Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans / Anne Plantagenet

Un livre qui restitue le parcours d’une femme détruite par l’usine, ses conditions de travail et sa logique de rentabilité.

Anne Plantagenet raconte comment le travail à la chaine et la logique de rentabilité détruisent progressivement la vie d’une femme. Une femme qui disparait à Marseille dans une clinique en juin 2022. Une femme engagée dans son entreprise et qui est écartée de façon pernicieuse par les responsables. L’autrice s’attarde sur ce destin à la suite d’une rencontre avec cette femme, Letizia Storti, qui travaille depuis plus de 36 ans dans son entreprise lors de la rencontre. Un parcours de vie qui se complique progressivement et qui finit par mener à l’hospitalisation. On pense à la justesse de Joseph Ponthus pour restituer l’impact du travail à la chaine sur les corps, sur la vie des ouvriers et des ouvrières. Un livre poignant qui s’arrête sur des vies oubliées, des marges invisibilisées.

Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans, ed. Seuil, 17,50 euros, 160 pages.

Le Dernier Frère de Nathacha Appanah et Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle

Deux romans qui s’attardent sur des trajectoires de vie. Deux fictions inspirées d’un fait réel.

Les deux dernières lectures. Un ancien roman de Nathacha Appanah, « Le Dernier Frère ». Raj, un petit garçon de dix ans qui vit sur l’ile Maurice et qui voit un autre petit garçon, David, arriver et être retenu dans un camp. Ce petit garçon vient de débarquer sur l’ile avec un bateau dans lequel des juifs en exil échappent à la guerre sur le continent européen. L’autrice a toujours une façon bien à elle de raconter les histoires et en partant une nouvelle fois d’un fait réel, elle tisse le destin de deux petits garçons avec une justesse rare. Poignant. Jean-Luc Seigle de son côté s’attarde sur la vie de Pauline Dubuisson, une femme qui fuit la France en 1961 après avoir vu le film de Clouzot avec Brigitte Bardot, « La vérité ». Un film inspiré de sa vie et qui revient sur un évènement marquant. Le livre est écrit à la première personne et on découvre une femme marquée, qui a été prise en grippe par une société tout entière. Difficile de savoir ce qui est romancé ou non dans le livre de Jean-Luc Seigle et du coup ça pose question sur le choix de l’écrivain de se mettre à la place de Pauline Dubuisson. Une figure controversée de cette époque.

Le Dernier Frère, ed. Points, 7,50 euros, 224 pages.

Je vous écris dans le noir, ed. Flammarion, 18 euros, 240 pages.

Mungo / Douglas Stuart

Un roman marquant sur une relation impossible entre deux adolescents à Glasgow, dans les années 90.

J’ai redécouvert ce livre de Douglas Stuart suite à un retour de lecture sur Instagram et une fois démarré j’ai eu beaucoup de mal à le lâcher. Mungo est un jeune homme qui grandit dans la banlieue de Glasgow avec sa mère alcoolique et rarement là, et sa soeur et son frère. Son grand frère étant une fois sur deux violents avec lui, une brute qui érige des valeurs machistes avant tout le reste. Le personnage vit une adolescence compliquée du haut de ses seize ans, une adolescence marquée par la précarité et par les conflits qui gangrènent la ville. Mungo va tenter de grandir avec en fond ces rivalités entre les protestants et les catholiques. Les altercations entre bandes sont nombreuses et il n’est pas rare que des jeunes perdent la vie dans cette rivalité religieuse. Le jeune homme fait une rencontre qui va chambouler son quotidien et qui va faire naitre de nouveaux sentiments pour lui. « Mungo » est un roman qui touche comme rarement et qui à travers une langue âpre restitue la condition d’un jeune homme en décalage par rapport aux autres jeunes de son âge. Un personnage qui découvre son homosexualité et qui se rend compte rapidement qu’il risque gros à la dévoiler, que ce soit dans son entourage proche ou plus largement dans la banlieue dans laquelle il habite. Mungo finira par être envoyé par sa mère dans un voyage avec deux repentis, deux hommes censés lui apprendre les valeurs qui forgent un soi-disant vrai homme, viril. C’est rare les livres qui m’embarquent comme ça et qui marquent. Plus d’une scène et plus d’un dialogue font cet effet-là dans ce roman terrible de Douglas Stuart. Une histoire qui alterne entre les moments très difficiles et des passages plus lumineux. Difficile d’en dire plus tant on ressort sonnée de cette lecture et en même temps, en ayant le sentiment d’avoir lu un sacré bouquin. À lire, vraiment.

Mungo, ed. Globe, 24 euros, 480 pages.

Nos armes / Marion Brunet

Une histoire d’amour poignante qui tente de s’écrire malgré la violence du monde.

Peu avant les années 2000, un groupe de potes s’apprête à traverser une épreuve qui va chambouler leur vie. À commencer par celle d’Axelle et de Mano, deux personnages passionnés qui vont être séparés par l’épreuve en question. Un braquage qui dérape. L’action de trop qui part en live. Il faut rassembler de l’argent, car la révolution a un cout. Ce jour-là, l’addition va être particulièrement salée. Le groupe implose et dans le même temps, Axelle termine en prison pour femmes alors que Mano parvient à s’échapper. Le roman revient sur l’histoire de ce groupe de potes, des militants et militantes de la première heure, anarchistes et soudés. Pas des ados, mais pas encore des adultes non plus. Un groupe de jeunes qui a vécu à fond jusqu’à ce jour sombre, le jour du braquage. Marion Brunet questionne la condition carcérale dans ce nouveau roman noir dense et poignant. Elle questionne cette condition à travers la trajectoire d’Axelle qui termine en prison après le braquage. Mais aussi la difficulté de grandir dans cette société avec un sentiment de révolte qui vous tenaille sept jours sur sept. Cette incapacité à mettre de côté la marche du monde qui déconne. On s’attache à ces parcours cabossés, à ces personnages qui tentent de continuer à vivre, en prison et en dehors. Et on retrouve toute la justesse de Marion Brunet, lorsqu’elle parvient à saisir ces instants de vie qui marquent le lecteur.

extraits : « J’ai failli ne pas le reconnaître, tant il avait rétréci. Mon cœur a explosé. Je me suis assise et j’ai attrapé ses deux mains dans les miennes, toutes vieilles et noueuses. Avant ce jour, je n’avais jamais touché ou caressé les mains de mon grand-père. C’était étrange, comme les gestes d’un film. Du coup je me suis un instant décalée, comme si je nous regardais de plus loin. »

« Il y voit un désir caché que le désespoir libère. Elle n’y voit rien du tout, flotte au-dessus d’un charnier et ne trouve rien de mieux à faire que l’amour pour échapper à la mort. »

Nos armes, ed. Albin Michel, 20,90 euros, 350 pages.

Amour chrome / Sylvain Pattieu

Hypallage – Tome 1

« Amour chrome » inaugure la série Hypallage, une série avec quatre romans en littérature jeunesse édités à l’école des loisirs. Sylvain Pattieu s’attarde dans chaque bouquin sur un des personnages d’une bande de potes. Dans « Amour chrome » il est question de Mohammed-Ali, un 3e avec de bons résultats et qui termine son collège tranquillement. La nuit il a une passion à l’abri des regards et sort de chez lui à l’insu de ses parents pour taguer. Il se passionne pour le graff et éprouve un sentiment de liberté unique lorsqu’il tague. Le reste du temps, il vaque entre ses potes et ses sentiments pour Aimée, une fille de sa classe qui ne vit que pour le football. Sylvain Pattieu écrit un roman sur des jeunes qui se cherchent. Les réactions et les dialogues sonnent juste ce qui loin d’être évident et on voit des amis se questionner sur les relations ou sur le monde qui les entoure. L’auteur n’en rajoute pas et laisse ses personnages vivre leur amitié, rencontrer des galères ou faire leurs expériences. À l’image d’une jolie scène dans laquelle Mohammed-Ali demande à son père de lui apprendre à se raser pour la première fois. Ce dernier se met alors en quatre et rend la chose importante, rendant le passage touchant. « Amour chrome » c’est aussi le roman d’une adolescence qui passe, du passage à l’âge adulte avec une fin inattendue. Sylvain Pattieu écrit un premier tome qui recoupe de nombreuses problématiques adolescentes, un bouquin que l’on a envie de faire lire autour de soi. Hâte de lire la suite.

Amour chrome, ed. l’école des loisirs, 14 euros, 192 pages.

Retour à Killybegs / Sorj Chalandon

Le roman d’une trajectoire de vie, celui d’un traitre au service de l’IRA.

Le journaliste Sorj Chalandon écrit avec « Retour à Killybegs » un roman sur une trahison, celle d’un militant irlandais de l’IRA, Tyrone Meehan. Le nom a été changé, mais les évènements sont inspirés de faits réels. Le livre s’arrête sur la découverte de l’IRA à 18 ans pour Tyrone Meehan et sur l’histoire de son enrôlement tôt. On suit le cheminement dans la tête du personnage, comment il en vient à la lutte armée et dans quel contexte. En parallèle, le récit alterne avec l’écriture des mémoires de ce même Tyrone Meehan lorsqu’il revient à Killybegs des décennies plus tard pour laisser ressurgir ses souvenirs. Il se sent d’ailleurs en danger lorsqu’il revient sur les terres de son passé, car il est maintenant un traitre au service du contrespionnage britannique aux yeux de tous. Sorj Chalandon avec l’acuité qu’on lui connait décrit l’intérieur du conflit nord-irlandais et le contexte avec beaucoup de précision. On est complètement emporté par l’écriture et le ton du livre. Petit à petit on découvre les zones d’ombre pour comprendre comment il devient un traitre. Et petit à petit on se rend compte que ses pairs se méfient de lui à raison. Sorj Chalandon questionne la place de la guerre et de la lute dans une vie avec beaucoup de justesse. Les romans de l’auteur sont marquants et celui-ci ne fait pas exception.

Retour à Killybegs, ed. Le livre de poche, 8,70 euros, 336 pages.

Les Contemplées / Pauline Hillier

Le récit du séjour de l’autrice dans la prison pour femmes de Tunis.

Inspiré par ce que l’autrice a traversé, « Les Contemplées » est un récit autobiographique de Pauline Hillier dans lequel elle raconte sa détention à La Manouba, la prison pour femmes de Tunis. L’autrice y est envoyée suite à son arrestation lors d’une manifestation. Elle relate les conditions de détention et dresse des portraits marquants de ses codétenues qui pour beaucoup sont victimes à l’origine d’une violence patriarcale. Des portraits de femmes qui questionnent le sens d’une justice bafouée. De nombreux passages du récit retranscrivent la solidarité qui se crée entre ses femmes derrière les barreaux. « Les Contemplées » est un texte poignant qui donne à voir des femmes qui luttent, victimes d’erreurs judiciaires. Un livre marquant sur l’injustice qui oscille entre fiction et autobiographie.

Les Contemplées, ed. La Manufacture de livres, 18,90 euros, 179 pages.

Jeannette et le crocodile / Séverine Chevalier

Un roman noir émouvant et très bien écrit.

Pascal vit avec sa sœur Blandine dans une maison reculée, non loin d’un petit ruisseau. Jeannette la fille de Blandine vit aussi avec eux, du haut de ses dix ans au début du roman. Le lecteur va la voir grandir au fil de l’histoire. Elle grandit avec un monde d’adulte qu’elle a parfois du mal à comprendre. Jeannette au début de ce récit s’apprête à se rendre au zoo de Vannes pour aller observer un crocodile qui a été récupéré dans les égouts près du Pont-Neuf. La jeune fille admire l’animal qu’elle attend de croiser depuis ses six ans. Malheureusement les vies amochées des adultes et de son entourage télescopent ce rêve d’enfant et les choses vont être plus compliqué que prévu. Blandine sa mère tente de se dépêtrer de son addiction à l’alcool tandis que Pascal son oncle tente de faire avec ses différences qui le marginalisent aux yeux des autres. Séverine Chevalier saisie des instants de vie dans ce récit plein d’humanité et on est touchés par ces personnages. « Jeannette et le crocodile » c’est l’histoire d’une enfant qui fait face à la dureté du quotidien et à la violence des adultes. Un très beau bouquin, poignant.

Jeannette et le crocodile, ed. La manufacture de livres, 16,90 euros, 176 pages.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer