À la base, c’était lui le gentil / Ramsès Kefi

Un travail journalistique de fond important, à faire lire.

Ramsès Kefi est journaliste et écrit un reportage littéraire poignant avec ce petit bouquin. « À la base, c’était lui le gentil » est un livre prolongé par un entretien pour approfondir avec un chercheur la question de l’urbanisme et de la mobilité, notamment en banlieue. L’auteur a choisi de se pencher sur la question des rixes dans les quartiers en partant de la mort d’un jeune, Aboubakar. Un jeune originaire de Bagnolet tué en 2018 aux Lilas lors d’une rixe. Il est question au fil du texte de l’origine de ces rixes, du lien avec les collèges ou les lycées, de la géographie des quartiers et du cercle vicieux dans lequel de nombreux jeunes se retrouvent. On y croise des éducateurs ou des enseignants et enseignantes lucides. Le format court permet une synthèse du sujet. N’hésitez pas à découvrir cette collection de la revue XXI.

A la base, c’était lui le gentil, ed. XXI, coll. XXI reportage, 9 euros, 96 pages.

Arène / Négar Djavadi

Radiographie d’une ville qui sombre dans la violence sous toutes ses formes.

Direction Belleville dans ce roman de Négar Djavadi. Un quartier populaire de Paris à l’intersection de plusieurs arrondissements. La romancière tisse au fur et à mesure des histoires parallèles, jusqu’à un événement qui va faire éclater les trajectoires des personnages. Un jeune d’un quartier est retrouvé mort par une policière non loin d’un canal parisien. Chaque personnage va alors être mêlé de près ou de loin au drame. Un événement qui va littéralement mettre le feu aux poudres à plusieurs niveaux dans Paris. Négar Djavadi aborde dans ce roman sombre et urbain le pouvoir des images, du storytelling, le choc de différents mondes ou encore la ségrégation urbaine. On est happé par cette histoire qui questionnent de nombreuses thématiques. Une histoire plausible qui tend à plusieurs reprises vers le roman noir. « Arène » offre une galerie de personnages marquants qui restent en tête une fois le livre refermé.

Arène, ed. Liana Levi, 12,50 euros, 464 pages.

La chute du monstre / Philippe Pujol

Marseille, année zéro.

Comme dans « La fabrique du monstre » mais en partant cette fois-ci de l‘effondrement des deux immeubles rue d’Aubagne le 5 novembre 2018, le journaliste marseillais Philippe Pujol continue sa radiographie d’une ville qu’il connaît sur le bout des doigts. En faisant marcher son réseau, son travail passé et sa manière bien à lui de raconter on (re)découvre les travers d’une ville ambivalente et en même temps qui a son rythme de vie propre. En complément du livre de Michel Peraldi et Michel Samson lu il y a peu (« Marseille en résistances » que je vous conseille aussi) on entre dans les coulisses de la vie politique de la cité phocéenne. L’auteur s’attarde sur l’état des écoles, sur les projets urbains en cours ou à venir. « La chute du monstre » est une riche enquête qui met en perspective les préjugés sur la ville.

La chute du monstre, ed. du Seuil, 19 euros, 288 pages.

Marseille en résistances / Michel Peraldi, Michel Samson

Fin de règnes et luttes urbaines.

L’anthropologue Michel Peraldi et la journaliste Michel Samson oscillent entre la chronique politique d’une ville et une réflexion sociologique. Les deux auteurs partent des évènements du 5 novembre 2018 rue d’Aubagne à Marseille, lorsque deux immeubles s’effondrent en emportant huit vies et en provoquant la colère des habitants. Cet évènement met en lumière les dysfonctionnements de la politique de la ville. Plusieurs portraits sont dressés de personnages publics plus ou moins importants et qui vont graviter autour de cet évènement. On découvre comment la ville de Marseille a évolué ces vingt dernières années. Comment un tel évènement a pu arriver. Michel Peraldi et Michel Samson s’attardent sur les promoteurs opportunistes, sur les manipulations des politiques (locales ou non) mais aussi sur les forces des collectifs. On découvre comment une ville fait évoluer ou non son tissu urbain. « Marseille en résistance » est un bouquin passionnant qui donne à réfléchir sur les luttes passées et celles à venir. Une photographie précise et dense, d’un paysage politique et urbain.

Marseille en résistances, ed. La Découverte, 19 euros, 228 pages.

Bien connu des services de police / Dominique Manotti

Tout est une question de perspective dans ce qui est juste et dans ce qui ne l’est pas.

Je retrouve avec grand plaisir Dominique Manotti que j’avais quitté l’année dernière avec « Or noir », un roman qui mêlait habilement politique et économie. J’ai aussi eu l’occasion de lire « Racket » la même année, son dernier roman noir paru aux Arènes dans la jeune collection Équinoxes (une collection qui fait des merveilles depuis sa création en 2018). Dominique Manotti n’a pas son pareil pour dépeindre les rouages des grandes institutions françaises et elle s’y adonne à merveille dans « Bien connu des services de police », où l’on retrouve la flic des renseignements généraux qui apparaît dans « Racket », Noria Ghozali.

L’histoire de ce roman s’articule autour d’un lieu : le commissariat de Panteuil. Panteuil, ville fictive de banlieue nord qui n’est pas sans rappeler des villes existantes. Peu importe, le décor est planté et l’autrice ne va pas ménager ses efforts pour tinter son récit d’un réalisme bien campé. Les personnages se croisent autour de la drogue, de leur métier, de leurs amitiés, de leurs magouilles. Au-delà du terrain où se déroule l’intrigue et des techniques plus que discutables des forces de l’ordre, c’est tout un ministère qui semble se mettre au diapason d’une politique ultra sécuritaire et chaque échelon y contribue bien volontiers. La ville est alors pensée à travers un prisme raciste, qui prône des pratiques où la méfiance et l’insécurité se nourrissent mutuellement.

La réalité est décrite avec une netteté qui fait froid dans le dos. Pas de happy end ni de twist mémorable, prenez plutôt une dose supplémentaire d’injustice et rien de plus. C’est comme ça, âpre, violent, et cela ne fait que remuer plus loin le couteau dans la plaie. Elle est rugueuse la réalité de Dominique Manotti, et pourtant elle doit être lue.

Au passage, ce roman a obtenu le trophée 813 du meilleur roman noir francophone en 2010.

Bien connu des services de police, ed. Folio, coll. Folio Policier, 6,90 euros, 240 pages.

Marseille Noir / Collectif

Une vision poignante et belle de Marseille.

Ça fait un petit moment que je n’ai pas lu de nouvelles, ce n’est pas un format vers lequel je vais naturellement dans mes lectures et je devrais peut-être essayer de creuser un peu dans ce sens. J’ai apprécié ce format court qui est propice à sonner le lecteur en peu de pages, en peu de mots.

Si jamais ça vous tente d’en découvrir, je vous conseille ce recueil présenté par Cédric Fabre et édité chez la très recommandable maison d’édition Asphalte. Une maison qui oeuvre pour le roman noir publication après publication tout en traversant les frontières. Le livre fait partie de la collection Asphalte Noir qui contient des recueils de nouvelles un peu particuliers. Le sujet est simple, prendre une ville et laisser cette dernière devenir le personnage principal au fil des nouvelles (autres exemples avec Barcelone Noir et Paris Noir pour en citer deux déjà parus).

Ici les autrices et auteurs du livre sont au diapason avec leur plume, leur approche et surtout leur façon de choisir un thème sur Marseille. Un thème à traiter qu’il ou elle souhaite mettre en évidence (le commerce, le vieux port, l’urbanisme, l’OM, les trafics, les atmosphères, un quartier…). À noter que le rap aurait mérité une place plus importante je trouve. On croisera donc dans ce recueil Christian Garcin, Pia Petersen, René Fregni, Emmanuel Loi, Philippe Carrese, François Beaune, Rebecca Ligheri, Minna Sif, Marie Neuser, Serge Scotto, Salim Hatubou, François Thomazeau, Patrick Coulomb et Cédric Fabre. J’ai eu quelques coups de cœur pour certaines nouvelles évidemment et l’ensemble reste très cohérent et plaisant. Ne ratez pas l’occasion de partir à la rencontre de Marseille à travers une multitude de prismes et sans tomber dans les clichés.

Marseille Noir, ed. Asphalte, coll. Asphalte Noir, 21 euros, 256 pages.

Boccanera / Michèle Pedinielli

Nice et les apparences.

Bienvenues dans le vieux Nice chez la détective Ghjulia Boccanera que l’on surnomme « Diou ». Un nouveau personnage que je découvre dans ce premier roman de Michèle Pedinielli et autant le dire tout de suite, c’est un vrai coup de cœur.

Dans ce livre, il y a tout ce que j’apprécie dans le roman noir. Des personnages ambigus et complexes, un environnement qui devient un personnage à part entière (la ville de Nice) et des bons mots et dialogues très bien sentis. C’est un plaisir de suivre les tissus de relation qui se noue entre tous les individus et de suivre Diou dans son enquête. Le lecteur est rapidement pris dans le rythme et Michèle Pedinielli mène sa barque à merveille dans ce roman, avec quelques références en plus au monde du polar ce qui ne gâche rien. On sent que l’auteure est une grande lectrice de romans noirs comme son personnage. Au passage et c’est bien vu, les clichés sur la Côte d’Azur et la ville de Nice sont mis à mal sans pour autant que soient épargnées la ville et sa politique.

Boccanera, ed. de l’aube (poche), 11 euros, 256 pages.

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