La dernière place / Négar Djavadi

La radiographie d’un pays à travers un évènement impliquant la famille de la romancière.

Tout démarre avec le vol 752 qui décolle de Téhéran le 8 janvier 2020 et qui se crash peu de temps après avec 176 passagers à son bord. Un vol qui devait relier Téhéran à Kiev et dans lequel Niloufar Sadr la cousine de la romancière se trouvait. Le crash a lieu dans un contexte où les tensions sont exacerbées entre les États-Unis et l’Iran. L’autrice questionne tout au long de ce livre les raisons d’un tel crash en creusant au delà la communication politique de l’époque. Elle retrace le parcours de sa cousine qui devait se rendre à Toronto après son vol jusqu’à Kiev pour rentrer chez elle. A mi chemin entre le récit d’une famille qui évolue dans l’Iran d’aujourd’hui et une enquête fouillée sur le crash de cet avion, Négar Djavadi écrit avec « La dernière place » un témoignage fort qui résonne avec les évènements qui vont suivre en Iran, notamment le mouvement révolutionnaire qui s’est emparé du pays à l’automne 2022. A partir d’une tragédie impliquant sa famille, l’autrice finit par élargir sa focale en travaillant un point de vue plein de lucidité sur la situation politique dans son pays. Comme elle le dit très bien dans une interview cette histoire n’est pas uniquement celle de la chute d’un avion mais aussi celle des mensonges d’un régime.

La dernière place, ed. Stock, 20,50 euros, 320 pages.

Norlande / Jérôme Leroy

Une jeune femme hospitalisée raconte l’horreur et ce qu’elle a traversé.

Une jeune femme est en convalescence et on ne comprend pas bien pourquoi au début de ce court roman. C’est au fil de l’histoire qu’elle raconte que l’on découvre que le roman de Jérôme Leroy est inspiré d’un évènement, la tuerie en Norvège en 2011 sur l’île d’Utoya. La jeune femme est en réalité une rescapée du massacre et même si le personnage et le monde imaginaire de l’auteur n’ont pas existé, l’histoire est en grande partie inspirée de cet évènement. On découvre une jeune femme qui cherche à comprendre, qui tente de guérir, de continuer à vivre en ayant côtoyé une telle violence. Elle retrace son parcours et les souvenirs vont petit à petit la mener jusqu’à la tuerie. Elle déroule le fil comme pour revoir les choses au ralenti et essayer de donner du sens à ce qu’elle a vécu, donner du sens à ce traumatisme qu’elle ne fait qu’appréhender au début du roman. Elle comprend le rôle de sa mère, l’impact de la politique sur le pays. « Norlande » est un roman jeunesse qui marque et qui confirme tout le talent de Jérôme Leroy.

Norlande, ed. Syros, 14,50 euros, 160 pages.

Le Grand Saut / Thibault Bérard

Un homme sur le point de mourir se remémore sa vie passée.

Comme souvent chez Thibault Bédard l’histoire part d’une idée originale et c’est encore le cas dans ce troisième roman. On découvre la vie de Léonard alors qu’il s’apprête à mourir seul dans sa cuisine après avoir tenté de réparer son évier. Alors que la vie le quitte, il voit défiler les moments marquants de son existence et surtout la saveur d’une époque où il n’était pas cet homme solitaire isolé dans son chalet. Il se rend compte qu’il est passé à côté avec ses proches à plusieurs reprises. Que ce soit sa femme Lise ou ses enfants. On découvre tous ces autres personnages qui gravitent encore ou non autour de lui. Léonard est un personnage ambivalent, mais avec lequel on a certains moments de l’empathie. L’auteur aborde la question de la perte, de la mort, du temps qui passe et surtout des liens familiaux avec talent. La famille est un thème central dans les romans de Thibault Bérard et dans « Le grand saut » on retrouve une nouvelle fois ce thème. J’avais beaucoup aimé les deux précédents et « Le grand saut » fonctionne aussi très bien. C’est court et prenant. On le lit quasi d’une traite. Il offre un concentré d’émotion et de scènes qui touchent sans tomber dans le cliché. C’est d’ailleurs un exercice difficile de faire sourire avec les sujets pas toujours fun qui sont abordés. Et en même temps on est pris dans ces vies, les vies d’une famille qui tente de traverser les épreuves.

Le Grand Saut, Ed. de l’Observatoire, 20 euros, 208 pages.

Marseille en résistances / Michel Peraldi, Michel Samson

Fin de règnes et luttes urbaines.

L’anthropologue Michel Peraldi et la journaliste Michel Samson oscillent entre la chronique politique d’une ville et une réflexion sociologique. Les deux auteurs partent des évènements du 5 novembre 2018 rue d’Aubagne à Marseille, lorsque deux immeubles s’effondrent en emportant huit vies et en provoquant la colère des habitants. Cet évènement met en lumière les dysfonctionnements de la politique de la ville. Plusieurs portraits sont dressés de personnages publics plus ou moins importants et qui vont graviter autour de cet évènement. On découvre comment la ville de Marseille a évolué ces vingt dernières années. Comment un tel évènement a pu arriver. Michel Peraldi et Michel Samson s’attardent sur les promoteurs opportunistes, sur les manipulations des politiques (locales ou non) mais aussi sur les forces des collectifs. On découvre comment une ville fait évoluer ou non son tissu urbain. « Marseille en résistance » est un bouquin passionnant qui donne à réfléchir sur les luttes passées et celles à venir. Une photographie précise et dense, d’un paysage politique et urbain.

Marseille en résistances, ed. La Découverte, 19 euros, 228 pages.

Requiem pour la classe moyenne / Aurélien Delsaux

Un père de famille voit son monde et ses certitudes tanguer le jour où il apprend la mort de son idole d’enfance.

Un père de famille rentre de vacances avec sa femme et ses deux enfants. Sur le retour dans la voiture, il laisse ses pensées s’égarer et réalise qu’il aime sa routine et tout ce qui fait le confort de son quotidien. Arrivé sur Lyon, le narrateur va voir son quotidien chambouler lorsqu’il entend à la radio qu’une idole de jeunesse vient de mourir en la personne de Jean-Jacques Goldman. C’est le début d’une grande remise en question pour lui, qui va déteindre sur la cellule familiale. Étienne le narrateur se retrouve dans une spirale qui va le rendre spectateur du dysfonctionnement de ses proches, et du sien. Blanche sa femme voit des angoisses remonter, Étienne découvre que ses enfants lui cachent des choses. La cellule familiale n’est pas loin d’imploser et l’apparent confort de ce père de famille va voler en éclat sous la plume singulière d’Aurélien Delsaux. « Requiem pour la classe moyenne » est un roman original et bien amené, qui questionne au-delà de l’histoire de cette famille les absurdités de nos sociétés.

Requiem pour la classe moyenne, ed. Notabilia, 20 euros, 224 pages.

Mes migraines/ Raphaël Rupert

Les tribulations d’un migraineux.

La migraine pour thème central, pas forcément le truc le plus tentant sur le papier. Et pourtant, on se laisse porter par les pérégrinations d’un narrateur qui voit sa vie régie par cette maladie chronique. Elle est souvent à l’origine d’évènements plus ou moins heureux dans le quotidien du personnage. Un roman bien documenté et malin qui offre un bon moment de lecture. On est loin d’imaginer l‘impact que peut avoir une migraine pernicieuse.

Mes migraines, Ed. L’arbre vengeur, 17 euros, 184 pages.

14 Juillet / Éric Vuillard

Un court roman qui offre un nouveau regard sur cette date.

Une plongée saisissante dans les coulisses du 14 juillet 1789. Eric Vuillard donne une visibilité au petit peuple, celui que les livres d’histoire ne citent pas. Celui qui a eu un rôle important et pourtant oublié. L’auteur avec une plume imagée et en même temps accessible écrit un petit bouquin vraiment bien amené. On sent l’atmosphère de révolte monter dans les rues de Paris. Une découverte.

14 Juillet, Ed. Actes Sud, coll. Babel, 8,30 euros, 208 pages.

Power / Michaël Mention

Un roman sur le Black Panther Party avec des personnages mémorables et un style enlevé.

1965, les États-Unis sont embourbés dans la guerre au Vietnam et le pays va traverser en parallèle à cette guerre une période trouble. Des émeutes éclatent un peu partout de Chicago à Los Angeles. Les tensions sont exacerbées et ce sont les Afro-Américains qui en font les frais et plus généralement les minorités. Que ce soit à travers les violences policières ou à travers une justice bafouée, plus de vingt millions d’Afro-Américains sont stigmatisés et discriminés. C’est dans ce cadre que le roman de Michaël Mention débute et comme souvent chez cet auteur le rythme est prenant et va crescendo. Que ce soit dans l’écriture, dans les chapitres courts ou dans le mélange de fiction et de réalité, l’ensemble ne s’essouffle pas. L’assassinat de Malcom X sème le trouble et la communauté noire se divise. D’un côté avec ceux qui prônent la non-violence de Martin Luther King et de l’autre ceux qui trouvent que ses positions ne sont pas assez radicales. C’est dans ce contexte qu’émerge le Black Panther Party, l’élément central du roman. On suit la genèse de ce mouvement. Dans la seconde partie du livre, on voit graviter trois personnages autour de ce parti, trois personnages ambivalents et que je trouve très réussis. Du policier à la militante du Black Panther Party en passant par le détenu enrôlé par le FBI.

« Power » est un roman passionnant, qui bouscule et qui laisse planer le sentiment de révolte pendant et après la lecture. La bande son ne gâche rien, d’Hendrix à Led Zeppelin et participe pleinement à l’atmosphère.

Power, ed. 10/18, 8,80 euros, 502 pages.

Taqawan / Eric Plamondon

Magnifique roman, une claque.

J’avais hâte de découvrir cet auteur et c’est chose faite avec Taqawan, un des romans d’Éric Plamondon sortie chez Quidam. Nous sommes le 11 juin 1981 et Éric Plamondon illustre une ségrégation qui existe encore aujourd’hui en commençant par la description d’un évènement marquant, une descente de policiers de la sureté du Québec qui s’apprêtent à retirer les filets de pêche au saumon des Indiens mig’mac sur la réserve de Restigouche. Ça ne peut que mal se passer et c’est d’ailleurs la tournure que les évènements vont prendre, révélant une face sombre du pays. L’auteur choisit différents points de vue avec des chapitres courts pour décrire les histoires des personnages qui vont se rattacher à cet évènement. On y croise une jeune Indienne, un gardien de chasse, un vieil indien qui vit isolé dans les bois ou encore une jeune enseignante française qui vient travailler dans la région. Eric Plamondon mêle l’histoire d’un continent aux toutes petites histoires de ses personnages qui y vivent, avec beaucoup d’habilité. C’est prenant, écrit avec beaucoup de justesse et plein d’émotion. Un gros coup de cœur que je vous conseille vivement.

Taqawan, ed. Le livre de poche, 7,40 euros, 224 pages.

Bien connu des services de police / Dominique Manotti

Tout est une question de perspective dans ce qui est juste et dans ce qui ne l’est pas.

Je retrouve avec grand plaisir Dominique Manotti que j’avais quitté l’année dernière avec « Or noir », un roman qui mêlait habilement politique et économie. J’ai aussi eu l’occasion de lire « Racket » la même année, son dernier roman noir paru aux Arènes dans la jeune collection Équinoxes (une collection qui fait des merveilles depuis sa création en 2018). Dominique Manotti n’a pas son pareil pour dépeindre les rouages des grandes institutions françaises et elle s’y adonne à merveille dans « Bien connu des services de police », où l’on retrouve la flic des renseignements généraux qui apparaît dans « Racket », Noria Ghozali.

L’histoire de ce roman s’articule autour d’un lieu : le commissariat de Panteuil. Panteuil, ville fictive de banlieue nord qui n’est pas sans rappeler des villes existantes. Peu importe, le décor est planté et l’autrice ne va pas ménager ses efforts pour tinter son récit d’un réalisme bien campé. Les personnages se croisent autour de la drogue, de leur métier, de leurs amitiés, de leurs magouilles. Au-delà du terrain où se déroule l’intrigue et des techniques plus que discutables des forces de l’ordre, c’est tout un ministère qui semble se mettre au diapason d’une politique ultra sécuritaire et chaque échelon y contribue bien volontiers. La ville est alors pensée à travers un prisme raciste, qui prône des pratiques où la méfiance et l’insécurité se nourrissent mutuellement.

La réalité est décrite avec une netteté qui fait froid dans le dos. Pas de happy end ni de twist mémorable, prenez plutôt une dose supplémentaire d’injustice et rien de plus. C’est comme ça, âpre, violent, et cela ne fait que remuer plus loin le couteau dans la plaie. Elle est rugueuse la réalité de Dominique Manotti, et pourtant elle doit être lue.

Au passage, ce roman a obtenu le trophée 813 du meilleur roman noir francophone en 2010.

Bien connu des services de police, ed. Folio, coll. Folio Policier, 6,90 euros, 240 pages.

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