Le soleil ne brille pas pour tout le monde / Audrey Sabardeil

Un premier roman noir qui fait penser à Izzo et à sa manière singulière de camper une atmosphère.

Audrey Sabardeil écrit un roman noir qui prend son temps et qui se déroule à Marseille. On découvre Stéphane un personnage un peu en galère qui vaque de job en job et qui finit toujours par atterrir dans le bar de son compère Fredo à un moment dans la journée. Steph est un personnage un peu à la marge qui aime se retrouver dans le troquet de son pote plutôt réac pour déconnecter d’un quotidien compliqué. D’autant plus qu’une jeune serveuse qu’il croise régulièrement là-bas, Kahina, a tendance à rendre ses journées plus belles lorsqu’il la voit et qu’il discute avec elle. Il finit par trouver un job temporaire dans une pizzeria au début du roman, mais son quotidien plutôt morose bascule le jour où une ancienne connaissance à lui débarque en lui demandant un service. Il doit cacher une arme un moment sans préciser pour quelle raison. C’est le début de nouvelles emmerdes pour Steph, des emmerdes d’une autre envergure. L’autrice prend le temps de camper ses personnages et l’environnement marseillais, on pense à Izzo sur certains passages comme l’a très bien relevé Guillaume Chérel sur une chronique du livre sur son blog. On se laisse porter par cette histoire, par cette atmosphère et on se laisse surtout porter par des personnages bien amenés. L’intrigue n’est pas forcément la plus originale mais je trouve que le sel de ce roman noir n’est pas là uniquement. Lorsque les choses s’accélèrent dans la deuxième partie le roman devient vraiment prenant. « Le soleil ne brille pas pour tout le monde » est une belle découverte, dans la lignée des polars où la ville peut devenir un personnage à part entière. Je suis curieux de lire un nouveau roman de l’autrice et de voir comment va évoluer son travail.

Le soleil ne brille pas pour tout le monde, ed. M+ éditions, 15,80 euros, 168 pages.

Le corps de la ville endormie / Gérard Lecas

Une enquête autour d’un couvent parisien, menée par deux personnages complexes de la BAC parisienne.

Malgré certains écueils dans celui-ci notamment le traitement des personnages féminins en grande partie résumées à leurs physiques, j’étais curieux de relire un roman noir de Gérard Lecas après avoir beaucoup aimé le dernier en date, « Le sang de nos ennemis ». C’est chose faite avec son court polar incisif, «Le corps de la ville endormie » sortie en 2012 après une longue pause d’écriture. Cette fois-ci direction Paris et la rue des Pyrénées dans le 20 ème arrondissement. Un homme est arrêté en train de taguer « sœurs assassines » sur les murs d’un couvent qui hébergent des adolescentes. Le lieutenant Danny Perez de la BAC est mis sur l’affaire avec Yasmina une stagiaire du service. Le duo fonctionne bien et l’enquête avance jusqu’à ce que les investigations commencent à brasser des choses plus personnelles pour les personnages. C’est là aussi que le roman devient intéressant. Les thèmes autour de la religion et de l’identité émergent et les personnages prennent ensuite petit à petit de l’épaisseur sous la plume de Gérard Lecas.

Le corps de la ville endormie, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 7 euros, 176 pages.

Peter Punk au pays des merveilles / Danü Danquigny

Un homme sort de prison et se retrouve en deux temps trois mouvements au milieu d’une magouille dans laquelle il va brasser ses relations passées.

Desmund Sasse sort de prison au début du roman et s’apprête à retrouver Morclose, une ville bretonne fictive dans laquelle il a ses habitudes. Malheureusement Desmund est le genre de personnage qui a un don pour attirer les galères. Et ça ne loupe pas, peu de temps après sa sortie il se retrouve arrêté de nouveau par la police en étant suspecté de complicité de meurtre. Desmund alias « Peter Punk » a bien l’intention de ne pas retourner en taule et pour ça il va mener sa petite enquête pour comprendre dans quelle magouille il s’est retrouvée à son insu. Il reçoit à sa sortie des messages vocaux qui semblent être liés à l’affaire. Ses actions vont l’amener à côtoyer un ancien pote à lui devenu flic ou une détective privée qui va être amenée à lui sauver la mise. Deux autres personnages réussis et réalistes qui participent pleinement à l’atmosphère de ce pur polar dans la tradition du hard boiled. Danü Danquigny mène très bien sa barque, les dialogues sonnent juste et de petits pics bien senties se glissent dans le récit notamment sur l’institution policière et ses nouvelles pratiques du maintien de l’ordre. Du bon roman noir.

Peter Punk au pays des merveilles, ed. Gallimard, coll. Série noire, 19 euros, 289 pages.

Le Grand Saut / Thibault Bérard

Un homme sur le point de mourir se remémore sa vie passée.

Comme souvent chez Thibault Bédard l’histoire part d’une idée originale et c’est encore le cas dans ce troisième roman. On découvre la vie de Léonard alors qu’il s’apprête à mourir seul dans sa cuisine après avoir tenté de réparer son évier. Alors que la vie le quitte, il voit défiler les moments marquants de son existence et surtout la saveur d’une époque où il n’était pas cet homme solitaire isolé dans son chalet. Il se rend compte qu’il est passé à côté avec ses proches à plusieurs reprises. Que ce soit sa femme Lise ou ses enfants. On découvre tous ces autres personnages qui gravitent encore ou non autour de lui. Léonard est un personnage ambivalent, mais avec lequel on a certains moments de l’empathie. L’auteur aborde la question de la perte, de la mort, du temps qui passe et surtout des liens familiaux avec talent. La famille est un thème central dans les romans de Thibault Bérard et dans « Le grand saut » on retrouve une nouvelle fois ce thème. J’avais beaucoup aimé les deux précédents et « Le grand saut » fonctionne aussi très bien. C’est court et prenant. On le lit quasi d’une traite. Il offre un concentré d’émotion et de scènes qui touchent sans tomber dans le cliché. C’est d’ailleurs un exercice difficile de faire sourire avec les sujets pas toujours fun qui sont abordés. Et en même temps on est pris dans ces vies, les vies d’une famille qui tente de traverser les épreuves.

Le Grand Saut, Ed. de l’Observatoire, 20 euros, 208 pages.

Des histoires qui vous ressemblent / Et l’imagination prend feu / Françoise Bourdin et Christelle Dabos

Des bouquins sur la création toujours aussi intéressants.

Dans la continuité du livre de Michel Bussi sur le thème du suspense notamment, j’ai lu les livres de Christelle Dabos et Françoise Bourdin dans la même collection, « Secrets d’écriture » chez Hachette. Une collection dédiée aux coulisses du travail d’écriture de plusieurs romanciers et romancières. De la question de la création à l’édition en passant par les différents ressorts scénaristiques existants, cette collection est vraiment intéressante. Christelle Dabos aborde comment elle construit ses mondes imaginaires notamment dans sa série du « Passe-miroir ». Françoise Bourdin de son côté repère des invariants dans ses différentes histoires. Des histoires familiales ou des sagas, dans lesquelles les relations humaines entre les personnages forment le cœur du récit. Cette collection offre de courts bouquins que l’on a envie d’annoter ou de relire.

Et l’imagination prend feu, ed. Hachette, 15,90 euros, 192 pages.

Des histoires qui vous ressemblent, ed. Hachette, 14,90 euros, 176 pages.

Rue Mexico / Simone Buchholz

Difficile de décrocher une fois que l’on a découvert cette procureure d’Hambourg et cette série. Et c’est vrai qu’avant même de commencer je partais quasi conquis. J’ai chroniqué récemment les premiers romans noirs de l’autrice et ça se confirme c’est une belle découverte, qui donne un nouveau souffle au genre. Je découvre un peu à la bourre cette année les aventures de Chastity mais c’est vraiment du bon polar sur toute la ligne. La procureure est un personnage réussi et on sent que Simone Buchholz se régale à la faire évoluer. Elle tente de contrôler ses vieux démons encore une fois et son cynisme à toute épreuve est une nouvelle fois de la partie tout comme une autre substance dont elle a tendance à abuser. Dans « Rue Mexico » des voitures brûlent un peu partout dans le monde et à Hambourg, une voiture brûlée est aussi retrouvée mais avec un homme dedans. Un homme entre la vie et la mort et qui vient du clan Saroukhane. Un clan de mercenaires redoutables installé à Brême. Une jeune femme mystérieuse assiste à la scène lorsque la voiture brûle avant de fuir lorsque Chastity arrive sur les lieux. C’est le début d’une nouvelle enquête pour elle et son compère du moment, Stepanovic. Un autre personnage croisé précédemment et qui prend de l’épaisseur ici. Il y a toujours un bon mot d’un chapitre à l’autre dans les romans de Simone Buchholz ou toujours une réflexion sur le monde qui nous entoure et « Rue Mexico » ne fait pas exception. La violence sous toutes ses formes plane au dessus de l’histoire, que ce soit celle des riches salariés qui travaillent pour des compagnies d’assurance ou celle des clans. En bref on a hâte de lire à nouveau les punchlines de cette procureure pas comme les autres.

Traduction de Claudine Layre.

Rue Mexico, ed. l’Atalante, 19,90 euros, 256 pages.

Les Contemplées / Pauline Hillier

Le récit du séjour de l’autrice dans la prison pour femmes de Tunis.

Inspiré par ce que l’autrice a traversé, « Les Contemplées » est un récit autobiographique de Pauline Hillier dans lequel elle raconte sa détention à La Manouba, la prison pour femmes de Tunis. L’autrice y est envoyée suite à son arrestation lors d’une manifestation. Elle relate les conditions de détention et dresse des portraits marquants de ses codétenues qui pour beaucoup sont victimes à l’origine d’une violence patriarcale. Des portraits de femmes qui questionnent le sens d’une justice bafouée. De nombreux passages du récit retranscrivent la solidarité qui se crée entre ses femmes derrière les barreaux. « Les Contemplées » est un texte poignant qui donne à voir des femmes qui luttent, victimes d’erreurs judiciaires. Un livre marquant sur l’injustice qui oscille entre fiction et autobiographie.

Les Contemplées, ed. La Manufacture de livres, 18,90 euros, 179 pages.

Les Sources / Marie-Hélène Lafon

La violence rôde dans une ferme isolée du Cantal, dans les années 60.

Marie-Hélène Lafon n’a pas son pareil pour camper en quelques pages des scènes, pour donner de l’épaisseur à ses personnages en quelques lignes. Dans « Les Sources » elle se penche sur une famille d’agriculteurs qui vit sous le joug d’un père de famille violent. La première victime est sa femme, qui est la voix de toute la première partie du roman. Elle raconte sans détour ce qu’elle vit, la violence qui l’enferme dans son quotidien avec son conjoint. L’autrice parvient à nous transporter au milieu de cette ferme isolée du Cantal, dans les années 60. Il y est question de la condition des femmes et encore une fois on est marqués par les mots, par le choix des mots dans lequel on sent que rien n’est laissé au hasard. Pour la deuxième partie du roman Marie-Hélène Lafon choisit de donner la parole au père avant de terminer par une des filles de la fratrie. « Les Sources » est un roman tendu qui se lit comme un souffle. Comme souvent chez la romancière la question du silence et des non dits plane jamais loin et c’est encore le cas ici. À l’arrivée ça donne un roman âpre et très bien écrit.

Les Sources, ed. Buchet Chastel, 16,50 euros, 128 pages.

La femme du deuxième étage / Jurica Pavicic

Un nouveau polar de Jurica Pavicic pour notre plus grand plaisir.

On découvre Bruna au début du roman dans une cuisine puis on se rend compte rapidement que c’est la cuisine d’une prison et qu’elle est détenue dans un centre de détention depuis dix ans à Pozega en Croatie. Le décor est vite posé. Jurica Pavicic va pouvoir remonter le fil des événements tout au long de ce roman noir, un régal du début à la fin. Avec des personnages ambivalents et très bien construits on réalise que tout débute le jour où Bruna rencontre Frane son futur mari et lorsqu’elle s’apprête à emménager dans une grande maison qui appartient à la famille de Frane. La mère de Frane, Anka, vit avec eux dans cette grande maison familiale. A partir de là l’auteur restitue l’atmosphère et l’engrenage dans lequel la jeune femme a mis le pied. J’avais adoré « L’eau rouge », roman noir ambitieux sur une disparition qui avait été une vraie surprise de cet auteur croate. J’ai autant apprécié « La femme du deuxième étage » qui nous révèle à nouveau le sens de l’observation de l’auteur et son talent pour camper ses personnages féminins complexes. C’est prenant et on a qu’une déception c’est de refermer le bouquin. Un excellent polar.

Traduit par olivier Lannuzel.

La femme du deuxième étage, ed. Agullo, 21,50 euros, 223 pages.

Une petite société / Noëlle Renaude

La romancière pose sa focale sur des personnages qui s’agitent autour d’une maison bien mystérieuse.

J’étais curieux de retrouver cette singulière autrice de roman noir qui avait été une belle surprise avec « Les abattus » chez Rivages. On retrouve rapidement ce ton dans « Une petite société ». De longues phrases, des fines observations de nos comportements humains et un talent certain pour déceler les zones d’ombre de nos pairs, Noëlle Renaude confirme ses qualités avec ce polar. Tom est un jeune handicapé qui vit reclus dans sa maison avec une mère de substitution. Et le voisinage les observe avec beaucoup de curiosité jusqu’au jour où ça déraille lorsque Tom tente d’enlever une jeune voisine. Noëlle Renaude s’attarde sur cette curiosité, parfois malsaine du voisinage qui permet de découvrir les personnages et leurs vies autour de cette maison. « Une petite société » est un polar à l’atmosphère unique qui renouvelle le genre. Le lecteur se laisse porter par les observations, par les jugements des personnages. Bienvenu dans un microcosme passé au peigne fin. Un microcosme parfois très sombre, à d’autres moment banal mais surtout qui sonne juste.

Une petite société, ed. Rivages, 22 euros, 408 pages.

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