Fille de / Christian Roux

L’histoire d’un trio de braqueurs sur le retour et qui ne ressemble à aucun autre.

Sam bosse dans son garage vers Cassis et du haut de ses 26 ans, elle mène très bien son affaire avec son associé Karim. Franck une ancienne connaissance débarque à son garage et s’apprête à faire remonter avec lui tout un tas de souvenirs. Des souvenirs dans lesquels Franck, Sam et son père Antoine étaient trois redoutables braqueurs. Un passé que Sam préfère oublier, mais dans lequel elle va être contrainte de remettre les pieds. Franck est très clair, il souhaite que Sam se rapproche de son père qui est dans une institution de soins. Antoine a des troubles de la mémoire suite un souci de santé. Il veut que Sam tire les verres du nez de l’ancien braqueur, car son père est le seul à avoir en tête la planque d’un butin, celui du dernier braquage qui a mal tourné. Sam n’a donc pas le choix et elle s’apprête à brasser tout un tas d’histoires, à commencer par celle de sa jeunesse, déjà en marge lorsque ses parents l’emmenaient partout pour leurs différents coups. D’une ville à une autre, la jeune Sam était déjà débrouillarde comme jamais. J’avais bien aimé « L’homme à la bombe » et « Que la guerre est jolie » de l’auteur, je retrouve l’empathie et toute la tendresse que Christian Roux a pour ses personnages dans « Fille de ». La musique n’est jamais loin dans les bouquins de l’auteur et ici on ne déroge pas à la règle, avec Tom Waits en bande sonore. J’aime beaucoup ces auteurs qui prennent le temps de camper des atmosphères, de saisir des instants de vie, que ce soit raconté au présent ou dans un flashback dans l’intrigue. Christian Roux le fait très bien et il campe un personnage féminin marquant et touchant. Du pur roman noir à savourer sans modération.

Fille de, ed. Rivages, coll. Rivages noir, 20 euros, 152 pages.

Tempo / Martin Dumont

Les souvenirs d’un trentenaire parisien, ancien musicien d’un groupe de rock et jeune papa.

Félix est guitariste, il vit avec Anna et son fils à Paris. Nous sommes à la fin des annés 80. Il tente de gagner suffisamment sa vie en se produisant dans les bars mais cette vie lui laisse un goût amer lorsqu’il repense à sa jeunesse et au succès de son groupe. Il ne gagne pas assez et les tensions s’installent dans son couple. La narration alterne entre les souvenirs du musicien avec son groupe et la vie présente avec sa compagne et son bébé. Derrière le guitariste c’est toute une galerie de personnages réussis qui défile. De Kacem le tenancier du bar en bas de chez lui à Marc le manager jamais très clair dans ses attentes, en passant par les membres du groupe décrit dans ses souvenirs, chacun et chacune gagne en épaisseur au fil du livre. On s’attache à ces morceaux de vie et à la plume pleine de sincérité de Martin Dumont. On retrouve des envies de vivre à fond malgré les difficultés financières. On retrouve aussi de la justesse, dans les sentiments contradictoires d’un père. Félix a toujours voulu vivre de la musique et il est dans une période dans laquelle la nostalgie ne va pas lui faciliter la vie. « Tempo » est à la fois un livre sur l’amitié, sur les choix qui font une vie et sur la musique. Une très belle découverte.

Extrait : « – Tu comprends, Félix ? La vie, sans les moments difficiles, ça n’existe pas, hein ? Je veux dire, ce sont eux qui donnent du sens à tout. Qui nous inspirent, qui mettent en valeur le reste. Le plaisir, les frissons, le bonheur. Tout ce que l’on poursuit sans cesse. Et ce que l’on a vécu avant bien sûr ! Il faut ça pour se rendre compte à quel point c’était fort. À quel point c’était grand. Tu ne crois pas ? »

Tempo, ed. Les Avrils, 20 euros, 224 pages.

Le sang des innocents / S. A. Cosby

Une découverte, une claque.

Ancien agent du FBI pendant dix ans, Titus Crown est devenu shérif de Charon County au sud des États-Unis en Virginie. Un lieu où il a grandi et dans lequel il revient en tant que représentant de la loi. Il en profite pour se rapprocher de son père avec qui il a une relation forte, notamment depuis la mort de sa mère des suites d’un cancer. On ressent cette relation forte et touchante entre les deux dès les premiers passages et on sent que l’auteur a travaillé ses personnages. Les deux hommes sont marqués par la perte d’un membre de leur famille, tout comme le frère de Titus avec qui il reprend aussi contact depuis qu’il est de retour dans le coin. La population locale pour une grande partie d’entre elles ne voit pas d’un bon œil l’arrivée d’un policier noir à la tête de Charon County et le coup de poker qui lui a permis d’être élu n’a pas fait que rendre service à Titus. Au début du roman, un jeune homme déraille dans un lycée et tue un enseignant avant de sortir de l’établissement devant les forces de l’ordre. Titus est appelé pour se rendre sur les lieux au plus vite. C’est le début d’une longue et laborieuse enquête pour son service. Une enquête teintée d’un racisme crasse, avec en toile de fond une Amérique ségrégationniste violente. Je découvre S.A Cosby et pfiou c’est clairement une superbe découverte. Il y a tout dans ce roman noir. Des dialogues d’enfer, des passages plus dramatiques qui touchent sans tomber dans le pathos et une tension qui ne fait qu’augmenter. Difficile de pointer avec précision ce qui fait la différence entre un bon roman noir et un excellent, mais celui-ci fait clairement parti de la seconde catégorie. Très fort.

Le sang des innocents, ed. Sonatine, 23 euros, 400 pages.

Ordalie / Morgan of Glencoe

La suite des aventures du Yuri qui a bien évolué dans ce troisième tome.

Je continue la série de « La Dernière Geste » avec « Ordalie », le troisième tome des aventures de la jeune Yuri. Au début de ce troisième tome elle vit en Keltia depuis plusieurs mois, elle a muri et Louis-Philippe de son côté règne sur le royaume de France. Les deux pays ne s’entendent toujours pas et les choses vont déraper dans ce troisième roman. Une guerre mondiale couve mais des solutions existent. Yuri va devoir revenir dans le Royaume de France en tant qu’ambassadrice de Keltia pour apaiser les tensions mais elle ne sera pas la seule à agir dans ce sens. On retrouve avec beaucoup de plaisir les personnages de Morgan of Glencoe. Du jeune Pyro à Yuri en passant par le roi Louis-Philippe ou la capitaine Trente-Chênes. Les parallèles malins avec la société contemporaine et le monde imaginaire de l’autrice sont toujours aussi savoureux. C’est par exemple une altercation raciste envers les fées qui est en grande partie à l’origine des tensions entre les deux royaumes. Morgan of Glencoe rend ses personnages complexes, attachants et ils évoluent d’un bouquin à l’autre. On est embarqués dans les aventures et les passages touchants alternent avec les passages plus dramatiques. L’humour n’est pas en reste, comme dans les deux premiers romans. Je vous invite à découvrir cette très belle série de Fantasy où la diplomatie tient une place centrale dans les intrigues, que ce soit à petite échelle ou à grande échelle, les enjeux s’imbriquent très bien dans le Paris du XVIIIe siècle. C’est une pentalogie qui est annoncée et on ne peut que se réjouir de retrouver bientôt la suite (suite que l’on entraperçoit d’ailleurs à la fin du roman). On aime aussi retrouver l’art du dialogue de la romancière qui ne laisse rien au hasard, comme lorsqu’il est question du statut des personnages féminins par exemple. Du très bel ouvrage du début à la fin.

Ordalie, ed. ActuSF, 17,90 euros, 485 pages.

Amour chrome / Sylvain Pattieu

Hypallage – Tome 1

« Amour chrome » inaugure la série Hypallage, une série avec quatre romans en littérature jeunesse édités à l’école des loisirs. Sylvain Pattieu s’attarde dans chaque bouquin sur un des personnages d’une bande de potes. Dans « Amour chrome » il est question de Mohammed-Ali, un 3e avec de bons résultats et qui termine son collège tranquillement. La nuit il a une passion à l’abri des regards et sort de chez lui à l’insu de ses parents pour taguer. Il se passionne pour le graff et éprouve un sentiment de liberté unique lorsqu’il tague. Le reste du temps, il vaque entre ses potes et ses sentiments pour Aimée, une fille de sa classe qui ne vit que pour le football. Sylvain Pattieu écrit un roman sur des jeunes qui se cherchent. Les réactions et les dialogues sonnent juste ce qui loin d’être évident et on voit des amis se questionner sur les relations ou sur le monde qui les entoure. L’auteur n’en rajoute pas et laisse ses personnages vivre leur amitié, rencontrer des galères ou faire leurs expériences. À l’image d’une jolie scène dans laquelle Mohammed-Ali demande à son père de lui apprendre à se raser pour la première fois. Ce dernier se met alors en quatre et rend la chose importante, rendant le passage touchant. « Amour chrome » c’est aussi le roman d’une adolescence qui passe, du passage à l’âge adulte avec une fin inattendue. Sylvain Pattieu écrit un premier tome qui recoupe de nombreuses problématiques adolescentes, un bouquin que l’on a envie de faire lire autour de soi. Hâte de lire la suite.

Amour chrome, ed. l’école des loisirs, 14 euros, 192 pages.

Starlight / Richard Wagamese

Une femme et sa fille fuient un mari violent et se réfugient chez Starlight, un fermier touchant qui vit en lisière de forêt canadienne.

Franklin Starlight vit dans sa ferme dans l’Ouest canadien et porte le deuil du vieil homme qui l’a élevé. Un vieil homme qui lui a appris à vivre dans la nature avec tout ce qu’elle représente. On sent qu’une relation forte a été tissée avant que le vieil homme meurt, lorsque Starlight était encore qu’un enfant et qu’il découvrait l’environnement autour de lui. On retrouve d’ailleurs la construction de cette relation dans un précédent roman de l’auteur, « Les étoiles s’éteignent à l’aube ». Dans ce dernier roman, Starlight est adulte et voit sa routine quotidienne avec son ami Roth chamboulée lorsqu’il croise la route d’Emmy et de sa fille Winnie. Emmy fuit un homme violent et tente de préserver sa fille. Starlight décide de les héberger dans sa ferme afin qu’elles ne soient pas poursuivies par les services sociaux. Winnie qui est une enfant turbulente à l’école va alors apprendre à connaître la nature au contact de ce singulier personnage. Un homme plutôt solitaire qui est capable de partir des jours dans la forêt pour ramener des clichés d’animaux magnifiques. Un homme qui rassure et qui sait l’importance des traditions notamment celles apprises par son mentor. C’est à partir de là que l’on voit ces quatre personnages apprendre à se connaître, en vivant dans la ferme de Starlight en lisière de forêt. Les romans de Richard Wagamese ont une atmosphère unique difficile à restituer. La nature à toute son importance mais les relations humaines aussi. Et on retrouve encore une fois dans ce dernier la sensibilité qui caractérise l’auteur, que ce soit dans les dialogues ou dans la construction de ses personnages. L’auteur est mort en 2017 sans avoir pu terminer ce roman et les éditions Zoé qui ont reçu le manuscrit inachevé ont décidé de le publier posthume. Un texte émouvant et marquant.

Starlight, ed. Zoé, 21 euros, 272 pages.

Le Soldat désaccordé / Gilles Marchand

Une singulière enquête dans la France de l’après guerre.

Direction le Paris des années 20, dans l’après guerre. Un ancien soldat blessé tôt durant la première guerre mondiale est chargé de retracer le parcours de certains soldats perdus de vue par leurs familles. Il se transforme pet à petit en enquêteur dans ces étranges années d’après guerre. Il mène des enquêtes qui peuvent prendre des années, en mettant le nez dans les affaires de famille pour comprendre où peut être le soldat recherché ou s’il est encore vivant. Dans ce roman original et très bien écrit de Gilles Marchand, le narrateur écrit sur ses propres souvenirs de guerre et sur son enquête en cours. Un nouveau soldat disparu qui, il semblerait, cacherait une histoire d’amour. Le récit est d’une justesse rare sur la guerre, sur ses atrocités, sur l’état d’esprit des soldats parfois dépassés par les évènements. Ajoutez à cela l’humour caustique et la poésie de Gilles Marchand et vous avez un bouquin touchant avec « Le soldat désaccordé ». Un livre au ton unique qui offre un très bon moment de lecture.

Le Soldat désaccordé, ed. Aux forges de vulcain, 18 euros, 208 pages.

Dis-moi pour qui j’existe ? / Abdourahman A. Waberi

Comment la maladie change une relation ente un père et sa fille.

J’ai beaucoup apprécié « Pourquoi tu danses quand tu marches » d’Abdourahman A. Waberi et j’avais hâte de retrouver sa plume et cette façon bien à lui de raconter un quotidien. Après avoir abordé son enfance à Djibouti, l’auteur s’attarde ici sur l’impact de la maladie de sa fille dans sa vie de famille. Une maladie qui touche Béa du haut de ses six ans et qui va nécessiter une longue hospitalisation à l’hôpital Robert Debré de Paris. Étant professeur à Washington l’auteur ne va pas pouvoir être au chevet de sa fille et c’est ainsi qu’un dialogue à distance s’instaure entre les deux. L’auteur appelant quotidiennement sa fille. À travers ce dialogue touchant et sensible, Abdourahman A. Waberi prend le temps de décortiquer les émotions qui le traversent. Il réfléchit au sens à donner à cette épreuve, à cette maladie (l’arthrite infantile) qui ressemble cruellement à la sienne lorsqu’il avait 14 ans. Dans ces échanges entre un père et sa fille, on distingue ce que l’évènement fait ressurgir pour tous les deux. Que ce soit le passé avec l’enfance de l’auteur à Djibouti ou le futur lorsque Béa se projette en s’imaginant courir à nouveau. « Dis-moi pour qui j’existe » est aussi un vibrant hommage au soin et aux soignants. Être capable pour certains et certaines de se montrer à l’écoute, de créer une relation de soin qui prend en compte toute la singularité du patient. Un très beau livre à découvrir.

Dis-moi pour qui j’existe ?, ed. JC Lattès, 20,90 euros, 276 pages.

L’héritage du rail / Morgan of Glencoe

La dernière geste, deuxième chant.

On retrouve avec plaisir Yuri-hime et ses compères dans ce second opus tout aussi réussi. Des personnages toujours attachants, des rebondissements savamment dosés et une pointe d’humour bienvenue. Ça fonctionne toujours autant. L’autrice a vraiment une plume bien à elle, une façon de rendre ses personnages complexes que je n’avais pas croisés depuis un petit moment. Ne vous attendez pas pour autant à perdre le fil on suit parfaitement les différentes intrigues de cette série. La jeune princesse s’est émancipée de son père et de son destin tout tracé dans le premier tome. Elle ne va pas s’arrêter en si bon chemin dans ce second tome. En effet Yuri engrange de l’expérience et devient actrice à part entière face aux complots et autres réjouissances qu’elle rencontre. En bref, on a toujours envie de savoir la suite et de replonger dans ce singulier univers fait de chemins de fer et de créatures marginales. Un très bon moment de lecture.

L’héritage du rail, ed. Actu SF, 17,90 euros, 466 pages.

Quand tu écouteras cette chanson / Lola Lafon

Une nuit dans l’Annexe du musée Anne Frank à Amsterdam.

Cette collection propose des textes d’auteurs et d’autrices qui se sont rendus dans un musée pendant une nuit pour ensuite écrire un texte sur cette expérience. La collection s’appelle « Ma nuit au musée » et je la découvre avec ce livre de Lola Lafon. La romancière se rend pendant une nuit dans l’Annexe, un appartement dans les combles dans lequel la famille d’Anne Frank s’est cachée durant deux années. Un appartement vide situé dans le musée Anne Frank à Amsterdam. Un lieu vide, où le vide prend tout son sens face à l’absence d’Anne Frank pour son père. On retrouve tout de suite la très belle écriture de Lola Lafon et ses mots qui font écho chez le lecteur. L’autrice écrit sur sa façon d’appréhender cette nuit avant de s’y rendre, sur cette expérience qu’elle appréhende. Cela va lui renvoyer tout un tas de souvenirs sur sa vie que l’on découvrira en parallèle aux passages sur la vie d’Anne Frank. On y croise des questionnements autour du rôle de l’écriture, de ce que peut représenter un témoignage et ses récupérations, ou encore du renouvellement incessant de la violence des hommes. Un très beau bouquin déroutant et poignant.

Quand tu écouteras cette chanson, ed. Stock, 19,50 euros, 188 pages.

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