Wendigo / Rebecca Lighieri

Des évènements étranges viennent chambouler une famille et leur deux adolescents.

Ivo et sa petite soeur Selma grandissent à Marseille dans une grande maison chez leurs parents, tous les deux universitaires. Selma est très proche de son grand frère, mais ce dernier a besoin de beaucoup d’autonomie. Ivo sort la nuit, parle peu et a peu de relations sociales au collège. Lorsque Selma arrive au collège, elle fonctionne à l’opposé de son frère et a besoin de discuter, de sortir et de profiter de ses amies. Mais depuis peu de temps, le comportement d’Ivo change et Selma ne comprend pas. Ses parents ne captent rien, mais elle est certaine qu’il se passe des choses étranges. Elle va bientôt en être certaine. Rebecca Lighieri avec sa façon unique de conter ses histoires raconte avec beaucoup de justesse l’adolescence d’Ivo et de Selma. Le fantastique n’est jamais loin, l’atmosphère sombre et mystérieuse non plus. Les questions autour de l’environnement et de la protection des animaux constituent un autre fil rouge de ce roman jeunesse réussi et prenant.

Wendigo, ed. L’école des loisirs, 14 euros, 256 pages.

La nuit des pères / Gaëlle Josse

Un père qui vit seul dans ses montagnes retrouve sa fille après des années de séparation.

Isabelle est réalisatrice de documentaires, des films sur les fonds marins. Au début du roman, elle se rend non loin de Chambéry dans un paysage montagnard pour y retrouver son père après des années de séparation. Elle est de retour, car son frère Olivier qui habite encore dans la région lui a expliqué que la mémoire de leur père commençait à lui faire défaut. Elle décide de revenir et se doute que tous les souvenirs notamment de son enfance vont remonter à la surface. Et c’est ce qui arrive lorsqu’elle le retrouve. Des souvenirs dans lesquels elle revoit son paternel, un homme taciturne qui parlait peu voire pas du tout et qui vivait en grande partie à travers son métier de guide de montagne. L’autrice décide de s’attarder sur ces retrouvailles et sur ce qu’il va émerger suite à cela. Ce retour dans le village des Alpes là où ils sont nés ne sera pas sans conséquence. On découvre ce qu’ont traversé les personnages, ce qui les ont marqués. On découvre des secrets et des non-dits. Toujours à travers une plume sensible et au plus près des émotions, Gaëlle Josse écrit un nouveau roman marquant. Qui remue. Elle parvient à donner de l’épaisseur à ses personnages, à les rendre ambivalents. Les pages défilent, les images restent. Et encore une fois c’est un régal de lire Gaëlle Josse, son écriture singulière, son sens du détail.

La nuit des pères, ed. Noir sur Blanc, 16 euros, 192 pages.

Blizzard / Marie Vingtras

Une nature hostile devient le théâtre d’une disparition. Un très beau premier roman.

Tout commence dans une nature inhospitalière, dans un froid mordant. Bess le temps de remettre ses lacets lâche le bras du jeune garçon qui est avec elle. L’instant d’après, elle le perd. Les bases sont posées et on est tout de suite dans le bain dans « Blizzard », ce roman de Marie Vingtras qui tend vers le noir. Les chapitres se suivent avec le point de vue de chaque personnage. On suit leur réaction face à cet évènement tout en apprenant à les découvrir lorsqu’il parle d’eux, de leur passé, de leur façon de voir les choses. Marie Vingtras crée une tension, ces chapitres courts campent en un rien de temps cette situation qui dégénère. Paradoxalement même si les évènements se déroulent à l’extérieur, un sentiment d’enfermement tient le lecteur et participe à la mise en place du suspense. C’est aussi un roman sur la paternité, celle de Benedict. Celle d’un homme qui se rend compte très tôt dans le livre que son enfant n’est plus en sécurité et qu’il ne peut rien y faire. On a déjà rencontré l’assemblage de ces thèmes dans des romans (la nature hostile, un personnage brutal et macho, un environnement habité mais isolé, etc.) et pourtant ça fonctionne encore. L’atmosphère joue beaucoup. On se laisse porter par ce premier roman envoûtant, où l’on comprend l’intrigue et le tableau complet petit à petit.

Blizzard, ed. de l’Olivier, 17 euros, 192 pages.

S’adapter / Clara Dupont-Monod

Cévennes. Dans les montagnes. Une fratrie recompose avec l’arrivée d’un enfant ayant plusieurs handicaps.

Un enfant nait avec des handicaps et bouleverse la famille dans laquelle il arrive. Plus particulièrement l’ainé et la cadette qui ne vont pas réagir de la même façon devant les différences de leur tout jeune frère. Dans un roman plein de petites observations et très juste dans le ressenti des personnages, Clara Dupont-Monod adopte le point de vue des proches en commençant par l’ainé. Puis la cadette. Les réactions n’ont rien à voir et on découvre la fratrie de l’intérieur. Leurs pensées et leurs non-dits. L’environnement joue beaucoup dans l’atmosphère que campe l’autrice. Les Cévennes et la nature où grandissent les enfants font partie intégrante du récit. Un très beau roman qui mérite amplement les échos qu’il a eus je trouve.

Extrait : « Alors, forcément, la montagne apparaissait comme une masse dénuée de morale, accueillante comme le sont les animaux. Il y avait là l’étymologie du refuge, fugere c’était s’enfuir. La montagne permettait le recul, un pas en arrière du monde. »

S’adapter, ed. Stock, 18,50 euros, 200 pages.

Trois fois la fin du monde / Sophie Divry

Un récit qui questionne la solitude et l’enfermement à travers une narration originale.

Joseph Kamas décide de filer un coup de main à son frère sur le braquage d’une bijouterie. Peu porté sur l’action d’habitude, il se retrouve au milieu du braquage et tout dégénère. Son frère est tué après avoir ouvert le feu et Joseph prend la direction de la prison. Débute une rude découverte du milieu carcérale et de ses règles dans la première partie du livre, jusqu’à un évènement plutôt inattendu qui va changer la donne. Ce serait dommage d’en dire plus mais le personnage va apprendre à se réinventer dans un nouvel environnement.

Sophie Divry décrit toujours aussi bien les sentiments qui habitent ses personnages. Joseph prend de plein fouet dans la tête et dans sa chair son arrivée en prison. L’autrice relate avec beaucoup de précision les différents sentiments par lesquels il passe, notamment lorsque les choses évoluent dans la seconde partie du roman. J’aime beaucoup la façon de passer de l’action à des passages plus contemplatifs, d’un paragraphe à l’autre. On sent la recherche du mot juste et un travail intéressant sur la narration.

Le récit laisse une belle place à la réflexion, en questionnant la solitude, le rapport à l’autre ou encore les différents types d’enfermements que l’on peut croiser dans une vie. Un roman original et prenant, qui dépayse comme souvent chez Sophie Divry.

Trois fois la fin du monde, ed. Notabilia, 16 euros, 240 pages.


Orphelins de Dieux / Marc Biancarelli

Un roman âpre et violent dans les montagnes Corse du XIXeme siècle.

XIX ème siècle. Vénérande est une jeune paysanne orpheline qui grandit avec son frère, dans une maison Corse isolée. Son frère croise quatre brigands qui vont lui trancher la langue et le défigurer. Lorsque Vénérande le découvre, elle décide de se mettre en quête d’un tueur à gage pour venger son frère. Un tueur qu’elle va trouver en la personne de L’infernu, un ancien mercenaire réputé et redoutable. L’infernu a longtemps fait partie d’une troupe de brigands qui parfois s’inventait des guerres, parfois rendait de fiers services. Des personnages aussi redoutés qu’ambivalents. On découvre cette troupe lorsque le tueur se livre à la jeune fille sur son passé. Les deux personnages vont construire une singulière relation tout en commençant à chercher les crapules qui ont défiguré le frère de Vénérande.

Le récit alterne entre les histoires passés du mercenaire et la traque au présent dans les montagnes Corse. Orphelins de dieux est un livre qui charrie de la violence, du sang et des effluves. L’écriture est très belle et on est soufflés par les scènes construites par Marc Biancarelli et par la vie de l’époque documentée par l’auteur. On distingue aussi un basculement petit à petit avec le personnage de Vénérande qui s’affirme progressivement au fil de l’histoire. C’est cruel, c’est sombre mais qu’est ce que c’est bien amené.

Orphelins de Dieux, ed. Actes Sud, 20 euros, 240 pages.

Le ciel par-dessus le toit / Nathacha Appanah

Une mère et ses deux enfants composent avec un passé douloureux.

Un frère et une sœur sont séparés jusqu’au jour où Loup, alors adolescent, décide de prendre la voiture de sa mère pour retrouver sa grande sœur Paloma devenue bibliothécaire et qu’il n’a plus vue depuis des années. Depuis une dispute entre sa mère et sa sœur. Les choses vont se compliquer pour Loup, sans permis, qui a un accident en prenant une route en sens inverse. L’adolescent s’en sort et est emmené en détention. Il se retrouve incarcéré dans le quartier des mineurs d’une maison d’arrêt.

La langue de Nathacha Appanah est d’une justesse rare et est toujours emprunte d’une poésie bien à elle. Les images et les songes se mêlent à la réalité sans perdre le lecteur. On retourne dans le passé de la mère de Loup, mais aussi dans celui de sa soeur. Et on comprend petit à petit la situation familiale. Les histoires qui font que la mère, Phénix, est si froide et distante avec ses enfants. Les histoires qui font que Loup son fils se sent souvent en insécurité et fait parfois des crises ou encore les raisons du départ de la grande soeur Paloma. La romancière détricote les relations entre la mère et ses enfants et tout ressurgit avec l’incarcération de Loup au début livre, tout un passé douloureux.

De nombreuses questions en sous texte nous parviennent sans jamais obtenir une réponse sans nuance. Comment éduquer ses enfants sans marques d’amour ? Quelles formes les violences peuvent recouvrir dans une éducation ? Quel regard portons nous sur les enfants marginalisés, sur les enfants que l’on perçoit différents ? Et pour quelles conséquences ? J’ai été emporté dès les premières lignes de ce roman qui interpelle par sa langue et par ses thèmes, sans jamais en faire trop.

Extraits : « Parfois, on aimerait savoir, n’est-ce pas, la nature exacte des paroles : leur poids sur les âmes, leur action insidieuse sur les pensées, leur durée de vie, si elles sucrent ou rendent amers les cœurs. Iront-elles se loger quelque part dans le cerveau et un jour, on ne sait ni pourquoi ni comment, réapparaître ? Auront-elles un effet immédiat et déclencher colère, tristesse, stupeur ? Seront-elles incomprises, confuses ? »

 » […] et ce soir, pour elle aussi, il n’y a que l’illusion de la fuite du monde et de soi qui lui reste. »

Le ciel par-dessus le toit, ed. Gallimard, 14 euros, 128 pages.

L’eau rouge / Jurica Pavicic

Un auteur croate à découvrir. Très beau roman noir.

Un soir de 1989, dans un petit village Croate de la côte dalmate, Silva finit de diner avec son frère et ses parents avant de se rendre à la fête des pêcheurs pour retrouver ses amis. La jeune fille de 17 ans n’imagine pas une seconde que ce dîner sera le dernier en leur compagnie. Elle est portée disparue dès le lendemain et sa photo sera bientôt sur toutes les rétines du petit bourg.

L’enquête menée par Gorki Sain démarre puis piétine. Le pays est en proie à des changements politiques et des conflits importants suite à l’effondrement du régime de Tito. La famille ne lâchera pas le morceaux de son côté et Jurica Pavicic emmène la lectrice et le lecteur dans cette quête. Tout débute en 1989 et les années vont filer, tout comme les chapitres. Chaque chapitre relate les évènements vécus par les personnages qui vieillissent, et qui gravitent autour de cette disparition. On suit tour à tour les parents de la jeune fille, son frère, mais aussi l’enquêteur Gorki Sain en charge de l’affaire ou encore les amis de Silva. Les vies continuent, les personnages changent mais le spectre de cette disparition n’est jamais loin. On découvre l’impact du drame sur la famille et sur tout une communauté qui a été amené à la côtoyer d’une manière ou d’une autre. C’est une façon inédite de traiter la disparation et l’auteur rend par ce biais le récit immersif et prenant. On découvre les choses au fur et à mesure, en revoyant des personnages bien après cette fameuse soirée de 1989.

L’auteur écrit très bien et malgré l’histoire qui s’étale sur plusieurs années on ne décroche pas. Il tisse avec habilité l’histoire d’un pays et une singulière intrigue. Il prend le temps de s’attarder sur ses personnages, sur des petits tournants dans leurs vies. On se laisse complètement embarquer dans ce roman noir qui change d’échelle régulièrement et imbrique à merveille les petites histoires dans la grande. Une très belle découverte.

Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

L’eau rouge , ed. Agullo, coll. Agullo Noir, 20,50 euros, 384 pages.

La petite conformiste / Ingrid Seyman

Le récit d’une enfance marseillaise avec des parents soixante-huitards par intermittence.

La jeune Esther grandit dans une famille de soixante-huitards à Marseille. Elle en profite pour raconter sa vie avec un mélange d’humour et de regards critiques sur ses proches. Des proches parfois sacrément en marge, que ce soit son frère qui n’en loupe pas une dès qu’il s’agit de faire une connerie, son père qui est le roi des listes (et des contradictions) ou sa mère qui tient tant bien que mal la barque familiale à flot. Ce livre est une belle surprise, qui se lit tout seul et qui cache quelques facettes plus touchantes au détour de certaines thématiques abordées. Un bon moment de lecture plein de justesse dans le regard que peut porter une jeune fille sur son enfance et sur son environnement.

La petite conformiste, Ed. Le livre de poche, 7,40 euros, 192 pages.

La vraie vie / Adeline Dieudonné

Une adolescente tente de sortir son frère d’une spirale de violence naissante.

Une adolescente grandit avec son petit frère, une mère en retrait et un père violent. Le lecteur découvre une famille où la violence n’est jamais loin et où les non-dits sont omniprésents. La maison où la famille habite n’est pas forcément plus accueillante. Une maison où le père chasse et voue un culte à cette discipline dans une pièce dédiée. À partir de cet environnement, l’adolescente va tenter de se construire un monde parallèle pour survivre et avancer.

C’est un roman noir très fort qui sonne à la fin du récit. On retrouve tout de suite l’écriture directe et sans fioritures d’Adeline Dieudonné. Les émotions des personnages sont palpables tout comme l’atmosphère. On est pris dans le récit au sein de cette famille. C’est parfois lumineux parfois très sombre et le tout est particulièrement prenant. Une fois encore je vous recommande les romans de cette autrice. Une très belle découverte pour moi.

La vraie vie, Ed. L’iconoclaste, 17 euros, 270 pages.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer