Blanches / Claire Vesin

Le quotidien d’un service d’urgences en banlieue parisienne.

Villedeuil, une ville fictive de région parisienne. Son hôpital public en bout de course, son service des urgences saturé les trois quarts du temps. Claire Vesin a choisi de faire évoluer sa galerie de personnages dans cet environnement. Il y a Jean-Claude, le chirurgien solitaire qui adore sa ville et qui souhaite rester travailler dans cet hôpital coute que coute malgré sa réputation et malgré les difficultés au quotidien. Il y a Laetitia, infirmière travaillant aux urgences à l’accueil et qui est née ici. Un poste difficile à l’entrée des urgences, dans lequel les soignants doivent orienter au plus vite les cas qui arrivent selon la gravité. Laetitia rencontre des difficultés avec ses nouvelles fonctions. Mais il y a aussi Aimée, une jeune interne qui a choisi les urgences de l’hôpital de Villedeuil pour son premier stage, contre toute attente. Et enfin Fabrice, un ancien médecin de l’hôpital qui travaille au SMUR, et qui va bientôt être père. Claire Vesin s’attarde sur ces vies qui gravitent autour de l’hôpital. Des trajectoires qui subissent les conditions de travail qui se dégradent en milieu hospitalier. Des infrastructures qui deviennent insalubres au peu de temps à allouer au patient, en passant par le manque cruel de moyen humain, matériel. Claire Vesin sait de quoi elle parle et avec beaucoup d’humanité elle relate cette lutte au quotidien pour continuer à soigner dans ces conditions. L’évènement grave, le dérapage n’est jamais loin. Cela retombe sur les patients de la ville, mais en réalité c’est aussi tout un tissu social qui est impacté. L’hôpital offre un soin de proximité, un soin accessible. Et comme dans de nombreux exemples, la structure est plus que jamais en danger. Claire Vesin écrit un roman important, prenant de bout en bout et qui sonne juste.

extrait : « Ce n’était pas grand-chose de plus que ça, les urgences, finalement : la somme du banal et de l’horreur, la vie qui glissait entre les doigts malgré les efforts ; la mort, omniprésente, sonnant la fin des réjouissances. »

Blanches, ed. La manufacture de livres, 18,90 euros, 304 pages.

Nino dans la nuit / Simon et Capucine Johannin

Chronique de la débrouille dans les années 2000, à travers une langue unique.

Nino, du haut de ses vingt ans, fait ses classes dans la Légion au début du livre. Il porte déjà un regard acerbe sur ses pairs, que ce soit le sergent qui maltraite avec un plaisir malsain ses troupes ou un autre membre de la Légion qui prend un malin plaisir à déverser son venin raciste lorsqu’il discute avec Nino. Nino n’est pas dupe et n’en pense pas moins. Malheureusement il n’est pas dupe non plus lorsqu’il passe un test urinaire pour vérifier sa consommation de drogues. Il n’en faut pas plus pour le mettre en difficulté et commence alors une longue dérive. Nino retrouve sa copine et la galère dans la rue. Les deux personnages touchants tentent de survivre avec de petites combines et leur quotidien est restitué avec beaucoup de justesse dans la langue de Simon et Capucine Johannin. Il se dégage une forme de poésie à la lecture de ce roman à quatre mains, un truc sensible que l’on retrouve trop rarement dans les fictions. Les dialogues sonnent et restent en tête tout comme les images qui naissent derrière certains passages. Un très beau bouquin et une langue à découvrir.

Nino dans la nuit, ed. Allia, 14 euros, 288 pages.

Des impatientes / Sylvain Pattieu

Les trajectoires de deux jeunes filles, d’un lycée en éducation prioritaire au monde du travail.

C’est un lycée de banlieue en éducation prioritaire avec toutes les représentations qu’il y a derrière. Bintou et Alima sont deux élèves de ce lycée au parcours différent. La première est en opposition régulièrement avec l’équipe enseignante, ses résultats en pâtissent et il lui arrive aussi de sécher des cours. La seconde s’oriente dans la section scientifique et a de très bons résultats. Plutôt discrète elle est repérée pour faire partie des filières sélectives pour accéder à Sciences Po. Sous la forme d’une discrimination positive, plusieurs élèves des établissements classés en éducation prioritaire ont l’opportunité d’accéder à ces filières très sélectives. Alima en fait partie. Jusqu’au jour où durant un cours un évènement va faire basculer le quotidien des deux filles. L’intrigue s’accélère et sans en dire trop, toute la deuxième partie du livre peut démarrer. Une seconde partie dans laquelle on continue de suivre la trajectoire de ses deux jeunes filles attachantes et qui se battent contre les stigmatisations dont elles font l’objet. Sylvain Pattieu écrit un roman avec le juste dosage entre la documentation sur son sujet et une histoire touchante et réaliste. les personnages sont travaillés sans tomber dans certains clichés, comme dans « Le grand secours » de Reverdy lu cette année. Bintou et Alima ont de l’énergie à revendre et elles vont le faire savoir dans ce roman à découvrir.

Des impatientes, ed. Actes Sud, 8,50 euros, 272 pages.

Le Balato / Djamel Cherigui

Un second roman où l’on retrouve l’humour noir de Djamel Cherigui et ses personnages marquants.

Bombonne est le neveu de Mirouche, le tenancier du troquet le Saturne. Un bar avec son lot d’habitués en bout de course dans lequel Bombonne rend des services à son oncle en y bossant un peu. Bombonne, jeune homme qui se cherche un peu fait alors une rencontre qui va rendre un chouïa plus mouvementé son quotidien, en la personne du Suisse. Le Suisse est un débrouillard toujours dans les bons coups notamment lorsqu’il s’agit de détrousser les riches dans différents quartiers de Roubaix. Bombonne va alors être transporté dans des galères qu’il n’avait pas forcément imaginé et la langue de Djamel Cherigui comme dans « La sainte touche » fonctionne encore très bien. Les dialogues sonnent et la gouaille des personnages aussi. On est au plus près de leurs vies et notamment du tonton qui tente d’élever comme il peut son neveu en l’absence du père mais sans forcément y parvenir à tous les coups. Ce second roman confirme tout le talent de Djamel Cherigui pour construire une intrigue simple mais non dénué d’humour noir. La forme à toute son importance dans ses romans et cela participe pleinement au plaisir de lecture.

Le Balato, ed. JC Lattès, coll. La Grenade, 19 euros, 252 pages.

Les Poteaux de torture / Abdel Hafed Benotman

Un recueil de nouvelles tranchant d’Abdel Hafed Benotman.

Retrouver la plume d’Abdel Hafed Benotman est toujours un moment particulier. Dans ses romans noirs inspirés sur de nombreux points de son expérience carcérale, l’auteur a une façon bien à lui de dépeindre la misère quelque soit ses formes. Que ce soit la misère sexuelle, la frontière fine avec le mal être psychique, les réflexions sur l’enfermement ou encore le poids de la solitude. Les écrits de Benotman frappent fort et dérangent. Dans « Les Poteaux de torture », on découvre plusieurs nouvelles avec des personnages plus marginaux les uns que les autres. Il y a parfois une petite note d’espoir mais globalement la lucidité de l’auteur et de ses personnages sur le monde est désarmante. Encore une fois Abdel Hafed Benotman touche et offre une voix à ceux que l’on entend peu ou pas du tout. Un auteur important à l’écriture singulière.

Les Poteaux de torture, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 7,65 euros, 240 pages.

La femme du deuxième étage / Jurica Pavicic

Un nouveau polar de Jurica Pavicic pour notre plus grand plaisir.

On découvre Bruna au début du roman dans une cuisine puis on se rend compte rapidement que c’est la cuisine d’une prison et qu’elle est détenue dans un centre de détention depuis dix ans à Pozega en Croatie. Le décor est vite posé. Jurica Pavicic va pouvoir remonter le fil des événements tout au long de ce roman noir, un régal du début à la fin. Avec des personnages ambivalents et très bien construits on réalise que tout débute le jour où Bruna rencontre Frane son futur mari et lorsqu’elle s’apprête à emménager dans une grande maison qui appartient à la famille de Frane. La mère de Frane, Anka, vit avec eux dans cette grande maison familiale. A partir de là l’auteur restitue l’atmosphère et l’engrenage dans lequel la jeune femme a mis le pied. J’avais adoré « L’eau rouge », roman noir ambitieux sur une disparition qui avait été une vraie surprise de cet auteur croate. J’ai autant apprécié « La femme du deuxième étage » qui nous révèle à nouveau le sens de l’observation de l’auteur et son talent pour camper ses personnages féminins complexes. C’est prenant et on a qu’une déception c’est de refermer le bouquin. Un excellent polar.

Traduit par olivier Lannuzel.

La femme du deuxième étage, ed. Agullo, 21,50 euros, 223 pages.

Une petite société / Noëlle Renaude

La romancière pose sa focale sur des personnages qui s’agitent autour d’une maison bien mystérieuse.

J’étais curieux de retrouver cette singulière autrice de roman noir qui avait été une belle surprise avec « Les abattus » chez Rivages. On retrouve rapidement ce ton dans « Une petite société ». De longues phrases, des fines observations de nos comportements humains et un talent certain pour déceler les zones d’ombre de nos pairs, Noëlle Renaude confirme ses qualités avec ce polar. Tom est un jeune handicapé qui vit reclus dans sa maison avec une mère de substitution. Et le voisinage les observe avec beaucoup de curiosité jusqu’au jour où ça déraille lorsque Tom tente d’enlever une jeune voisine. Noëlle Renaude s’attarde sur cette curiosité, parfois malsaine du voisinage qui permet de découvrir les personnages et leurs vies autour de cette maison. « Une petite société » est un polar à l’atmosphère unique qui renouvelle le genre. Le lecteur se laisse porter par les observations, par les jugements des personnages. Bienvenu dans un microcosme passé au peigne fin. Un microcosme parfois très sombre, à d’autres moment banal mais surtout qui sonne juste.

Une petite société, ed. Rivages, 22 euros, 408 pages.

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