La Fauve / Yvan Robin

Dans un coin paumé, une petite communauté implose dans ce roman sombre et rythmé.

Des hommes un peu réacs se retrouvent dans leur village pour des rondes citoyennes un peu grotesques. Non loin de là, une forêt mystérieuse véhicule pas mal de peurs à commencer par la présence d’une bête mystérieuse. On croise aussi la route de Blanche, une femme au bout du rouleau qui vit un calvaire au quotidien avec son mari et celle d’un homme seul qui erre dans le coin dans une fuite perpétuelle, non loin du village. On sent bien à travers cette galerie de personnages que ça peut dégénérer d’un moment à l’autre à Montcalme, le village de ce coin reculé. On passe d’un personnage à un autre selon les chapitres et Yvan Robin mène très bien sa barque lorsque le rythme s’accélère. Il plane un truc sur ce roman noir, un truc un peu sombre et mystérieux bien représenté par cette bête légendaire présente dans la forêt et qui fait beaucoup parler d’elle. À voir maintenant vers qui la colère qui affleure va se tourner lorsque les choses vont dégénérer et surtout d’où cette colère va provenir. « La Fauve » est un roman noir qui envoie du bois et en même temps qui délivre un sous-texte plus politique important. Un sous-texte dans lequel les personnages qui véhiculent des comportements virilistes, machos ou racistes à gerber risquent de déguster. On se doute qu’il va se passer quelque chose, mais qu’est-ce qui va déclencher le boxon ? La forêt est-elle l’unique danger dans le coin ? Pas certain.

Extrait : « La proximité de la finitude éloignait l’emprise psychologique de son mari. Comme si elle sortait d’une anesthésie générale. La lumière l’aveuglait. Face à la mort, elle parvenait presque à recouvrer un semblant d’honneur et de dignité. Un préambule au plein épanouissement que lui offrirait le cimetière, à n’en pas douter. »

La Fauve, ed. Lajouanie, 15 euros, 184 pages.

Western / Maria Pourchet

Radiographie d’une époque avec le regard aiguisé de Maria Pourchet.

Alexis est un comédien célèbre qui fuit du jour au lendemain sa troupe de théâtre parisienne dans laquelle il joue Dom Juan. Ses collègues sont perplexes jusqu’au jour où une affaire avec une jeune fille ressort. Alexis a fui dans une maison de campagne dont il a fait l’acquisition, mais qui est déjà occupée par Aurore et son fils Cosma. Aurore est mère célibataire et a décidé de se mettre au vert, car elle ne supporte plus la pression du quotidien, du travail et de ses pairs. S’ensuit une étrange rencontre entre le célèbre comédien et une femme qui a fui son quotidien épuisant. C’est là que le roman accélère et que l’on découvre plus en détail la vie d’Alexis et celle d’Aurore. On retrouve la langue unique et qui sonne de la romancière même si j’ai moins été embarqué que dans « Champion », un autre roman découvert il y a peu. Alexis est un homme détestable et on découvre rapidement qu’il peut faire penser à de nombreux hommes que l’on croise ou que l’on a croisés, un homme dans une société patriarcale violente. À l’arrivée cela donne un roman bien construit, teinté d’un humour bien sombre et qui met en évidence comme rarement les travers de notre époque. C’est souvent le cas chez Maria Pourchet et encore une fois ici, c’est réussi.

Western, ed. Stock, 20,90 euros, 304 pages.

Réinventer l’amour / Mona Chollet

Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.

En questionnant et en déconstruisant les rapports hétérosexuels, Mona Chollet, avec la qualité du travail documentaire que l’on connaît, poursuit son travail important. Dans « Réinventer l’amour », elle prend le temps de mettre en évidence les normes qui planent au-dessus des couples homosexuels, mais aussi les injonctions qui pèsent pour la femme dans le couple. Des injonctions plus ou moins visibles et surtout encore bien ancrées dans nos sociétés. Que ce soit le rapport à la violence des hommes, le rapport au physique et comment est perçue la femme dans le couple, ou encore plus largement l’impact du patriarcat au quotidien dans la vie de couple. Un essai important donc qui permet de mettre en lumière les violences (pas uniquement physiques) que les femmes rencontrent dans leurs vies de couple et les décalages avec ce que l’on imagine dans la société. Les références sont nombreuses tout comme les exemples ce qui permet une fois encore de rendre le propos clair et lisible. Un bouquin à faire lire autour de soi.

Réinventer l’amour, ed. La découverte, 19 euros, 272 pages.

Fille / Camille Laurens

Ce que naître fille veut dire.

Laurence Barraqué grandit dans les années 60 à Rouen. Elle est la narratrice de ce roman qui dévoile dès les premières pages une rencontre avec une condition. Elle est une fille et perçoit progressivement qu’il aurait été plus simple pour elle qu’elle naisse garçon. Elle est une fille et elle comprend durant son enfance que c’est mieux qu’elle se taise, que c’est mieux pour elle qu’elle s’intéresse à certains sujets et pas d’autres. Elle comprend rapidement que sa relation aux hommes peut lui poser des difficultés voire pire. On suit la narratrice jusqu’au début des années 90 lorsqu’elle devient mère. Puis on voit grandir sa fille et la relation se tisse sous les yeux du lecteur avec sa mère. Une fille qui s’affirme et qui s’intéresse aux questions féministes contemporaines en offrant un nouveau prisme à sa mère. Une mère qui regarde comment grandit son enfant à l’orée de ce nouveau prisme, mais qui regarde aussi sa jeunesse avec ce nouveau prisme. « Fille » est un roman qui restitue comme rarement la condition féminine. Tout ce que peut traverser une femme dans une vie. Camille Laurens écrit un récit très juste et plein de petites observations, dans lequel la question du corps féminin est centrale. Le lecteur voit les petites mutations qui s’opèrent chez la narratrice et les luttes que cela sous-tend pour elle. Je lis un peu à la bourre ce bouquin qui avait eu un écho important à sa sortie. Je vous le conseille vivement.

Fille, ed. Folio, 8,70 euros, 256 pages.

Faut pas rêver / Pascale Dietrich

Un nouveau Pascale Dietrich c’est toujours une bonne nouvelle. Foncez.

Il était temps de découvrir le dernier roman noir de Pascale Dietrich. J’avais adoré ses péripéties Grenobloises dans « Les mafieuses » tout comme celles plus orientées vers des contrées maritimes dans « Une île bien tranquille ». L’autrice a un humour pince sans rire et un redoutable regard sur la société, notamment patriarcale. Cet opus le confirme. Ses personnages sont le reflet d’une condition sociale qui fait réfléchir le lecteur. Louise la future mère de famille et Jeanne récemment divorcée vont former un singulier duo qui va aller de découverte en découverte. Tout part des rêves du marie de l’une d’entre elle, ce dernier parle dans son sommeil et empêche sa femme de dormir. Évidemment la teneur de ces rêves laisse un léger sentiment de trouble, vous le découvrirez par vous même. Ce serait dommage d’en dire plus et comme toujours chez l’autrice, le point de départ de l’intrigue est originale et n’oublie pas de mener le lecteur par le bout du nez. De Paris à Marbella, on se régale dans ce nouveau roman noir de Pascale Dietrich.

Faut pas rêver, Ed. Liana Levi, 17 euros, 208 pages.

L’effet maternel / Virginie Linhart

Un très beau récit introspectif de l’autrice pour détricoter les relations avec sa mère.

L’effet maternel est un récit en forme d’introspection. L’autrice tisse ou défait au fil des pages les liens avec sa mère pour chercher à les comprendre, pour chercher à mettre des mots dessus. Et cela, depuis son enfance dans les 70’s jusqu’au jour où elle deviendra mère. Cette relation singulière avec sa mère et l’environnement dans lequel elle grandit vont directement impacter sa conception de la maternité, de la vie conjugale ou de la vie familiale.

Virginie Linhart, d’une plume concise et tout en retenue, brosse un très beau récit sur sa vie et sur ses proches, avec tout ce que cette démarche peut charrier. Les jolies moments comme les moins reluisants. L’autrice écrit un livre qui peut parler à de nombreuses femmes au-delà de son histoire personnelle. Elle y aborde la maternité et ses injonctions, le statut des mères célibataires, les relations mère fille ou encore le rôle de la parole dans une famille. Autant de sujets sondés avec beaucoup de nuances et de justesse.

« Avec l’écriture je me libère de la toute-puissance maternelle, je prends ma part de responsabilité dans le parcours qui a été le mien et je comprends aussi la place centrale qu’y a jouée ma mère. L’écriture n’est en rien un remède, c’est un instrument d’émancipation. »

L’effet maternel, ed. Points, 6,90 euros, 192 pages.

Je suis une sur deux / Giulia Foïs

Une reconstruction après un viol.

Un récit poignant et très bien écrit. Giulia Foïs livre un témoignage important. Ce n’est pas une lecture facile et ça remue pas mal. On retrouve sa plume alerte et son ton singulier, deux ingrédients qui fonctionnent déjà à merveille dans son émission « Pas son genre » sur France Inter.

Je suis une sur deux, Ed. Flammarion, 16 euros, 192 pages.

Les impatientes / Djaïli Amadou Amal

Trois destins de femmes face au mariage forcé. Un roman âpre et qui remue.

Ce roman raconte l’histoire de trois femmes, trois femmes qui vont subir les conséquences du mariage forcé. Une pratique qui réduit à néant toutes aspirations pour elles. Ces trois destins vont être chamboulées face au poids des traditions et face aux hommes. L’autorité des hommes et leur impunité sont sans limite et l’autrice nous le fait très bien ressentir à travers une langue sans détour. Les hommes qui tout en enlevant tout pouvoir de décision aux femmes, exacerbent les tensions entre elles. Les trois personnages vont en souffrir et rencontrer plusieurs formes de violence.

Le récit est d’une clarté remarquable. C’est un roman difficile, qui remue mais qui aborde aussi un sujet important et peu répandu.

« Ce n’était pas à la femme elle-même que j’en voulais. Non, c’était juste à la rivale. Moi non plus, je n’aimais pas celle que j’étais devenue. Mais m’en avait-on laissé le choix ? »

Les impatientes, ed. Emmanuelle Collas, 17 euros, 252 pages.

La femme gelée / Annie Ernaux

Je continue la série avec une lecture qui m’a un petit peu remuée et qui date un peu (un livre lu au mois de septembre). Il s’agit de La femme gelée d’Annie Ernaux, lu en poche chez Folio.

C’est le premier livre d’Annie Ernaux que je lis et c’est une lecture âpre qui restitue la condition d’une femme (la vie de l’autrice) qui petit à petit renonce à son quotidien pour satisfaire son mari et les exigences de ce dernier (le foyer, le travail, le regard du voisinage, le regard dans la ville, etc.). C’est insidieux et très bien restitué par Annie Ernaux tout au long du livre. La langue ciselée frappe fort et au détour d’une phrase l’autrice peut raconter un événement rude avant de passer rapidement à un autre, le rythme étant aussi important dans cette lecture. Annie Ernaux porte un regard précis sur les actes du quotidien et on a vraiment le sentiment de voir au jour le jour à quel point la misogynie et les normes sociales défendues par son mari réduisent à néant les libertés de cette femme. Spectatrice de sa vie, elle construit progressivement son foyer et pourtant les questions demeurent. Dans quelles conditions construire ce foyer et pour quels renoncements ?

Je vous conseille fortement ce récit autobiographique et je suis curieux de lire vos retours si vous l’avez déjà lu ou si vous avez d’autres ouvrages à conseiller d’Annie Ernaux. J’aimerais beaucoup lire Regarde les lumières mon amour pour le prochain.

La femme gelée, ed. Folio (poche), 6,20 euros, 192 pages.

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