N’oublie rien / Jean-Pierre Martin

Un récit autobiographique sur une période de la vie de l’auteur, lorsqu’il a été incarcéré a 22 ans à la maison d’arrêt de Saint-Nazaire.

Jean-Pierre Martin a été incarcéré dans la maison d’arrêt de Saint-Nazaire en 1970 pendant 61 jours. 61 jours au mitard et sur lesquels il revient dans son dernier texte, « N’oublie rien ». Alors qu’il a 22 ans et qu’il travaille à l’usine, il est arrêté pour « apologie du crime d’incendie volontaire ». Une tournure floue qui cache en réalité une contestation collective à laquelle il prend part suite aux nombreux accidents du travail sur les chantiers de l’Atlantique. L’auteur s’engage à plusieurs reprises durant cette période pour lutter contre l’injustice notamment celle liée aux accidents du travail. Il arrête ses études et travaille à l’usine avant son arrestation. Jean-Pierre Martin restitue une expérience carcérale marquante. C’est aussi tout le contexte d’une époque qui défile sous les yeux du lecteur. L’auteur s’attarde à la fois sur son vécu personnel et en même temps comment il s’inscrit dans cette lutte collective à Saint-Nazaire. Un texte plein d’émotion et très bien écrit.

N’oublie rien, ed. de l’Olivier, 18,50 euros, 192 pages.

Les Fantômes du lac / Manon Gauthier-Faure

Mémoire d’un village meutri.

Deux soeurs sont retrouvées mortes dans un village de la Marne en 1978. Elles se tiennent la main lorsqu’elles sont découvertes noyées. C’est le point de départ du travail de Manon Gauthier-Faure qui se rend sur place dans le village, pour comprendre les circonstances de cet évènement troublant. Au-delà de ce fait divers, la journaliste va découvrir que l’EHPAD du village semble hantée par la mort de ces deux jeunes filles. Plusieurs membres du personnel repèrent des phénomènes étranges voire qui donnent carrément des frissons, sur leur lieu de travail. L’autrice raconte dans « Les Fantômes du lac » ce qu’elle découvre dans ce village, toute une ambiance, toute une atmosphère. Une partie de ses investigations porte sur la maison de retraite en elle-même et une autre sur la mort des deux jeunes filles et sur la famille. De nombreuses rencontres complètent son travail et le lecteur découvre des pans de vie entiers des habitants du coin. Dans un récit prenant et troublant, Manon Gauthier-Faure explore la vie d’un village reculé.

Les Fantômes du lac, ed. Marchialy, 19 euros, 180 pages.

Je vais mourir cette nuit / Fernando Marias

Un court livre d’une rare noirceur, à découvrir sans hésiter.

Un homme est arrêté et mis en prison par le commissaire Delmas. Delmas est fier de lui d’avoir arrêté ce trafiquant de drogue qui en réalité est loin d’être uniquement un bandit à la petite semaine. On découvre une longue lettre dans ce roman noir, écrite par le trafiquant lui-même, depuis la prison dans laquelle il est incarcéré. Une lettre écrite trois ans après son incarcération, et qu’il va faire parvenir au policier seize ans après. Au début de cette lettre, l’homme commence par dire qu’à la fin de sa missive il va se suicider et que le commissaire va faire de même, lorsqu’il va recevoir la lettre. Mais comment un homme qui s’apprête à mettre fin à ses jours en prison sait déjà qu’un autre homme va mourir seize ans plus tard ? On comprend petit à petit que le trafiquant fait en réalité partie d’une corporation importante et qu’il est un véritable expert (euphémisme) dans l’art de la manipulation. Tout au long de la lettre, Delmas voit sa vie défiler alors que l’homme est mort depuis longtemps en prison. Comment peut-on faire mourir quelqu’un des années après ? Est-ce que cet homme qu’il a arrêté il y a si longtemps va parvenir à se venger ? « Je vais mourir cette nuit » est un livre redoutable, un livre à part qui met en scène une vengeance comme on en lit rarement.

Je vais mourir cette nuit, ed. Actes Sud, coll. Babel, 7,50 euros, 128 pages;

Et au pire, on se mariera

Un roman nerveux et singulier, sur une adolescente qui tente de composer avec ses premiers sentiments.

Aïcha du haut de ses treize ans n’a pas un quotidien commun dans les rues de Montréal. Elle ne supporte plus sa mère et a des copines prostituées pour discuter de ses blessures. Dans un long monologue sans filtre, elle se confie à une personne inconnue dès le début du roman. Elle se raconte à la première personne, elle raconte ses sentiments pour un homme qui a le double de son âge. Mais elle raconte aussi son rapport complexe aux hommes qu’elle croise dans sa vie notamment son beau-père. On distingue des sentiments ambivalents qu’elle tente de maitriser, mais qui ont tendance à la submerger. Avec une lucidité désarmante, ce jeune personnage décode les comportements des adultes et dans un exercice loin d’être évident et qui pourrait facilement tomber dans le cliché, Sophie Bienvenu donne une voix réaliste à une adolescente qui se cherche. Ce court roman a une force rare, il fait réfléchir sur les premiers émois adolescents, sur la construction identitaire ou sur la gestion de ses émotions. On est complètement pris par la parole d’Aïcha qui rebondit d’une anecdote à une autre, qui envoie des punchlines. Je découvre l’écriture de Sophie Bienvenu avec ce livre qui sort de l’ordinaire et qui peut faire penser à des livres où la parole d’un ado ou d’un enfant est travaillée. Un peu comme dans « La colère et l’envie » par exemple d’Alice Renard. « Et au pire, on se mariera » donne un texte marquant.

Et au pire, on se mariera, ed. Noir sur Blanc, 13 euros, 128 pages.

Tout part à la nuit / Louis Cabaret

Une mère de famille qui élève seule ses deux enfants fait une rencontre sans imaginer une seule seconde la suite.

Tiffanie élève seule ses deux enfants depuis que son conjoint est en prison suite à un braquage. Chris l’ainée de quinze ans est plutôt impulsif et a parfois du mal à se contenir, ce qui va compliquer sa scolarité au collège. Joris de son côté est plus tempéré du haut de ses sept ans. Tiffanie lutte dans ce quotidien qui ne lui fait pas de cadeau et la fatigue s’accumule. Aide-soignante, elle tente de concilier vie personnelle et vie professionnelle, mais c’est une lutte au quotidien en étant seule avec ses deux fils. Le soir d’un 14 juillet lors d’une fête, elle fait la rencontre de Marvin, un homme qui va entrer dans sa vie et qui va finir par l’aider à gérer ses enfants. La pilule passe pour Chris au bout d’un moment, mais Joris le cadet n’a de cesse de se méfier de cet homme qui est entré dans la vie de sa mère. Louis Cabaret écrit un roman noir tendu. La tension monte crescendo et on a rapidement le sentiment qu’il ne faut pas se fier aux apparences. « Tout part à la nuit » est aussi un texte qui sonne juste dans les descriptions de cette famille qui tente de continuer à vivre après l’incarcération du père et malgré les comportements marginaux des deux enfants. Curieux de lire à nouveau la plume cet auteur.

Tout part à la nuit, ed. Liana Levi, 19 euros, 208 pages.

Les débuts / Claire Marin

Par où recommencer ?

Comme souvent chez Claire Marin on prend beaucoup de plaisir à lire ses réflexions sur les thèmes qu’elle aborde. C’est dense tout en étant accessible et en laissant à penser. C’était le cas dans « Ruptures » et « Être à sa place » et c’est encore une fois le cas ici avec « Les débuts ». Une notion que la philosophe et enseignante de français questionne en profondeur. A commencer par un début dans sa vie personnelle lorsqu’elle est devenue mère. La suite découle et on suit avec plaisir les digressions de l’autrice sans décrocher pour autant. Que se passe t-il dans un « début » ? Quels sentiments ressent-on ? A quoi cela nous renvoie ? Et est-ce que les jeunes ou les enfants sont les seuls à ressentir ses émotions singulières dans chaque début ? Claire Marin poursuit ses réflexions pour notre plus grand plaisir sans donner de réponse toute faite et sans donner de réponse tout court d’ailleurs. C’est aussi pour ça que l’on apprécie son travail. Si vous ne connaissez pas je vous invite à découvrir ses bouquins qui avec beaucoup de talent questionne nos quotidiens.

Les débuts, ed. Autrement, 19 euros, 192 pages.

Des histoires qui vous ressemblent / Et l’imagination prend feu / Françoise Bourdin et Christelle Dabos

Des bouquins sur la création toujours aussi intéressants.

Dans la continuité du livre de Michel Bussi sur le thème du suspense notamment, j’ai lu les livres de Christelle Dabos et Françoise Bourdin dans la même collection, « Secrets d’écriture » chez Hachette. Une collection dédiée aux coulisses du travail d’écriture de plusieurs romanciers et romancières. De la question de la création à l’édition en passant par les différents ressorts scénaristiques existants, cette collection est vraiment intéressante. Christelle Dabos aborde comment elle construit ses mondes imaginaires notamment dans sa série du « Passe-miroir ». Françoise Bourdin de son côté repère des invariants dans ses différentes histoires. Des histoires familiales ou des sagas, dans lesquelles les relations humaines entre les personnages forment le cœur du récit. Cette collection offre de courts bouquins que l’on a envie d’annoter ou de relire.

Et l’imagination prend feu, ed. Hachette, 15,90 euros, 192 pages.

Des histoires qui vous ressemblent, ed. Hachette, 14,90 euros, 176 pages.

Toute une moitié du monde / Alice Zeniter

Le nouvel essai d’Alice Zeniter qui questionne la représentation des femmes dans la fiction.

Alice Zeniter questionne la représentation des femmes dans la littérature et discute aussi sur ses propres expériences de lectrice. « Toute une moitié du monde » est un essai intéressant qui s’inscrit dans la lignée du précédent « Je suis une fille sans histoire ». L’autrice voit ses pratiques de lectrice évoluer depuis qu’elle est jeune, en questionnant la représentation des personnages féminins notamment via le test de Bechdel. Il est aussi question du désir et de la place du désir masculin dans les fictions. Un sujet peu abordé. On découvre au fil des pensées d’Alice Zeniter plusieurs autrices que l’on a envie de redécouvrir ou de relire (Toni Morrison, Chris Kraus, etc.). Un bouquin stimulant qui ouvre des perspectives.

Toute une moitié du monde, ed. Flammarion, 240 pages, 21 euros.

Le carnaval des hyènes / Michaël Mention

Un roman noir survitaminé sur les travers de la course à l’audimat.

Carl Belmeyer est un homme redoutable et détestable. Il est présentateur télé pour une grande chaîne et il passe ses journées à travailler son image et à réfléchir à la prochaine combine qui lui fera gagner de l’audimat. Mais l’engrenage va se gripper lorsque la participante d’une émission de télé réalité de sa chaîne meurt en direct et fait un buzz monstre dans la foulée. Carl et ses sbires doivent étouffer la mauvaise pub au plus vite et quoi de plus logique que de concocter un nouveau buzz pour faire oublier cette affaire sordide. C’est à partir de là que Carl est envoyé au Liberia dans un pays en guerre pour faire un reportage de quelques jours. Un reportage qui va se transformer dès la descente de l’avion en véritable enfer pour le personnage. Michaël Mention écrit un roman noir survitaminé comme il sait si bien le faire, un roman qui dénonce les travers de la télévision, des médias ou de l’information à sensation. Un récit prenant de bout en bout qui met une bonne claque lors de sa lecture. Les dialogues sonnent justes, chacun en prend pour son grade et les choses s’accélèrent une fois que Carl Belmeyer est envoyé au Liberia. Il y a tout dans ce bouquin, de l’espionnage, de l’aventure, de la politique. « Le carnaval des hyènes » est une satire qui offre un excellent moment de lecture.

Le carnaval des hyènes, coll. Ombres noires, ed. Flammarion, 17 euros, 224 pages.

Jeannette et le crocodile / Séverine Chevalier

Un roman noir émouvant et très bien écrit.

Pascal vit avec sa sœur Blandine dans une maison reculée, non loin d’un petit ruisseau. Jeannette la fille de Blandine vit aussi avec eux, du haut de ses dix ans au début du roman. Le lecteur va la voir grandir au fil de l’histoire. Elle grandit avec un monde d’adulte qu’elle a parfois du mal à comprendre. Jeannette au début de ce récit s’apprête à se rendre au zoo de Vannes pour aller observer un crocodile qui a été récupéré dans les égouts près du Pont-Neuf. La jeune fille admire l’animal qu’elle attend de croiser depuis ses six ans. Malheureusement les vies amochées des adultes et de son entourage télescopent ce rêve d’enfant et les choses vont être plus compliqué que prévu. Blandine sa mère tente de se dépêtrer de son addiction à l’alcool tandis que Pascal son oncle tente de faire avec ses différences qui le marginalisent aux yeux des autres. Séverine Chevalier saisie des instants de vie dans ce récit plein d’humanité et on est touchés par ces personnages. « Jeannette et le crocodile » c’est l’histoire d’une enfant qui fait face à la dureté du quotidien et à la violence des adultes. Un très beau bouquin, poignant.

Jeannette et le crocodile, ed. La manufacture de livres, 16,90 euros, 176 pages.

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