Encore heureux / Yves Pagès

Découvrir la vie d’un truand dans un roman original et prenant.

Bruno Lescot est un bandit d’un genre particulier. Premièrement il est encore en cavale et deuxièmement il est poursuivi pour un faux braquage ayant dérapé, un policier a été tué. Les circonstances de ce braquage plutôt floues n’empêchent pas Bruno Lescot de devenir quasiment l’ennemi public numéro un. Dans ce singulier bouquin, Yves Pagès retrace la vie de cet homme à travers son procès (sans le principal concerné) et de nombreux témoignages provenant de son entourage. On découvre un personnage qui rencontre tôt quelques difficultés avec l’autorité. Et surtout on découvre un personnage plus complexe qu’il en a l’air. Yves Pagès écrit un livre qui retrace un parcours avec beaucoup d’originalité dans la forme. Le lecteur se laisse porter par le portrait qui se construit au fur et à mesure, avec un rapport médical, un article de journal, etc. En même temps on sent que l’ironie n’est jamais loin et que Bruno Lescot est aussi la victime d’une société qui déraille une fois sur deux. « Encore heureux » est un roman inclassable et surprenant. Une vraie découverte qui emporte le lecteur dès les premières pages.

Encore heureux, ed. Points, 7,40 euros, 336 pages.

Rue Mexico / Simone Buchholz

Difficile de décrocher une fois que l’on a découvert cette procureure d’Hambourg et cette série. Et c’est vrai qu’avant même de commencer je partais quasi conquis. J’ai chroniqué récemment les premiers romans noirs de l’autrice et ça se confirme c’est une belle découverte, qui donne un nouveau souffle au genre. Je découvre un peu à la bourre cette année les aventures de Chastity mais c’est vraiment du bon polar sur toute la ligne. La procureure est un personnage réussi et on sent que Simone Buchholz se régale à la faire évoluer. Elle tente de contrôler ses vieux démons encore une fois et son cynisme à toute épreuve est une nouvelle fois de la partie tout comme une autre substance dont elle a tendance à abuser. Dans « Rue Mexico » des voitures brûlent un peu partout dans le monde et à Hambourg, une voiture brûlée est aussi retrouvée mais avec un homme dedans. Un homme entre la vie et la mort et qui vient du clan Saroukhane. Un clan de mercenaires redoutables installé à Brême. Une jeune femme mystérieuse assiste à la scène lorsque la voiture brûle avant de fuir lorsque Chastity arrive sur les lieux. C’est le début d’une nouvelle enquête pour elle et son compère du moment, Stepanovic. Un autre personnage croisé précédemment et qui prend de l’épaisseur ici. Il y a toujours un bon mot d’un chapitre à l’autre dans les romans de Simone Buchholz ou toujours une réflexion sur le monde qui nous entoure et « Rue Mexico » ne fait pas exception. La violence sous toutes ses formes plane au dessus de l’histoire, que ce soit celle des riches salariés qui travaillent pour des compagnies d’assurance ou celle des clans. En bref on a hâte de lire à nouveau les punchlines de cette procureure pas comme les autres.

Traduction de Claudine Layre.

Rue Mexico, ed. l’Atalante, 19,90 euros, 256 pages.

Comment supporter sa liberté / Chantal Thomas

Un court essai stimulant sur notre rapport à la liberté au quotidien.

Chantal Thomas écrit un essai qui s’attarde sur les petits moments du quotidien et sur l’importance de savoir profiter de ces petits moments. Elle questionne la liberté sous différentes formes, de l’enfant qui cherche à se confronter à l’autorité de l’adulte en passant par la liberté de voyager ou non. Je découvre le ton accessible de l’autrice derrière ce court essai stimulant et on se laisse porter par ses réflexions. Il y a plusieurs passages qui invitent à s’attarder sur des moments de vie, que ce soit le fait de marcher, de rester chez soi ou encore d’avoir un environnement tranquille. Chantal Thomas questionne au passage la différence de liberté entre les hommes et les femmes qui n’ont par exemple pas les mêmes contraintes face au temps dédié à la création. Un petit bouquin qui prend son temps et qui invite le lecteur à faire de même.

Comment supporter sa liberté, ed. Payot, 7,15 euros, 175 pages.

Collapsus / Thomas Bronnec

De la politique et de l’écologie dans un pur roman noir.

Pierre Savidan, un grand gourou qui œuvre dans une association pour les comportements responsables dans l’ouest de la France se retrouve à candidater pour devenir président de la République. Contre toutes attentes il est élu et commence alors son quinquennat par la mise en place de mesures drastiques en faveur du climat et contre l’industrie et les conduites polluantes. Le président a bien l’intention de mettre les hommes face à leurs comportements qu’il estime irresponsables. Vu comme ça, ça pourrait donner des résultats intéressants et devenir un tournant dans la politique française, mais lorsque le président fait passer ses lois de manière de plus en plus arbitraire, les choses se compliquent dans la société et même dans son propre camp on commence à regretter de l’avoir soutenu. Dans ce roman noir d’un réalisme glaçant, Thomas Bronnec imagine une société où la dictature pourrait rimer avec écologie. Loin de prendre parti, l’auteur écrit une fiction qui fait réfléchir sur notre futur et sur les possibilités qui s’offrent à nous aujourd’hui pour limiter le réchauffement climatique. Pas mal de propositions sont mises en perspective et donnent à réfléchir, pour autant les magouilles des politiques sont toujours de la partie et cet auteur n’a pas son pareil pour les restituer. Un polar prenant qu’on ne lâche pas et qui donne envie de découvrir les autres romans de l’auteur. Du costaud cette première lecture de l’année.

Collapsus, ed. Gallimard, 20 euros, 480 pages.

Les nuits d’Alice / René Frégni

L’histoire d’une amitié face à la précarité.

Lucien est un personnage un peu rêveur et grand lecteur. En retrait du monde il vivote et rencontre un beau jour Pierrot sur le port de Toulon. Pierrot sort tout juste de prison et a une envie folle de profiter de la vie. Une solide amitié se noue alors entre les deux compères, au rythme des galères et de petits vols pour survivre avec juste ce qu’il faut. Cet équilibre précaire cède le jour où Lucien sauve Alice, une jeune femme du coin qu’il découvre blessée. Le trio va alors composer avec la précarité, la débrouille et les sentiments de chacun. On distingue déjà dans ce roman, qui fait partie des premiers de René Frégni, le ton et le goût pour le bon mot si cher à l’auteur. Les personnages marginaux savent profiter de la vie mais ne sont pas épargnés pour autant. Le roman n’est peut être pas encore aussi abouti que les derniers livres de l’auteur, mais ça reste un réel plaisir de lecture. L’humour, le rythme et l’importance de la région et de la nature sont toujours bien présents en toile de fond. On se laisse porter par ses personnages vagabonds qui ont peu ou pas du tout d’attache. Un Frégni un peu en deçà mais qui reste de bonne facture.

Les nuits d’Alice, ed. Denoël, 252 pages.

Le Sanctuaire / Laurine Roux

Un roman qu’on ne lâche pas, sur une famille qui vit en autarcie après une catastrophe.

Dans un monde où une catastrophe a réduit à peau de chagrin la population mondiale, une famille se retrouve retranchée dans les montagnes et vit en autarcie dans une cabane. Un lieu appelé « Le sanctuaire » et qui est préservé du monde extérieur par le père de la famille notamment, très protecteur envers ses deux filles. Le monde d’avant resurgit par bribes de temps à autre, lorsque le père s’absente pour récupérer des denrées et qu’il croise d’autres survivants. Pour la mère, c’est par le discours que la nostalgie se met en place lorsqu’elle raconte des scènes du monde d’avant à ses filles. Laurine Roux emmène le lecteur au sein de cette famille et plusieurs thèmes sont abordés autour de la parentalité, de ce que peut représenter le fait de protéger ses enfants ou encore les différentes facettes qui peuvent naitre chez des parents lorsqu’ils élèvent des enfants, y compris les facettes plus sombres. Entre les deux sœurs, il y a des caractères qui divergent au début du récit avec Gemma qui est née dans « Le sanctuaire » et qui ne connait que cet environnement sauvage dans lequel elle a grandi et qui avec l’aide de son père, a fait d’elle une chasseuse hors pair. June de son côté connait le monde d’avant et a un rapport totalement différent à la nature qui l’entoure. Elle ne ressent pas le même sentiment de liberté que sa sœur.

Je découvre Laurine Roux avec ce roman que j’ai dévoré. Un récit à la lisière du roman noir et de l’imaginaire. Un récit parfois sombre, parfois lumineux. L’écriture sans fioriture n’y est pas étrangère et évoque en quelques mots des images chez le lecteur. Une petite pépite ce bouquin.

Le Sanctuaire, ed. du Sonneur, 16 euros, 160 pages.

Trois fois la fin du monde / Sophie Divry

Un récit qui questionne la solitude et l’enfermement à travers une narration originale.

Joseph Kamas décide de filer un coup de main à son frère sur le braquage d’une bijouterie. Peu porté sur l’action d’habitude, il se retrouve au milieu du braquage et tout dégénère. Son frère est tué après avoir ouvert le feu et Joseph prend la direction de la prison. Débute une rude découverte du milieu carcérale et de ses règles dans la première partie du livre, jusqu’à un évènement plutôt inattendu qui va changer la donne. Ce serait dommage d’en dire plus mais le personnage va apprendre à se réinventer dans un nouvel environnement.

Sophie Divry décrit toujours aussi bien les sentiments qui habitent ses personnages. Joseph prend de plein fouet dans la tête et dans sa chair son arrivée en prison. L’autrice relate avec beaucoup de précision les différents sentiments par lesquels il passe, notamment lorsque les choses évoluent dans la seconde partie du roman. J’aime beaucoup la façon de passer de l’action à des passages plus contemplatifs, d’un paragraphe à l’autre. On sent la recherche du mot juste et un travail intéressant sur la narration.

Le récit laisse une belle place à la réflexion, en questionnant la solitude, le rapport à l’autre ou encore les différents types d’enfermements que l’on peut croiser dans une vie. Un roman original et prenant, qui dépayse comme souvent chez Sophie Divry.

Trois fois la fin du monde, ed. Notabilia, 16 euros, 240 pages.


Aucune bête aussi féroce / Edward Bunker

Un voleur tente de se racheter une conduite à sa sortie de prison. Un classique.

Max Dembo imagine changer pendant sa conditionnelle en sortant de prison mais les choses ne vont pas être aussi simples. Renouer avec de vieilles connaissances, mettre à l’épreuve ses talents de voleur ou encore se sortir d’un mauvais pas comme il a souvent su le faire, le personnage ne va pas se priver. Le lecteur le suit dans ce roman noir où les événements se précipitent au fil des chapitres. Edward Bunker s’inspire de sa vie pour écrire ce roman à la frontiere entre fiction et autobiographie. Les nombreuses connaissances de l’auteur sur le vol à main armée et sur la prison rendent le récit immersif et prenant. Je découvre Bunker avec « Aucune bête aussi féroce » et c’est un roman noir plus que recommandable.

Aucune bête aussi féroce, Ed. Rivages, coll. Rivages noir, 9,50 euros, 412 pages.

La discrétion / Faïza Guène

L’histoire de Yamina, de Msirda à Aubervilliers.

Quel souffle dans ce roman et quel plaisir de retrouver la plume singulière de Faïza Guène. La discrétion est un roman qui touche et qui remue, l’histoire d’une femme née dans l’Algérie colonisée à la fin des années 40 et qui devient mère de 4 enfants avec tout ce que représente ce nouveau statut. Le lecteur découvrira aussi les enfants de la famille au fil des chapitres, une famille qui grandit dans les années 90 à Aubervilliers.

L’autrice alterne les périodes. Le présent pour voir grandir les enfants de Yamina en région Parisienne et le passé pour se remémorer l’enfance en Algérie. Faïza Guène fait passer ses lectrices et ses lecteurs par toutes les émotions et le ton est plein de justesse. Un coup de coeur à faire lire autour de soi.

extrait : « Ses enfants, eux, ils savent qui elle est, et ils exigent que le monde entier le sache aussi. »

La discrétion, Ed. Plon, 19 euros, 256 pages.

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