Les Sources / Marie-Hélène Lafon

La violence rôde dans une ferme isolée du Cantal, dans les années 60.

Marie-Hélène Lafon n’a pas son pareil pour camper en quelques pages des scènes, pour donner de l’épaisseur à ses personnages en quelques lignes. Dans « Les Sources » elle se penche sur une famille d’agriculteurs qui vit sous le joug d’un père de famille violent. La première victime est sa femme, qui est la voix de toute la première partie du roman. Elle raconte sans détour ce qu’elle vit, la violence qui l’enferme dans son quotidien avec son conjoint. L’autrice parvient à nous transporter au milieu de cette ferme isolée du Cantal, dans les années 60. Il y est question de la condition des femmes et encore une fois on est marqués par les mots, par le choix des mots dans lequel on sent que rien n’est laissé au hasard. Pour la deuxième partie du roman Marie-Hélène Lafon choisit de donner la parole au père avant de terminer par une des filles de la fratrie. « Les Sources » est un roman tendu qui se lit comme un souffle. Comme souvent chez la romancière la question du silence et des non dits plane jamais loin et c’est encore le cas ici. À l’arrivée ça donne un roman âpre et très bien écrit.

Les Sources, ed. Buchet Chastel, 16,50 euros, 128 pages.

Le Sanctuaire / Laurine Roux

Un roman qu’on ne lâche pas, sur une famille qui vit en autarcie après une catastrophe.

Dans un monde où une catastrophe a réduit à peau de chagrin la population mondiale, une famille se retrouve retranchée dans les montagnes et vit en autarcie dans une cabane. Un lieu appelé « Le sanctuaire » et qui est préservé du monde extérieur par le père de la famille notamment, très protecteur envers ses deux filles. Le monde d’avant resurgit par bribes de temps à autre, lorsque le père s’absente pour récupérer des denrées et qu’il croise d’autres survivants. Pour la mère, c’est par le discours que la nostalgie se met en place lorsqu’elle raconte des scènes du monde d’avant à ses filles. Laurine Roux emmène le lecteur au sein de cette famille et plusieurs thèmes sont abordés autour de la parentalité, de ce que peut représenter le fait de protéger ses enfants ou encore les différentes facettes qui peuvent naitre chez des parents lorsqu’ils élèvent des enfants, y compris les facettes plus sombres. Entre les deux sœurs, il y a des caractères qui divergent au début du récit avec Gemma qui est née dans « Le sanctuaire » et qui ne connait que cet environnement sauvage dans lequel elle a grandi et qui avec l’aide de son père, a fait d’elle une chasseuse hors pair. June de son côté connait le monde d’avant et a un rapport totalement différent à la nature qui l’entoure. Elle ne ressent pas le même sentiment de liberté que sa sœur.

Je découvre Laurine Roux avec ce roman que j’ai dévoré. Un récit à la lisière du roman noir et de l’imaginaire. Un récit parfois sombre, parfois lumineux. L’écriture sans fioriture n’y est pas étrangère et évoque en quelques mots des images chez le lecteur. Une petite pépite ce bouquin.

Le Sanctuaire, ed. du Sonneur, 16 euros, 160 pages.

S’adapter / Clara Dupont-Monod

Cévennes. Dans les montagnes. Une fratrie recompose avec l’arrivée d’un enfant ayant plusieurs handicaps.

Un enfant nait avec des handicaps et bouleverse la famille dans laquelle il arrive. Plus particulièrement l’ainé et la cadette qui ne vont pas réagir de la même façon devant les différences de leur tout jeune frère. Dans un roman plein de petites observations et très juste dans le ressenti des personnages, Clara Dupont-Monod adopte le point de vue des proches en commençant par l’ainé. Puis la cadette. Les réactions n’ont rien à voir et on découvre la fratrie de l’intérieur. Leurs pensées et leurs non-dits. L’environnement joue beaucoup dans l’atmosphère que campe l’autrice. Les Cévennes et la nature où grandissent les enfants font partie intégrante du récit. Un très beau roman qui mérite amplement les échos qu’il a eus je trouve.

Extrait : « Alors, forcément, la montagne apparaissait comme une masse dénuée de morale, accueillante comme le sont les animaux. Il y avait là l’étymologie du refuge, fugere c’était s’enfuir. La montagne permettait le recul, un pas en arrière du monde. »

S’adapter, ed. Stock, 18,50 euros, 200 pages.

Rien ne s’oppose à la nuit / Delphine de Vigan

Un livre personnel et saisissant sur la fratrie de l’autrice.

Tout part du décès de la mère de l’autrice. Un décès qui agit chez Delphine de Vigan comme un déclic. Elle sent que son prochain livre aura sa mère pour personnage central. Elle sent qu’il ne peut pas en être autrement. C’est le second récit à ce moment-là qu’elle écrit d’une manière aussi personnelle, après « Jours sans faim » inspiré d’un épisode d’hospitalisation plus jeune.

Sa mère peut alors devenir un personnage et l’autrice se lance dans l’écriture de « Rien ne s’oppose à la nuit ». Un livre fort qui décrit une famille, sa famille. Des vies qu’elle reconstitue au fil des témoignages qu’elle recueille. Des trajectoires de vie affectées par les non-dits, des trajectoires de vie impactées par la santé mentale, qui a une place prépondérante dans la fratrie. C’est aussi un livre qui décrit son processus d’écriture, ce qu’il entraine et ce qu’il met en branle chez la romancière. Dans plusieurs passages Delphine de Vigan parle à la première personne pour prendre du recul par rapport à son projet, par rapport au passé de sa mère. Un recul qui apparait de plus en plus nécessaire au fur et à mesure qu’elle avance dans l’écriture de « Rien ne s’oppose à la nuit ». Un livre saisissant.

extraits : « L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. »

« Mais plus j’avance, plus j’ai l’intime conviction que je devais le faire, non pas pour réhabiliter, honorer, prouver, rétablir, révéler ou réparer quoi que ce fût, seulement pour m’approcher. À la fois pour moi-même et pour mes enfants – sur lesquels pèse, malgré moi, l’écho des peurs et des regrets – je voulais revenir à l’origine des choses.
Et que de cette quête, aussi vaine fût-elle, il reste une trace. »

Rien ne s’oppose à la nuit, ed. Le livre de poche, 7,90 euros, 408 pages.

Le ventre des hommes / Samira El Ayachi

Un roman écrit dans une langue pleine d’images et qui alterne entre tendresse et âpreté,

Novembre 2016, la police débarque dans la classe d’Hannah pour l’emmener au poste. C’est à partir de là que l’on se rend dans le passé de la professeur des écoles pour comprendre ce qui l’a mené à cet évènement, en partant de son enfance en 1987.

Dans ce retour dans le passé, on découvre une famille du Nord dans laquelle le père est venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines. Hannah sa fille raconte les corons du Nord, la condition d’enfant d’immigré, la vie précaire de sa famille qui s’installe. Mais aussi une relation très forte entre son père et elle. Son père Mohammed, qui prend la parole dans le roman avec une langue poignante et qui relate son arrivée en France et les luttes qu’il a menées. J’ai lu plusieurs avis plutôt mitigés sur le décalage entre les combats passés du père dans les mines et les combats plus actuels de sa fille qui tente de composer avec les luttes passées et celles importantes pour elle. J’ai au contraire trouvé que ces parallèles étaient traités avec beaucoup de justesse, notamment l’évènement en 2016 qui lui vaut sa garde à vue. Un évènement symptomatique de notre époque et très rarement questionné dans la fiction. La lecture a aussi une place importante dans le roman. Hannah se construit par les livres, par les rencontres avec les bibliothécaires ou encore par la relation amour/haine qu’elle développe pendant son enfance avec Germinal l’œuvre de Zola. Une occasion pour l’autrice de rappeler les pouvoirs de la fiction, mais aussi ses ambivalences.

Ce roman est plein d’émotion. On retrouve la langue riche de Samira El Ayachi comme dans « Les femmes sont occupées ». Le tout sonne et rien n’est laissé au hasard pour servir les parfums de révolte des personnages. Il y a un réel travail sur la langue, que ce soit celle du père ou celle d’Hannah. « Le ventre des hommes » est un très beau roman et on tourne la dernière page avec un pincement.

Extrait : « Avec toutes ces dingueries du monde adulte que je ne comprends plus, le seul lieu qui me tient à l’aise avec le mensonge, c’est la lecture. Ici on ment ; c’est le but même de l’expérience, qu’on nous mente tellement. On nous raconte des histoires, on sait que ça ment comme un arracheur de dents, elle me ment la lecture, on le sait à l’avance, on se roule dans le mensonge comme de la farine et des œufs et c’est bon. Elle ment en jurant et en me regardant droit dans les yeux. »

Le ventre des hommes, ed. de l’Aube, 360 pages, 22 euros.

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