Qui après nous vivrez / Hervé Le Corre

Une certaine idée du monde de demain sous la plume sombre d’Hervé Le Corre.

Dans un futur pas si lointain, le monde a vrillé en raison d’une pandémie. Le climat est difficile et ne facilite pas le quotidien des populations épargnées. Chacun tente de sauver sa peau et il n’y a même plus de moyen pour savoir comment se passent les choses à l’international. L’isolement est roi tout comme la débrouille. L’électricité saute régulièrement dans le pays, les hommes et les femmes tentent de survivre, que ce soit à la campagne en s’isolant ou dans les villes où les tensions sont exacerbées. Les forces de l’ordre deviennent une faction ennemie, la guerre guette, la famine aussi. Hervé Le Corre dresse le tableau d’un monde dévasté dans lequel de petits groupes tentent de continuer à avancer. Une femme et son bébé. Un père et son fils. Le monde de l’auteur fait ressurgir au grand jour les émotions, les tensions, les faces sombres de ses personnages. « Qui après nous vivrez » est d’une noirceur rare. Une fiction qui mêle le roman noir et la dystopie, le tout avec la très belle plume de l’auteur qui ne laisse rien au hasard dans le rythme de son livre, difficile à lâcher. L’auteur pousse les curseurs assez loin et s’attarde avec la justesse qu’on lui connait sur les réactions de ses personnages, sur le désir de vengeance, sur les enjeux autour du collectif lorsque plus rien ne va. Les pauvres étant les plus touchés. Les inégalités augmentent comme jamais dans le contexte qui se déploie sous les yeux du lecteur. C’est parfois violent, souvent tragique. Cela donne un roman noir qui brouille les pistes du genre et qui prolonge l’œuvre d’un auteur à part.

Qui après nous vivrez, ed. Rivages, 21,90 euros, 340 pages.

Retour à l’âge ingrat / Alexis David-Marie

Le récit touchant de l’adolescence compliquée de l’auteur.

Alexis David-Marie est enseignant dans le Val-de-Marne et dans ce récit autobiographique il s’arrête sur son adolescence plutôt sportive. Il choisit de s’adresser à Nunus, l’adolescent qu’il a été. Un petit casse-cou prêt à mettre le boxon pour s’affirmer et se montrer. C’est aussi une adolescence marquée par les moqueries en raison de sa petite taille que l’on découvre. L’auteur dépeint les sentiments qui se bousculent pendant cette période de la vie, des sentiments souvent contradictoires et difficiles à percevoir aux premiers abords. Mais c’est aussi l’âge des premières expériences et des premières conneries et on retrouve tout cela dans le récit de l’auteur. J’ai bien aimé cette façon de prendre du recul sur les comportements qui posent problème aux adultes et qui sont souvent porteurs de sens au-delà de la simple manifestation violente chez les jeunes. J’ai bien aimé aussi cette façon d’adopter un regard qui met en perspective des comportements problématiques à l’époque, dans le rapport aux filles par exemple. « Retour à l’âge ingrat » est un récit autobiographique touchant qui est aussi la photographie d’une époque, celle dans laquelle l’auteur grandit dans les années 90.

Extrait : « Il y a longtemps de cela, quand je dis un soir à Romu que je comptais faire un jour le récit de nos quatre-cents coups, sais-tu ce qu’il me répondit ? Il me dit qu’il n’y aurait rien à raconter car c’est l’histoire de tout le monde. Et il n’avait pas tort.
On apprend à marcher à ses enfants alors que l’on boite soi-même. »

Retour à l’âge ingrat, ed. Aux forges de Vulcain, 21 euros, 304 pages.

N’oublie rien / Jean-Pierre Martin

Un récit autobiographique sur une période de la vie de l’auteur, lorsqu’il a été incarcéré a 22 ans à la maison d’arrêt de Saint-Nazaire.

Jean-Pierre Martin a été incarcéré dans la maison d’arrêt de Saint-Nazaire en 1970 pendant 61 jours. 61 jours au mitard et sur lesquels il revient dans son dernier texte, « N’oublie rien ». Alors qu’il a 22 ans et qu’il travaille à l’usine, il est arrêté pour « apologie du crime d’incendie volontaire ». Une tournure floue qui cache en réalité une contestation collective à laquelle il prend part suite aux nombreux accidents du travail sur les chantiers de l’Atlantique. L’auteur s’engage à plusieurs reprises durant cette période pour lutter contre l’injustice notamment celle liée aux accidents du travail. Il arrête ses études et travaille à l’usine avant son arrestation. Jean-Pierre Martin restitue une expérience carcérale marquante. C’est aussi tout le contexte d’une époque qui défile sous les yeux du lecteur. L’auteur s’attarde à la fois sur son vécu personnel et en même temps comment il s’inscrit dans cette lutte collective à Saint-Nazaire. Un texte plein d’émotion et très bien écrit.

N’oublie rien, ed. de l’Olivier, 18,50 euros, 192 pages.

Petit frère / Isabelle Coutant et Yvon Atonga

Comprendre les destinées familiales.

« Petit frère » d’Isabelle Coutant et d’Yvon Atonga est un livre enquête qui s’arrête sur les trajectoires de vie de deux frères. Yvon qui a grandi dans un quartier de Villiers-le-Bel dans les années 80/90 et son frère Wilfried. Le premier s’en sort et réussit ses projets alors que le second est tué lors d’un règlement de comptes en 2016. La sociologue Isabelle Coutant, qui a rencontré une première fois Wilfried lors d’un podcast quinze ans plus tôt, a souhaité reprendre leurs trajectoires pour comprendre comment l’un a pu s’en sortir alors que l’autre n’a pas pu s’écarter d’une spirale de violence. Ce livre retrace ces deux itinéraires à travers différentes interviews d’Yvon et de l’entourage des deux frères. On distingue un impact direct des politiques publiques dans la vie des quartiers, aussi bien de manière positive que négative. Pour exemple, la suppression de la police de proximité, entérinée sous Nicolas Sarkozy a eu un impact direct sur les tensions dans les quartiers. Le travail de la sociologue est important et en même temps elle laisse les acteurs parler et décrire ces parcours de vie. « Petit frère » est un livre pour comprendre, mais aussi un livre qui rend hommage.

Petit frère, ed. Seuil, 19,50 euros, 240 pages.

L’homme aux mille visages / Sonia Kronlund

Une enquête autour d’un imposteur insaisissable.

Un homme se fait passer pour ce qu’il n’est pas auprès des femmes qu’il rencontre. Ces dernières ne s’en rendent pas compte et le mensonge s’enracine jusqu’au jour où elles réalisent qu’elles ont été trompées. À partir de là elle ne le revoit plus, il ne laisse aucune trace. C’est sur cette affaire que Sonia Kronlund a fait des recherches, en allant à la rencontre des femmes victimes de ce mythomane en série. Derrière les apparences se cache un homme capable de tout, aux multiples prénoms et qui en même temps crée une fascination/répulsion pour l’autrice. Il va parfois loin dans la relation avec les femmes qu’il rencontre et joue sur de nombreux tableaux. Sonia Kronlund écrit un récit singulier qui se lit comme une enquête haletante et qui renvoie à de nombreux comportements masculins détestables de nos sociétés. Une enquête qui révèle un imposteur qui se joue de la réalité.

L’homme aux mille visages, ed. Grasset, 19 euros, 180 pages.

Rien de personnel / Mahir Guven

Le parcours de l’auteur et de sa famille, son rapport à l’immigration. Un texte prenant et très bien amené.

Premier livre de Mahir Guven que je lis, « Rien de personnel » est un récit autobiographique. L’auteur, d’une écriture enlevée et qui sonne juste, décrit son parcours et celui de sa famille. Une trajectoire intime qui recoupe à plusieurs reprises une histoire collective. Au gré des rencontres on découvre un auteur curieux et plein d’énergie à revendre. Mais aussi un jeune confronté tôt aux préjugés racistes ou plus tard lorsqu’il devient père. De sa jeunesse à la création de la maison d’édition La Grenade en passant par la création avec Éric Fottorino du 1 Hebdo, le romancier ne manque pas d’idée. « Rien de personnel » est un récit à lire, sans langue de bois, qui dégage une forme d’humanité. Un livre qui donne envie de lire les deux autres fictions de l’auteur pour retrouver cet humour et ce ton.

Rien de personnel, ed. JC Lattès, 20 euros, 200 pages.

Le Dernier Frère de Nathacha Appanah et Je vous écris dans le noir de Jean-Luc Seigle

Deux romans qui s’attardent sur des trajectoires de vie. Deux fictions inspirées d’un fait réel.

Les deux dernières lectures. Un ancien roman de Nathacha Appanah, « Le Dernier Frère ». Raj, un petit garçon de dix ans qui vit sur l’ile Maurice et qui voit un autre petit garçon, David, arriver et être retenu dans un camp. Ce petit garçon vient de débarquer sur l’ile avec un bateau dans lequel des juifs en exil échappent à la guerre sur le continent européen. L’autrice a toujours une façon bien à elle de raconter les histoires et en partant une nouvelle fois d’un fait réel, elle tisse le destin de deux petits garçons avec une justesse rare. Poignant. Jean-Luc Seigle de son côté s’attarde sur la vie de Pauline Dubuisson, une femme qui fuit la France en 1961 après avoir vu le film de Clouzot avec Brigitte Bardot, « La vérité ». Un film inspiré de sa vie et qui revient sur un évènement marquant. Le livre est écrit à la première personne et on découvre une femme marquée, qui a été prise en grippe par une société tout entière. Difficile de savoir ce qui est romancé ou non dans le livre de Jean-Luc Seigle et du coup ça pose question sur le choix de l’écrivain de se mettre à la place de Pauline Dubuisson. Une figure controversée de cette époque.

Le Dernier Frère, ed. Points, 7,50 euros, 224 pages.

Je vous écris dans le noir, ed. Flammarion, 18 euros, 240 pages.

Les Routes oubliées / S.A Cosby

Le parcours d’un ancien braqueur, pilote hors pair, rattrapé par son passé.

Beauregard est garagiste et père de famille. Il tente de laisser derrière lui son passé trouble de braqueur mais des problèmes financiers l’obligent à remettre le nez dans des magouilles. Beauregard, conducteur hors pair, se retrouve alors au milieu d’un braquage qui ne va pas se passer comme prévu. C’est le début des emmerdes pour lui mais aussi pour sa famille et ses proches. Dans « Les routes oubliées » on retrouve ce qui avait bien fonctionné dans le « Le sang des innocents ». Un récit prenant et des pages qui défilent, des personnages attachants, une Amérique à plusieurs visages, dont celui du racisme. J’ai peut être un peu moins accroché à ce roman noir par rapport au dernier de l’auteur. Moins politique et peut être plus classique dans sa trame. Pour autant S.A Cosby reste une valeur sûre et il est redoutable pour offrir au lecteur un très bon moment de lecture.

Les routes oubliées, ed. Sonatine, 22 euros, 352 pages.

Sambre / Alice Géraud

Radioscopie d’un fait divers.

La journaliste Alice Géraud, plume de l’excellent site « Les jours », a enquêté pendant plusieurs années sur un fait divers. Un homme qui a violé et agressé sexuellement des dizaines de femmes pendant de nombreuses années. La première agression date des années 80 et son arrestation aura lieu en 2018 quasiment trente ans plus tard. L’autrice s’attarde sur cet homme Dino Scala et comment il a pu agir sans jamais être inquiété pendant des années, sur un territoire restreint. Un homme à première vue « banal ». La journaliste dresse les portraits des victimes et met en évidence les mécanismes qui compliquent le parcours de ces victimes. Le dépôt de plainte en commissariat, la parole mise en doute, la culpabilité naissante chez certaines, l’impact sur leurs vies pendant de longues années, tous ces points sont abordés et questionnés dans cet essai. L’impossibilité pour les victimes de se reconstruire après le traumatisme est récurrente. C’est aussi un choix de l’autrice de parler des victimes et de les prendre en considération. Lorsqu’il est question de l’agresseur, les pages font quelques lignes et Alice Géraud ne s’y attarde pas. Enfin cet essai est aussi un reflet documenté et précis des dysfonctionnements de l’institution policière et judiciaire. Un livre important, à lire.

Extraits : « Ce fait divers n’est à l’évidence pas un huis-clos. Il a des causalités externes qui le font déborder de lui-même, qui le relient à notre monde.
Comment cet homme a-t-il pu agresser et violer autant de femmes et de jeunes filles, durant d’aussi longues années, sur un si petit périmètre sans être jamais inquiété ou même soupçonné ? C’est par cette question sans réponse que débute mon enquête. »

« Au fur et à mesure que les pièces s’assemblent apparaît une infernale mécanique de l’échec d’un système, d’une société. Mécanique de l’échec que viennent soudain enrayer une magistrate, une élue, un policier, opposant leurs résistances à la force d’inertie du système. »

Sambre, ed. JC Lattès, 21,50 euros, 400 pages.

L’échappée / Jean-François Dupont

Le parcours d’un homme qui souhaite en finir alors que la guerre civile gronde en France.

La France est sous tension et la guerre civile fait rage. C’est dans ce contexte que l’on fait connaissance avec François, le détenu d’une prison qui voit le directeur de cette même prison, lui proposer de l’aide pour s’évader. François s’empresse d’accepter, mais fausse rapidement compagnie au directeur de la prison. Il se retrouve seul dans la nature, et décide de se rendre en Suisse pour une euthanasie. Il n’a plus grand-chose à perdre. Sa maison a été incendiée, il a perdu sa femme dans des circonstances tragiques avant son incarcération et ne voit plus ses enfants qui habitent loin. Sur son chemin il va faire des rencontres, de Constance une violoncelliste au caractère bien trempé à un groupe de jeunes adolescents dirigés par un mystérieux révérend, le trajet de François s’annonce assez sport. La mort souhaitée au bout du périple en Suisse s’annonce plus compliquée à atteindre. Je découvre la plume de Jean-François Dupont avec ce second roman et on se régale en découvrant ce regard désabusé sur notre monde. François, le personnage principal en bout de course sert parfaitement ce propos. Une atmosphère désenchantée plane sur le bouquin et en même temps, plusieurs passages très bien vus laissent un sourire en coin, notamment les dialogues. François n’était déjà pas en grande forme avant son évasion, pas certain qu’il se refasse une santé dans ce périple à venir pour la Suisse. « L’échappée » est un singulier roman où les personnages tentent de survivre dans un monde dévasté.

extrait : « Cette scène se déroulait entre la dépouille d’un chevreuil et celle d’un directeur de Shopi. »

L’échappée, ed. Asphalte, 20 euros, 208 pages.

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