antoine Philias

Deux personnages vivent en périphérie de Cholet et tentent de s’en sortir avec de petits boulots.

On découvre un duo qui va vite devenir attachant pour le lecteur dans ce livre d’Antoine Philias. D’un côté Elliot qui du haut de ses trente ans décide de revenir dans la ville de son enfance pour y chercher du travail. Il loge dans la maison vide de son grand-père non loin de la ville sur un bord de route. Une banlieue qui vit au rythme des voitures et des centres commerciaux. De l’autre côté on a Lulu qui a soixante ans et bosse en tant que caissière chez Carrefour. Les deux vont finir par se rencontrer et lier une très belle amitié. L’auteur décrit avec beaucoup de justesse les mondes du travail dont il est question, que ce soit la grande distribution ou tous les emplois qui gravitent autour. Les personnages ont un humour noir, un ton désabusé, mais aussi une lucidité rare. On se laisse porter par la plume de l’auteur et par les alternances entre les scènes de la vie quotidienne à pôle emploi, dans la galerie marchande, dans une EHPAD ou dans la galerie marchande. J’ai particulièrement été touché par les scènes dans la maison de retraite et le regard acéré et réaliste de l’auteur sur l’accueil des résidents et les conditions de travail des personnels. Un bouquin qui marque plein d’humanité.

Plexiglas, ed. Asphalte, 21 euros, 240 pages.

Ce matin-là / Gaëlle Josse

Un épisode difficile dans la vie d’une femme, le récit d’une chute insidieuse.

Au fil des scènes de la vie d’une femme, le lecteur découvre les multiples raisons qui vont la mener au burn-out. Clara travaille dans une entreprise qui permet aux familles d’emprunter de l’argent, de petites sommes. Une boite qui permet des crédits à la consommation. Elle évolue dans son entreprise en ayant de plus en plus de responsabilités, mais le travail va finir par la submerger. Avec une plume sensible, Gaëlle Josse écrit un roman d’une justesse rare sur ce qui brasse son personnage principal. Tout ce qui s’insinue sans se dire dans la vie de Clara et qui va la rendre malade. Une dépression liée à une souffrance au travail. Tout est très visuel, mais aussi axé sur les sensations et le lecteur voit la chute de Clara se produire sous ses yeux. On est témoin de sa dépression, mais aussi de la perception de cette dépression dans son entourage. « Ce matin-là » narre l’histoire d’une femme qui tente de se réinventer, d’avancer malgré la violence qui affleure dans ce qu’elle traverse. Elle tente de se façonner pas à pas une nouvelle vie en s’appuyant sur l’amitié, sur ses souvenirs. Gaëlle Josse n’a pas son pareil pour retranscrire les ressentis de ses personnages, les petits détails dans les réactions qui font des différences dans leurs quotidiens. C’est très fort et ça l’est tout autant à la lecture.

Ce matin-là, ed. Notabilia, 17 euros, 224 pages.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer