Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans / Anne Plantagenet

Un livre qui restitue le parcours d’une femme détruite par l’usine, ses conditions de travail et sa logique de rentabilité.

Anne Plantagenet raconte comment le travail à la chaine et la logique de rentabilité détruisent progressivement la vie d’une femme. Une femme qui disparait à Marseille dans une clinique en juin 2022. Une femme engagée dans son entreprise et qui est écartée de façon pernicieuse par les responsables. L’autrice s’attarde sur ce destin à la suite d’une rencontre avec cette femme, Letizia Storti, qui travaille depuis plus de 36 ans dans son entreprise lors de la rencontre. Un parcours de vie qui se complique progressivement et qui finit par mener à l’hospitalisation. On pense à la justesse de Joseph Ponthus pour restituer l’impact du travail à la chaine sur les corps, sur la vie des ouvriers et des ouvrières. Un livre poignant qui s’arrête sur des vies oubliées, des marges invisibilisées.

Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans, ed. Seuil, 17,50 euros, 160 pages.

Retour à l’âge ingrat / Alexis David-Marie

Le récit touchant de l’adolescence compliquée de l’auteur.

Alexis David-Marie est enseignant dans le Val-de-Marne et dans ce récit autobiographique il s’arrête sur son adolescence plutôt sportive. Il choisit de s’adresser à Nunus, l’adolescent qu’il a été. Un petit casse-cou prêt à mettre le boxon pour s’affirmer et se montrer. C’est aussi une adolescence marquée par les moqueries en raison de sa petite taille que l’on découvre. L’auteur dépeint les sentiments qui se bousculent pendant cette période de la vie, des sentiments souvent contradictoires et difficiles à percevoir aux premiers abords. Mais c’est aussi l’âge des premières expériences et des premières conneries et on retrouve tout cela dans le récit de l’auteur. J’ai bien aimé cette façon de prendre du recul sur les comportements qui posent problème aux adultes et qui sont souvent porteurs de sens au-delà de la simple manifestation violente chez les jeunes. J’ai bien aimé aussi cette façon d’adopter un regard qui met en perspective des comportements problématiques à l’époque, dans le rapport aux filles par exemple. « Retour à l’âge ingrat » est un récit autobiographique touchant qui est aussi la photographie d’une époque, celle dans laquelle l’auteur grandit dans les années 90.

Extrait : « Il y a longtemps de cela, quand je dis un soir à Romu que je comptais faire un jour le récit de nos quatre-cents coups, sais-tu ce qu’il me répondit ? Il me dit qu’il n’y aurait rien à raconter car c’est l’histoire de tout le monde. Et il n’avait pas tort.
On apprend à marcher à ses enfants alors que l’on boite soi-même. »

Retour à l’âge ingrat, ed. Aux forges de Vulcain, 21 euros, 304 pages.

Petit frère / Isabelle Coutant et Yvon Atonga

Comprendre les destinées familiales.

« Petit frère » d’Isabelle Coutant et d’Yvon Atonga est un livre enquête qui s’arrête sur les trajectoires de vie de deux frères. Yvon qui a grandi dans un quartier de Villiers-le-Bel dans les années 80/90 et son frère Wilfried. Le premier s’en sort et réussit ses projets alors que le second est tué lors d’un règlement de comptes en 2016. La sociologue Isabelle Coutant, qui a rencontré une première fois Wilfried lors d’un podcast quinze ans plus tôt, a souhaité reprendre leurs trajectoires pour comprendre comment l’un a pu s’en sortir alors que l’autre n’a pas pu s’écarter d’une spirale de violence. Ce livre retrace ces deux itinéraires à travers différentes interviews d’Yvon et de l’entourage des deux frères. On distingue un impact direct des politiques publiques dans la vie des quartiers, aussi bien de manière positive que négative. Pour exemple, la suppression de la police de proximité, entérinée sous Nicolas Sarkozy a eu un impact direct sur les tensions dans les quartiers. Le travail de la sociologue est important et en même temps elle laisse les acteurs parler et décrire ces parcours de vie. « Petit frère » est un livre pour comprendre, mais aussi un livre qui rend hommage.

Petit frère, ed. Seuil, 19,50 euros, 240 pages.

L’homme aux mille visages / Sonia Kronlund

Une enquête autour d’un imposteur insaisissable.

Un homme se fait passer pour ce qu’il n’est pas auprès des femmes qu’il rencontre. Ces dernières ne s’en rendent pas compte et le mensonge s’enracine jusqu’au jour où elles réalisent qu’elles ont été trompées. À partir de là elle ne le revoit plus, il ne laisse aucune trace. C’est sur cette affaire que Sonia Kronlund a fait des recherches, en allant à la rencontre des femmes victimes de ce mythomane en série. Derrière les apparences se cache un homme capable de tout, aux multiples prénoms et qui en même temps crée une fascination/répulsion pour l’autrice. Il va parfois loin dans la relation avec les femmes qu’il rencontre et joue sur de nombreux tableaux. Sonia Kronlund écrit un récit singulier qui se lit comme une enquête haletante et qui renvoie à de nombreux comportements masculins détestables de nos sociétés. Une enquête qui révèle un imposteur qui se joue de la réalité.

L’homme aux mille visages, ed. Grasset, 19 euros, 180 pages.

Rien de personnel / Mahir Guven

Le parcours de l’auteur et de sa famille, son rapport à l’immigration. Un texte prenant et très bien amené.

Premier livre de Mahir Guven que je lis, « Rien de personnel » est un récit autobiographique. L’auteur, d’une écriture enlevée et qui sonne juste, décrit son parcours et celui de sa famille. Une trajectoire intime qui recoupe à plusieurs reprises une histoire collective. Au gré des rencontres on découvre un auteur curieux et plein d’énergie à revendre. Mais aussi un jeune confronté tôt aux préjugés racistes ou plus tard lorsqu’il devient père. De sa jeunesse à la création de la maison d’édition La Grenade en passant par la création avec Éric Fottorino du 1 Hebdo, le romancier ne manque pas d’idée. « Rien de personnel » est un récit à lire, sans langue de bois, qui dégage une forme d’humanité. Un livre qui donne envie de lire les deux autres fictions de l’auteur pour retrouver cet humour et ce ton.

Rien de personnel, ed. JC Lattès, 20 euros, 200 pages.

Ce prochain amour / Nora Benalia

Le parcours d’une narratrice en colère, contre les normes et les injonctions lorsque l’on est une femme.

Ce livre est une claque. Un livre plein de rage, qui marque par sa sincérité. L’autrice écrit en partie sur sa vie à travers la narratrice, sur la violence que cela représente d’être une femme dans la société aujourd’hui. Que ce soit à travers la maternité, la famille, la sexualité ou le rapport aux hommes, Nora Benalia fustige les inégalités de genre avec une justesse rare dans de courts chapitres. La narratrice s’adresse au lecteur sans détour. Le constat est amer et la plume acérée.

extraits : « C’est quand même curieux de mettre toutes ces qualités dans l’organe le plus fragile du corps humain : le courage de l’homme est dissimulé là, à un endroit qu’un simple coup de genou peut réduire à néant. »

« Courber l’échine, travailler, brader son temps et ses compétences, suivre la scolarité de ses enfants, être considérée comme une assistée en touchant la CAF, comme une mauvaise mère en n’étant pas suffisamment présente, comme une mauvaise employée en n’étant pas suffisamment investie, être une femme invisible, fatiguée et défraîchie, mauvaise en tout, bonne à rien, mais sourire bravement quand on nous flatte pour notre sacrifice, comme un chien qui remue la queue. »

« Pas un jour ne passe sans que je ne sois jugée, y compris par mes enfants, maintenant qu’ils sont adolescents. Je suis la méchante qui fait bouffer des légumes ou qui ne cuisine que des pâtes parce qu’elle en a marre, mais qui, quoiqu’il en soit, se prend toute leur colère en permanence dans la gueule, parce qu’elle est là.
Elle est là, encore, dans les cabinets de psy, les réunions de professeurs, les conseils de classe. Devant l’école, au supermarché. À dire non au cahier à spirales.
Elle est là et elle est nulle. »

Ce prochain amour, ed. Hors d’atteinte, 17 euros, 208 pages.

Quarante jours après ma mort / Samira El Ayachi

Le narrateur vient de mourir et il s’apprête à raconter comment ses proches vont vivre les quarante jours à venir.

Un homme meurt dans une famille marocaine et le corps de cet homme va être rapatrié au pays pour y être enterré. Il va se passer quarante jours avant que la mise en terre ait lieu et pendant ces quarante jours, c’est tous les souvenirs familiaux qui vont ressurgir à travers la voix du mort lui-même, qui se mue en narrateur le temps du roman. Un narrateur pas comme les autres qui voit défiler les conséquences de sa mort sur ses proches et qui ne peut que relater les évènements sans pouvoir agir. Pour autant, il n’oublie pas le cynisme dont il est doté et n’hésite pas à en faire usage lorsqu’il raconte. Samira El Ayachi écrit un roman qui mélange avec subtilité l’humour noir et la chronique d’une famille qui vole en éclat. La mort de cet homme fait apparaitre les non-dits et occasionne des scènes marquantes. La plume de la romancière y est pour beaucoup, une écriture que j’avais déjà beaucoup appréciée avec « Le ventre des hommes » et « Les femmes sont occupées ». « Quarante jours après ma mort » est un livre à part, à découvrir sans hésiter. Un roman qui touche le lecteur, à la fois dans la justesse de ses propos et dans la construction de ses personnages.

extrait : « Comme tout le monde, j’avais déjà songé au jour de ma mort. Je me figurais celle-ci comme un grand moment de théâtre, et, en même temps, un grand moment de vérité. Des embrassades. Des gestes de réconfort. Des fleurs. Des voitures noires. De la musique classique. Des chapeaux sombres. Des souliers cirés. Des pas feutrés. Des bougies parfumées. Des doigts qui caressent le marbre et le bois. Mais à l’heure des séries américaines (qui ne montrent plus des funérailles mais des cadavres soumis aux lois biologiques de la décomposition), je ne pensais plus qu’à une chose : mon corps. Mon regretté corps. »

Quarante jours après ma mort, ed. de L’aube, 11 euros, 200 pages.

Sambre / Alice Géraud

Radioscopie d’un fait divers.

La journaliste Alice Géraud, plume de l’excellent site « Les jours », a enquêté pendant plusieurs années sur un fait divers. Un homme qui a violé et agressé sexuellement des dizaines de femmes pendant de nombreuses années. La première agression date des années 80 et son arrestation aura lieu en 2018 quasiment trente ans plus tard. L’autrice s’attarde sur cet homme Dino Scala et comment il a pu agir sans jamais être inquiété pendant des années, sur un territoire restreint. Un homme à première vue « banal ». La journaliste dresse les portraits des victimes et met en évidence les mécanismes qui compliquent le parcours de ces victimes. Le dépôt de plainte en commissariat, la parole mise en doute, la culpabilité naissante chez certaines, l’impact sur leurs vies pendant de longues années, tous ces points sont abordés et questionnés dans cet essai. L’impossibilité pour les victimes de se reconstruire après le traumatisme est récurrente. C’est aussi un choix de l’autrice de parler des victimes et de les prendre en considération. Lorsqu’il est question de l’agresseur, les pages font quelques lignes et Alice Géraud ne s’y attarde pas. Enfin cet essai est aussi un reflet documenté et précis des dysfonctionnements de l’institution policière et judiciaire. Un livre important, à lire.

Extraits : « Ce fait divers n’est à l’évidence pas un huis-clos. Il a des causalités externes qui le font déborder de lui-même, qui le relient à notre monde.
Comment cet homme a-t-il pu agresser et violer autant de femmes et de jeunes filles, durant d’aussi longues années, sur un si petit périmètre sans être jamais inquiété ou même soupçonné ? C’est par cette question sans réponse que débute mon enquête. »

« Au fur et à mesure que les pièces s’assemblent apparaît une infernale mécanique de l’échec d’un système, d’une société. Mécanique de l’échec que viennent soudain enrayer une magistrate, une élue, un policier, opposant leurs résistances à la force d’inertie du système. »

Sambre, ed. JC Lattès, 21,50 euros, 400 pages.

L’échappée / Jean-François Dupont

Le parcours d’un homme qui souhaite en finir alors que la guerre civile gronde en France.

La France est sous tension et la guerre civile fait rage. C’est dans ce contexte que l’on fait connaissance avec François, le détenu d’une prison qui voit le directeur de cette même prison, lui proposer de l’aide pour s’évader. François s’empresse d’accepter, mais fausse rapidement compagnie au directeur de la prison. Il se retrouve seul dans la nature, et décide de se rendre en Suisse pour une euthanasie. Il n’a plus grand-chose à perdre. Sa maison a été incendiée, il a perdu sa femme dans des circonstances tragiques avant son incarcération et ne voit plus ses enfants qui habitent loin. Sur son chemin il va faire des rencontres, de Constance une violoncelliste au caractère bien trempé à un groupe de jeunes adolescents dirigés par un mystérieux révérend, le trajet de François s’annonce assez sport. La mort souhaitée au bout du périple en Suisse s’annonce plus compliquée à atteindre. Je découvre la plume de Jean-François Dupont avec ce second roman et on se régale en découvrant ce regard désabusé sur notre monde. François, le personnage principal en bout de course sert parfaitement ce propos. Une atmosphère désenchantée plane sur le bouquin et en même temps, plusieurs passages très bien vus laissent un sourire en coin, notamment les dialogues. François n’était déjà pas en grande forme avant son évasion, pas certain qu’il se refasse une santé dans ce périple à venir pour la Suisse. « L’échappée » est un singulier roman où les personnages tentent de survivre dans un monde dévasté.

extrait : « Cette scène se déroulait entre la dépouille d’un chevreuil et celle d’un directeur de Shopi. »

L’échappée, ed. Asphalte, 20 euros, 208 pages.

Vous ne connaissez rien de moi / Julie Héraclès

Retour sur le parcours d’une femme qui a collaboré pendant la seconde guerre mondiale.

Julie Héraclès retrace le parcours de Simone Touseau, la « tondue de Chartres » pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette jeune femme a été prise en photo dans un cliché célèbre de Robert Capa, en août 1944, alors qu’elle tenait son enfant dans ses bras au milieu de la foule. Une foule en colère et qui l’invective pour avoir couché avec un allemand. De nombreuses femmes ont été tondu pour avoir collaboré avec l’Allemagne nazie d’une manière ou d’une autre, pas uniquement à travers des relations sexuelles. Mais cette photo est devenue iconique. Julie Héraclès réinvente l’histoire de Simone Touseau derrière le cliché. Rebaptisée Simone Grivise dans le roman, on découvre le parcours d’une femme ambigüe. Un parcours en partie fictionnel. Une femme qui souhaite s’émanciper de sa famille, de la précarité, et qui collabore avec l’occupant sans détour. Il se passe un truc ambivalent dans ce roman, à la fois le portrait d’une femme forte qui avance au milieu d’un conflit et en même temps celui d’une femme qui collabore tôt dans la guerre, avec un élan rare.

Vous ne connaissez rien de moi, ed. JC Lattès, 20,90 euros, 384 pages.

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