La mémoire délavée / Nathacha Appanah

Un livre poignant sur les ancêtres de la romancière.

L’autrice découvre la vie des coolies au XIXe siècle à l’ile Maurice en partant du parcours de ses aïeux. Des aïeux faisant partie des coolies qui ont remplacé les esclaves noirs après l’abolition de l’esclavage. À travers un travail documentaire fouillé et en remontant les générations, Nathacha Appanah découvre dans des archives l’existence de ses aïeux qui partent d’un village en Inde en 1872 pour rejoindre l’ile Maurice. La grande histoire croise celle de la famille de l’autrice dans ce récit touchant et très bien écrit. L’esclavage a été aboli, mais les conditions dans lesquelles travaillent les coolies sont dégradantes et déshumanisantes. À commencer par le numéro qui leur est attribué dès leur arrivée dans le port de Port-Louis. On retrouve toute la sensibilité et la juste distance de l’autrice dans ce récit personnel. Son arrière-grand-père travaillait la terre tout comme son grand-père. La figure de ce dernier prend notamment une grande place dans le livre. On sent qu’il a été une personne importante dans sa vie et dans sa jeunesse lorsque Nathacha Appanah remonte ses souvenirs. Un livre à part dans la bibliographie de l’autrice et encore une fois un gros coup de cœur.

La mémoire délavée, ed. Mercure de France, 17,50 euros, 160 pages.

La nuit des pères / Gaëlle Josse

Un père qui vit seul dans ses montagnes retrouve sa fille après des années de séparation.

Isabelle est réalisatrice de documentaires, des films sur les fonds marins. Au début du roman, elle se rend non loin de Chambéry dans un paysage montagnard pour y retrouver son père après des années de séparation. Elle est de retour, car son frère Olivier qui habite encore dans la région lui a expliqué que la mémoire de leur père commençait à lui faire défaut. Elle décide de revenir et se doute que tous les souvenirs notamment de son enfance vont remonter à la surface. Et c’est ce qui arrive lorsqu’elle le retrouve. Des souvenirs dans lesquels elle revoit son paternel, un homme taciturne qui parlait peu voire pas du tout et qui vivait en grande partie à travers son métier de guide de montagne. L’autrice décide de s’attarder sur ces retrouvailles et sur ce qu’il va émerger suite à cela. Ce retour dans le village des Alpes là où ils sont nés ne sera pas sans conséquence. On découvre ce qu’ont traversé les personnages, ce qui les ont marqués. On découvre des secrets et des non-dits. Toujours à travers une plume sensible et au plus près des émotions, Gaëlle Josse écrit un nouveau roman marquant. Qui remue. Elle parvient à donner de l’épaisseur à ses personnages, à les rendre ambivalents. Les pages défilent, les images restent. Et encore une fois c’est un régal de lire Gaëlle Josse, son écriture singulière, son sens du détail.

La nuit des pères, ed. Noir sur Blanc, 16 euros, 192 pages.

Dis-moi pour qui j’existe ? / Abdourahman A. Waberi

Comment la maladie change une relation ente un père et sa fille.

J’ai beaucoup apprécié « Pourquoi tu danses quand tu marches » d’Abdourahman A. Waberi et j’avais hâte de retrouver sa plume et cette façon bien à lui de raconter un quotidien. Après avoir abordé son enfance à Djibouti, l’auteur s’attarde ici sur l’impact de la maladie de sa fille dans sa vie de famille. Une maladie qui touche Béa du haut de ses six ans et qui va nécessiter une longue hospitalisation à l’hôpital Robert Debré de Paris. Étant professeur à Washington l’auteur ne va pas pouvoir être au chevet de sa fille et c’est ainsi qu’un dialogue à distance s’instaure entre les deux. L’auteur appelant quotidiennement sa fille. À travers ce dialogue touchant et sensible, Abdourahman A. Waberi prend le temps de décortiquer les émotions qui le traversent. Il réfléchit au sens à donner à cette épreuve, à cette maladie (l’arthrite infantile) qui ressemble cruellement à la sienne lorsqu’il avait 14 ans. Dans ces échanges entre un père et sa fille, on distingue ce que l’évènement fait ressurgir pour tous les deux. Que ce soit le passé avec l’enfance de l’auteur à Djibouti ou le futur lorsque Béa se projette en s’imaginant courir à nouveau. « Dis-moi pour qui j’existe » est aussi un vibrant hommage au soin et aux soignants. Être capable pour certains et certaines de se montrer à l’écoute, de créer une relation de soin qui prend en compte toute la singularité du patient. Un très beau livre à découvrir.

Dis-moi pour qui j’existe ?, ed. JC Lattès, 20,90 euros, 276 pages.

L’héritage du rail / Morgan of Glencoe

La dernière geste, deuxième chant.

On retrouve avec plaisir Yuri-hime et ses compères dans ce second opus tout aussi réussi. Des personnages toujours attachants, des rebondissements savamment dosés et une pointe d’humour bienvenue. Ça fonctionne toujours autant. L’autrice a vraiment une plume bien à elle, une façon de rendre ses personnages complexes que je n’avais pas croisés depuis un petit moment. Ne vous attendez pas pour autant à perdre le fil on suit parfaitement les différentes intrigues de cette série. La jeune princesse s’est émancipée de son père et de son destin tout tracé dans le premier tome. Elle ne va pas s’arrêter en si bon chemin dans ce second tome. En effet Yuri engrange de l’expérience et devient actrice à part entière face aux complots et autres réjouissances qu’elle rencontre. En bref, on a toujours envie de savoir la suite et de replonger dans ce singulier univers fait de chemins de fer et de créatures marginales. Un très bon moment de lecture.

L’héritage du rail, ed. Actu SF, 17,90 euros, 466 pages.

Beyrouth-sur-Seine / Sabyl Ghoussoub

Un roman qui tend vers l’introspection avec en toile de fond la guerre du Liban.

Le journaliste franco-libanais se penche sur le passé de ses parents, une vie qui débute au Liban puis qui doit faire face à la guerre à partir de 1975. Avec une plume sensible, on découvre comment la guerre du Liban a été vécue par les Libanais et notamment sa famille, qui arrive ensuite en France. Un récit documenté, avec de courts chapitres. On est touchés par l’histoire de la famille du narrateur qui se cherche entre une France stigmatisante et un pays en guerre qui s’effrite sous leurs yeux et qui n’est plus que l’ombre de lui même. On voit comment les parents réagissent lorsque l’auteur souhaite creuser leurs passés pour ce livre. Des choses ressortent, des sentiments se mélangent, le père et la mère n’ont pas les mêmes réactions face à des souvenirs qui refont surface. L’auteur ne passe pas à côté des ambivalences que sa démarche fait émerger auprès de ses proches. « Beyrouth-sur-Seine » est un très beau bouquin de Sabyl Ghoussoub, teinté de nostalgie. Un texte fort sur la filiation.

Beyrouth-sur-Seine, ed. Stock, 20,50 euros, 320 pages.

Les corps solides / Joseph Incardona

La relation unique d’une mère et son fils, face aux galères du quotidien.

J’étais impatient de découvrir le nouveau roman de Joseph Incardona pour cette rentrée littéraire. Un auteur que j’apprécie beaucoup, avec un ton bien à lui. C’est souvent très sombre chez Incardona avec des thématiques inscrites dans notre temps qui reviennent (le règne de l’argent, les injonctions derrière l’apparence de chacun, la compétition encore la solitude). Dans « Les corps solides », l’auteur questionne jusqu’où une femme et son fils sont prêts à aller pour se sortir de la galère. Et sans dire les chemins qu’ils vont emprunter, on est touchés directement par ce duo qui tente de surnager. Une mère ancienne surfeuse d’un côté, qui a un accident au début du roman avec son camion avec lequel elle vend des poulets. Et de l’autre côté, un fils à l’écoute de sa mère qui cherche au compte goutte des infos sur son paternel et qui au lycée rencontre des situations de harcèlement. Il y a souvent des situations proche du burlesque chez Incardona, avec des personnages caricaturaux mais utilisés à bon escient. Dans ce dernier roman cela va au delà, on est touchés par le quotidien des deux personnages. Un quotidien qui part en vrille. On se retrouve avec un bouquin sensible, sur la force des liens familiaux, sur la force de résilience d’une mère face aux affres du temps. Avec son regard lucide, l’auteur n’oublie pas d’en remettre une couche sur les médias ou sur certaines aberrations du système capitaliste. Le tout compose un roman rude avec des personnages attachants. Une réussite.

Les corps solides, ed. Finitude, 22 euros, 272 pages.

Le quatrième mur / Sorj Chalandon

Nous sommes dans les années 70, Georges est étudiant en histoire et militant pro palestinien. Il rencontre Samuel Akounis, rescapé de la Dictature des Colonels et metteur en scène. Les deux personnages deviennent amis et Samuel quelques années plus tard décide de monter une pièce de théâtre au Liban, en rassemblant plusieurs communautés. La pièce en question est l‘Antigone d‘Anouilh et Samuel cherche à créer une bulle de théâtre sur un terrain de guerre. Une parenthèse. Car Le quatrième mur est aussi un roman sur la guerre, ses conséquences et ses effets au-delà des zones de combat. On sent que Sorj Chalandon a une connaissance fine de la question, notamment suite à ses expériences de reporter de guerre car il est aussi journaliste. Le récit est prenant et vraiment touchant, l‘écriture de l‘auteur participe pleinement à cela. On assiste à la naissance d‘une amitié, d‘un projet entre deux amis mais aussi de la construction de nouvelles consciences politiques. Un roman marquant, d‘une grande richesse.

Le quatrième mur, ed. Le livre de poche, 7,90 euros, 336 pages.

Mon désir le plus ardent / Pete Fromm

La trajectoire d’un couple hors norme qui croise la maladie chronique.

Je découvre Pete Fromm avec ce livre dans lequel un couple tente de ne pas se laisser envahir par la maladie chronique et ses répercutions au quotidien. Avec une plume sensible et pleine d’observations plus justes les unes que les autres, l’auteur dresse le portrait d’une famille dans l’Oregon qui traverse les années et voit ses relations chamboulées par la maladie de Maddy, la mère. Les effets sont nombreux sur le père mais aussi sur les deux enfants ou sur le couple, et c’est avec beaucoup de justesse que Pete Fromm restitue cette atmosphère. Une atmosphère dans laquelle la nature a une place prépondérante très tôt dans le récit. Sans tomber dans des clichés, l’auteur écrit des dialogues qui donnent le sourire et oscillent entre humour et moments plus tragiques. Ce couple a un regard sur la vie qui ne peut pas laisser de marbre. Une très belle découverte qui donne envie de se replonger dans un nouveau livre de Pete Fromm.

Mon désir le plus ardent, ed. Gallmeister, 22,20 euros, 288 pages.

Rafael derniers jours / Grégory McDonald

Un court roman noir à mi chemin entre le tragique et la beauté.

Rafael doit gagner de l’argent pour que sa famille survive et pour ça il doit impérativement trouver un boulot. Lorsqu’il tombe sur une étrange offre il se lance quand même et ne se doute pas une seconde dans quel engrenage il a mis les pieds. Un engrenage sordide qui nécessite même un avertissement en début d’ouvrage de la part de l’auteur. La suite va s’avérer plus compliquée que prévu pour ce personnage sensible et marginal. On suit les péripéties sur quelques jours du jeune homme déjà bien abimé par la vie et par la pauvreté. Un court roman qui sonne dans son réalisme cru et qui en même temps est particulièrement touchant. Les dialogues percutent, les scènes sont courtes et on pense aux paumés de Larry Brown à certains moments. C’est un sacré roman noir. Une lecture que je ne regrette pas d’avoir déterrée de la bibliothèque.

Rafael derniers jours, Ed. 10/18, 7,10 euros, 192 pages.

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