Stella et l’Amérique / Joseph Incardona

Le dernier Incardona est un excellent cru, déjanté comme on aime.

Stella est prostituée et découvre qu’elle guérit les hommes avec qui elle couche. Perplexe, elle rencontre son entourage pour essayer de comprendre, à commencer par la vieille voyante avec qui elle est complice et qui lui intime de fuir, car les choses vont se précipiter pour elle. Ce don à première vue incroyable va s’avérer être une vraie plaie. Et la nouvelle va finir par venir jusqu’aux oreilles des hautes instances religieuses du Vatican. Ces derniers apprenant qu’elle est une prostituée décident d’en faire une martyre, en lançant sur la piste de Stella deux brutes épaisses, spécialistes des règlements de compte et à l’efficacité redoutable. Évidemment c’est sans compter sur le prête du coin, ancien navy seal reconverti, qui décide de prendre la jeune femme sous son aile pour la protéger. Vous avez là une partie des personnages d’Incardona, tous plus déjantés et un échantillon de l’intrigue qui va littéralement partir en live. Comme souvent chez l’auteur les chapitres sont courts, l’humour noir est bien présent, les références nombreuses tout comme les bons mots. Pas de doute on est bien dans un roman noir de Joseph Incardona et on a beaucoup de mal à lâcher le roman, avec cette envie de savoir vers quelles galères Stella se dirige. Un personnage féminin que l’on n’est pas prêt d’oublier. L’auteur se permet quelques incursions dans le récit qui font sourire, et qui complètent très bien la justesse avec laquelle il dézingue les travers et autres aberrations de nos sociétés.

extrait : « La vieillesse est un nem, le passé tendre à l’intérieur de cette croûte qui est la peau. »

Stella et l’Amérique, ed. Finitude, 21 euros, 224 pages.

Mungo / Douglas Stuart

Un roman marquant sur une relation impossible entre deux adolescents à Glasgow, dans les années 90.

J’ai redécouvert ce livre de Douglas Stuart suite à un retour de lecture sur Instagram et une fois démarré j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher. Mungo est un jeune homme qui grandit dans la banlieue de Glasgow avec sa mère alcoolique et rarement là, et sa soeur et son frère. Son grand frère étant une fois sur deux violents avec lui, une brute qui érige des valeurs machistes avant tout le reste. Le personnage vit une adolescence compliquée du haut de ses seize ans, une adolescence marquée par la précarité et par les conflits qui gangrènent la ville. Mungo va tenter de grandir avec en fond ces rivalités entre les protestants et les catholiques. Les altercations entre bandes sont nombreuses et il n’est pas rare que des jeunes perdent la vie dans cette rivalité religieuse. Le jeune homme fait une rencontre qui va chambouler son quotidien et qui va faire naitre de nouveaux sentiments pour lui. « Mungo » est un roman qui touche comme rarement et qui à travers une langue âpre restitue la condition d’un jeune homme en décalage par rapport aux autres jeunes de son âge. Un personnage qui découvre son homosexualité et qui se rend compte rapidement qu’il risque gros à la dévoiler, que ce soit dans son entourage proche ou plus largement dans la banlieue dans laquelle il habite. Mungo finira par être envoyé par sa mère dans un voyage avec deux repentis, deux hommes censés lui apprendre les valeurs qui forgent un soi-disant vrai homme, viril. C’est rare les livres qui m’embarquent comme ça et qui marquent. Plus d’une scène et plus d’un dialogue font cet effet-là dans ce roman terrible de Douglas Stuart. Une histoire qui alterne entre les moments très difficiles et des passages plus lumineux. Difficile d’en dire plus tant on ressort sonnée de cette lecture et en même temps, en ayant le sentiment d’avoir lu un sacré bouquin. À lire, vraiment.

Mungo, ed. Globe, 24 euros, 480 pages.

La Barbe / Omar Benlaala

La trajectoire de l’auteur et son rapport à la religion, à travers un témoignage lucide.

Après avoir lu « Tu n’habiteras jamais Paris » où il était question de son père en grande partie, j’ai eu envie de rependre le récit d’Omar Benlaala écrit dans la collection « raconter la vie ». Un livre dans lequel il revient sur son parcours à lui cette fois-ci. Un parcours dans lequel il découvre la religion avant de vivre uniquement par rapport à elle puis d’évoluer dans les extrêmes. Omar Benlaala avec précision revient sur une trajectoire marquée par le décrochage scolaire, un rapport aux drogues complexe, sa découverte de la religion ou encore la quête d’un équilibre qu’il peine à trouver. L’auteur se livre et déconstruit les raisons qui l’ont poussé à faire tout ce qu’il a fait. Il essaie de comprendre, témoignage, constate, ne juge pas. C’est souvent de petits bouquins passionnant cette collection initiée par Pierre Rosanvallon et « La barbe » d’Omar Benlaala ne fait pas exception. N’hésitez pas à découvrir ce texte.

La Barbe, ed. Seuil, coll. Raconter la vie, 7,90 euros, 112 pages.

Les meufs, c’est des mecs bien / Mourad Winter

Le second roman de Mourad Winter, toujours aussi déjanté.

Wourad est en couple avec Adélaïde depuis deux ans et on découvre le personnage en train de faire une connerie au début du roman de Mourad Winter. De son côté Adélaïde souhaite parler à Sourad d’un changement radical qu’elle est en train de faire dans sa vie. Ajoutez à cela Junior, le pote cassos de Wourad qui n’en loupe pas une et vous avez le terreau d’un bon roman de Mourad Winter. Toujours aussi rythmé, avec des punchlines d’anthologie une ligne sur deux, l’auteur revient fort dans ce second roman et comme dans « L »amour, c’est surcoté », on prend beaucoup de plaisir à retrouver sa plume acerbe et cynique. Mourad Winter dote ses personnages d’une répartie unique, d’un humour noir que l’on retrouve que chez lui, et Wourad le personnage principal ne fait pas exception. On entre dans sa tête dans ce roman et on voit son quotidien partir en live sous nos yeux. Ses potes lui mettent la misère, sa copine est redoutable et ne le loupe pas dès que l’occasion se présente tout comme sa soeur Nora. Certains trouveront que c’est trop, d’autres auront du mal avec les multiples références du bouquin. Mais pour celles et ceux qui ont déjà adhéré à « L’amour, c’est surcoté », foncez vous procurer ce second bouquin. C’est toujours aussi bien vu et c’est un régal du début à la fin.

Les meufs, c’est des mecs bien, ed. Clique, 20 euros, 336 pages.

Le corps de la ville endormie / Gérard Lecas

Une enquête autour d’un couvent parisien, menée par deux personnages complexes de la BAC parisienne.

Malgré certains écueils dans celui-ci notamment le traitement des personnages féminins en grande partie résumées à leurs physiques, j’étais curieux de relire un roman noir de Gérard Lecas après avoir beaucoup aimé le dernier en date, « Le sang de nos ennemis ». C’est chose faite avec son court polar incisif, «Le corps de la ville endormie » sortie en 2012 après une longue pause d’écriture. Cette fois-ci direction Paris et la rue des Pyrénées dans le 20 ème arrondissement. Un homme est arrêté en train de taguer « sœurs assassines » sur les murs d’un couvent qui hébergent des adolescentes. Le lieutenant Danny Perez de la BAC est mis sur l’affaire avec Yasmina une stagiaire du service. Le duo fonctionne bien et l’enquête avance jusqu’à ce que les investigations commencent à brasser des choses plus personnelles pour les personnages. C’est là aussi que le roman devient intéressant. Les thèmes autour de la religion et de l’identité émergent et les personnages prennent ensuite petit à petit de l’épaisseur sous la plume de Gérard Lecas.

Le corps de la ville endormie, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 7 euros, 176 pages.

Le Marteau des sorcières / Fabien Cerutti

Une suite de qualitay pour ce tome 3 du Bâtard de Kosigan.

Rien de tel qu’une interlude dans le monde de Fabien Cerutti et dans celui de son bâtard de Kosigan pour changer d’air. Un monde à part où les royaumes luttent et où le personnage du bâtard de Kosigan tire son épingle du jeu avec sa compagnie. Des personnages haut en couleurs que l’on a beaucoup de plaisir à retrouver dans ce troisième tome qui met l’accent sur la sorcellerie et ses effets sur les royaumes. Comme toujours l’étayage historique est de mise et c’est un nouveau roman de fantasy riche et passionnant que nous offre l’auteur pour cette troisième fournée. L’alternance avec l’histoire du bâtard et l’histoire de son descendant dans les années 1900 est toujours de mise, et c’est d’une efficacité redoutable. D’ailleurs on perçoit que les deux trames se rapprochent de plus en plus. On retrouve le ton malin et joueur d’un personnage attachant et en même temps qui se cherche toujours. Notamment des informations sur sa mère qu’il peine à trouver. Le bâtard et sa troupe de mercenaires se retrouve donc à Cologne dans ce tome, au milieu des problèmes que posent d’un côté l’inquisition et de l’autre de mystérieuses sorcières traquées justement par cette même inquisition. Le mélange d’approche historique, de péripéties et de tractations en tout genre fonctionne une nouvelle fois. Il me reste le quatrième livre dans ce cycle prenant qui ne s’essouffle pas.

Le Marteau des sorcières, Ed. Folio, 8,90 euros, 464 pages.

La petite dernière / Fatima Daas

Une voix singulière à découvrir.

Dans un récit autobiographique d’une rare justesse et tout en nuances, Fatima Daas se raconte, raconte son enfance à Clichy-sous-Bois. Le personnage s’arrête sur les relations avec sa mère, son père ou ses amies. Elle retransmet aussi ses observations du quotidien, d’une vie en mouvement, notamment des observations dans les transports en commun qu’elle prend régulièrement. L’écriture lui permet de poser les choses, de tracer les contours d’une identité qu’elle découvre mouvante. Plusieurs émotions traversent ce texte et on a du mal à décrocher une fois lancé dans la lecture. On est pris par le fond mais aussi par la forme tout aussi travaillée. Une lecture qui sort le lecteur de sa zone de confort. J’ai été pris par ce rythme et je suis très curieux de lire une nouvelle fois cette plume. « La petite dernière » est un sacré bouquin où se mêle la recherche d’une identité et la découverte de l’écriture. Un livre marquant sur l’adolescence et ses tâtonnements. Un coup de cœur.

La petite dernière, ed. Noir sur Blanc, 16 euros, 192 pages.

Le fou prend le roi / Fabien Cerutti

Le bâtard de Kosigan – Tome 2

« Le fou prend le roi » est le second tome de la série consacrée au Bâtard de Kosigan. Un personnage rusé et plein de malice, qui gère ses affaires comme bon lui semble dans le royaume. Le tout dans un contexte où la guerre de Cent Ans débute. Fabien Cerutti écrit une suite tout aussi prenante avec des nouveautés. Les personnages de sa troupe prennent la parole et le Bâtard n’est plus tout le temps sur le devant de la scène. Il est aussi beaucoup moins chanceux que dans le premier tome et va ramer dans ses aventures pour s’en sortir sans trop de casse. Dans cet opus, Kosigan est missionné par le sénéchal d’Angleterre pour infiltrer l’entourage du roi de France. Il doit découvrir quel est la teneur d’un complot qui se trame autour du roi et arrive dans le comté de Flandre pour cette raison. L’auteur en profite pour aborder la religion, les croyances notamment anciennes et leurs impacts sur les populations. La magie sans être l’unique sujet a plus d’importance, que ce soit avec les nouvelles créatures que va croiser Kosigan ou à travers son rôle dans les intrigues. L’alternance dans le roman avec les évènements qui concernent le descendant du Bâtard de Kosigan cinq siècles plus tard, à la fin de l’année 1899, est toujours présente comme dans le premier tome. Fabien Cerutti confirme son talent et le cocktail action, manigances et petites touches d’humour fonctionne une nouvelle fois très bien.

Le fou prend le roi, ed. Folio, 9,20 euros, 608 pages.

Dites-leur que je suis un homme / Ernest J. Gaines

La rencontre entre deux hommes dans l’Amérique profondément raciste des années 40.


Dans les années 40, dans un comté de la Louisiane, un jeune noir se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. Un braquage dégénère et fait des victimes. Jefferson est alors accusé d’assassinat envers un blanc. Il est sur les lieux mais n’est en rien responsable. Il sera jugé et condamné à la peine capitale, au début de ce roman poignant d’Ernest J. Gaines. L’avocat commis d’office en charge de son cas n’est pas concerné par son affaire et plaide l’ignorance chez Jefferson ce qui n’arrange rien. De plus Jefferson est illettré et est incapable de se défendre seul. On sent tout de suite qu’il va être traité comme un moins que rien dans ce jugement qui est une farce. Sa tante qui n’accepte pas que son protégé meurt dans ses conditions demande à l’instituteur de sa plantation de le rencontrer en cellule pour en faire un homme, pour lui redonner de la dignité. S’engage alors une singulière relation entre le prisonnier et Wiggins l’instituteur. Wiggins est le premier à dénoncer la ségrégation raciale et la façon dont les noirs sont traités mais il n’excuse pas non plus les noirs qui ne se battent pas et rendent les armes face aux discriminations raciales. Pendant les différentes visites en prison et avant que le verdict arrive à son terme, on suit le cheminement d’un homme condamné qui dépasse le racisme crasse dont il est victime et réalise les choses au contact de Wiggins. L’injustice est criante mais il s’appuie sur sa rencontre avec cet instituteur. C’est un roman écrit dans une langue concise, qui touche au cœur. Notamment la fin qui prend vraiment aux tripes. Un roman riche qui pose de nombreuses questions, de la religion au racisme, en passant par ce qui fait sens dans la vie d’un homme. Il aborde la domination des blancs sur les noirs dans le Sud des États-Unis tout en ayant des nuances lorsqu’il aborde la complexité de certains rapports avec les blancs, notamment le personnage du shérif adjoint.

Traduit de l’américain par Michelle Herpe-Voslinsky

Dites-leur que je suis un homme, Ed. Liana Levi, coll. Piccolo, 11 euros, 304 pages.

Éloge de l’esquive / Olivier Guez

Une histoire du dribble via le Brésil. Passionnante.

On sent tout de suite la plume du passionné dans ce court essai d’Olivier Guez sur le football brésilien. À travers l’histoire du dribble, de la feinte, de l’esquive, on distingue l’histoire de tout un pays. C’est une véritable philosophie cette façon d’appréhender le football au Brésil et Olivier Guez parvient avec beaucoup de justesse à retranscrire cette passion et cette ferveur qui habitent les Brésiliens lorsqu’il est question du ballon rond. Derrière le football il y a un sport qui a été joué par toutes les classes sociales, mais il y a aussi un sport qui n’est pas sans ambiguïté lorsque très tôt il a été le vecteur de comportements racistes et synonyme de ségrégation. Un court bouquin passionnant et riche qui vaut le détour, notamment le petit texte sur Zidane à la fin.

Éloge de l’esquive, ed. Le livre de poche, 7,20 euros, 128 pages.

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