Le témoin / Joy Sorman

L’autrice tisse en filigrane une réflexion sur le sens de la justice.

Bart est un homme qui n’a plus grand-chose à perdre. Il décide de tout quitter pour vivre dans le palais de justice de Paris. Il s’installe sur place pour assister à différentes affaires la journée et dormir dans le faux plafond la nuit. Entre temps, il grignote deux trois petites choses à la cafétéria en déambulant de salle d’audience en salle d’audience. C’est à travers le regard de ce personnage effacé que Joy Sorman décrit tout un monde dans « Le témoin », un monde dans lequel le lecteur découvre les ressorts d’une justice parfois expéditive, parfois violente. On y tient un langage bien spécifique et les procédures le sont tout autant. Bart est plein de lucidité sur les affaires qu’il découvre et parfois il ne peut s’empêcher d’entrer en empathie avec les acteurs qu’il observe. À travers son regard c’est aussi les fonctionnements (et parfois les non-sens) d’une société qui défilent sous les yeux du lecteur. « Le témoin » est un roman qui décrit des vies cabossées avec réalisme, des vies face à l’injustice.

Le témoin, ed. Flammarion, 21 euros, 288 pages.

Sambre / Alice Géraud

Radioscopie d’un fait divers.

La journaliste Alice Géraud, plume de l’excellent site « Les jours », a enquêté pendant plusieurs années sur un fait divers. Un homme qui a violé et agressé sexuellement des dizaines de femmes pendant de nombreuses années. La première agression date des années 80 et son arrestation aura lieu en 2018 quasiment trente ans plus tard. L’autrice s’attarde sur cet homme Dino Scala et comment il a pu agir sans jamais être inquiété pendant des années, sur un territoire restreint. Un homme à première vue « banal ». La journaliste dresse les portraits des victimes et met en évidence les mécanismes qui compliquent le parcours de ces victimes. Le dépôt de plainte en commissariat, la parole mise en doute, la culpabilité naissante chez certaines, l’impact sur leurs vies pendant de longues années, tous ces points sont abordés et questionnés dans cet essai. L’impossibilité pour les victimes de se reconstruire après le traumatisme est récurrente. C’est aussi un choix de l’autrice de parler des victimes et de les prendre en considération. Lorsqu’il est question de l’agresseur, les pages font quelques lignes et Alice Géraud ne s’y attarde pas. Enfin cet essai est aussi un reflet documenté et précis des dysfonctionnements de l’institution policière et judiciaire. Un livre important, à lire.

Extraits : « Ce fait divers n’est à l’évidence pas un huis-clos. Il a des causalités externes qui le font déborder de lui-même, qui le relient à notre monde.
Comment cet homme a-t-il pu agresser et violer autant de femmes et de jeunes filles, durant d’aussi longues années, sur un si petit périmètre sans être jamais inquiété ou même soupçonné ? C’est par cette question sans réponse que débute mon enquête. »

« Au fur et à mesure que les pièces s’assemblent apparaît une infernale mécanique de l’échec d’un système, d’une société. Mécanique de l’échec que viennent soudain enrayer une magistrate, une élue, un policier, opposant leurs résistances à la force d’inertie du système. »

Sambre, ed. JC Lattès, 21,50 euros, 400 pages.

Même les monstres / Thierry Illouz

L’auteur revient sur sa vie et son expérience d’avocat.

Thierry Illouz parle de son parcours avec pudeur dans ce court récit autobiographique. Après sa naissance à Sétif en 1961, il grandit dans une cité avant de devenir avocat. Un avocat qui s’intéresse très vite aux marginaux et au statut de l’agresseur. Pour finir par défendre en majorité des agresseurs, des coupables. Les « monstres » comme certains les appellent selon l’affaire dont il est question. Un mot qui déshumanise et dont il est question à plusieurs reprises. Thierry Illouz en profite pour développer une réflexion sur la notion de justice, sur la place de la prison ou sur tout ce que représentent les tribunaux dans l’imaginaire collectif. Il se demande pourquoi il souhaite aussi ardemment défendre les coupables, les agresseurs. Pourquoi ces mêmes agresseurs provoquent une fascination morbide lorsque par exemple de nombreux lecteurs et lectrices lisent et dévorent des polars avec des meurtres et des coupables. « Même les monstres » donne un texte sincère, plein d’humanité et tout en nuance.

Même les monstres, ed; L’Iconoclaste, 13 euros, 105 pages.

Rétiaire(s) / DOA

Une lutte sans merci entre l’Office anti stupéfiants et des mafieux du milieu de la drogue.

J’avais découvert DOA dans son roman à quatre mains avec Dominique Manotti (« L‘honorable société ») et j’ai attendu la sortie de « Rétiaire(s) » pour remettre le nez dedans. Et punaise je n’aurais pas dû attendre. Quel souffle dans ce roman noir, DOA dans un art de la concision maîtrisé comme jamais écrit une histoire autour d’un flic à la dérive et du milieu de la drogue. C’est d’un réalisme à couper le souffle et évidement c’est hyper prenant. L‘OFAST (l’office anti stupéfiants) engage une lutte contre le redoutable clan des Cerda, un clan yediche qui a fait fortune dans la ferraille. Et qui connaît aussi des rivalités en son sein, tout comme l’OFAST d’ailleurs. Les flics ne sont pas en reste et sont capables de se tirer dans les pattes en pleine enquête. Les péripéties se déroulent en plein Covid dans l’hexagone, et on ne regrette pas un seul instant que DOA est décidé de faire un bouquin de ce scénario qui devait finir sur le petit écran à l’origine. Du lourd.

Rétiaire(s), ed. Gallimard, coll. Série Noire, 19 euros, 432 pages.

Nuit bleue / Simone Buchholz

Dans la ville d’Hambourg, un roman noir à l’atmosphère unique.

Je découvre Chastity Riley, procureure de la ville d’Hambourg, écartée de ses fonctions suite à une ancienne enquête qui a déconné pour elle. Une enquête qui impliquait son ancien chef, un supérieur devenu un malfrat. Dans « Nuit bleue », on découvre une écriture singulière et un ton qui renouvèlent ce que l’on retrouve habituellement dans le roman noir. J’étais curieux de découvrir cette autrice dans la collection « Fusion » chez l’Atalante. Le récit ne s’essouffle pas et c’est le genre de polar épuré que je trouve prenant. L’autrice envoie de sacrées punchlines via son personnage, on comprend rapidement que la procureure a des méthodes bien à elle pour arriver à ses fins. À commencer par la bière et la clope un lendemain de cuite pour se remettre. Suite à sa mise à l’écart, elle s’occupe maintenant des blessés et autres altercations en cherchant les identités des victimes dans la ville d’Hambourg. La victime du début de « Nuit bleue » finit à l’hôpital après s’être fait rouer de coups dans la rue et la procureure est appelée pour la rencontrer à l’hôpital. Entourée de sa bande d’amis la procureure va tenter de rassembler petit à petit les pièces d’un puzzle complexe qui se cache derrière l’inconnu à l’hôpital. On découvre dans « Nuit bleue » un nouveau personnage attachant et ça donne envie de poursuivre cette série.

Traduction de Claudine Layre.

Nuit bleue, ed. l’Atalante, coll. Fusion, 19,90 euros, 240 pages.

La fille qu’on appelle / Tanguy Viel

Les rouages insidieux d’une emprise, celle d’un homme politique sur une jeune femme.

On ne sait pas ce que Laura a traversé mais elle doit se rendre au commissariat. L’accueil y est compliqué mais elle doit s’y rendre. Les propos sont confus mais elle souhaite témoigner. Pour quelle raison ? Le lecteur ne le sait pas au début de ce roman.

Et petit à petit, au fil des retours en arrière on commence à comprendre ce qu’il lui est arrivé. Elle, la fille du boxeur connu du coin. Elle qui est rentrée de Rennes pour retrouver sa ville natale et pour habiter chez son père. Arrivée depuis peu, Laura cherche un logement. Son père sans imaginer la suite une seconde, lui propose de rencontrer le maire pour que Laura le sollicite dans ce sens. C’est là que tout commence.

Tanguy Viel restitue une emprise qui s’insinue progressivement. « La fille qu’on appelle » est très bien écrit et aborde avec beaucoup de justesse la question du consentement et l’emprise des hommes, notamment les hommes de pouvoir. L’auteur capte toutes les nuances chez la victime comme chez l’agresseur, on sent l’engrenage se mettre en place et réduire au silence les prises de décision de Laura.

extrait : « Donc vous l’avez fait de votre propre volonté ?
Non, je vous dis, c’était ce que je devais faire, ça ne veut pas dire que c’était ma volonté.
Et les deux flics commençaient à s’agacer […] »

La fille qu’on appelle, ed. de Minuit, 16 euros, 176 pages.

La proie / Deon Meyer

Une nouvelle enquête de Benny Griessel et Vaughn Cupido entre Le Cap et Bordeaux.

Afrique du Sud. Le Cap. Un cadavre est retrouvé le long d’une voie ferrée où un train de luxe passe régulièrement. Ce cadavre est celui d’un ancien des services où travaillent Benny Griessel et Vaughn Cupido. Les deux compères, personnages récurrents chez Deon Meyer, font partie de la brigade des Hawks et s’occupent des affaires criminelles. Ils se retrouvent à enquêter sur ce cas épineux. Est-ce un suicide ? Un assassinat ? En parallèle à cela, un mystérieux personnage tente de se construire un quotidien banal à Bordeaux en France, en faisant table rase du passé. Un passé où il a été un ancien combattant de la branche militaire de l’ANC (l’African National Congress), autrement dit un agent de la lutte armée contre l’Apartheid.

Deux intrigues pour deux histoires qui cheminent de chapitres courts en chapitres courts comme souvent chez Deon Meyer. Les péripéties se déroulent en Afrique du Sud et en France, ce qui rend dynamique le récit. C’est efficace, prenant, avec jusque ce qu’il faut d’action sans être transcendant non plus dans les dialogues et dans les vannes. L’auteur aime toujours autant son pays mais ne peut s’empêcher de porter un regard désabusé, notamment sur sa politique.On sait à quoi s’attendre chez Deon Meyer et pourtant on se laisse porter et on y retourne. La recette est connue, certains clichés sont là et pourtant ça fonctionne. Un bon petit polar.

La proie, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 18 euros, 576 pages.

Oyana / Eric Plamondon

La fuite en avant d’une femme qui déterre son passé et quitte Montréal.

Eric Plamondon aborde la question basque et celle de l’ETA dans ce second roman. Un roman où l’écriture passe par la forme épistolaire mais aussi par quelques fragments d’histoire qui viennent éclairer le récit comme dans Taqawan, le premier roman de l’auteur. La nature n’est jamais loin et fait aussi partie du propos dans Oyana. Comme souvent chez cet auteur, c’est un plaisir de lecture et en même temps on a ce sentiment singulier d’apprendre au fil d’une fiction des choses sur la grande histoire. Ici, une jeune femme doit s’exiler à Montréal après avoir habité au Pays basque. On comprend petit à petit les raisons de cet exil lorsqu’en mai 2018, les choses vont se mettre à bouger pour elle et le passé ressurgir. Le livre mélange très bien une tension narrative et un propos sur la question de l’ETA (et sa dissolution). Une fois terminé on a juste envie de lire à nouveau Eric Plamondon. Un modèle de concision qui capte la lectrice et le lecteur.

Oyana, Ed. Quidam, 16 euros, 152 pages.

Ricochets / Camille Emmanuelle

Un témoignage important sur les proches des victimes d’attentat.

Camille Emmanuelle pose le curseur sur les proches des victimes des attentats et questionne leurs statuts de victime dans ce livre, un essai à mi chemin entre un travail personnel et un travail plus documentaire. Un travail personnel car l’autrice est la conjointe d’un des membres de Charlie Hebdo lors de l’attentat et un travail documentaire car elle découvre au fil de ses recherches que les proches, « les victimes par ricochets », ne sont pas du tout reconnues dans leur statut de victime avec tout ce que cela représente. Que ce soit la souffrance psychologique ou encore le poids que peut représenter le soutien à un proche. C’est un livre écrit sans détour et avec beaucoup de sincérité. L’autrice lève des questionnements essentiels au fil des rencontres qu’elle fait durant ses recherches et en même temps donne une photographie précise de la gestion étatique des attentats. C’est tout en nuance et très personnel. Un récit qui touche.

Je n’ai pas fait d’enquête internationale basée sur une centaine d’entretiens, comme je l’imaginais au départ. Mon écriture a été plus intime que ce que j’envisageais. Je suis sortie de mon rôle de journaliste pour me mettre à nu. J’ai décortiqué mes émotions pour mieux les maîtriser. Et pour peut-être aider ceux qui ont été, sont, ou vont être des ricochets dans leur vie.

Ricochets, ed. Grasset, 20,90 euros, 336 pages.

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