Le sniper, son wok et son fusil / Chang Kuo-Li

Un polar savoureux entre Taipei et Rome. un réel plaisir de lecture.

Un sniper, ancien de l’armée Taïwanaise, se retrouve sur une mission à Rome où il doit éliminer une cible. Ai Li surnommé Alex est doué et une fois son travail accompli, il se rend compte qu’il est tombé dans un traquenard et qu’il est poursuivi par un autre sniper qui cherche à l’éliminer à son tour. Une fuite à travers l’Europe s’engage entre deux tueurs à gage.

En parallèle à cela, le superintendant Wu, fin limier de la police de Taipei plus très loin de la retraite, est sollicité pour deux affaires qui semblent liées à la victime d’Alex à Rome. Dans ces deux affaires, deux officiers de la Marine sont retrouvés morts. Le superintendant Wu d’un côté et Alex de l’autre ne sont pas au bout de leurs surprises.

Une très belle découverte ce roman noir, qui distille avec justesse des doses d’action, d’humour et d’histoire tout en construisant une intrigue complexe. La recette est connue mais fonctionne, on découvre avec plaisir le superintendant Wu à Taïwan et son fils plutôt geek. Alex de son côté n’est pas qu’un tireur hors pair, c’est aussi un redoutable cuistot vous le découvrirez. Le sniper, son wok et son fusil est un polar qui fait penser à la série de Camilleri avec le commissaire Montalbano où la cuisine a une place à part entière. L’auteur nous fait saliver tout en emmenant le lecteur sur des thématiques d’actualité, notamment la question du commerce des armes. Cette série débute sous les meilleurs hospices. Un polar savoureux à plus d’un titre.

Traduction (de qualité) d’Alexis Brossollet.

Le sniper, son wok et son fusil, ed. Gallimard, coll. Série noire, 19 euros, 368 pages.

L’eau rouge / Jurica Pavicic

Un auteur croate à découvrir. Très beau roman noir.

Un soir de 1989, dans un petit village Croate de la côte dalmate, Silva finit de diner avec son frère et ses parents avant de se rendre à la fête des pêcheurs pour retrouver ses amis. La jeune fille de 17 ans n’imagine pas une seconde que ce dîner sera le dernier en leur compagnie. Elle est portée disparue dès le lendemain et sa photo sera bientôt sur toutes les rétines du petit bourg.

L’enquête menée par Gorki Sain démarre puis piétine. Le pays est en proie à des changements politiques et des conflits importants suite à l’effondrement du régime de Tito. La famille ne lâchera pas le morceaux de son côté et Jurica Pavicic emmène la lectrice et le lecteur dans cette quête. Tout débute en 1989 et les années vont filer, tout comme les chapitres. Chaque chapitre relate les évènements vécus par les personnages qui vieillissent, et qui gravitent autour de cette disparition. On suit tour à tour les parents de la jeune fille, son frère, mais aussi l’enquêteur Gorki Sain en charge de l’affaire ou encore les amis de Silva. Les vies continuent, les personnages changent mais le spectre de cette disparition n’est jamais loin. On découvre l’impact du drame sur la famille et sur tout une communauté qui a été amené à la côtoyer d’une manière ou d’une autre. C’est une façon inédite de traiter la disparation et l’auteur rend par ce biais le récit immersif et prenant. On découvre les choses au fur et à mesure, en revoyant des personnages bien après cette fameuse soirée de 1989.

L’auteur écrit très bien et malgré l’histoire qui s’étale sur plusieurs années on ne décroche pas. Il tisse avec habilité l’histoire d’un pays et une singulière intrigue. Il prend le temps de s’attarder sur ses personnages, sur des petits tournants dans leurs vies. On se laisse complètement embarquer dans ce roman noir qui change d’échelle régulièrement et imbrique à merveille les petites histoires dans la grande. Une très belle découverte.

Traduit du croate par Olivier Lannuzel.

L’eau rouge , ed. Agullo, coll. Agullo Noir, 20,50 euros, 384 pages.

Monstres en cavale / Cloé Mehdi

Damien est incarcéré à l’âge 13 ans et il attendra ses 19 ans pour avoir une chance de s’évader.

Damien est en prison depuis ses 13 ans pour de sombres raisons que je vous laisse découvrir. Au début de ce roman noir, il est transféré de sa prison à un zoo dans lequel les plus grands criminels sont rassemblés dans des enclos. Des criminels dont il fait partie et qui sont exposés comme des animaux aux visiteurs toujours plus nombreux. C’est dans cet endroit morbide que les choses vont s’accélérer pour Damien puisqu’il réussit à s’échapper tout en rencontrant Cab, une jeune fille issue du grand banditisme qui va lui ouvrir les portes d’un monde souterrain qu’il méconnait. Le futur ne s’annonce pas plus reposant pour le jeune homme fragile et abimé par les années de prison.

On retrouve dans « Monstres en cavale » les thèmes chers à l’autrice qui était déjà présents dans « Rien ne se perd », un roman noir édité chez Jigal en 2016 (une claque à lire d’urgence). Cloé Mehdi aborde dans ce premier roman les violences envers les enfants sous plusieurs formes (violences physiques, abandon) tout en questionnant la prison et la prise en charge de la maladie mentale dans la société. Ici on se situe à la frontière entre le thriller et le roman noir, le récit est mené tambour battant et une fois la fuite de Damien amorcée à travers l’Europe, l’autrice déroule les péripéties sans laisser ses personnages souffler bien longtemps. Ce premier roman écrit très jeune est déjà le reflet d’une autrice talentueuse et cela va se confirmer par la suite, notamment dans « Rien ne se perd » qui est pour moi une référence dans le polar.

Monstres en cavale, ed. du Masque, 7,90 euros, 624 pages.

Le dérangeur / Collectif Piment

Petit lexique en voie de décolonisation.

Je vous conseille ce petit lexique riche et documenté, à l’initiative du collectif « Piment ». Un collectif qui déconstruit les discours sur le racisme en s’appuyant sur plusieurs disciplines (littérature, sociologie, histoire, etc.) et en traitant des thèmes actuels (la visibilité des minorités dans la culture, le rôle/l’importance du rap, la genèse de certaines expressions, etc.).

C’est édité chez la jeune maison Hors d’atteinte (qui publie aussi Mehdi Charef👀) et c’est un bouquin important sur lequel on peut revenir régulièrement, pour partager/discuter des définitions du lexique avec son entourage.

La présentation sur le site de l’éditeur :

« Ami noir : Généralement utilisé comme gilet pare-balles dans une conversation stérile. Exemple : « Je ne peux pas être raciste, j’ai un ami noir. »
À travers ce lexique irrévérencieux, véritable guide de survie dans une société dite post-coloniale, Piment, collectif formé de quatre passionnés de cultures afro-diasporiques et auteur d’une émission culturelle diffusée sur Radio Nova, propose de nouvelles définitions à des mots et des expressions anciens ou modernes, nécessaires ou superflus, politiques ou humoristiques.
Palais sensibles, s’abstenir ! »

Le dérangeur, Ed. Hors d’atteinte, 16 euros, 144 pages.

Civilizations / Laurent Binet

Atahualpa débarque dans l’Europe de Charles Quint. Une uchronie originale.

Drôle de fresque ce roman de Laurent Binet. Une uchronie qui imagine une histoire inversée, une « autre mondialisation » comme le souligne la quatrième de couverture. Une histoire où Christophe Colomb ne découvre pas l’Amérique en 1492 et où les Incas envahissent l’Europe en 1531. À vous d’imaginer la suite.

C’est écrit avec de courts chapitres, les évènements s’enchainent et on suit la découverte de l’Europe par les Incas. Les différentes formes utilisées par l’auteur pour raconter (missives, journal de bord, aventures) permettent de rendre la lecture immersive (même si au début ce n’est pas forcément évident d’entrer dans le récit). Un roman original et érudit.

Civilizations, ed. Le Livre de Poche, 8,20 euros, 384 pages.

Police : questions sensibles / Jérémie Gauthier, Fabien Jobard

Livre important, qui ouvre des perspectives.

La collection de ce livre édité chez Puf est le prolongement d’un site dédié aux sciences sociales, laviedesidees.fr (un site créé à l’initiative de Pierre Rosanvallon). Les différents articles/chapitres sont accessibles, clairs et dressent un panorama intéressant sur un thème donné. Dans notre cas, les chercheurs évoquent des questions vives sur le thème de la police. La bibliographie (commentée) en fin d’ouvrage est tout aussi complète.
J’ai découvert initialement Fabien Jobard (un des deux auteurs qui coordonne le livre avec Jérémie Gauthier) dans une vidéo récente de la chaine Youtube Datagueule, que je vous recommande chaudement au passage. Une vidéo portant sur les violences policières. J’ai eu envie de découvrir plus en détail le chercheur à travers ses travaux. Ce livre en est l’occasion et est tout aussi intéressant que son entretien en fin de vidéo. Les différentes façons de structurer la police en Europe sont questionnées, tout comme le genre au sein de l’institution, le maintien de l’ordre propre à la France, les mécanismes derrière les contrôles au faciès récurrents, etc. Je vous laisse découvrir cet état des lieux des pratiques policières et les recherches sur la question.

Police : questions sensibles, coll. laviedesidées.fr, ed. Puf, 9,50 euros, 108 pages.

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