Le corps de la ville endormie / Gérard Lecas

Une enquête autour d’un couvent parisien, menée par deux personnages complexes de la BAC parisienne.

Malgré certains écueils dans celui-ci notamment le traitement des personnages féminins en grande partie résumées à leurs physiques, j’étais curieux de relire un roman noir de Gérard Lecas après avoir beaucoup aimé le dernier en date, « Le sang de nos ennemis ». C’est chose faite avec son court polar incisif, «Le corps de la ville endormie » sortie en 2012 après une longue pause d’écriture. Cette fois-ci direction Paris et la rue des Pyrénées dans le 20 ème arrondissement. Un homme est arrêté en train de taguer « sœurs assassines » sur les murs d’un couvent qui hébergent des adolescentes. Le lieutenant Danny Perez de la BAC est mis sur l’affaire avec Yasmina une stagiaire du service. Le duo fonctionne bien et l’enquête avance jusqu’à ce que les investigations commencent à brasser des choses plus personnelles pour les personnages. C’est là aussi que le roman devient intéressant. Les thèmes autour de la religion et de l’identité émergent et les personnages prennent ensuite petit à petit de l’épaisseur sous la plume de Gérard Lecas.

Le corps de la ville endormie, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 7 euros, 176 pages.

De purs hommes / Mohamed Mbougar Sarr

Un roman poignant sur la quête d’une identité dans la société sénégalaise.

Ndéné Gueye est professeur de lettres au Sénégal et il a du mal à trouver du sens dans ce qu’il fait. Il est déçu par le décalage entre l’image qu’il se fait de la profession et la réalité. Il est aussi désabusé lorsqu’il voit la société dans laquelle il vit et dans laquelle il a du mal à se retrouver. Une société aux avis tranchés et où la tolérance n’est pas le maître mot, à commencer par celle de son père. Un jour il tombe sur la vidéo virale d’un cadavre qui est déterré d’un cimetière par un groupe. Perplexe dans un premier temps, il finit par découvrir que l’homme en question est homosexuel et stigmatisé pour ça. A-t-il été déterré en raison de son orientation sexuelle ? Pourquoi de tels extrêmes ? Le personnage principal va petit à petit développer une obsession pour cette histoire derrière la vidéo. Il se questionne alors sur l’identité de jeune homme et finit par questionner la sienne. « De purs hommes » est un très beau roman sur la construction d’une identité, sur la lutte pour vivre comme on l’entend dans une société qui ne le permet pas. On retrouve la plume de Mohamed Mbougar Sarr qui fait sonner le tout avec beaucoup de justesse. Je m’attendais pas un tel souffle dans ce court roman de l’auteur, je vous le conseille sans hésiter.

De purs hommes. Ed. Le livre de poche, 7,70 euros, 192 pages.

Les métèques / Denis Lachaud

Une famille descendante d’immigrés devient la cible d’une milice citoyenne.

Célestin habite avec sa famille dans le quartier de la pointe rouge à Marseille. Un jour, la famille reçoit un curieux courrier de l’administration. Il est demandé au parents de Celestin de reprendre leurs anciens noms de famille, leurs noms d’origine. La famille de Célestin est issue d’une lignée juive et maghrébine et elle va faire face au racisme de l’administration française au début de ce roman. Un roman prenant et très sombre qui dégénère le jour où toute la famille de Célestin est tuée par des racistes qui agissent dans l’ombre de l’état avec des méthodes expéditives. Célestin réussi à s’enfuir et quitte Marseille dans la foulée. On suit alors le périple du jeune homme qui est tiraillé entre la tristesse lié au drame et la peur de recroiser un nouveau groupe violent, une nouvelle milice de l’ombre qui chasse les descendants d’immigrés. « Les métèques » est un roman qui questionne, qui dresse le portrait d’une France raciste avec des relents de l’époque coloniale. Célestin va tenter de s’en sortir malgré la tension qui augmente au fil du récit et de sa fuite en avant. De Marseille à Sète on découvre un jeune homme dépassé par les évènements dans un roman très bien construit et âpre. Un gros coup de coeur.

Les métèques, Ed. Actes Sud, 7,70 euros, 224 pages.

La petite dernière / Fatima Daas

Une voix singulière à découvrir.

Dans un récit autobiographique d’une rare justesse et tout en nuances, Fatima Daas se raconte, raconte son enfance à Clichy-sous-Bois. Le personnage s’arrête sur les relations avec sa mère, son père ou ses amies. Elle retransmet aussi ses observations du quotidien, d’une vie en mouvement, notamment des observations dans les transports en commun qu’elle prend régulièrement. L’écriture lui permet de poser les choses, de tracer les contours d’une identité qu’elle découvre mouvante. Plusieurs émotions traversent ce texte et on a du mal à décrocher une fois lancé dans la lecture. On est pris par le fond mais aussi par la forme tout aussi travaillée. Une lecture qui sort le lecteur de sa zone de confort. J’ai été pris par ce rythme et je suis très curieux de lire une nouvelle fois cette plume. « La petite dernière » est un sacré bouquin où se mêle la recherche d’une identité et la découverte de l’écriture. Un livre marquant sur l’adolescence et ses tâtonnements. Un coup de cœur.

La petite dernière, ed. Noir sur Blanc, 16 euros, 192 pages.

Le soleil des Scorta / Laurent Gaudé

Un très beau roman sur plusieurs générations, dans le sud de l’Italie.

Direction Montepuccio, un petit village du Sud de l’Italie. Tout commence en 1870 lorsqu’un brigand revient dans ce village qu’il a connu. Ce retour marque pour le lecteur la découverte d’une famille que l’on va suivre tout au long du roman jusqu’à nos jours. La famille des Scorta. Une famille riche dans un premier temps puis qui connaît la pauvreté ensuite. Laurent Gaudé décrit à merveille ce village, son atmosphère et les relations que tissent cette famille au fil des années avec les habitants du coin. Des frères aux parents en passant par les liens qui les unissent ou non au curé du village, on découvre une histoire touchante et marquante. L’histoire d’une famille pauvre du Sud de l’Italie et qui tente de survivre, en étant irrémédiablement ramenée à leur condition. Le climat rude de cette région, le soleil et la chaleur accablante ne facilitent rien. Et en même temps, cette famille qui évolue est fière de ses racines et d’avoir ce rapport à la terre. Ils ne sont pas épargnés par les épreuves de la vie et l’auteur parvient à restituer tout cela dans une langue unique, avec juste ce qu’il faut d’images. Comme dans « Eldorado » j’ai complétement été happé par ce livre et sa force d’évocation. On y retrouve des thèmes chers à l’auteur, l’exil, l’épreuve ou encore la force des relations humaines. Une très belle surprise qui me donne envie de continuer à découvrir la bibliographie de Laurent Gaudé.

Le soleil des Scorta, ed. Actes Sud, 19,30 euros, 245 pages.

L’eau rouge / Jurica Pavicic

Un auteur croate à découvrir. Très beau roman noir.

Un soir de 1989, dans un petit village Croate de la côte dalmate, Silva finit de diner avec son frère et ses parents avant de se rendre à la fête des pêcheurs pour retrouver ses amis. La jeune fille de 17 ans n’imagine pas une seconde que ce dîner sera le dernier en leur compagnie. Elle est portée disparue dès le lendemain et sa photo sera bientôt sur toutes les rétines du petit bourg.

L’enquête menée par Gorki Sain démarre puis piétine. Le pays est en proie à des changements politiques et des conflits importants suite à l’effondrement du régime de Tito. La famille ne lâchera pas le morceaux de son côté et Jurica Pavicic emmène la lectrice et le lecteur dans cette quête. Tout débute en 1989 et les années vont filer, tout comme les chapitres. Chaque chapitre relate les évènements vécus par les personnages qui vieillissent, et qui gravitent autour de cette disparition. On suit tour à tour les parents de la jeune fille, son frère, mais aussi l’enquêteur Gorki Sain en charge de l’affaire ou encore les amis de Silva. Les vies continuent, les personnages changent mais le spectre de cette disparition n’est jamais loin. On découvre l’impact du drame sur la famille et sur tout une communauté qui a été amené à la côtoyer d’une manière ou d’une autre. C’est une façon inédite de traiter la disparation et l’auteur rend par ce biais le récit immersif et prenant. On découvre les choses au fur et à mesure, en revoyant des personnages bien après cette fameuse soirée de 1989.

L’auteur écrit très bien et malgré l’histoire qui s’étale sur plusieurs années on ne décroche pas. Il tisse avec habilité l’histoire d’un pays et une singulière intrigue. Il prend le temps de s’attarder sur ses personnages, sur des petits tournants dans leurs vies. On se laisse complètement embarquer dans ce roman noir qui change d’échelle régulièrement et imbrique à merveille les petites histoires dans la grande. Une très belle découverte.

Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

L’eau rouge , ed. Agullo, coll. Agullo Noir, 20,50 euros, 384 pages.

Ce que je ne veux pas savoir / Deborah Levy

Une enfance pas toujours facile mais jamais loin de l’écriture.

D’où vient l’envie d’écrire ? Dans quelles mesures est-ce liée à la condition féminine ? À l’enfance ? C’est en retraçant une partie de son enfance en Afrique du Sud puis en Angleterre que Deborah Levy livre une partie de sa réponse. Une réponse qui prend la forme d’une réflexion à la fois complexe et riche sur le statut d’écrivaine, sur le rôle de l’enfance mais aussi sur les obstacles que l’autrice a pu rencontrer (notamment l’impact de l’apartheid sur sa famille). Le tout est parsemé de citations, de Virginia Woolf à Orson Welles. La traduction est de Céline Leroy.

Ce que je ne veux pas savoir, Ed. du sous-sol, 16,50 euros, 144 pages.

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