Tu n’habiteras jamais Paris / Omar Benlaala

L’histoire individuelle du père de l’auteur croise celle d’un quartier, d’une ville.

L’auteur retrace le parcours de son père en lui donnant la parole. Au fil du dialogue, on découvre un homme venu de Kabylie jeune pour travailler en tant que maçon en France, dans des conditions difficiles. Son père se livre un peu comme dans des mémoires et l’on découvre un homme qui découvre un pays avec en arrière fond du racisme à son arrivée en 1963. Bouzid explique à son fils Omar l’écrivain que petit à petit il trouve sa place et finit par défendre d’autres collègues ouvriers en se syndiquant. La lutte l’anime tout comme la défense des conditions de travail des maçons parisiens. Mais l’apprentissage est long et laborieux notamment son rapport à la lecture. En parallèle on découvre l’histoire étrangement similaire de Martin Nadaud, un homme qui vient de la Creuse au début du XIXe siècle. Ce dernier migre aussi vers Paris pour y travailler comme le père de l’auteur et il est maçon, et comme le père de l’auteur il va se politiser en devenant député. Une autre époque, mais une trajectoire similaire. Omar Benlaala écrit un livre touchant et construit sur ces deux trajectoires. Un livre qui raconte les migrations et le difficile sentiment de se sentir entre deux pays, entre deux mondes. Il y a aussi de très beaux passages sur la paternité de son père et l’arrivée de ses deux enfants, dont Omar le plus jeune qui finit par faire les quatre-cents coups lorsqu’il grandit. « Tu n’habiteras jamais Paris » est un livre à découvrir.

Tu n’habiteras jamais Paris, ed. Flammarion, 19 euros, 208 pages.

Alice Zeniter, une écrivaine au travail / Richard Gaitet

Écrire, c’est le plus drôle de tous les jeux.

Deuxième livre que je lis dans cette collection, qui est une adaptation de l’excellent podcast de Richard Gaitet « Bookmakers ». Le livre reprend les entretiens enregistrés avec Arte Radio, entre Richard Gaitet et une autrice ou un auteur, et avec des passages inédits et supplémentaires dans l’édition papier. On découvre Alice Zeniter et ses méthodes de travail, sa vision de la lecture, de l’écriture. Mais aussi un sens de la répartie bien agréable à lire. J’avais adoré « L’art de perdre » lors de sa lecture et c’est un réel plaisir de la (re)découvrir à travers son univers en entrant un peu dans sa fabrique, dans ses routines de travail ou encore dans son rapport à la fiction (n’hésitez pas au passage à lire « Toute une moitié du monde » un essai qu’elle a écrit sur la question). Comme avec Nicolas Mathieu l’entretien est passionnant de bout en bout et permet de faire des découvertes au gré des références qu’Alice Zeniter cite tout en permettant de questionner tout le travail derrière la création des bouquins. Hâte de lire le suivant tout simplement.

Alice Zeniter, une écrivaine autravail, ed. Points, 10,90 euros, 144 pages.

Les motifs / Laurent Mauvignier

Entretiens sur l’écriture de Laurent Mauvignier avec Pascaline David.

J’avais adoré découvrir la plume de Laurent Mauvignier dans son roman « Histoires de la nuit ». Et j’étais curieux de découvrir ce petit bouquin édité chez Diagonale, qui retranscrit un entretien entre l’auteur et Pascaline David, une des deux fondatrices des éditions Diagonale (avec Ann-Gaëlle Dumont). Pascaline David prend le temps de questionner Laurent Mauvignier sur son parcours, sur son approche de l’écriture et sur sa façon d’aborder la construction de ses romans. C’est passionnant de bout en bout. L’auteur s’attarde sur ses procédés narratifs sans donner forcément de recettes. On entre dans les coulisses de ses livres (« Continuer », Histoires de la nuit », etc.) et c’est vraiment intéressant d’avoir son point de vue après lecture. On perçoit par exemple des personnages sous un nouveau jour. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, Laurent Mauvignier a un ton bien à lui, une écriture singulière. On retrouve de longues phrases et toute une réflexion sur le rythme dans son travail. Et même si à première vue cela semble idéal pour perdre le lecteur ce n’est pas du tout le cas et on se laisse porter dans ses histoires. Dans « Les motifs » on retrouve toute la singularité de l’auteur et son sens du détail. Un riche entretien à découvrir.

Les motifs, ed. Diagonale,

Des histoires qui vous ressemblent / Et l’imagination prend feu / Françoise Bourdin et Christelle Dabos

Des bouquins sur la création toujours aussi intéressants.

Dans la continuité du livre de Michel Bussi sur le thème du suspense notamment, j’ai lu les livres de Christelle Dabos et Françoise Bourdin dans la même collection, « Secrets d’écriture » chez Hachette. Une collection dédiée aux coulisses du travail d’écriture de plusieurs romanciers et romancières. De la question de la création à l’édition en passant par les différents ressorts scénaristiques existants, cette collection est vraiment intéressante. Christelle Dabos aborde comment elle construit ses mondes imaginaires notamment dans sa série du « Passe-miroir ». Françoise Bourdin de son côté repère des invariants dans ses différentes histoires. Des histoires familiales ou des sagas, dans lesquelles les relations humaines entre les personnages forment le cœur du récit. Cette collection offre de courts bouquins que l’on a envie d’annoter ou de relire.

Et l’imagination prend feu, ed. Hachette, 15,90 euros, 192 pages.

Des histoires qui vous ressemblent, ed. Hachette, 14,90 euros, 176 pages.

Tenir jusqu’à l’aube / Carole Fives

Une femme seule élève son enfant et tente de surnager.

Lyon. Une femme élève seule son enfant et tente de surnager en continuant à travailler et en s’occupant de son fils. Malheureusement il est bien compliqué pour elle de payer son loyer et de tout faire. Lorsque ce n’est pas son conjoint qui lui impose des contraintes par son absence, c’est le fonctionnement de la société qui lui rappelle sa condition. Rien n’est facilité et le seul moyen pour elle de tenir consiste à s’aménager de petites balades dans le quartier lorsque son fils est endormi le soir. Un temps suspendu. Une soupape. Un temps de réflexion.

Carole Fives met très bien en évidence dans ce récit plein de justesse les difficultés d’une mère célibataire. Les injonctions qui pèsent sur elles. Il faut pouvoir être là toute la journée pour son enfant. Il faut savoir « s’organiser » pour être disponible dans son travail. Il faut palier à l’absence du père et aux questionnements de l’enfant. Une charge. Un quotidien qui laisse peu de respiration. L’autrice intègre dans son récit des moments où le personnage se rend sur des forums pour discuter de sa situation. Une occasion supplémentaire pour la lectrice ou le lecteur de constater comment les gens réagissent face au célibat et à la maternité. Les remarques acerbes fusent, provenant parfois d’autres mères célibataires. Comme en écho au thème du livre de Samira El Ayachi lu il y a peu, ce roman de Carole Fives vise juste.

Tenir jusqu’à l’aube, ed. Folio, 7 euros, 192 pages.

Au-delà de la pénétration / Martin Page

Un petit manifeste qui tape comme il se doit sur les normes en vigueur.

Dans une démarche pleine de transparence et de sincérité, Martin Page questionne une pratique de la sexualité que l’on ne questionne quasi jamais et qui va de soi, celle de la pénétration. C’est l’occasion pour l’auteur d’élargir le spectre en mettant en évidence les injonctions qui pèsent sur nos sphères intimes au-delà de la pénétration. Et cela dès l’éducation à la sexualité chez les plus jeunes. Sans donner la leçon ni recommander une façon de faire plutôt qu’une autre, Martin Page invite à faire un pas de côté et à questionner nos pratiques, nos réflexions et plus particulièrement nos échanges sur la question. On se rend rapidement compte qu’ils ne sont pas si nombreux et que les tabous ne sont pas loin dans les discussions, notamment chez les hommes. Mêlant une réflexion subjective assumée à plusieurs témoignages recueillis durant la construction de ce livre, l’auteur propose un petit manifeste qui mérite qu’on s’y attarde. On distingue derrière ces injonctions une nouvelle façon de renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes. Scoop : au bénéfice des hommes. Il y a beaucoup à discuter au fil des pages, que l’on soit d’accord ou non, que l’on souhaite nuancer tel ou tel propos, et c’est justement ça qui est intéressant. C’est plutôt rare les bouquins qui abordent ces questions de cette façon-là. Le travail éditorial réalisé sur le livre par l’association de Coline Pierré et Martin Page Monstrograph ne gâche rien. Ça donne tout simplement envie de le faire lire autour de soi et d’en discuter.

Au-delà de la pénétration, ed. Le nouvel attila, 12 euros, 160 pages.

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