Tempo / Martin Dumont

Les souvenirs d’un trentenaire parisien, ancien musicien d’un groupe de rock et jeune papa.

Félix est guitariste, il vit avec Anna et son fils à Paris. Nous sommes à la fin des annés 80. Il tente de gagner suffisamment sa vie en se produisant dans les bars mais cette vie lui laisse un goût amer lorsqu’il repense à sa jeunesse et au succès de son groupe. Il ne gagne pas assez et les tensions s’installent dans son couple. La narration alterne entre les souvenirs du musicien avec son groupe et la vie présente avec sa compagne et son bébé. Derrière le guitariste c’est toute une galerie de personnages réussis qui défile. De Kacem le tenancier du bar en bas de chez lui à Marc le manager jamais très clair dans ses attentes, en passant par les membres du groupe décrit dans ses souvenirs, chacun et chacune gagne en épaisseur au fil du livre. On s’attache à ces morceaux de vie et à la plume pleine de sincérité de Martin Dumont. On retrouve des envies de vivre à fond malgré les difficultés financières. On retrouve aussi de la justesse, dans les sentiments contradictoires d’un père. Félix a toujours voulu vivre de la musique et il est dans une période dans laquelle la nostalgie ne va pas lui faciliter la vie. « Tempo » est à la fois un livre sur l’amitié, sur les choix qui font une vie et sur la musique. Une très belle découverte.

Extrait : « – Tu comprends, Félix ? La vie, sans les moments difficiles, ça n’existe pas, hein ? Je veux dire, ce sont eux qui donnent du sens à tout. Qui nous inspirent, qui mettent en valeur le reste. Le plaisir, les frissons, le bonheur. Tout ce que l’on poursuit sans cesse. Et ce que l’on a vécu avant bien sûr ! Il faut ça pour se rendre compte à quel point c’était fort. À quel point c’était grand. Tu ne crois pas ? »

Tempo, ed. Les Avrils, 20 euros, 224 pages.

Nos armes / Marion Brunet

Une histoire d’amour poignante qui tente de s’écrire malgré la violence du monde.

Peu avant les années 2000, un groupe de potes s’apprête à traverser une épreuve qui va chambouler leur vie. À commencer par celle d’Axelle et de Mano, deux personnages passionnés qui vont être séparés par l’épreuve en question. Un braquage qui dérape. L’action de trop qui part en live. Il faut rassembler de l’argent, car la révolution a un cout. Ce jour-là, l’addition va être particulièrement salée. Le groupe implose et dans le même temps, Axelle termine en prison pour femmes alors que Mano parvient à s’échapper. Le roman revient sur l’histoire de ce groupe de potes, des militants et militantes de la première heure, anarchistes et soudés. Pas des ados, mais pas encore des adultes non plus. Un groupe de jeunes qui a vécu à fond jusqu’à ce jour sombre, le jour du braquage. Marion Brunet questionne la condition carcérale dans ce nouveau roman noir dense et poignant. Elle questionne cette condition à travers la trajectoire d’Axelle qui termine en prison après le braquage. Mais aussi la difficulté de grandir dans cette société avec un sentiment de révolte qui vous tenaille sept jours sur sept. Cette incapacité à mettre de côté la marche du monde qui déconne. On s’attache à ces parcours cabossés, à ces personnages qui tentent de continuer à vivre, en prison et en dehors. Et on retrouve toute la justesse de Marion Brunet, lorsqu’elle parvient à saisir ces instants de vie qui marquent le lecteur.

extraits : « J’ai failli ne pas le reconnaître, tant il avait rétréci. Mon cœur a explosé. Je me suis assise et j’ai attrapé ses deux mains dans les miennes, toutes vieilles et noueuses. Avant ce jour, je n’avais jamais touché ou caressé les mains de mon grand-père. C’était étrange, comme les gestes d’un film. Du coup je me suis un instant décalée, comme si je nous regardais de plus loin. »

« Il y voit un désir caché que le désespoir libère. Elle n’y voit rien du tout, flotte au-dessus d’un charnier et ne trouve rien de mieux à faire que l’amour pour échapper à la mort. »

Nos armes, ed. Albin Michel, 20,90 euros, 350 pages.

Bien trop petit / Manu Causse

La découverte de la sexualité à travers le regard d’un lycéen qui tente de composer avec ses complexes.

Manu Causse s’attarde sur un lycéen qui reçoit des brimades de certains élèves de sa classe. Tout commence à la piscine lorsque la taille de son sexe est moquée. Grégoire a du mal avec ces moqueries et il finit par ne plus penser qu’à cela. Puis à ne plus aller en cours du tout. Ses parents commencent à s’inquiéter, mais lui pas tant que ça puisqu’il se réfugie dans l’écriture. L’écriture de petites fictions érotiques un peu à la manière des fanfictions. Il se prend au jeu et rencontre des lecteurs en ligne avec qui il échange, notamment un lecteur mystérieux qui se passionne pour ses textes. Manu Causse écrit un roman malin qui parlera à de nombreux adolescents (et adultes). Il est question de pouvoir de la fiction, du rapport au corps pendant les années lycée ou des imaginaires érotiques qui sont véhiculés ou non à cette période de la vie. « Bien trop petit » est roman plein de justesse qui vaut le détour et qui peut ouvrir des discussions. Ajoutez à cela de petites touches d’humour vous avez un très bon petit bouquin. Définitivement une collection à découvrir.

Bien trop petit, ed. Thierry Magnier, coll. L’Ardeur, 15,90 euros, 400 pages.

Ton absence / Guillaume Nail

La naissance d’un sentiment amoureux au milieu d’un groupe de potes.

Léo s’est formé un groupe de potes lors de son premier stage théorique pour obtenir le BAFA. Il a créé des liens forts et la bande est proche, à tel point qu’ils repartent ensemble pour le second stage, l’approfondissement. Un stage qui fait partie du parcours pour obtenir le BAFA et faire de l’animation. C’est pendant ce stage, le temps d’une semaine, que Léo voit naitre chez lui des sentiments pour Matthieu un autre stagiaire. Des sentiments qu’il refoule, qu’il tente de contrôler et qui en même temps, il le sent bien, le dépassent un peu. Le regard du groupe sur cette relation naissante va beaucoup jouer sur les comportements de Léo mais aussi sur ceux de Matthieu, qui lui de son côté est plutôt solitaire et dénote dans la bande qui réalise le stage. Il y a de tout dans ce court roman touchant de Guillaume Nail. Une forme d’écriture libre sur certaines pages, des passages qui côtoient de la poésie, une grande importance de la nature. On est embarqués par ce que traverse Léopold, ça sonne juste. Ce court roman est rythmé par les différentes activités animées par les jeunes qui passent le stage et qui veulent l’obtenir pour poursuivre vers le diplôme. C’est aussi une façon de voir évoluer un sentiment amoureux entre deux jeunes dans un environnement qui met des barrières à ce sentiment justement. Dans « ton absence », on questionne le désir chez ces jeunes adultes, le rapport aux normes et l’impact que cela peut avoir directement dans leurs vies. Un roman qui prouve encore une fois toute la vitalité de la littérature jeunesse. À découvrir.

Ton absence, ed. Rouergue, 12,80 euros, 160 pages.

Le Bloc / Jérôme Leroy

Chroniques d’un parti d’extrême droite aux portes du pouvoir.

« Le bloc » aborde l’ascension d’un parti d’extrême droite du même nom. Jérôme Leroy s’attarde sur deux personnages ambivalents et complexes. Stanko, homme de main redoutable du parti au passé trouble et qui se retrouve traqué au début du roman. Responsable du service d’ordre pendant une période, le parti approchant du pouvoir suite à des tensions à travers le pays, l’homme de main qui s’occupe habituellement des basses oeuvres fait tache. Et de l’autre, Antoine le mari d’Agnès, la présidente du Bloc. Un intellectuel ambivalent qui prend un malin plaisir à prendre de haut la majorité des troupes du parti. Proche de Stanko il a aussi une grande affection pour la violence. « Le bloc » est un roman noir qui peut rendre mal à l’aise, qui décrit avec une précision rare les méthodes des adhérents d’un parti d’extrême droite. Violence, racisme, propos dégradants, combines, tout se recroise dans la montée irrémédiable du parti qui s’apprête à signer un accord avec le gouvernement en place. Un parti aux portes du pouvoir et qui se sert des tensions dans les villes entre forces de l’ordre et population pour avancer dans les sondages. L’État est dépassé par les évènements. Les médias s’en emparent lorsqu’un décompte macabre des morts est mis en place pendant les informations. Le roman noir de Jérôme Leroy est aussi un polar qui résonne avec l’actualité. Comme dans « L’Ange gardien », chacun sert ses intérêts et certains sont prêts à tout pour cela. On retrouve l’écriture singulière de l’auteur que ce soit dans les scènes d’action où l’on pense à Manchette ou dans la narration. Une lecture marquante qui laisse à penser.

Jérôme Leroy dans un portrait de Libé, en parlant du roman noir : «c’est là où se fait la littérature aujourd’hui», considère-t-il, «un formidable terrain d’expérimentation». Il a commencé à en écrire «parce qu’il fallait que je parle de ce que j’observais sur le terrain, la violence dans les rapports humains et politiques, les émeutes urbaines que je voyais arriver. Le polar, c’est le roman de l’inquiétude».

Le Bloc, ed. Gallimard, coll. Série Noire, 17,75 euros, 304 pages.

Le Yoga, nouvel esprit du capitalisme / Zineb Fahsi

Les dessous d’une discipline équivoque.

Zineb Fahsi, elle-même professeure de yoga, décortique dans ce riche essai sa discipline. Elle se penche sur l’émergence du yoga à travers plusieurs textes traditionnels afin de comprendre son origine puis au fur et à mesure du bouquin, elle comprend comment le yoga a pu rencontrer un tel succès ces dernières années. En questionnant les approches qui dépolitisent cette discipline, l’autrice s’attarde sur les liens réels, mais peu visibles du yoga avec la logique néolibérale. Une logique qui responsabilise l’individu lorsqu’il doit se prendre en charge, « penser à lui », faire preuve de volonté pour se sentir mieux. Ces approches qui aux premiers abords semblent intéressantes et surtout bénéfiques pour tous sont en réalité déconnectées d’une logique collective. Lorsque l’on recentre le propos sur soi, on ne questionne plus les luttes collectives, les moyens de lutter par le groupe. On ne questionne plus le poids des politiques ni le poids des nombreuses sphères qui régissent nos quotidiens et qui l’impactent directement : les inégalités sociales, la précarité, les stigmates, etc. Le yoga derrière une vitrine qui peut donner envie omet de nombreuses problématiques du quotidien en recentrant le propos sur soi. On apprécie d’ailleurs le propos nuancé de Zineb Fahsi qui adore sa discipline, mais qui souhaite l’ancrer dans une réalité sociétale. Le yoga peut aussi servir les intérêts d’une logique capitaliste et les exemples dans ce livre ne manquent pas. Un essai passionnant de bout en bout qui au-delà de la discipline dont il est question, décrypte tout un état d’esprit actuel que l’on retrouve dans la société.

Le Yoga, nouvel esprit du capitalisme, ed. Textuel, 18,90 euros, 208 pages.

Une fièvre impossible à négocier / Lola Lafon

Un premier roman plein de colère à l’écriture unique.

Lola Lafon écrit l’histoire de Landra, une jeune femme qui a été violée par l’homme en qui elle avait confiance un 14 septembre. Une date qui est un tournant pour elle et qui l’a fait entrer dans la seconde partie de sa vie. Une partie de sa vie dans laquelle elle va lutter pour avancer avec ce traumatisme. Mais aussi une partie de sa vie où elle décide de vivre dans des squats et où elle se rapproche des mouvements autonomes dans les manifestations. Des groupes qui participent à des actions qui ciblent directement des symboles du capitalisme lors des manifestations. Dans une langue qui restitue les émotions et les sensations avec une justesse rare, Lola Lafon écrit un roman à forte teneur autobiographique. Landra décide de convertir sa colère dans des actes solidaires, à travers la contestation. On suit ce personnage au regard lucide qui perçoit au fil de ses expériences la violence du monde et notamment celle des hommes. « Une fièvre impossible à négocier » aborde cette violence subie par les femmes et l’emprise souvent sous-jacente derrière les comportements des hommes. On distingue déjà les thèmes qui vont revenir dans les livres de l’autrice comme dans son dernier roman « Chavirer ». « Une fièvre impossible à négocier » est un premier roman qui met une vraie claque.

Une fièvre impossible à négocier, ed. J’ai Lu, 6,20 euros, 288 pages.

Les Contemplées / Pauline Hillier

Le récit du séjour de l’autrice dans la prison pour femmes de Tunis.

Inspiré par ce que l’autrice a traversé, « Les Contemplées » est un récit autobiographique de Pauline Hillier dans lequel elle raconte sa détention à La Manouba, la prison pour femmes de Tunis. L’autrice y est envoyée suite à son arrestation lors d’une manifestation. Elle relate les conditions de détention et dresse des portraits marquants de ses codétenues qui pour beaucoup sont victimes à l’origine d’une violence patriarcale. Des portraits de femmes qui questionnent le sens d’une justice bafouée. De nombreux passages du récit retranscrivent la solidarité qui se crée entre ses femmes derrière les barreaux. « Les Contemplées » est un texte poignant qui donne à voir des femmes qui luttent, victimes d’erreurs judiciaires. Un livre marquant sur l’injustice qui oscille entre fiction et autobiographie.

Les Contemplées, ed. La Manufacture de livres, 18,90 euros, 179 pages.

Le Gang de la clef à molette / Edward Abbey

Un petit groupe sabote tout ce qui touche de près ou de loin à l’industrie américaine.

Ils sont quatre, quatre personnages marginaux qui décident de détruire ou de piéger les ponts et autres infrastructures qui représentent les industries et les excès d’une société américaine. Il y a le chirurgien, sa maitresse, l’ancien soldat du Vietnam et le mormon polygame. Ils sont bien décidés à protéger la nature et ils vont militer dans ce sens en traversant une grande partie des déserts de l’Ouest américain. Ils s’opposent à une société américaine où l’industrie est reine, et détruisent les panneaux publicitaires par exemple avec tout ce que cela représente. Avec un talent indéniable Edward Abbey livre une aventure qui mêle humour et engagement en faveur de la nature et de sa protection. « Le Gang de la clef à molette » est aussi un livre qui amène une réflexion sur la désobéissance civile. Un périple prenant à travers différents états des États-Unis qui se transforme en traque lorsque les autorités cherchent à les arrêter.

Le Gang de la clef à molette, ed. Gallmeister, 496 pages, 12 euros.

La guerre des bouffons / Idir Hocini

Une enfance dans Bondy racontée avec un ton et un regard unique.

Idir est un jeune habitant de Bondy qui raconte sa jeunesse avec ses potes et la vie de sa famille. Avec une gouaille d’enfer, on suit les aventure du jeune Idir dans ce roman autobiographique au rythme soutenu. On découvre avec lui les affres d’une scolarité qui est loin d’être un long fleuve tranquille, il est d’ailleurs confronté tôt au racisme. Les tournures et les observations du quartier, tout comme les habitudes de chacun font sourire. Chaque personnage qui entoure Idir a une personnalité bien à lui qui détonne. « La guerre des bouffons » est un bouquin bourré de petites réflexions intéressantes et de références qui le sont tout autant, des années 80 aux années 90. On sent que l’auteur y a mis ses tripes et le tout offre un très bon moment de lecture.

La guerre des bouffons, ed. Clique, 20 euros, 400 pages.

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