Mai 67 / Thomas Cantaloube

Le dernier polar de Thomas Cantaloube s’intéresse aux Antilles, toujours avec en toile de fond la politique française des 60’s.

Troisième roman et troisième réussite pour Thomas Cantaloube. Dans « Mai 67 », il mêle de nouveau avec beaucoup de talent la politique française des années 60, les luttes de cette période et les aventures de ses personnages. Et justement les trois personnages des romans précédents ont évolué, que ce soit Luc Blanchard l’ancien flic reconverti en journaliste qui vit maintenant en Guadeloupe, Sirius Volkstrom le marginal toujours dans les mauvais coups et qui adore entretenir de l’ambivalence dans tout ce qu’il fait. Ou Antoine Luchesi, le marin corse qui après avoir travaillé plusieurs années dans l’illégalité du côté de Marseille a décidé de devenir skipper pour de riches propriétaires afin de calmer un peu les risques qu’il prenait au quotidien. On retrouve ces trois personnages avec quelques clins d’œil aux polars précédents. Dans celui-ci il est question de la condition des Antillais et Antillaise, de leur indépendance. On comprend vite que la métropole et ses magouilles ne s’arrêtent pas à la France métropolitaine, notamment les violences policières. L’auteur est souvent à la frontière entre le réel et la fiction et ses romans noirs sont toujours aussi passionnants. Après la France de Papon dans « Requiem pour une République » et la Françafrique dans « Frakas », direction la Guadeloupe dans ce nouveau roman. Peut-être un peu moins rythmé que les précédents, il reste un roman noir prenant et vraiment bien amené. Un nouveau coup de coeur.

Mai 67, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 19 euros, 355 pages.

Fille / Camille Laurens

Ce que naître fille veut dire.

Laurence Barraqué grandit dans les années 60 à Rouen. Elle est la narratrice de ce roman qui dévoile dès les premières pages une rencontre avec une condition. Elle est une fille et perçoit progressivement qu’il aurait été plus simple pour elle qu’elle naisse garçon. Elle est une fille et elle comprend durant son enfance que c’est mieux qu’elle se taise, que c’est mieux pour elle qu’elle s’intéresse à certains sujets et pas d’autres. Elle comprend rapidement que sa relation aux hommes peut lui poser des difficultés voire pire. On suit la narratrice jusqu’au début des années 90 lorsqu’elle devient mère. Puis on voit grandir sa fille et la relation se tisse sous les yeux du lecteur avec sa mère. Une fille qui s’affirme et qui s’intéresse aux questions féministes contemporaines en offrant un nouveau prisme à sa mère. Une mère qui regarde comment grandit son enfant à l’orée de ce nouveau prisme, mais qui regarde aussi sa jeunesse avec ce nouveau prisme. « Fille » est un roman qui restitue comme rarement la condition féminine. Tout ce que peut traverser une femme dans une vie. Camille Laurens écrit un récit très juste et plein de petites observations, dans lequel la question du corps féminin est centrale. Le lecteur voit les petites mutations qui s’opèrent chez la narratrice et les luttes que cela sous-tend pour elle. Je lis un peu à la bourre ce bouquin qui avait eu un écho important à sa sortie. Je vous le conseille vivement.

Fille, ed. Folio, 8,70 euros, 256 pages.

Les Sources / Marie-Hélène Lafon

La violence rôde dans une ferme isolée du Cantal, dans les années 60.

Marie-Hélène Lafon n’a pas son pareil pour camper en quelques pages des scènes, pour donner de l’épaisseur à ses personnages en quelques lignes. Dans « Les Sources » elle se penche sur une famille d’agriculteurs qui vit sous le joug d’un père de famille violent. La première victime est sa femme, qui est la voix de toute la première partie du roman. Elle raconte sans détour ce qu’elle vit, la violence qui l’enferme dans son quotidien avec son conjoint. L’autrice parvient à nous transporter au milieu de cette ferme isolée du Cantal, dans les années 60. Il y est question de la condition des femmes et encore une fois on est marqués par les mots, par le choix des mots dans lequel on sent que rien n’est laissé au hasard. Pour la deuxième partie du roman Marie-Hélène Lafon choisit de donner la parole au père avant de terminer par une des filles de la fratrie. « Les Sources » est un roman tendu qui se lit comme un souffle. Comme souvent chez la romancière la question du silence et des non dits plane jamais loin et c’est encore le cas ici. À l’arrivée ça donne un roman âpre et très bien écrit.

Les Sources, ed. Buchet Chastel, 16,50 euros, 128 pages.

Le sang de nos ennemis / Gérard Lecas

Un très bon roman noir dans le Marseille des années 60.

Un cadavre vidé de son sang est retrouvé non loin de Marseille, en 1962. Deux flics que pas mal de choses opposent se retrouvent sur l’affaire. D’un côté le jeune Anthureau, un fils de résistant qui a perdu son père et de l’autre Molinari, un ancien résistant qui est membre du SAC (le Service d’Action Civique au service de de Gaulle entre 1960 et 1981). Ce polar passionnant se déroule dans une période riche entre la guerre d’Algérie, les méandres de la French connection ou encore l’impact de l’OAS et du SAC sur la société française. Gérard Lecas dresse une intrigue solide et le rythme du récit fonctionne bien. Un peu comme chez Thomas Cantaloube et son roman « Requiem pour une république », on découvre les crasses dont sont capables les instances et les politiques de l’époque. « Le sang de nos ennemis » est un excellent roman noir dans les coulisses d’une sombre histoire de France.

Le sang de nos ennemis, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 21 euros, 288 pages.

Frakas / Thomas Cantaloube

Découvrir comment la Françafrique a émergé, suite à l’indépendance des colonies françaises.

Après un roman noir sur les coulisses de la France sous Papon (« Requiem pour une République »), Thomas Cantaloube poursuit sur sa lancée avec « Frakas ». Un polar qui aborde la question controversée (car longtemps ignorée par le gouvernement français) de la guerre du Cameroun. Une guerre qui voit s’opposer les troupes françaises d’un côté qui occupent le territoire et des membres de l’UPC de l’autre (l’Union des populations du Cameroun) qui résistent et souhaitent leur indépendance. Dans un conflit éminemment politique, l’auteur campe à nouveau les trois personnages réussis de son premier roman. Trois personnages qui évoluent cette fois-ci à partir de 1960 et à partir de l’assassinat en Suisse d’un proche Camerounais de l’UPC (le livre débute sur cet évènement). On retrouve donc Luc Blanchard, ancien de la PJ de Paris qui après avoir vu l’envers du décor des forces de l’ordre parisiennes décide de devenir journaliste. On recroise aussi Antoine le truand Corse qui convoyait des marchandises illégales dans « Requiem pour une République » et qui continue de le faire dans « Frakas » depuis Marseille. Et enfin un certain Sirius Volkstrom, personnage ambivalent au possible et plutôt détestable, que l’on avait laissé pour mort dans le premier roman. Luc Blanchard lui avait tiré une balle alors qu’il secourait un Algérien lors de la nuit meurtrière du 17 octobre 1961 à Paris. Dans « Frakas » il est un sergent qui encadre les troupes Camerounaise sous un faux nom (des troupes équipées par l’armée française pour lutter contre l’UPC). Thomas Cantaloube mène toujours aussi bien sa barque avec un juste dosage entre la documentation et les péripéties du roman en lui-même. On est une nouvelle fois happé par ce roman noir qui confirme tout le talent de l’auteur. A noter que son prochain roman « Mai 67 » s’attardera sur la personnalité de Pierre Belotte, le premier préfet de Seine-Saint-Denis et l’homme derrière la création des brigades anticriminalité (BAC). Hâte.

Frakas, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 19 euros, 432 pages.

Requiem pour une République / Thomas Cantaloube

Règlements de compte et autres manigances dans la France de Papon.

Ça faisait un petit moment que je n’avais pas été pris dans un roman noir comme ça. Les évènement se déroulent en France de 1959 à 1962 dans « Requiem pour une République », dans la France de De Gaulle et on s’apprête à croiser le FLN, l’OAS, un certain Mitterand, Le Pen et toute une panoplie de personnages fictifs ou réels. Thomas Cantaloube campe sa narration à travers trois personnages qui vont se retrouver plus ou moins liés à l’assassinat d’un avocat et de sa famille à son domicile. L’avocat Abderhamane Bentoui, un proche du FLN. Une exécution planifiée et commanditée par Deogratias, le directeur adjoint de Papon. On sent tout de suite le coup foireux et le coup politique dans cette affaire. Le premier des trois personnage qui gravite autour de cet évènement est le flic de la PJ de Paris Luc Blanchard, plutôt bleu et naïf au début du roman, il finit par avoir des doutes sur les manœuvres de ses supérieurs à commencer par le préfet Papon. Antoine Carrega de son côté est un truand Corse qui se retrouve lié à cet assassinat car une connaissance à lui, un ancien résistant, perd sa fille dans l’évènement. La fille de l’ancien résistant était la conjointe d’Abderhamane Bentoui. Antoine Carrega va faire marcher son réseau et emprunte d’autres chemins pour comprendre les rouages de cet assassinat. Enfin, il y a le détestable Sirius Volkstrom. Un ancien de l’Indochine qui refuse toutes étiquettes et qui ne recule devant rien lorsqu’il s’agit d’un contrat financièrement intéressant pour lui. Sirius Volkstrom doit s’occuper de l’assassin de l’avocat afin que les services du préfet de Paris effacent toutes traces du manège. Thomas Cantaloube écrit un roman noir passionnant dans une France corrompue. Les chapitres alternent avec les personnages et on se régale en étant rapidement dans le vif du sujet. Je suis très curieux de lire un autre roman noir de l’auteur.

Requiem pour une République, ed. Folio, 9,70 euros, 544 pages.

Power / Michaël Mention

Un roman sur le Black Panther Party avec des personnages mémorables et un style enlevé.

1965, les États-Unis sont embourbés dans la guerre au Vietnam et le pays va traverser en parallèle à cette guerre une période trouble. Des émeutes éclatent un peu partout de Chicago à Los Angeles. Les tensions sont exacerbées et ce sont les Afro-Américains qui en font les frais et plus généralement les minorités. Que ce soit à travers les violences policières ou à travers une justice bafouée, plus de vingt millions d’Afro-Américains sont stigmatisés et discriminés. C’est dans ce cadre que le roman de Michaël Mention débute et comme souvent chez cet auteur le rythme est prenant et va crescendo. Que ce soit dans l’écriture, dans les chapitres courts ou dans le mélange de fiction et de réalité, l’ensemble ne s’essouffle pas. L’assassinat de Malcom X sème le trouble et la communauté noire se divise. D’un côté avec ceux qui prônent la non-violence de Martin Luther King et de l’autre ceux qui trouvent que ses positions ne sont pas assez radicales. C’est dans ce contexte qu’émerge le Black Panther Party, l’élément central du roman. On suit la genèse de ce mouvement. Dans la seconde partie du livre, on voit graviter trois personnages autour de ce parti, trois personnages ambivalents et que je trouve très réussis. Du policier à la militante du Black Panther Party en passant par le détenu enrôlé par le FBI.

« Power » est un roman passionnant, qui bouscule et qui laisse planer le sentiment de révolte pendant et après la lecture. La bande son ne gâche rien, d’Hendrix à Led Zeppelin et participe pleinement à l’atmosphère.

Power, ed. 10/18, 8,80 euros, 502 pages.

Nickel Boys / Colson Whitehead

Une maison de correction en Floride dans les 60’s devient le sombre reflet de la société ségrégationniste américaine.

Colson Whitehead s’inspire d’une histoire vraie pour mettre en scène une maison de correction appelée la Nickel Academy. Un établissement qui « remet les hommes dans le droit chemin ». La population réserve aux noirs un traitement tout particulier dans la Floride ségrégationniste des années 60, et la Nickel Academy ne fait pas exception. A l’intérieur même de la maison de correction, les traitements entre les blancs et les noirs sont différents. De son côté, le jeune Elwood Curtis réussit sa scolarité et tout en s’inspirant des discours de Martin Luther King, se dirige à son rythme vers l’université pour la suite de ses études afin de continuer ses réflexions. Malheureusement les choses vont rapidement se compliquer lorsqu’il est victime d’une erreur judiciaire qui l’envoie dans la Nickel Academy. Ces espoirs douchés, il tente de survivre dans un endroit qui fait subir les pires atrocités à ses pensionnaires. Il y rencontre Turner, un autre résident avec qui il va se lier d’amitié dans cet enfer.

Ce roman est porté par le très beau personnage d’Elwood, doté d’une capacité de résilience hors norme et qui tente de garder sa dignité malgré le racisme qu’il subit et qui règne dans l’État de Floride. C’est aussi un roman sur une amitié forte entre Turner et Elwood, qui ne sont pas toujours d’accord sur les façons d’agir mais qui se soutiennent. Colson Whitehead écrit une fiction qui remue et qui lève le voile sur une face cachée de l’Amérique.

Nickel Boys, ed. Le livre de poche, 7,40 euros, 264 pages.

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