La femme du deuxième étage / Jurica Pavicic

Un nouveau polar de Jurica Pavicic pour notre plus grand plaisir.

On découvre Bruna au début du roman dans une cuisine puis on se rend compte rapidement que c’est la cuisine d’une prison et qu’elle est détenue dans un centre de détention depuis dix ans à Pozega en Croatie. Le décor est vite posé. Jurica Pavicic va pouvoir remonter le fil des événements tout au long de ce roman noir, un régal du début à la fin. Avec des personnages ambivalents et très bien construits on réalise que tout débute le jour où Bruna rencontre Frane son futur mari et lorsqu’elle s’apprête à emménager dans une grande maison qui appartient à la famille de Frane. La mère de Frane, Anka, vit avec eux dans cette grande maison familiale. A partir de là l’auteur restitue l’atmosphère et l’engrenage dans lequel la jeune femme a mis le pied. J’avais adoré « L’eau rouge », roman noir ambitieux sur une disparition qui avait été une vraie surprise de cet auteur croate. J’ai autant apprécié « La femme du deuxième étage » qui nous révèle à nouveau le sens de l’observation de l’auteur et son talent pour camper ses personnages féminins complexes. C’est prenant et on a qu’une déception c’est de refermer le bouquin. Un excellent polar.

Traduit par olivier Lannuzel.

La femme du deuxième étage, ed. Agullo, 21,50 euros, 223 pages.

On dirait des hommes / Fabrice Tassel

Une juge enquête sur la mort accidentel d’un enfant et découvre qu’il y a rarement des histoires simples.

Thomas est loin de se douter que lorsqu’il sort de chez lui avec son fils Gabi pour aller se balader sur le bord de mer, un drame va se produire. Son fils tombe et est emporté par la mer sans que le père ne puisse rien y faire. Anna et Thomas sont détruits par cet événement et passé l’état de sidération, le couple décide de porter plainte en mettant en cause les infrastructures du bord de mer. La juge d’instruction Dominique Bontet est mise sur l’affaire et elle est connue pour ne rien laisser au hasard dans son travail. La juge, un personnage vraiment réussi je trouve, va chercher à comprendre petit à petit les événements, mais aussi comment fonctionne ce couple et comment il a pu leur arriver une telle tragédie. Fabrice Tassel écrit un roman noir avec des personnages fouillés et ambivalents. La narration fait monter crescendo la tension et à l’arrivée cela donne un récit plein d’humanité mais aussi de parts d’ombre et de mensonges. On y aborde la paternité, la vie de famille et les violences pas toujours visibles du quotidien. Le tout avec beaucoup de justesse.

On dirait des hommes, ed. La manufacture de livres, 19,90 euros, 288 pages.

S’ils n’étaient pas si fous / Claire Raphaël

Troisième enquête d’Alice Yekavian l’experte en balistique et c’est toujours aussi passionnant.

Tout débute lorsqu’une femme est retrouvée morte dans son appartement, tuée d’une balle. Sa fille atteinte de schizophrénie commence par confier aux policiers que c’est elle la responsable. Les choses se compliquent à partir de là, car la scène de crime révèle des éléments qui remettent en doute la version de la fille de la victime. On retrouve avec plaisir l’experte en balistique Alice Yekavian mais aussi Ludovic Marchand-Thierry un policier chevronné et en plein doute dans ce troisième roman noir de l’autrice. Un polar qui aborde la folie, la vision que l’on en a dans la société et les dérives qui en découlent. J’ai rarement lu un roman noir qui aborde de façon aussi intelligente les problématiques qui émergent lorsque l’on aborde la question de la santé mentale. À la fois polar précis dans les procédures policières et roman sur des marginaux, Claire Raphaël offre un moment de lecture prenant et des personnages complexes que l’on a envie de suivre. L’intrigue prend son temps, les dialogues sonnent et on se laisse embarquer dans « S’ils n’étaient pas si fous ». Encore une fois une réussite et si vous ne connaissez pas encore l’univers singulier de la romancière, qui mélange habilement roman noir, poésie et psychologie fine des personnages, foncez.

S’ils n’étaient pas si fous, ed. le Rouergue, 22 euros, 288 pages.

Surface / Olivier Norek

Une flic est mutée dans l’Aveyron suite à une grave blessure en service.

Le capitaine Chastain est une fonceuse. À la tête de sa brigade à la PJ de Paris, elle va être marquée à vie par une descente qui dégénère un matin dans un appartement. Éloignée de son équipe et de Paris par son chef durant son rétablissement, la flic ne tient pas longtemps en place et commence à déterrer de vieilles histoires dans le nouvel environnement dans lequel elle arrive. Elle se retrouve dans l’Aveyron avec de nouveaux collègues et quelques petits villages aux alentours, où tout le monde se connait et où le rythme de vie n’a rien à voir avec Paris. Une toute nouvelle atmosphère se crée avec des fantômes du passé qui ressurgissent et d’autres surprises tout aussi réjouissantes. J’avais bien accroché avec Olivier Norek et « Entre deux mondes » et j’ai un peu moins été convaincu avec « Surface ». L’enquête est bien menée, mais je n’ai pas été embarqué plus que ça. Quelques dialogues m’ont un peu sorti de l’histoire. Par contre le personnage de Chastain est marquant et l’auteur renouvelle avec brio les personnages de flics que l’on croise habituellement dans les romans noirs.

Surface, ed. Pocket, 7,95 euros, 400 pages.

Appartement 816 / Olivier Bordaçarre

Un roman étouffant, sombre, où l’isolement et ses effets sont omniprésents.

Un homme de 41 ans vit avec sa femme et son fils au neuvième étage d’un appartement. Jusqu’à là rien de bien surprenant. Sauf que la société dans laquelle ils vivent traverse plusieurs vagues de virus et que le confinement chez soi est de mise depuis maintenant trois années. La France confine ses citoyens sur de plus ou moins longues périodes. Des règles précises sont édictées et elles réduisent les libertés de manière significatives en régissant le quotidien. Autant vous le dire tout de suite, cela va plus loin que ce que l’on est train de traverser en termes de restrictions. Du drone qui passe devant les fenêtres pour voir si les horaires d’aération sont respectés à la tenue intégrale nécessaire pour récupérer les livraisons de denrées de première nécessité devant chez soi en passant par les peines lourdes en cas de non-respect des règles, la sensation d’enfermement n’est pas loin pour le lecteur. Alors cet homme écrit. Didier Martin écrit sur son quotidien morose comme un exutoire, comme un baume. Ce qu’il pense du confinement qu’il traverse, ce qu’il pense des gens qui ne respectent pas les mesures et qui s’y opposent. Il parle aussi de sa famille, d’une vie qu’il prend le temps d’analyser, car il a ce temps, un temps nouveau.

C’est à partir de là que le lecteur découvre une personnalité singulière, voire plutôt inquiétante. Le narrateur n’écrit pas ce quotidien dans des carnets, mais utilise les surfaces qui l’entourent dans l’appartement. Voilà une première découverte étrange et il va y en avoir d’autres. Olivier Bordaçarre décrit ce vase clos qu’est l’appartement 816 et l’auteur injecte le malaise petit à petit dans ce récit pas comme les autres. Il pose sa focale sur la folie des hommes et son narrateur devient antipathique au fil des pages, flippant. D’un pragmatisme à toutes épreuves, on se demande où ses réflexions vont le mener. La suite n’est pas réjouissante et va nous faire réfléchir sur les conséquences inattendues d’un enfermement généralisé, notamment les conséquences psychologiques.

Appartement 816 est un roman très noir, qui montre à sa façon les aberrations d’une société qui lutte et où parfois le non-sens est roi.

Appartement 816, ed. L’Atalante, coll. Fusion, 14,90 euros, 160 pages.

Écrire son premier roman en dix minutes par jour / David Meulemans

Un livre bien construit et plein de bonnes idées sur l’écriture.

Avec beaucoup de pédagogie et une approche de l’écriture qui s’inspire de son expérience d’éditeur Aux forges du Vulcain, David Meulemans écrit un livre stimulant sur l’écriture et sur la fiction. L’auteur a recueilli au fil des rencontres, et de ses expériences en ateliers d’écriture des conseils qui peuvent servir les auteur.e.s débutant.e.s ou non. C’est intéressant comme approche car David Meulemans ne délivre pas des conseils à la suite et nuance régulièrement son propos. Il s’appuie sur des retours d’expérience, des petits exercices qui peuvent aider notamment à écrire ou encore des invariants qu’il a repérés pour faciliter la création, l’improvisation. Le panorama est complet, de l’écriture à la réécriture en passant par le cœur de la fiction avec les personnages et l’intrigue. C’est un livre très riche qu’on a envie de relire pour l’annoter et qui est pour moi un des plus intéressants sur la question.

Écrire son premier roman en dix minutes par jour, ed. Aux forges de Vulcain, 18 euros, 192 pages.

Ricochets / Camille Emmanuelle

Un témoignage important sur les proches des victimes d’attentat.

Camille Emmanuelle pose le curseur sur les proches des victimes des attentats et questionne leurs statuts de victime dans ce livre, un essai à mi chemin entre un travail personnel et un travail plus documentaire. Un travail personnel car l’autrice est la conjointe d’un des membres de Charlie Hebdo lors de l’attentat et un travail documentaire car elle découvre au fil de ses recherches que les proches, « les victimes par ricochets », ne sont pas du tout reconnues dans leur statut de victime avec tout ce que cela représente. Que ce soit la souffrance psychologique ou encore le poids que peut représenter le soutien à un proche. C’est un livre écrit sans détour et avec beaucoup de sincérité. L’autrice lève des questionnements essentiels au fil des rencontres qu’elle fait durant ses recherches et en même temps donne une photographie précise de la gestion étatique des attentats. C’est tout en nuance et très personnel. Un récit qui touche.

Je n’ai pas fait d’enquête internationale basée sur une centaine d’entretiens, comme je l’imaginais au départ. Mon écriture a été plus intime que ce que j’envisageais. Je suis sortie de mon rôle de journaliste pour me mettre à nu. J’ai décortiqué mes émotions pour mieux les maîtriser. Et pour peut-être aider ceux qui ont été, sont, ou vont être des ricochets dans leur vie.

Ricochets, ed. Grasset, 20,90 euros, 336 pages.

Boccanera / Michèle Pedinielli

Nice et les apparences.

Bienvenues dans le vieux Nice chez la détective Ghjulia Boccanera que l’on surnomme « Diou ». Un nouveau personnage que je découvre dans ce premier roman de Michèle Pedinielli et autant le dire tout de suite, c’est un vrai coup de cœur.

Dans ce livre, il y a tout ce que j’apprécie dans le roman noir. Des personnages ambigus et complexes, un environnement qui devient un personnage à part entière (la ville de Nice) et des bons mots et dialogues très bien sentis. C’est un plaisir de suivre les tissus de relation qui se noue entre tous les individus et de suivre Diou dans son enquête. Le lecteur est rapidement pris dans le rythme et Michèle Pedinielli mène sa barque à merveille dans ce roman, avec quelques références en plus au monde du polar ce qui ne gâche rien. On sent que l’auteure est une grande lectrice de romans noirs comme son personnage. Au passage et c’est bien vu, les clichés sur la Côte d’Azur et la ville de Nice sont mis à mal sans pour autant que soient épargnées la ville et sa politique.

Boccanera, ed. de l’aube (poche), 11 euros, 256 pages.

L’affaire N’Gustro / Jean-Patrick Manchette

Retour aux fondamentaux.

C’est rythmé, plein de bons mots et avec des regards acérés sur la société, les personnages et les péripéties. Pas de doute, on a bien retrouvé la plume de Manchette dans ce pur roman noir. L’affaire N’Gustro est le premier livre de Jean-Patrick Manchette (en réalité le second, car « Laissez bronzer les cadavres ! » a été publié avant mais coécrit avec Jean-Pierre Bastid). On sent déjà le style si particulier de l’auteur et la précision qui va avec à travers l’action.

l affaire ngusto manchette

L’affaire N’Gustro est inspiré d’un enlèvement, celui de Ben Barka en 1965. Dans ce roman on part à la rencontre d’Henri Butron, un voyou, barbouze, trafiquant d’armes et scénariste. Petit à petit, on se rend compte qu’il va être impliqué dans cet enlèvement. Ce personnage nous inspire à la fois du rejet avec son caractère et sa personnalité tout en déclenchant chez le lecteur une forme d’empathie lorsqu’il se rend compte que l’affaire le dépasse. Les politiques sont mises en cause à plusieurs reprises et on remarque que même si le livre est le témoin d’une autre époque, plusieurs observations de l’auteur pourraient s’appliquer aujourd’hui encore.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas mis le nez dans un Manchette et j’ai passé un bon moment de lecture, sans forcément être aussi plaisant que lorsque j’avais découvert « La position du tireur couché » et « Le petit bleu de la côte Ouest ». Et vous quel est le dernier livre de Jean-Patrick Manchette que vous avez lu ?

L’affaire N’Gustro, ed. Folio policier, 6,90 euros, 224 pages.

Treize jours / Roxane Gay

Récit d’une prise de conscience en forme d’enfer.

Et bim ça y est je l’ai lu, ça faisait longtemps que je tournais autour de ce livre dont on m’avait beaucoup parlé à sa sortie chez Denoel. C’est loin d’être une déception, c’est même plutôt une grosse claque.

Un couple vit sa meilleure vie jusqu’à un enlèvement lors d’un séjour à Haïti. Mireille est enlevée devant son mari Michael et son enfant Christophe alors que la famille se rend à la plage en quittant la propriété de ses parents. C’est le début d’une descente aux enfers, une descente à base de souffrance physique, mais aussi psychologique. Mireille est la fille d’un des personnages les plus riches d’Haïti, un homme froid et manipulateur qui a vu avant toutes choses ses intérêts pour être là où il en est aujourd’hui. Où en est-il ? Au stade de la richesse. Et c’est bien pour ça que sa fille est enlevée, une rançon est attendue. Les ravisseurs sont cruels, mais c’est loin d’être l’unique propos de ce roman.

Cela démarre au quart de tour et Roxane Gay épaissit progressivement son propos au fil des pages et au fil des pensées de Mireille qui alterne entre flash-back sur sa famille et le temps présent là où elle est enfermée. Les propos sont rudes. Mireille fait l’expérience de la captivité dans sa chair, mais aussi psychologiquement.

La force de Roxane Gay est de faire réfléchir le lecteur sur la condition d’une femme dans un couple. Au-delà du cauchemar qu’elle vit, une constellation de problématiques vient se greffer à l’enlèvement de Mireille. L’auteure aborde par le biais de l’enfermement et de l’enlèvement les questions autour du corps de la femme, de la misogynie, de la relation entre une fille et son père, de la maternité. Cet enlèvement en lien avec l’argent de la famille de Mireille est un élément déclencheur et la suite découle et donne un roman fort et qui souffle le lecteur. Je vous conseille ce livre, il est disponible en poche foncez.

Treize jours, ed. Points, 8,20 euros, 432 pages. Traduit par Santiago Artozqui.

 

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