Un roman écrit dans une langue pleine d’images et qui alterne entre tendresse et âpreté,
Novembre 2016, la police débarque dans la classe d’Hannah pour l’emmener au poste. C’est à partir de là que l’on se rend dans le passé de la professeur des écoles pour comprendre ce qui l’a mené à cet évènement, en partant de son enfance en 1987.
Dans ce retour dans le passé, on découvre une famille du Nord dans laquelle le père est venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines. Hannah sa fille raconte les corons du Nord, la condition d’enfant d’immigré, la vie précaire de sa famille qui s’installe. Mais aussi une relation très forte entre son père et elle. Son père Mohammed, qui prend la parole dans le roman avec une langue poignante et qui relate son arrivée en France et les luttes qu’il a menées. J’ai lu plusieurs avis plutôt mitigés sur le décalage entre les combats passés du père dans les mines et les combats plus actuels de sa fille qui tente de composer avec les luttes passées et celles importantes pour elle. J’ai au contraire trouvé que ces parallèles étaient traités avec beaucoup de justesse, notamment l’évènement en 2016 qui lui vaut sa garde à vue. Un évènement symptomatique de notre époque et très rarement questionné dans la fiction. La lecture a aussi une place importante dans le roman. Hannah se construit par les livres, par les rencontres avec les bibliothécaires ou encore par la relation amour/haine qu’elle développe pendant son enfance avec Germinal l’œuvre de Zola. Une occasion pour l’autrice de rappeler les pouvoirs de la fiction, mais aussi ses ambivalences.
Ce roman est plein d’émotion. On retrouve la langue riche de Samira El Ayachi comme dans « Les femmes sont occupées ». Le tout sonne et rien n’est laissé au hasard pour servir les parfums de révolte des personnages. Il y a un réel travail sur la langue, que ce soit celle du père ou celle d’Hannah. « Le ventre des hommes » est un très beau roman et on tourne la dernière page avec un pincement.
Extrait : « Avec toutes ces dingueries du monde adulte que je ne comprends plus, le seul lieu qui me tient à l’aise avec le mensonge, c’est la lecture. Ici on ment ; c’est le but même de l’expérience, qu’on nous mente tellement. On nous raconte des histoires, on sait que ça ment comme un arracheur de dents, elle me ment la lecture, on le sait à l’avance, on se roule dans le mensonge comme de la farine et des œufs et c’est bon. Elle ment en jurant et en me regardant droit dans les yeux. »
Le ventre des hommes, ed. de l’Aube, 360 pages, 22 euros.