Debout-Payé / Gauz

Un petit bouquin savoureux et malin, qui s’attarde sur la figure du vigile en France avec beaucoup de justesse.

C’est l’histoire d’un étudiant ivoirien, Ossiri, qui arrive en France dans les années 90 sans papier et qui devient vigile. Gauz questionne le parcours de ce personnage, celui de sa famille et des potes qu’il se fait, mais aussi la condition derrière le métier de vigile. Dans une langue unique et avec un regard aiguisé, il décrit la vie des vigiles, des grands magasins parisiens aux petites boutiques. Il décrypte les comportements des clients et des clientes avec un temps d’avance sur leurs actions, sur leurs petites habitudes. C’est drôle, très bien vu et en même c’est un reflet réaliste de la société de consommation. Gauz s’attarde aussi sur les regards portés sur les vigiles, avec en toile de fond le parcours des immigrés en France. « Debout-payé » est un court roman à découvrir, qui dégage une poésie singulière et qui avait eu un petit écho à sortie en 2014.

Debout-Payé, ed. Le Nouvel Attila, 17 euros, 192 pages.

Journal d’un scénario / Fabrice Caro

La dernier roman de Fabrice Caro s’attarde sur l’industrie du cinéma et ne la loupe pas.

Boris vient de terminer son scénario. Une histoire d’amour pleine de poésie dont il est fier et qu’il présente à un producteur. Une tragédie amoureuse appelée « Les servitudes silencieuses ». Le producteur décide d’en faire un film et Boris exulte, il n’en revient pas. En parallèle il rencontre Aurélie une passionnée de cinéma. Il lui parle de son film et les deux personnages ont des discussions enflammées à ce sujet. Dans les romans de Fabrice Caro le burlesque n’est jamais loin et tout peut déraper d’un moment à l’autre. Ça ne loupe pas pour Boris lorsque son producteur commence à lui dire qu’il faudrait changer le rôle-titre du film et apporter quelques modifications. Boris doute et commence à se dire que le film s’éloigne de son scénario initial. La spirale est lancée et on se régale à suivre ce looser qui se laisse complètement manipuler et qui dans le même temps est dépassé par la trajectoire que prend son fameux scénario. « Journal d’un scénario » n’est peut-être pas le meilleur de l’auteur, mais offre assurément un bon moment de lecture. Au passage les quelques petits pics sur le cinéma et son industrie sont plutôt bien vus.

Journal d’un scénario, ed. Gallimard, coll. Sygne, 19,50 euros, 208 pages.

Bien sûr que les poissons ont froid / Fanny Ruwet

Un premier roman qui oscille entre des réflexions sur notre condition et un humour noir bien senti.

La narratrice de cette histoire décide de partir à la recherche du garçon avec qui elle a entretenu une relation à distance sur MSN lorsqu’elle avait 15 ans. Un moment de sa vie qu’elle a toujours gardé en tête depuis le jour où ce mystérieux interlocuteur a disparu sans donner de raisons. Dix ans plus tard elle décide de chercher à le retrouver. Dans ce premier roman à mi chemin entre fiction et autobiographie, on retrouve le ton unique de l’humoriste mais aussi un juste dosage avec des passages qui touchent lorsque l’on découvre les névroses ou la vie de l’autrice. C’est toujours bien vu, Fanny Ruwet est une observatrice redoutable de nos petites habitudes, de notre condition. Ça donne à la fin un roman qui sort de l’ordinaire et qui touche. Un réel plaisir de lecture qui sort du lot.

Bien sûr que les poissons ont froid, ed. L’iconoclaste, 19 euros, 266 pages.

Une petite société / Noëlle Renaude

La romancière pose sa focale sur des personnages qui s’agitent autour d’une maison bien mystérieuse.

J’étais curieux de retrouver cette singulière autrice de roman noir qui avait été une belle surprise avec « Les abattus » chez Rivages. On retrouve rapidement ce ton dans « Une petite société ». De longues phrases, des fines observations de nos comportements humains et un talent certain pour déceler les zones d’ombre de nos pairs, Noëlle Renaude confirme ses qualités avec ce polar. Tom est un jeune handicapé qui vit reclus dans sa maison avec une mère de substitution. Et le voisinage les observe avec beaucoup de curiosité jusqu’au jour où ça déraille lorsque Tom tente d’enlever une jeune voisine. Noëlle Renaude s’attarde sur cette curiosité, parfois malsaine du voisinage qui permet de découvrir les personnages et leurs vies autour de cette maison. « Une petite société » est un polar à l’atmosphère unique qui renouvelle le genre. Le lecteur se laisse porter par les observations, par les jugements des personnages. Bienvenu dans un microcosme passé au peigne fin. Un microcosme parfois très sombre, à d’autres moment banal mais surtout qui sonne juste.

Une petite société, ed. Rivages, 22 euros, 408 pages.

Figurec / Fabrice Caro

Une nouvelle fournée de Fabcaro. Moins récente mais toujours drôle.

Petite parenthèse humoristique avec le premier roman de Fabcaro, une histoire originale qui se lit bien et où l’on retrouve le ton inimitable de l’auteur. Ce mélange d’humour et de regards désabusés sur nos petits comportements du quotidien. Ajoutez à cela une histoire de figuration où une société embauche des gens pour rendre des services au quotidien. Vous avez peur de manquer de monde à un enterrement ? Faites appel à cette drôle de boite où des figurants se pointent pour jouer le rôle que vous leur avez assigné. Vous avez besoin d’un conjoint ou d’une conjointe fictive auprès de vos parents ? Pareil. « Figurec » est la société qu’il vous faut. Le tout fonctionne plutôt bien et on termine la lecture un sourire en coin. Fabcaro n’a pas son pareil pour descendre ses pairs. Son personnage principal, trentenaire célibataire à la ramasse va en faire les frais.

Figurec, ed. Folio, 7,60 euros, 292 pages.

Aucune bête aussi féroce / Edward Bunker

Un voleur tente de se racheter une conduite à sa sortie de prison. Un classique.

Max Dembo imagine changer pendant sa conditionnelle en sortant de prison mais les choses ne vont pas être aussi simples. Renouer avec de vieilles connaissances, mettre à l’épreuve ses talents de voleur ou encore se sortir d’un mauvais pas comme il a souvent su le faire, le personnage ne va pas se priver. Le lecteur le suit dans ce roman noir où les événements se précipitent au fil des chapitres. Edward Bunker s’inspire de sa vie pour écrire ce roman à la frontiere entre fiction et autobiographie. Les nombreuses connaissances de l’auteur sur le vol à main armée et sur la prison rendent le récit immersif et prenant. Je découvre Bunker avec « Aucune bête aussi féroce » et c’est un roman noir plus que recommandable.

Aucune bête aussi féroce, Ed. Rivages, coll. Rivages noir, 9,50 euros, 412 pages.

Broadway / Fabrice Caro

Un nouveau Fabcaro toujours aussi déjanté et avec ce qu’il faut de cynisme.

L’auteur de Zaï zaï zaï continue d’écrire des romans toujours aussi déjantés. Le personnage principal de « Broadway » développe une sacré parano et n’échappe pas à la règle. Au détour d’une convocation dans l’établissement scolaire pour son fils ou au milieu d’un repas avec des amis, de courtes digressions vont s’enchaîner sans faire décrocher le lecteur. Le personnage se pose tout un tas de questions existentielles sur sa vie et on retrouve avec plaisir tous les ingrédients qui font le sel des romans de Fabcaro, que ce soit l’humour noir, le sarcasme ou l’observation fine du quotidien.

Broadway, ed. Gallimard, coll. Sygne, 18,90 euros, 208 pages.

À la folie / Joy Sorman

Une observation fine d’un service de psychiatrie.

« À l’hôpital psychiatrique, une grande part du temps infirmier est pourtant un temps informel – on s’assoit et on parle –, la bienveillance ne se chiffre pas, le plus efficace peut être imperceptible, non quantifiable. Tous le disent, on manque de soignants et les soignants manquent de temps, car ils le perdent à des tâches administratives toujours plus nombreuses, des tâches comptables qui rassurent sans doute les gestionnaires déconcertés par les pratiques incertaines de la psychiatrie, rétives à toute culture du résultat. »

Une citation parmi tant d’autres relevées, qui résume à merveille la démarche de ce livre singulier de Joy Sorman, dans lequel elle observe pendant une période un service de psychiatrie.

L’autrice ne tombe pas dans le piège du misérabilisme ni du sensationnalisme au gré des rencontres et des observations et elle restitue très bien l’atmosphère d’un service en psy. Elle prend le temps de décrire des patient.e.s et des soignant.e.s, le tout avec beaucoup de justesse et de pudeur. Le lecteur découvre de sacrés parcours de vie et des réflexions qui font vaciller la frontière entre le normal et le pathologique. Des réflexions qui font réfléchir sur la stigmatisation que subissent ces malades et plus largement l’institution psychiatrique. Quelques éléments théoriques et historiques complètent très bien les récits et les descriptions.

Un livre poignant sur la psychiatrie, sur son état actuel (dégradé et délaissé par les pouvoirs publics) et plus largement sur tous les questionnements que cette branche de la médecine soulève.

À la folie, ed. Flammarion, 19 euros, 288 pages.

Hakim / Diniz Galhos

La fuite en avant d’Hakim, un dessinateur de bd paranoïaque et ultra lucide.

Hakim va passer une semaine seul pour bosser sur sa bd. Il accompagne sa famille qui rentre au bled, à l’aéroport de Roissy. Sur le retour en RER, seul avec ses pensées et déjà en train de maronner, il tombe sur un bagage abandonné dans le wagon. Il hésite alors à prévenir tout le monde au risque d’être immédiatement suspecté avec sa couleur de peau, son jogging et sa barbe. C’est le début d’une fuite en avant pleine de paranoïa.

Hakim est le produit d’une France qui stigmatise mais Hakim est aussi une machine à digressions. C’est cette forme que va choisir l’auteur pour restituer ses pensées à partir de l’événement déclencheur. Une suite de digressions écrites à la première personne. Les pensées d’Hakim alternent entre ce qu’il se passe pour lui depuis son départ de Roissy et ce que ça va lui renvoyer sur son passé. La langue choisit donne envie de lire certains passages à haute voix. C’est rythmé avec des coupures, des détours, des raccourcis et des bons mots. Un peu déstabilisant au début, on se laisse vite porter par cette prose qui frappe dure et qui sert à merveille l’urgence dans laquelle se trouve le personnage principal. Ses réactions retranscrivent son anxiété et en même temps la conséquence d’un racisme crasse bien français. Les à priori d’Hakim n’en sont pas tant que ça à bien y regarder. Et on sent au fil du récit une forme de lucidité dans les pensées du personnage et dans son regard sur le monde.

Un roman noir tout en nuances, avec un regard sombre sur une société qui ne tourne pas rond et qui traîne de sacrés boulets. Hakim se retrouve au milieu de tout cela et illustre très bien ce poids qui le dépasse. Il est aussi d’une lucidité désarmante. Une excellente découverte des éditions Asphalte que je vous conseille.

Hakim, ed. Asphalte, 18 euros, 208 pages.

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