Une petite société / Noëlle Renaude

La romancière pose sa focale sur des personnages qui s’agitent autour d’une maison bien mystérieuse.

J’étais curieux de retrouver cette singulière autrice de roman noir qui avait été une belle surprise avec « Les abattus » chez Rivages. On retrouve rapidement ce ton dans « Une petite société ». De longues phrases, des fines observations de nos comportements humains et un talent certain pour déceler les zones d’ombre de nos pairs, Noëlle Renaude confirme ses qualités avec ce polar. Tom est un jeune handicapé qui vit reclus dans sa maison avec une mère de substitution. Et le voisinage les observe avec beaucoup de curiosité jusqu’au jour où ça déraille lorsque Tom tente d’enlever une jeune voisine. Noëlle Renaude s’attarde sur cette curiosité, parfois malsaine du voisinage qui permet de découvrir les personnages et leurs vies autour de cette maison. « Une petite société » est un polar à l’atmosphère unique qui renouvelle le genre. Le lecteur se laisse porter par les observations, par les jugements des personnages. Bienvenu dans un microcosme passé au peigne fin. Un microcosme parfois très sombre, à d’autres moment banal mais surtout qui sonne juste.

Une petite société, ed. Rivages, 22 euros, 408 pages.

Quartier rouge / Simone Buchholz

Premier roman noir avec Chastity Riley la procureure barrée de Simone Buchholz. Et première réussite.

Après avoir découvert la procureure Chastity Riley dans « Nuit bleue », je continue de lire les romans noirs de l’autrice Simone Buchholz avec « Quartier rouge » et c’est toujours aussi prenant. On prend beaucoup de plaisir à se retrouver de nouveau à Hambourg. Cette fois-ci Chastity se retrouve face au cadavre d’une jeune femme scalpée. À priori une stripteaseuse et malheureusement ça ne sera pas la seule victime dans cette histoire. Dans ce premier roman noir de la série, on distingue déjà le ton singulier de la romancière qui n’a pas son pareil pour camper une ambiance ou une atmosphère. On est embarqué avec Chastity et son entourage de bras cassés, de Faller le commissaire au ton paternel à Klatsche avec qui la procureure noue des relations épisodiques, sans oublier Clara la bonne pote du bar qui devient souvent le QG de Chastiy, lorsqu’elles ne sont pas toutes les deux devant un match de Santk Pauli en troisième division. Il semblerait que le meurtrier manipule ses victimes dans l’affaire qui occupe la procureure. Les filles le suivent sans hésiter. En passant par des moyens pas toujours légaux, Chastiy va se lancer dans l’enquête avec son tact légendaire et encore une fois on est complètement embarqué dans ce roman noir aux dialogues savoureux. Même si c’est le premier de la série il y a déjà une forme de maturité dans la plume de Simone Buchholz.

Traduit de l’Allemand par Joël Falcoz.

Quartier rouge, ed. Piranha, 16,90 euros, 208 pages.

In carna / Caroline Hinault

Fragments de grossesse.

À la fois exploration de la maternité comme expérience du corps et comme expérience sociale, Caroline Hinault écrit avec « In carna » un récit dense et vraiment intéressant sur la grossesse. L’autrice développe à partir de sa propre expérience et de ses lectures sur le sujet un regard sur la maternité et sur tout ce qu’elle recouvre. De l’essentialisation à l’instrumentalisation du corps des femmes, elle livre une réflexion passionnante de bout en bout sans dépolitiser son propos. Avec une écriture travaillée, qui sonne juste et qui m’avait mis une première claque dans son roman noir « Solak », l’autrice choisit d’écrire par fragments ses pensées, ses recherches, ses réflexions. Elle va au-delà de sa propre expérience de la maternité en mettant en évidence des rapports de pouvoir, en rendant visibles des ambivalences. Que ce soit avant, pendant ou après la grossesse, on distingue des injonctions parfois contradictoires que la mère rencontre. La sphère intime n’est plus la seule en jeu et des questions plus politiques ou sociales traversent cette expérience. En société par exemple lorsque des conversations autour du sujet émergent, qu’il faut annoncer sa grossesse, discuter de sa vision du sujet, etc. « In carna » est le genre de bouquin que l’on a envie d’annoter tout au long de la lecture (et qui peut ouvrir des discussions autour de soi). Un gros coup de coeur.

extrait : « Chaleur de printemps. Verdict menstruel.
Elle y avait encore cru, la vieille oie blanche.
La tristesse lui a fondu dessus comme un vautour.
Accaparé par un film, Lui a bredouillé quelques mots pour dire qu’il était désolé.
Il était dans son film, Elle dans son corps.
La tension n’a fait que croître.
Elle lui en a soudain terriblement voulu de ce droit à l’insouciance pendant qu’Elle se coltinait, Elle, les montagnes russes de ce corps qui dit oui ou non à sa guise. »

In carna, ed. du Rouergue, 21,50 euros, 304 pages.

Jeannette et le crocodile / Séverine Chevalier

Un roman noir émouvant et très bien écrit.

Pascal vit avec sa sœur Blandine dans une maison reculée, non loin d’un petit ruisseau. Jeannette la fille de Blandine vit aussi avec eux, du haut de ses dix ans au début du roman. Le lecteur va la voir grandir au fil de l’histoire. Elle grandit avec un monde d’adulte qu’elle a parfois du mal à comprendre. Jeannette au début de ce récit s’apprête à se rendre au zoo de Vannes pour aller observer un crocodile qui a été récupéré dans les égouts près du Pont-Neuf. La jeune fille admire l’animal qu’elle attend de croiser depuis ses six ans. Malheureusement les vies amochées des adultes et de son entourage télescopent ce rêve d’enfant et les choses vont être plus compliqué que prévu. Blandine sa mère tente de se dépêtrer de son addiction à l’alcool tandis que Pascal son oncle tente de faire avec ses différences qui le marginalisent aux yeux des autres. Séverine Chevalier saisie des instants de vie dans ce récit plein d’humanité et on est touchés par ces personnages. « Jeannette et le crocodile » c’est l’histoire d’une enfant qui fait face à la dureté du quotidien et à la violence des adultes. Un très beau bouquin, poignant.

Jeannette et le crocodile, ed. La manufacture de livres, 16,90 euros, 176 pages.

Hakim / Diniz Galhos

La fuite en avant d’Hakim, un dessinateur de bd paranoïaque et ultra lucide.

Hakim va passer une semaine seul pour bosser sur sa bd. Il accompagne sa famille qui rentre au bled, à l’aéroport de Roissy. Sur le retour en RER, seul avec ses pensées et déjà en train de maronner, il tombe sur un bagage abandonné dans le wagon. Il hésite alors à prévenir tout le monde au risque d’être immédiatement suspecté avec sa couleur de peau, son jogging et sa barbe. C’est le début d’une fuite en avant pleine de paranoïa.

Hakim est le produit d’une France qui stigmatise mais Hakim est aussi une machine à digressions. C’est cette forme que va choisir l’auteur pour restituer ses pensées à partir de l’événement déclencheur. Une suite de digressions écrites à la première personne. Les pensées d’Hakim alternent entre ce qu’il se passe pour lui depuis son départ de Roissy et ce que ça va lui renvoyer sur son passé. La langue choisit donne envie de lire certains passages à haute voix. C’est rythmé avec des coupures, des détours, des raccourcis et des bons mots. Un peu déstabilisant au début, on se laisse vite porter par cette prose qui frappe dure et qui sert à merveille l’urgence dans laquelle se trouve le personnage principal. Ses réactions retranscrivent son anxiété et en même temps la conséquence d’un racisme crasse bien français. Les à priori d’Hakim n’en sont pas tant que ça à bien y regarder. Et on sent au fil du récit une forme de lucidité dans les pensées du personnage et dans son regard sur le monde.

Un roman noir tout en nuances, avec un regard sombre sur une société qui ne tourne pas rond et qui traîne de sacrés boulets. Hakim se retrouve au milieu de tout cela et illustre très bien ce poids qui le dépasse. Il est aussi d’une lucidité désarmante. Une excellente découverte des éditions Asphalte que je vous conseille.

Hakim, ed. Asphalte, 18 euros, 208 pages.

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