La nuit des pères / Gaëlle Josse

Un père qui vit seul dans ses montagnes retrouve sa fille après des années de séparation.

Isabelle est réalisatrice de documentaires, des films sur les fonds marins. Au début du roman, elle se rend non loin de Chambéry dans un paysage montagnard pour y retrouver son père après des années de séparation. Elle est de retour, car son frère Olivier qui habite encore dans la région lui a expliqué que la mémoire de leur père commençait à lui faire défaut. Elle décide de revenir et se doute que tous les souvenirs notamment de son enfance vont remonter à la surface. Et c’est ce qui arrive lorsqu’elle le retrouve. Des souvenirs dans lesquels elle revoit son paternel, un homme taciturne qui parlait peu voire pas du tout et qui vivait en grande partie à travers son métier de guide de montagne. L’autrice décide de s’attarder sur ces retrouvailles et sur ce qu’il va émerger suite à cela. Ce retour dans le village des Alpes là où ils sont nés ne sera pas sans conséquence. On découvre ce qu’ont traversé les personnages, ce qui les ont marqués. On découvre des secrets et des non-dits. Toujours à travers une plume sensible et au plus près des émotions, Gaëlle Josse écrit un nouveau roman marquant. Qui remue. Elle parvient à donner de l’épaisseur à ses personnages, à les rendre ambivalents. Les pages défilent, les images restent. Et encore une fois c’est un régal de lire Gaëlle Josse, son écriture singulière, son sens du détail.

La nuit des pères, ed. Noir sur Blanc, 16 euros, 192 pages.

Le ciel par-dessus le toit / Nathacha Appanah

Une mère et ses deux enfants composent avec un passé douloureux.

Un frère et une sœur sont séparés jusqu’au jour où Loup, alors adolescent, décide de prendre la voiture de sa mère pour retrouver sa grande sœur Paloma devenue bibliothécaire et qu’il n’a plus vue depuis des années. Depuis une dispute entre sa mère et sa sœur. Les choses vont se compliquer pour Loup, sans permis, qui a un accident en prenant une route en sens inverse. L’adolescent s’en sort et est emmené en détention. Il se retrouve incarcéré dans le quartier des mineurs d’une maison d’arrêt.

La langue de Nathacha Appanah est d’une justesse rare et est toujours emprunte d’une poésie bien à elle. Les images et les songes se mêlent à la réalité sans perdre le lecteur. On retourne dans le passé de la mère de Loup, mais aussi dans celui de sa soeur. Et on comprend petit à petit la situation familiale. Les histoires qui font que la mère, Phénix, est si froide et distante avec ses enfants. Les histoires qui font que Loup son fils se sent souvent en insécurité et fait parfois des crises ou encore les raisons du départ de la grande soeur Paloma. La romancière détricote les relations entre la mère et ses enfants et tout ressurgit avec l’incarcération de Loup au début livre, tout un passé douloureux.

De nombreuses questions en sous texte nous parviennent sans jamais obtenir une réponse sans nuance. Comment éduquer ses enfants sans marques d’amour ? Quelles formes les violences peuvent recouvrir dans une éducation ? Quel regard portons nous sur les enfants marginalisés, sur les enfants que l’on perçoit différents ? Et pour quelles conséquences ? J’ai été emporté dès les premières lignes de ce roman qui interpelle par sa langue et par ses thèmes, sans jamais en faire trop.

Extraits : « Parfois, on aimerait savoir, n’est-ce pas, la nature exacte des paroles : leur poids sur les âmes, leur action insidieuse sur les pensées, leur durée de vie, si elles sucrent ou rendent amers les cœurs. Iront-elles se loger quelque part dans le cerveau et un jour, on ne sait ni pourquoi ni comment, réapparaître ? Auront-elles un effet immédiat et déclencher colère, tristesse, stupeur ? Seront-elles incomprises, confuses ? »

 » […] et ce soir, pour elle aussi, il n’y a que l’illusion de la fuite du monde et de soi qui lui reste. »

Le ciel par-dessus le toit, ed. Gallimard, 14 euros, 128 pages.

Home / Toni Morrison

Le premier Toni Morrison que je lis. Une conteuse hors pair et importante.

Je découvre les livres de Toni Morrison avec Home que j’ai depuis un moment et c’est une belle découverte. Très bien écrit, on suit les péripéties de Frank Money, un ancien de la guerre de Corée qui cherche à retrouver sa sœur Cee à Atlanta. Pour cela, il va devoir traverser une Amérique des années 50 en proie au racisme le plus crasse tout en faisant face à ses vieux démons. Évidement la guerre n’est pas étrangère à ces démons qui le hantent. Toni Morrison a un style bien à elle, avec des images qui frappent. La ségrégation raciale est au centre du propos. Mais ce serait réducteur de relever uniquement ce thème car l’autrice en aborde de nombreux au fil du périple de Frank. Il y a aussi une forme de poésie qui se dégage lorsque Frank regarde les paysages américains défiler et tente de se reconstruire, c’est toute une atmosphère que Toni Morrison amène dans ce récit. J’ai très envie de poursuivre son œuvre et si jamais vous avez un titre à conseiller, n’hésitez pas.

Home, ed. 10/18, 6,10 euros, 144 pages.

Les gagneuses / Claire Raphaël

Toujours aussi bien écrit, n’hésitez pas à découvrir ce nouveau roman noir qui signe le retour de l’héroïne Alice Yekavian.

Quel plaisir de retrouver l’experte en balistique Alice Yekavian dans ce roman noir. Un personnage toujours aussi attachant que l’on a beaucoup de plaisir à suivre. Cette fois-ci deux prostitués sont retrouvées après avoir été tuées à l’arme à feu, l’une peu de temps avant l’autre. Le lien entre ces assassinats va se faire progressivement, pour finir par dévoiler des réseaux plus importants. En collaborant avec la brigade criminelle, Alice Yekavian se retrouve embarquer loin de son laboratoire pour aider à l’avancement de l’enquête (direction La Rochelle dès le début du roman) et on peut dire que tout cela la sort de sa zone de confort. La suite dévoile une intrigue qui se complexifie et qu’on ne lâche plus. Claire Raphaël a beaucoup de talent pour camper ses personnages, un peu comme chez Michèle Pedinielli avec Diou, la personnalité d’Alice Yekavian et sa façon d’aborder le monde transparait à travers les épreuves qu’elle traverse. On sent aussi que le caractère de l’experte en armes à feu n’est pas si éloigné que ça de l’autrice, comme son goût pour la poésie par exemple. L’héroïne fait part de ses doutes, de ses réflexions, et cela se mêle très bien à l’intrigue. On retrouve chez Claire Raphaël cette faculté à faire naître des images et des ambiances chez le lecteur au détour d’une comparaison bien trouvée.

Le thème de ce polar ne semble pas émerger au hasard et comme dans le premier roman de l’autrice Les militantes, qui abordait les violences envers les femmes sous différentes formes, la condition féminine est à nouveau questionnée par le prisme de la prostitution. L’emprise des hommes, le poids de l’espace publique sur les femmes ou encore la force des stigmates qui pèsent sur les prostitués sont autant de sujets abordés. Claire Raphaël écrit des romans noirs importants aussi bien dans les thèmes traités que dans la façon de le faire. Un nouveau coup de cœur.

Les gagnantes, ed. Le Rouergue, 19 euros, 240 pages.

Les enfants sont rois / Delphine De Vigan

Une plongée dans les méandres de YouTube et des enfants stars.

Si vous ne connaissez pas les chaînes Youtube où des parents réalisent des vidéos avec leurs enfants sur leur quotidien, alors penchez vous sur le dernier livre de Delphine De Vigan. Ce sera pour vous l’occasion d’y voir plus clair sur ce monde où les enfants sont des stars et où les visionnages des vidéos du quotidien se compte en millions. Quel quotidien ? Celui des pranks où les enfants à travers des mises en scène piègent leurs parents, celui des placements de produits où l’on ne compte plus le nombre de partenariats avec des marques, mais aussi celui plus intime de la vie d’une famille. Cette nouvelle façon de faire des vidéos YouTube qui questionne évidemment, rencontre un très grand succès chez les jeunes et cela donne le sujet du roman. Au sein d’une de ses familles justement, un des enfants est enlevé et cela va constituer le point de départ du livre. L’histoire est prenante sans être non plus très originale. Le thème traité est vraiment intéressant et mériterait d’être repris dans d’autres fictions. Au-delà des réseaux sociaux, Delphine De Vigan s’attarde sur un usage encore méconnu chez les plus jeunes lorsqu’ils et elles passent du temps devant un écran. À lire.

Les enfants sont rois, Ed. Gallimard, 20 euros, 352 pages.

Un hiver de glace / Daniel Woodrell

L’aînée de la famille tente de retrouver son père pour survivre avec ses deux petits frères et sa mère malade.

À la suite de l’entretien entre Cunégonde de la Haute et Émeric Cloche sur Instagram, j’ai découvert ce roman noir de Daniel Woodrell. J’avais déjà entendu de très bons retours sur l’auteur au détour d’une ancienne interview de François Guérif.

Dans ce polar rural on suit une jeune fille qui tente de retrouver son père. La jeune aînée de 16 ans élève ses deux frères et s’occupe de sa mère qui est atteinte de troubles psychiques. Elle doit retrouver son père qui va et vient et qui est rarement chez eux (la famille sait rarement ce qu’il trame). Ce dernier est convoqué par le tribunal pour une affaire de drogue et Ree doit le retrouver car s’il ne répond pas à cette convocation, la maison pourrait être enlevée à la famille et la mise en liberté conditionnelle du père levée.

On est dans le vif du sujet dès le début en se représentant les Ozarks où se déroule l’histoire. Daniel Woodrell décrit très bien l’ambiance de cette région unique et j’ai été frappé par la justesse des images qui se dégagent des (courtes) descriptions. La neige, la solitude des habitants dans certaines vallées ou la rudesse du climat. On sent tout de suite que la quête de la jeune fille ne va pas être de tout repos. À la manière d’un Benjamin Whitmer ou d’un David Vann, Woodrell s’attarde sur ces familles isolées dans un monde rural qui les isole encore plus. Des phrases courtes et des tournures sans fioritures permettent à l’intrigue d’avancer irrémédiablement. Je ne regrette pas d’avoir dégoté ce Rivages noir, un sombre roman qui n’épargne rien à ses personnages.

Traduction de Frank Reichert.

Un hiver de glace, ed. Rivages noir, 8,15 euros, 224 pages.

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