Vierge / Constance Rutherford

Un premier roman malin qui questionne avec justesse les normes autour du désir et du corps.

Maxine a vingt-cinq et se pose pas mal de questions. Le reste du temps, elle est surveillante dans un collège et observe les jeunes se chercher entre eux. Son entourage et ses potes ont des relations, font l’amour et elle de son côté est encore loin de se projeter dans tout ça. Elle vit chez sa grand-mère avec qui elle s’entend à merveille et qui va lui offrir un stage de théâtre. C’est dans ce stage que Maxine va être confrontée à ses angoisses et à ses obsessions. Constance Rutherford écrit un premier roman plein d’humour, avec un regard aiguisé sur toute une génération. On assiste à quelques scènes bien pensées, à tout un questionnement sur le corps et sur le désir. Merci à Babelio pour la découverte de ce titre original qui sort le 23 août chez Harper Collins et qui ne se résume pas au simple roman d’apprentissage.

Vierge, ed. Harper Collins, 19,90 euros, 208 pages.

Encore heureux / Yves Pagès

Découvrir la vie d’un truand dans un roman original et prenant.

Bruno Lescot est un bandit d’un genre particulier. Premièrement il est encore en cavale et deuxièmement il est poursuivi pour un faux braquage ayant dérapé, un policier a été tué. Les circonstances de ce braquage plutôt floues n’empêchent pas Bruno Lescot de devenir quasiment l’ennemi public numéro un. Dans ce singulier bouquin, Yves Pagès retrace la vie de cet homme à travers son procès (sans le principal concerné) et de nombreux témoignages provenant de son entourage. On découvre un personnage qui rencontre tôt quelques difficultés avec l’autorité. Et surtout on découvre un personnage plus complexe qu’il en a l’air. Yves Pagès écrit un livre qui retrace un parcours avec beaucoup d’originalité dans la forme. Le lecteur se laisse porter par le portrait qui se construit au fur et à mesure, avec un rapport médical, un article de journal, etc. En même temps on sent que l’ironie n’est jamais loin et que Bruno Lescot est aussi la victime d’une société qui déraille une fois sur deux. « Encore heureux » est un roman inclassable et surprenant. Une vraie découverte qui emporte le lecteur dès les premières pages.

Encore heureux, ed. Points, 7,40 euros, 336 pages.

Une petite société / Noëlle Renaude

La romancière pose sa focale sur des personnages qui s’agitent autour d’une maison bien mystérieuse.

J’étais curieux de retrouver cette singulière autrice de roman noir qui avait été une belle surprise avec « Les abattus » chez Rivages. On retrouve rapidement ce ton dans « Une petite société ». De longues phrases, des fines observations de nos comportements humains et un talent certain pour déceler les zones d’ombre de nos pairs, Noëlle Renaude confirme ses qualités avec ce polar. Tom est un jeune handicapé qui vit reclus dans sa maison avec une mère de substitution. Et le voisinage les observe avec beaucoup de curiosité jusqu’au jour où ça déraille lorsque Tom tente d’enlever une jeune voisine. Noëlle Renaude s’attarde sur cette curiosité, parfois malsaine du voisinage qui permet de découvrir les personnages et leurs vies autour de cette maison. « Une petite société » est un polar à l’atmosphère unique qui renouvelle le genre. Le lecteur se laisse porter par les observations, par les jugements des personnages. Bienvenu dans un microcosme passé au peigne fin. Un microcosme parfois très sombre, à d’autres moment banal mais surtout qui sonne juste.

Une petite société, ed. Rivages, 22 euros, 408 pages.

Les marins ne savent pas nager / Dominique Scali

De l’aventure, des marins et une touche de poésie.

Dans un roman plein de poésie et d’images marines, Dominique Scali invite le lecteur à découvrir l’île d’Ys. Une île imaginaire isolée qui vit au rythme des marées. Tous les personnages de ce récit original ont un lien plus ou moins éloigné avec la mer et tout ce qu’elle charrie. Une mer qui ne fait pas de cadeau et qui peut se montrer redoutable. Je ne suis peut être pas aussi emballé que les nombreuses critiques vues sur ce bouquin mais je reconnais que l’autrice laisse transparaître les émotions de ses personnages avec beaucoup de talent. On se laisse porter derrière les aventures de Danaé, la jeune nageuse et on passe un agréable moment de lecture.

Les marins ne savent pas nager, ed. La peuplade, 24 euros, 728 pages.

La course des hamsters / Antonio Manzini

Un braquage qui foire et l’employé zélé d’une caisse de retraite forment un drôle de polar plutôt réussi.

Tout démarre lors d’un braquage qui tourne mal. Deux des quatre braqueurs finissent sur le carreau, le troisième réussi à s’enfuir et le dernier, René, se fait embarquer par les carabiniers. René, qui va rapidement se rendre compte qu’il est dans une merde noire, lorsque les forces de police qui l’ont arrêté le traite d’une manière inhabituelle. En parallèle à ce début de roman qui part au quart de tour, on retrouve Diego, le frère de René qui cherche du sens à ce qu’il fait dans son travail. Il travaille pour la caisse de retraite locale et voit son quotidien chamboulé lorsque l’un de ses chefs lui propose de participer à une magouille où de futurs retraités ont un rôle central. Les deux frères vont de découverte en découverte et ne sont pas sortis des ronces. Antonio Manzini écrit un polar original et qui malgré quelques passages moins réussis, préfigure un talent certain pour l’art de l’intrigue. L’auteur dépeint à merveille une ambiance italienne que l’on aime retrouver dans le roman noir. Je vais me pencher sur « Piste noire » du même auteur, plus récent et dont j’avais déjà entendu parler. Si vous voulez croiser deux losers magnifiques du côté de Rome et une dose de cynisme, n’hésitez pas à vous arrêtez sur « La course des hamsters ».

La course des hamsters, ed. Folio, 8,90 euros, 374 pages.

Mes migraines/ Raphaël Rupert

Les tribulations d’un migraineux.

La migraine pour thème central, pas forcément le truc le plus tentant sur le papier. Et pourtant, on se laisse porter par les pérégrinations d’un narrateur qui voit sa vie régie par cette maladie chronique. Elle est souvent à l’origine d’évènements plus ou moins heureux dans le quotidien du personnage. Un roman bien documenté et malin qui offre un bon moment de lecture. On est loin d’imaginer l‘impact que peut avoir une migraine pernicieuse.

Mes migraines, Ed. L’arbre vengeur, 17 euros, 184 pages.

Trois fois la fin du monde / Sophie Divry

Un récit qui questionne la solitude et l’enfermement à travers une narration originale.

Joseph Kamas décide de filer un coup de main à son frère sur le braquage d’une bijouterie. Peu porté sur l’action d’habitude, il se retrouve au milieu du braquage et tout dégénère. Son frère est tué après avoir ouvert le feu et Joseph prend la direction de la prison. Débute une rude découverte du milieu carcérale et de ses règles dans la première partie du livre, jusqu’à un évènement plutôt inattendu qui va changer la donne. Ce serait dommage d’en dire plus mais le personnage va apprendre à se réinventer dans un nouvel environnement.

Sophie Divry décrit toujours aussi bien les sentiments qui habitent ses personnages. Joseph prend de plein fouet dans la tête et dans sa chair son arrivée en prison. L’autrice relate avec beaucoup de précision les différents sentiments par lesquels il passe, notamment lorsque les choses évoluent dans la seconde partie du roman. J’aime beaucoup la façon de passer de l’action à des passages plus contemplatifs, d’un paragraphe à l’autre. On sent la recherche du mot juste et un travail intéressant sur la narration.

Le récit laisse une belle place à la réflexion, en questionnant la solitude, le rapport à l’autre ou encore les différents types d’enfermements que l’on peut croiser dans une vie. Un roman original et prenant, qui dépayse comme souvent chez Sophie Divry.

Trois fois la fin du monde, ed. Notabilia, 16 euros, 240 pages.


Libre comme l’air / Sara Lövestam

Un versant plus sombre de la capitale suédoise.

Un peu comme chez Sara Gran et sa détective de La Nouvelle-Orléans Claire DeWitt, on retrouve dans « Libre comme l’air » de Sara Lövestam un détective privé pas comme les autres. Kouplan est demandeur d’asile et sans domicile fixe, il tente de survivre au jour le jour et pour gagner un peu d’argent, il rend des services en menant de petites enquêtes. Kouplan est doté d’une empathie développée et on s’attache très vite à ce personnage qui s’agrippe tant bien que mal à ce que la ville de Stockholm lui propose. C’est-à-dire pas grand-chose puisque les procédures pour les demandes d’asile sont complexes et pleine d’embuches. On découvre aussi un passé en Iran qui donne de l’épaisseur au personnage et qui amène d’autres questionnements au fil de l’histoire.

Dans cette nouvelle enquête, Kouplan est amené à suivre un mari qui est suspecté par sa femme d’avoir une relation. Toute la question pour le jeune détective de 26 ans est de lever le voile sur les agissements du mari. Sara Lövestam a une façon bien à elle de monter l’intrigue et cela permet de dévoiler les facettes les moins reluisantes de la société suédoise, mais aussi de notre monde plus globalement. On fait la connaissance d’un nouveau personnage qui sort des sentiers battus et rebattus du roman noir. Les questionnements abordés par l’autrice sont rarement rencontrés dans le genre. Pour la première lecture de l’année, c’est une belle découverte qui mérite qu’on s’y attarde. Un réel plaisir de lecture.

extrait : « Vivre, c’est construire, disait son voisin. Brique après brique. C’est ce qui procure de la satisfaction. Kouplan ne sait pas ce qu’il construit. Si, un corps de plus en plus masculin et poilu, un visage de plus en plus anguleux. Mais sa vie n’est qu’un flottement dans une étendue d’eau indéfinie, sans fond sur lequel rebondir. Son filet de sécurité – ses parents à Téhéran – est désormais rompu. Et quand il se permet d’éprouver un quelconque sentiment, il a l’impression de dériver loin, très loin. »

Libre comme l’air, ed. Pocket, 7,95 euros, 398 pages.

Kérozène / Adeline Dieudonné

La romancière part d’un lieu qui aimante tous les marginaux pour le meilleur et pour le pire.

La romancière construit un patchwork d’histoires avec Kérozène qui emmène le lecteur dans une station-service. On y rencontre tout un tas de personnages plus ou moins déjantés et en marge. L’occasion pour l’autrice de porter un regard acerbe sur la condition humaine et sur ses dérives (violences, société patriarcale, terrorisme ou traitement des animaux par les humains).

Adeline Dieudonné écrit un second roman original dans sa construction et très juste dans l’observation de ses tranches de vie. La station service est à la fois un lieu de rencontre et un lieu où tous ces personnages se croisent pour le pire et pour le meilleur. Derrière un ton ironique et pince-sans-rire, l’autrice met en exergue plusieurs problématiques de notre société. Un roman réussi qui plante le décor en peu de temps et qui pose tout de suite une ambiance singulière.

Kérozène, Ed. L’iconoclaste, 20 euros, 312 pages.

Le dernier thriller norvégien / Luc Chomarat

Un polar déjanté et malin sur le monde du livre.

C’est toujours aussi plaisant de retrouver le ton et l’humour de Luc Chomarat. Un humour noir qui dépeint en arrière plan dans plusieurs de ces romans, les facettes du monde du livre (que ce soit du côté de l’édition ou du côté de celui qui écrit). Le dernier thriller norvégien édité chez La manufacture de livres, est un modèle de construction narrative comme l’auteur sait si bien le faire, un vrai puzzle. Ces livres ont souvent plusieurs niveaux de lecture et celui-ci ne déroge pas à la règle.

Delafeuille, un éditeur parisien solitaire et qui apprécie son petit confort se retrouve à aller négocier les droits d’un auteur de thriller à Copenhague. L’enjeu est de taille car c’est un succès à coup sûr si la traduction française paraît chez les éditions Mirage, sa maison d’édition. Évidement, cet auteur recherché par Delafeuille s’inscrit dans « la grande lignée » incontournable des polars venus du froid. Un genre qui fonctionne à merveille ces dernières années. Il suffit de se pencher sur les étals des librairies et autres rayons livres pour remarquer l’engouement (la saga Millenium n’y est pas pour rien). Delafeuille se retrouve donc à Copenhague et c’est là que Luc Chomarat embarque son lecteur là où il ne s’y s’attend pas. Inutile d’en dire plus, la sauce prend et ce serait dommage de vous en dévoiler plus sur la complexité de l’intrigue.

Sous couvert d’humour noir et de dialogues bien perchés, l’auteur parvient à glisser des réflexions sur certaines absurdités du monde du livre (sur le clivage des genres, sur le monde de l’édition, sur les ficelles vues et revues des romans policiers ou encore sur l’arrivée du support numérique). Quelques références bien sentis viennent parsemer le tout et on croit parfois entendre l’auteur donner son point de vue à travers ses personnages.

Vous ne lirez pas deux polars comme celui-ci. Un régal.

Le dernier thriller norvégien, ed. La manufacture de livres, 16,90 euros, 208 pages.

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